Citazione bibliografica: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Ed.): "N°. 38.", in: La Bigarure, Vol.4\038 (1750), pp. 137-144, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4672 [consultato il: ].
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N°. 38.
Livello 2► Lettera/Lettera al direttore► Il y a environ trois semaines, Monsieur, que je vous ai envoyé une petite Brochure que je venois de recevoir de Londres (a)1 . Ce petit Livre étant devenu public ici y a tout mis dans un desordre épouvantable *2 . Le Beau Sexe qui comme vous le sҫavez, donne le ton à tout, & qui est l’ame de cette Capitale, comme je crois qu’il l’est de tout l’Univers, n’est plus reconnoissable depuis ce tems ; & pour peu que ce mal continue, & se repande ailleurs, il est à craindre que le Monde ne retombe dans son ancien Cahos. En effet, depuis que les Dames ont appris par cet ingénieux, mais détestable, Ecrit, qu’elles peuvent devenir Meres sans avoir besoin pour cela du commerce des hommes, les Femmes font ici plus que jamais enrager leurs Maris, les Filles leurs Galants, les Veuves leurs Soupirants, & les Dévotes leurs Directeurs. Il n’y a pas jusqu’aux plus laides qui ne se requinquent, & ne soient ravies de cette heureuse découverte qui met leur bourse à couvert de la rapacité des Gascons & des Petits maitres lesquels leur faisoient ci-devant payer bien cher une chose pour la quelle elles ont plus aujourd’hui besoin d’eux.
Un autre désordre, Monsieur, que ce maudit petit [138] Livre a encore occasionné, & qui est une suite de celui que je viens de vous représentez, est la ruine d’une infinité de personnes que l’humeur galante du Beau-Sexe a fait vivre jusqu’à présent, & qui n’auront bientôt plus d’autre ressource que l’Hopital. Sans parler des Marchandes de Modes, des Coëffeuses, Parfumeuses, Brodeuses, Revendeuses, Entremetteuses, toutes personnes à qui la galanterie a donné à vivre jusqu’à ce jour ; sans parler des Traiteurs, des Marchands de Vin, des Guinguettes, des Fiacres & autres loueurs de Carosses, des Mercures & des femmes d’intrigues, tous gens que la galanterie fait rouler ici ; sans parler d’un nombre infini de Marchands qui, sans la Coquetterie, mourroient ici de faim ; enfin, sans parler des Poëtes, & des Auteurs de Romans, de Contes gaillards, d’Historiettes galantes, & des Libraires qui les impriment & les vendent, que vont devenir les Notaires & les Curez ? Plus de Contrats de Mariage à faire pour les uns ; plus de publications de Bans, plus de Bénédictions Nuptiales pour les autres ; par conséquent, adieu cette pluïe d’or dont les uns & les autres sont si altérez, & que jusqu’à présent ils ont vu couler si abondamment dans leur bourse ; car rien ne coute dans ces sortes de rencontres.
Exemplum► Enfin, Monsieur, depuis que Lucina fine concubitu a paru dans cette Ville, tout y est devenu méconnoissable, & y a changé de face. Le jeune Magistrat, rebuté, comme un sujet devenu inutile, par la fiere Beauté à qui il alloit réguliérement conter son amoureux Martire, employe maintenant à l’étude des Loix un tems précieux qu’il alloit perdre à ses genoux. L’Officier desœuvré, qui alloit prôner dans les Cercles ses bruyants exploits, ne trouve plus de Belle qui veuille l’écouter, encore moins se coëffer de lui, & n’a plus d’autres auditeurs que les Nouvellistes du Luxembourg. Le Gascon affamé, qui jusqu’à ce jour avoit ici fondé sa cuisine, son jeu, son train, son équipage, & ses revenus sur la sotise de quelque folle à qui il en contoit, & promettoit un héritier, voit aujourd’hui disparoitre tous ces précieux avantages dont il jouissoit. Re-[139]duit au désespoir par sa Belle qui, aprenant qu’elle n’a pas besoïn de lui pour avoir un successeur dans ses biens, lui a donné son congé, il se voit contraint d’aller prendre son ancien logement à l’Hôtel des six Moineaux où il se rencontre avec quantité de Petits-Maîtres qui, ne trouvant plus de femmes qui veuillent écouter aujourd’hui leurs sotises, ni souffrir leurs airs impertinents & ridicules, viennent comme lui se refugier dans ce triste asile. ◀Exemplum
Voila, Monsieur, les beaux effets qu’a produits ici la lecture du Livre en question. N’avons-nous pas beaucoup d’obligation à Messieurs les Anglois qui, avec cette belle production, digne de leur genie singulier & hétéroclite, sont venus mettre la confusion dans notre Capitale d’où il est à craindre qu’elle ne passe bientôt dans tout le Royaume ? Peut-être croirez-vous, Monsieur, que je badine, & que je plaisante en vous écrivant ceci. « Quelle apparence, me direz vous, que le Beau-Sexe qui, chez vous, a tant d’esprit l’ait perdu jusqu’au point de croire qu’une Femme, une Fille, ou une Veuve peut concevoir ou engendrer sans avoir la compagnie de l’Homme » . . . Hé pourquoi ne voulez-vous pas, Monsieur, que le Beau-Sexe le croye, si la chose est vraie ? . . . « A d’autres, me répondrez vous. Allez faire de pareils contes aux Petites Maisons *3 . Il n’y a que des pauvres insensez qui puissent les debiter, & des foux & des folles qui les puissent croire. » Tout-beau, tout-beau, Monsieur & cher Ami ! Vous allez voir une preuve des plus autentiques du contraire, & qui vous démontrera la vérité de ce que l’Auteur Anglois avance, soutient, & prouve dans son petit Livre. Ce n’est pas plaisanterie imaginée pour vous réjouir ; C’est un bon Arrêt dans toutes les formes, donné par un de nos Parlements, Arrêt qui, quoique ancien, sera nouveau pour bien des personnes qui le trouveront aussi extraordinaire que leur a paru la Lucina fine concubitu à qui [140] il peut & doit servir de preuve. Voici cette piéce aussi peu connue, qu’elle est curieuse & singuliere. Un vénérable Magistrat, de mes amis, qui m’en a fait part, l’a tirée des Registres mêmes du Parlement de Grenoble, en Dauphiné. Ainsi la piéce est des plus autentiques. Elle prouve qu’une Femme peut concevoir, & engendrer, par la seule force de l’imagination ; ce qui est encore plus fort que ce qu’avance l’Auteur de la Brochure Angloise, que vous aurez sans doute lue.
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Arret notable
De la cour du parlement de Grenoble,
Rendu en faveur d’une Dame, sur la naissance d’un fier Fils, arrivée après quatre ans d’absence de son Mari. & sans avoir eu connoissance d’aucun homme, suivant le raport fait en la dite cour par plusieurs Medecins de Montpellier, Sages-femmes, Matrones, & autres personnes de qualité.
« Entre Adrien de Montleon, Seigneur de la Forge, & Charles de Montleon, Ecuyer, Seigneur de Bourglemont, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, Appellants, & Demandeurs en Requête du 26 Octobre dernier tendante à ce qu’il fut dit, que l’Enfant duquel étoit alors enceinte Madelaine d’Auvermont, Epouse de Jerôme de Montleon, Seigneur d’Aiguemere, fut déclaré fils illégitime d’icelui Seigneur son Mari, & qu’en ce faisant lesdits Appelants & Demandeurs seroient déclares seuls héritiers & habiles à succéder au dit Sieur d’Aiguemer d’une part, & la ditte Madelaine d’Auvermont i(…)imée & Deffenderesse à l’intervention de la ditte requête, d’autre part, & Claude d’Auvermont, Ecuyer, Seigneur de Marsaigne, tuteur d’Emmanuel, jeune Enfant depuis né, & la ditte d’Auvermont intervenant avec Maitre Gilbert Malmont, Avocat en cette Cour, élu pour subrogé Tuteur & Curateur du dit Emmanuel, d’autre part.
[141] Vû les piéces de production & Sentence dont est Appel, les Requêtes desdits Seigneurs de la Forge & de Bourglemont, contenant, entre autres choses, qu’il y a plus de quatre ans, que le dit Seigneur d’Aiguemere n’a connu charnellement la ditte Dame Madelaine d’Auvermont, son Epouse, ayant icelui Seigneur, en qualité de Capitaine des Chevaux-legers, servi au Regiment de Crassensault. Deffenses de la ditte Dame d’Auvermont, au bas desquelles est son Affirmation faite en Justice devant Melinot, Greffier en cette Cour, soutenant que, encore que véritablement le dit Sieur d’Aiguemere n’ait été de retour d’Allemagne, & ne l’ait vuë ni connuë charnellement depuis quatre ans ; néanmoins que la vérité est telle, que la ditte Dame d’Auvermont s’étant imaginé & songé la personne & l’attouchement du dit Sieur d’Aiguemere, son Mari, elle reҫut les mêmes sentiments de conception & de grossesse qu’elle eut pu recevoir en sa personne ; affirmant pendant l’absence de son Mari, pendant les quatre ans, n’avoir eu aucune compagnie d’homme, & n’ayant pourtant pas laissé de concevoir le dit Emmanuel, ce qu’elle croit être advenu par la seule force don son imagination, & partant demande réparation d’honneur, avec dépens, dommages, & interêts.
Vu encore l’information en laquelle ont déposé Dame Elisabeth d’Ailberiche, épouse de Louis de Pontrinal Sieur de Boulagne, Dame Louise Nacard, épouse de Charles d’Albert, Ecuier Sieur des Vinages, Marie de Salles, veuve de Louis Grandsault, Ecuier Seigneur de Vernouf, & Germaine Dorgeval, veuve de feu Louis d’Aumont, en son vivant Conseiller du Roi, & Tresorier Général de la Chambre des Comptes de cette Ville, par la déposition desquelles il résulte qu’au tems ordinaire de la Conception, avant la naissance du dit Emmanuel, la dite Dame d’Auvermont, Epouse du Sieur d’Aiguemere. leur déclara qu’elle avoit eu lesdits sentiments & signes de grossesse sans avoir eu compagnie d’homme, mais après l’effort d’une fort imagination de l’atta [142] chement de son Mari qu’elle s’étoit formée en songe ; la dite deposition contenant, en outre, que tel accident peut arriver aux femmes, & qu’en elles-mêmes telles choses leur sont avenues, & qu’elles ont conҫu des enfans dont elles sont heureusement accouchée, lesquels provenoient de certaines conjonctions imaginaires avec leurs Maris absens, & non de véritable copulation.
Vu l’attestation de Guillemette Garnier, Louise Dartault, Perrette Chaufage, & Marie Laimant, Matrones & sages-femmes, contenant leur avis & raisons sur le fait que dessus, & dont est question ; Lecture faite aussi du Certificat & Attestation de Denis Sardine, Pierre Meraude, Jaques Gaffié, Jérôme de Revisin, & C. Leonard de Belleval, Medecins en l’Université de Montpellier ; informations faites à la Requête du Procureur Général.
Tout consideré, la Cour aiant égard aux Affirmations, Certificats & Attestations des dites femmes & Medecins dénommés, a débouté & déboute lesdits Seigneurs de la Forge & Bourglemont de leur Requête, ordonne que le dit Emmanuel est, & sera déclaré fils légitime, vrai héritier du dit Seigneur d’Aiguemere ; & en ce faisant la dite Cour a condamné les dits Sieurs de la Forge & Bourglemont à tenir la dite d’Auvermont pour femme de bien & d’honneur, dont ils lui donneront Acte après la signification du present Arrêt, non obstant l’absence du dit Sr. Aiguemere, ni autre chose proposée au contraire par les dits Srs. de la Forge & Bourglemont dont ils sont deboutés, & sans dépens des causes principales & d’Appel, attendu les qualités des parties. Fait en Parlement, le 13 Fevrier 1637. » ◀Livello 3
Voila, Monsieur, une piéce capable de confondre tous les jaloux du monde. En effet, quand ils verroient naître de leurs femmes, tous les neuf mois, de petites Creatures à la faҫon desquels ils n’auroient aucune part, auroient-ils bonne grace, après cela, de leur dire qu’elles les ont fait C. . . ? La réponse à ce reproche est toute prête. Elles n’ont qu’à leur [143] citer cet Arrêt, & dire que c’est à la force de leur imagination que ces petits Etres sont redevables de leur existence. Que peut-on répliquer à des personnes qui ont la Justice & l’Expérience pour elles ?
Tout ce que l’on peut faire, est, dans une <sic> pareil cas,
De prendre patience, & d’enrager tout bas.
Voici quelques autres piéces toutes nouvelles qui viennent de m’être envoyées par leurs Auteurs, & dont je me persuade que la Lecture vous fera plaisir.
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Les rigueurs du silence,
Cantatille
Mise en Musique par M. W * *.
Sous un feuillage épais ou le chant des oiseaux
Et les plaintes de Philomele
S’unissoient au murmure des eaux,
Tendrement occupé des charmes d’Isabelle
Licandre soupiroit ces mots :
Oiseaux dont le ramage
Trouble seul le repos de ce charmant bocage,
Que vous êtes heureux !
Par un si doux langage
Vous pouvez amuser l’objet qui vous engage,
Et lui vanter vos feux.
Oiseaux &c.
Je brule, ainsi que vous, de l’ardeur la plus pure ;
Tout est ici témoin des tourmens que j’endure,
Et la seule Isabelle ignore tous mes maux ;
Je n’ose les conter, hélas ! qu’aux seuls Echos.
Oiseaux &c.
[144] Proche des lieux où se plaignoit Licandre,
Isabelle revoit à sa secrete ardeur.
Quel plaisir pour elle d’aprendre
Qu’elle avoit soumis son vainqueur !
Amans qu’un doux penchant entraine,
Livrés vous à vos tendres feux,
D’un Silence trop rigoureux
Rompez, brisez l’injuste chaine.
A l’objet de votre martire
Pourquoi dérober votre amour ?
Le bonheur d’un tendre retour
Nait du plaisir de l’en instruire.
par M. D. H. M.
Epigramme
Sur les Medecins.
Respectables Enfans du célebre Hipocrate,
Dont l’éloquent babil nous console & nous flatte,
De votre Art fortuné j’admire les effets.
Dans ce Dedale obscur que renferment nos côtes,
Quels que soient de nos maux les différents progrès,
Le Soleil luit sur vos succès,
Et le Terre couvre vos fautes. ◀Livello 3
J’ai l’honneur d’être &c.
Paris ce 5 Août 1750.
◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 2 ◀Livello 1
