Référence bibliographique: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Éd.): "N°. 35.", dans: La Bigarure, Vol.4\035 (1750), pp. 113-120, édité dans: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Éd.): Les "Spectators" dans le contexte international. Édition numérique, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4669 [consulté le: ].


Niveau 1►

N°. 35.

Niveau 2► Lettre/Lettre au directeur► Je suis charmée, Madame, que ma derniere Lettre vous ait fait plaisir, & que la triste avanture de l’aimable Nanny ait attendri vos Dames jusqu’à verser des larmes. Vous ajoutez que, malgré cela, elles ont eu de la peine à concevoir comment cette charmante fille a pu se résoudre, de sang-froid, à se donner ainsi la mort dans un âge où l’on ne fait que commencer à jouir des plaisirs, & à sentir tout le prix de la vie. Je sҫai que ces resolutions sont si rares parmi nous, qu’elles ne peuvent manquer de faire sur notre esprit une vive impression qui nous les rend d’abord inconcevables. En effet

Quoi que un cœur amoureux jure d’effecteur,

On n’est point, parmi vous, si prompt à se tuer.

Mais vous sҫavez aussi, Madame, que chaque Nation à ses mœurs, ses usages, ses bonnes & ses mauvaises qualitez, & quelquefois une façon de penser qui lui est particuliere ; Pour peu qu’on soit instruit, on conviendra sans peine que la nation Angloise ne ressemble, sur tous ces points, à aucun autre peuple de l’Univers. Le Suicide, surtout, ou l’homicide volontaire de soi-même, que l’on regarde partout ailleurs comme le plus violent effet du déséspoir, & le plus grand crime qu’on puisse commettre, est regardé, dans ce païs-là, de tout un autre œil. Je dirai plus ; c’est qu’on y trouve même des prétendus Sages assez foux pour en faire l’éloge comme d’un véritable Héroïsme. Doit-on être étonné, après cela, qu’une nation, im-[114]bue de ces malheureux principes, fasse si peu de cas de la vie, & se l’ôte pour la moindre bagatelle ? Ce n’est que la différente manière de penser sur les choses qui nous donne, ou de l’horreur, ou de l’indifference, ou du penchant pour elles : Or l’indifference pour la vie est si ordinaire chez les Anglois (quoiqu’il n’y ait peut-être point de peuple dans le monde qui en goûte mieux les douceurs), que si l’on se donnoit la peine de feuilleter, chaque année, leurs Nouvelles publiques, on y trouveroit de quoi faire une Liste assez nombreuse de ces prétendus Héros, sans compter les Héroïnes qui les imitent de tems en tems. L’année derniere en a fourni plus de trente, de l’un & l’autre Sexe, dans la seule Ville de Londres ; & depuis ma derniere Lettre, on nous en a encore annoncé quatre qui se sont avisés de prendre ainsi congé de leurs compatriotes.

Exemplum► La premiere (car c’étoit une Demoiselle) nommée Kissy Moris, ne pouvant se resoudre à obéir à ses parents qui vouloient la marier à un homme qu’elle n’aimoit point, sans en rien dire à personne, s’est allée précipiter, un de ces soirs, du haut du pont de Londres, dans la Tamise dont la rapidité, qui est extraordinaire en cet endroit, l’a emportée sans qu’on ait encore pu retrouver son cadavre. (a)1 . ◀Exemplum

Exemplum► Cet exemple Héroïque a été imité, deux jours après, par un Tisserand en Draps, dont on ne nous a apris, ni le nom, ni le sujet qui avoit pu occasionner son désespoir. Peut-être n’en avoit-il lui-même rien dit à personne, ce qui est ordinaire à ces sortes des gens qui croiroient par-là perdre la gloire qu’ils prétendent tirer de leur Heroïsme s’ils découvroient à quelqu’un le sujet qui les porte à cet excès d’extravagance. Quoiqu’il en soit, cet homme voulant & croyant finir glorieusement sa cariere, sort de chez lui dans le dessein d’imiter la Demoiselle Kissy Moris ; Mais ayant fait réflexion, en chemin, que ce genre de mort étoit trop doux & trop effeminé pour un Anglois qui vouloit s’illustrer parmi les Concitoyens, il s’arrête à quelques [115] cent pas du Pont. Là ayant aperҫu le Monument, ou la haute Piramide qu’on a élevée pour conserver la mémoire du triste embrasement qui reduisit en cendres cette grande Ville, le 2. de Septembre 1666. après en avoir considéré la hauteur, cet Edifice lui paroit un Théatre propre pour la Tragédie qu’il médite *2 . Dans cette vue il va trouver celui qui en a la clef, le prie de lui en ouvrir la porte, de lui permettre d’y monter, & pour obtenir cette petite faveur, il lui donne sa Montre. Celui-ci, surpris d’une pareille générosité, la refuse d’abord ; mais le Tisserand lui ayant repondu qu’il lui en fait présent, attendu qu’il n’en a plus besoin, il l’accepte, & pour lui témoigner sa reconnoissance, il s’offre de l’accompagner jusqu’au haut de la Pyramide. Notre Héros l’empêche de le suivre, en lui disant qu’il est bien aise d’y monter seul, & qu’il va descendre dans le moment. Il le laisse donc monter. Mais quels furent son étonnement, sa consternation, & son effroi, lorsque, quelques minutes après, en causant, à quelques pas de-là, il vit, aussi bien que les voisins & quelques passants, le Tisserand qui, étant arrivé au haut de la Pyramide monta sur le balcon de fer qui regne tout autour, & qui de-là se précipita du haut en bas ! La hauteur du saut, sa cervelle éparse sur le pavé, & tous ses membres fracassez par cette épouvantable chute, empêcherent les assistants de lui donner des secours qui étoient des plus inutiles. On courut seulement informer le Magistrat de ce qui venoit d’arriver ; & celui-ci envoya aussi-tôt enlever le corps du Héros qui venoit de terminer si glorieusement ses jours. Dix huit Guinées que l’on a trouvées dans [116] son gousset, jointes à la Montre qu’il venoit de donner à celui qui lui avoit procuré, sans le sҫavoir, le moyen de mourir à sa fantaisie, ont fait assez connoitre au Juge, & au Public, que ce n’étoit nullement, ni la misere, ni le besoin, mais uniquement son bon plaisir, qui l’ont porté à faire cette action laquelle me paroit aussi feroce & aussi barbare, qu’elle est ordinaire chez les Anglois. ◀Exemplum

Exemplum► Il n’y a pas jusqu’à leurs Etudiants, qui se signalent aussi par ces glorieux exploits. Un jeune homme, après avoir achevé ses prémieres études dans l’Ecole de Westminster, reçut ordre de ses parents, il y a environ un mois, d’aller à Oxfort, pour faire son cours Académique, dans la célebre Université de cette Ville. Une des plus grandes Sciences, & presque la seule que les Etudiants de Westminster emportent de cette Ecole, est celle du libertinage & de la débauche. On n’en est nullement étonné quand on sҫait à quel point l’un & l’autre est porté dans Londres. A l’exemple de ses camarades, celui-ci y avoit fait de très grands progrès. Heureusement pour l’Angleterre, que ses deux fameuses Universitez, de Cambridge & d’Oxfort, où l’on fait tenir aux Etudiants qu’on y envoye une conduite des plus régulieres, réparent ce mal, & fournissent à la nation Angloise des Sujets qui sont aussi sages & aussi versez dans les sciences lorsqu’ils en sortent, qu’ils étoient ignorants & libertins quand ils y sont entrez.

Qui croiroit, Madame, qu’un retour aussi heureux du Vice à la Vertu auroit occasionné le plus grand des crimes ! C’est néanmoins ce qui vient d’arriver. Notre Etudiant, ayant reҫu de ses Parents une somme considerable, avec ordre de partir promptement pour Oxford, ne crut pas devoir le faire sans prendre congé de ses Camarades, & commenҫa par manger, en débauche avec eux, prèsque tout son argent, n’en réservant précisement que ce qu’il lui en falloit pour se rendre à l’Académie. Il y arrive en effet quelques jours après. Mais la conduite sage & réguliere, qu’on lui veut faire tenir, lui fait regretter celle qu’il avoit tenue jusqu’alors à Westminster, & qui étoit bien plus de son goût. [117] Le séjour d’Oxford lui paroit ennnyeux <sic> & triste. Il y devient Mélancolique & Hipocondre ; en un mot, il y est attaqué de cette maladie ordinaire aux Anglois, dont je vous ai parlé dans ma derniere Lettre, & qui leur fait faire la plus grande des folies. Il ne cesse de regretter & de désirer les oignons de l’Egypte qu’il vient de quitter ; Mais comme il ne peut se flatter d’y retourner de quelques années, il se laisse aller à un si violent chagrin, qu’en attendant il prend le parti de se tuer. C’est-ce qu’il vient d’éxécuter en se pendant ; Et comme s’il eut apréhendé de manquer son coup, il avoit eu la précaution, avant que de faire le saut, de se couper, avec son Canif, les Veines, & même le Arteres des deux bras, de sorte qu’on l’a trouvé pendu dans sa chambre, & tout baigné de son sang. ◀Exemplum

Exemplum► Enfin on vient de voir, dans la maison même de S. M. Britannique, un quatrième trait de la même folie. Un Officier de la cuisine de ce Monarque, ayant été arrêté pour dettes, en a pris un si violent chagrin, qu’il vient de se pendre dans la maison de celui chez qui il avoit été mis en arrêt. ◀Exemplum O ! Si tous ceux qui servent notre bon Roi, & qui, comme cet Officier, sont accablez de dettes, prenoient les choses aussi à cœur que lui, & se pendoient ainsi pour l’amour de leurs Créanciers, notre Prince se verroit bientôt reduit à se servir peut-être lui-même ! . . . Metatextualité► Mais c’est assez vous entretenir de Morts Tragiques & violentes dont le reҫit ne sera peut-être pas fort récréatif pour vos Dames. Je passe à une autre matière qui poura leur plaire d’avantage. ◀Metatextualité

L’Abbe Coier est dans l’usage de nous donner, de tems en tems, quelques morceaux de Satire. Il vient d’en publier un sous le titre de Découverte de l’Isle Frivole. Ce titre seroit-il méconnoissable, & y auroit-il quelqu’un, Madame, dans votre Société qui ne connut pas la situation de cette Isle Merveilleuse ? Qu’elles ayent, en ce cas, le plaisir de deviner sous quel degré de latitude & de longitude elle est située. Pour moi je vais vous extraire ce qu’il y a de plus plaisant sur les mœurs de ses habitans. Je commencerai par vous dire que cette production doit son origine à la Relation que l’Amiral Anson a donné de ses Voyages.

Niveau 3► Cet Amiral & ses Anglois étant abordés en cette Isle furent s’addresser au Gouverneur. . . . . Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il en les regardant en pitié. . . . . Nous sommes, répondit l’Amiral, Sujets du plus grand Monarque de l’Europe. . . Il faut, reprit le Gouverneur, que votre Europe soit bien pauvre ; ce n’est pas la premiere fois qu’elle nous envoie des hommes qui ne sont couverts que jusqu’aux genoux, & mal vétus. Par la lumiere ! Si mes gens étoient en aussi mauvais ordre, on me chasseroit de ma place. Mais que demandez-vous ? . . . D’entrer dans votre Port, pour nous radouber & nous rafraichir. . . Quels sont vos talens, pour être admis dans la Ville de l’Esprit ? . . J’ai à bord, dit l’Amiral, des Constructeurs qui savent doubler le mouvement du Vaisseau par la coupe. . . . on [118] se mit à rire . . . des ouvriers en Mines à qui la terre ne sauroit dérober ses trésors . . . on rit encore plus . . . Des Chirurgiens qui pénétrent l’intérieur du Corps humain, comme vous en voiez la surface . . . . on éclata à ne plus s’entendre.

L’Amiral, se recueillant un peu, imagina que, pour mettre les rieurs de son côté, il falloit citer quelques talens supérieurs & plus scientifiques. Il avoit sur son Escadre des Savans qui avoient quitté les delices de Londres pour aller constater la figure de la Terre, & fixer les Longitudes. Nation sage & éclairée, dit-il, j’ai aussi sur mes Vaisseaux des Géographes qui connoissent la Terre comme vous connoissez votre Ville, des Physiciens pour qui la Nature n’a point de secrets, des Mathématiciens qui savent mesurer, peser, nombrer toute la Creation ; & moi qui vous parle, je puis, sans quitter cette place, vous dire par la Trigonometrie la hauteur de cette Tour que j’apperçois à deux mille pas d’ici. On étoit las de rire, le mépris succéda, le Gouverneur tourna le dos, & la barriere se refermoit. Mylord, lui-dit un curieux de la foule, en mauvais Anglois, Laissez-là tous ces grands talens qui ne vous ouvriront jamais ici le plus petit guichet. J’ai été reҫu dans cette Ville, & j’y ai fait ma fortune en chantant. . . . Sublime Gouverneur, s’ecria L’Amiral, génie lumineux, comment oubliois-je de vous dire que notre Nation excelle en Danse, en Musique & en Cuisine ! Le Gouverneur revint sur ses pas, on battit des mains. Le Chapelain du Centurion tira une Flute traversiere, instrument inconnu aux Frivolites ; il en joua, & nos Marins, sans excepter l’Amiral, danserent une Matelote qui fit tomber pour un moi toutes les danses de la Ville.

Les Frivolites étoient justement dans cette disposition d’esprit où un peuple cherche à sortir de sa barbarie. Ils n’avoient encore ni Lastres, ni Sophas, ni Bijoux, & les visages des femmes n’étoient pas encore vernis, mains on commençoit à multiplier les lumières, à élargir les chaises, à tailler le verre à facettes ; & les femmes, lorsqu’elles vouloient se presenter, prenoient d’un Elixir qui en fouëttant le sang animoit leurs couleurs. La finesse de la cuisine, les ornemens de la table, les prestiges de la parure, l’élélgance des meubles, la varieté des équipages, les broderies, tout cela s’ébauchoit. On ignoroit les Modes ; mais on convenoit qu’il n’étoit plus possible à une honnête femme de porter un robe toute une saison, & en général, d’avoir toujours la même forme d’habit, comme on a le même nez.

Les mœurs tendoient aussi à dépouiller leur rudesse. Les avis maniérés, les Complimens, le bon ton, les Vapeurs, les soupers divins, les dépenses de fantaisie, les amitiés des levres, les amours d’un jour, toutes ces fleurs d’urbanité étoient dans le bouton, n’attendant qu’un coup de Soleil pour éclore. Les Maris ne sentoient pas encore le ridicule d’aimer leurs femmes, mais ils y trouvoient déja de la gêne. Les femmes n’avoient [119] pas encore abandonné les soins domestiques pour ceux de la Toilette ; mais une voix secrette leur disoit qu’elles étoient nées pour un rôle agréable & brillant. A peine comptoit-on quelques Seigneurs qui eussent le courage de dépenser au-de-là de leurs revenus ; mais depuis quelques années on y étoit juste. Enfin les Frivolites n’avoient pas encore le goût, ils avoient seulement du goût pour le goût.

Il a été un siecle où les Frivolites ont tenté de sortir de leur barbarie ; mais vraisemblablement les génies qui voulurent les en tirer n’étoient pas au ton général de la nation. Ils planterent des avenues, ils construisirent des portes triomphales, ils commencerent des quais, ils bâtirent des places, ils designerent des Fontaines publiques, ils éleverent des Edifices à la Vertu & aux Sciences, ils ne firent pas tout, & ce qu’ils n’ont pas fait est encore à faire. Il reste de ce siecle trop de serieux tableaux, des Statues, des Poëmes & des piéces d’éloquence où la Nature est trop bien rendue pour plaire long-tems ; Mais maintenant la Peinture néglige la force & l’expression, pour se parer d’un brillant coloris. Elle plait surtout lorsque sous ses traits mignons elle s’enchasse dans de jolies boëtes. Les morceaux de force qui lui échaperent autrefois passent à une nation voisine qui n’a pas les yeux faits pour les graces. La Poësie, dans ses fureurs Tragiques, ne s’avise pas d’exciter la terreur & la pitié, & d’inspirer ces vertus féroces qui sauvent les Etats. C’est une Coquette qui amuse par l’éclat de sa parure & la galanterie de ses propos, qui se fâche pour le plaisir de se fâcher, & qui pleure pour rire. L’Eloquence n’est plus un torrent qui entraine : c’est un ruisseau qui murmure sous des fleurs ; & l’Histoire s’habille en Roman.

Le Capitaine vient chez un homme d’Etat qui venoit de s’enrichir en veillant au bien d’une Province. Il y vit un Maitre à danser qui s’étoit fait beaucoup prier pour communiquer ses graces à l’heritier de la famille. On lui offrit un certain prix : Me prenez-vous, dit l’homme à talent, pour un Maitre de Physique ? Il disparut sans révérence. Vint sur la scene un autre homme à talent, un grand garҫon bien fait, le foüet à la main. Vous me convenez assez, lui dit le Seigneur après avoir examiné sa taille & sa figure ; Voiez si 200 Agathines vous conviennent. Cent Agathines à moi, reprit le Cocher, pour vous mener brillamment, & pour former vos Chevaux ! Gardez-les pour ce savant qui endoctrine votre fils.

L’Amiral, manquant de vivres, choisit cinquante sujets parmi ceux qui avoient quelque teinture des deux talens, & après huit jours de répétitions il les livra à l’utilité publique & à la subsistance de la flote. Qu’on ne s’imagine pas que l’Amiral regardat faire les bras croisés. Il eut pour eleve en fait de danse le fils d’un Général d’Armée. Je voyois venir, dit-il, dans la maison un Maitre de Géometrie & j’avois honte, en donnant beaucoup moins de tems, d’être payé au triple.

[120] Les Frivolites, pour vous accorder leur amitié, ne vous demandent pas des vertus, mais des agréments. On vous suppose toujours honnête homme, mais prouvez bien que vous êtes joli homme. Avez-vous besoin de leurs services ? priez les, ils vous supplient d’ordonner, & vous avez toujours la consolation de les voir furieux de n’avoir rien fait. Il n’en est pas de l’honneur comme du mérite. Il en faut absolument, & ils en mettent partout. Il n’ont pas le plaisir, mais l’honneur de vous voir, de vous parler, de vous servir & de ramper sous les titres. Ils ont pour les Pupiles des Tuteurs d’honneur, dans les Tribunaux des Conseillers d’honneur ; dans les Hopitaux des Economes d’honneur ; dans les Temples des Marguilliers d’honneur ; & toutes les femmes attachées à la Cour sont Dames d’honneur. Les Professions elévées rougiroient de faire payer leur travail au Public, mais elles acceptent de grands honoraires. La Noblesse surtout excelle en honneur. Un Noble Frivolite qui aura eu le malheur d’être mauvais Mari, mauvais Pere, Citoien inutile, se ressouvient toujours de l’honneur pour le recommander à son Fils, & le Fils, comme le Pere, a grand soin de ne tenir que sa parole d’honneur, de ne payer que ses dettes d’honneur, & de tuer quelquefois par honneur. Les femmes ont leur honneur à part. Elles ont de si grands principes pour le conserver qu’on les a encore rendues dépositaires de celui de leurs Maris. Cependant les femmes du haut stile ont refusé le dépôt parce qu’elles sont sujettes à des vapeurs qui leur donnent des distractions.

Il est de petits siéges à la Cour fort peu commodes & très goûtés ; on a vu manquer de grands Mariages parce que l’épouse n’auroit pas le plaisir de s’y asseoir. . . . une femme, le jour de ses noces, suspend sa dot à son cou & à ses oreilles, & le Mari meuble la maison superbement en vendant une Terre. On voit dans les antichambres & derriere les Carosses un choix de la jeunesse de L’Isle qui ruine magnifiquement ses Maitres. Les Provinces regrettent deux cens mille Artisans ou Laboureurs ; qu’en seroient-elles si on les leur renvoioit avec les mœurs Elegantes de la Capitale ? ◀Niveau 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 23 Juillet 1750.

◀Lettre/Lettre au directeur ◀Niveau 2

Pierre Gosse Junior Libraire de Son A. R. à la Haye, debite actuellement, les trois premiers Tomes Complets de la Bigarure. La suite de cet Ouvrage Periodique continuera de paroitre tous les Jeudis de la Semaine, & se vend à la Haye chez Pierre Gosse Junior, à Amsterdam chez Pierre Mortier, & M. Roy, à Utrecht chez Kribber, à Haerlem chez van Lee, à Leyde chez Corneille Haak, dans les autres Villes chez les Principaux Libraires, & dans les Pays étrangers aux Bureaux des Postes. ◀Niveau 1

1(a) Ce Pont, qui est, dit-on, un des plus beaux de l’Europe, a 840. pieds de longueur, 30. de largeur, & 60 de hauteur.

2* Ce Monument est une Pyramide, ou Colomne, d’ordre Dorique, de deux cents pieds de haut du rez de chaussée & de quinze pieds de Diametre. Elle est construite d’une pierre très solide qu’on fait venir de Portland, & qui résiste à la noirceur qu’imprime partout la fumée du charbon de terre. On y monte en dedans par un Escalier fait en coquille, qui est de marbre noir, & l’on trouve, tout au haut, un balcon de fer qui en entoure la plate-forme d’où l’on découvre, avec plaisir, toute la Ville & la riviere. Cette Colomne est sur un pied d’estal construit aussi de la même pierre, qui a 21 pieds en quarré, & 40 de hauteur.