Citazione bibliografica: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Ed.): "N°. 31.", in: La Bigarure, Vol.4\031 (1750), pp. 81-88, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4665 [consultato il: ].


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N°. 31.

Livello 2► Lettera/Lettera al direttore► Livello 3► Racconto generale► « Il est bon de vous dire, Madame, que cette aimable fille, par une espece de Miracle, & assez rare dans notre Sexe, ne s’étoit nullement énorgueillie de sa beauté. Quoiqu’elle vit bien, à l’empressement & à la multitude de ses Amants, qu’elle pouroit lui procurer une fortune des plus brillantes, elle borna la sienne à la conquête & à la possession d’un jeune garçon de son Vilage, à peu près de sa condition, mais qui étoit le plus beau & le mieux fait de tout le canton. Cette inclination étoit, sans contredit, des mieux assorties ; & il n’y a point à douter que leur mariage n’eût été bientôt fait si la chose n’avoit dépendu, que d’eux. Mais son père s’y opposoit pour deux raisons. La premiere étoit la crainte où il étoit que, lorsqu’elle seroit mariée, il ne prit envie à son gendre, de se retirer ailleurs avec sa fille, ce qui auroit fait disparoitre l’affluence du monde qui ne venoit principalement chez lui que pour jouir du plaisir de la voir. La seconde étoit que, dans la grande multitude de gens de tout rang, & de tout état, qui abondoient chez lui, il pouroit se trouver quelque Seigneur, ou quelque Millionnaire, qui, épris des charmes de sa fille, ne dedaigneroit peut-être pas son alliance. La chose est assez ordinaire parmi nos Anglois qui, plus raisonnables sur ce point que beaucoup d’autres nations, rendent à la Beauté & à la Vertu l’honneur qui leur est dû, & ne rougissent point de réparer les caprices du sort [82] qui seul nous fait naître ce que nous sommes. Par cette alliance, dont sa vanité le flattoit, l’Aubergiste comptoit s’elever au dessus de sa condition, & s’assurer une bonne fortune pour le reste de sa vie. Ces deux motifs lui faisoient donc traverser les amours de sa fille qui voyoit avec un chagrin mortel qu’il s’opposa à la félicité qu’elle se promettoit avec son aimable Vilageois. Comme sa beauté, & le grand nombre d’Amants qu’elle lui faisoit, étoient cause de son infortune, elle savoit mauvais gré à la Nature de lui avoir fait ce rare présent, & auroit voulu n’en avoir pas été si favorablement traitée. Par-là elle lui auroit épargné la douleur qu’elle ressentoit de ne pouvoir être unie à celui qu’elle aimoit, & de se voir continuellement obsédée par une foule d’importuns qu’elle détestoit, & qu’elle regardoit comme les auteurs de son malheur.

Le chagrin, dans notre Isle, produit, Madame, des effets bien différents de ceux qu’il produit en France, & ailleurs. Chez vous autres, il fait, dit-on, vivre les femmes ; Ici c’est tout autre chose. Il dégénére en Mélancolie, & est suivi d’une certaine maladie qui, s’attaquant à l’esprit, porte nos Insulaires à des excès qu’on ne voit chez aucune autre nation. Cette espèce de délire (car c’en est un véritable) est si commune ici, qu’on n’y est nullement étonné d’entendre dire : Milord un tel vient, de sang-froid, de se faire sauter la cervelle d’un coup de pistolet ; un tel vient, de même, de se jetter par les fenêtres ; celui-ci, du sens du monde le plus rassis, vient de se couper la gorge ; Celui-là vient de se pendre, le tout : sans qu’on sache les motifs qui les ont portés à ces excès que l’on regarde ici comme des actions Héroïques. Telle est la bisarre singularité de notre nation. Les uns l’approuvent, & prétendent que par-là nos Anglois méritent le glorieux titre de Philosophes. D’autres, plus judicieux selon moi, la regardent comme une maladie particuliere au climat, & à laquelle nos Médecins n’ont encore pu trouver de remede.

[83] La douleur mortelle qu’avoit la charmante Nanny de voir ses amours traversez par le nombre & la qualité des rivaux de son Amant, dégénéra en une Mélancolie que rien ne pouvoit égayer. Les uns & les autres avoient beau lui vanter leur passion ; ils avoient beau lui offrir & lui promettre tout ce que la fortune a de plus riant & de plus brillant ; rien de tout cela ne la tentoit, rien n’étoit capable de dissiper le sombre chagrin dans lequel on la voyoit toujours plongée. Enfin, un jour qu’elle se vit plus importunée qu’à l’ordinaire par ses adorateurs, pour s’en débarrasser, elle leur dit, d’un air assez guai, que puisqu’ils lui avoient tant vanté leur amour, elle se déclareroit pour celui d’entre eux qui lui en donneroit la preuve la moins équivoque. Tous lui demanderent qu’elle les mit à l’épreuve, ajoutant qu’ils étoient prêts à tout, quand même il seroit question de se sacrifier pour elle. Nous l’allons voir, dit-elle. Aussi-tôt elle sort de la maison, s’avance vers la rivière où ayant détaché un petit bateau qui appartenoit à son pere, elle y entre seule. Alors ayant pris les avirons, elle s’écarte du bord, & s’avance, en ramant, environ à une vingtaine de pas dans la riviere. Là s’étant levée de dessus son banc, & ayant remis les rames en leur place, elle s’avance sur le bord du bateau. Alors se tournant vers ses Amoureux qui étoient tous accourus sur le bord de la riviere, pour sҫavoir ce qu’elle exigeroit d’eux : Messieurs, leur cria-t-elle, que celui d’entre vous qui m’aime le mieux me sauve, s’il se peut, la vie que vous m’avez rendu odieuse, dont je suis lasse, & que je sacrifie à vos importunitez. En achevant ces mots, elle se précipite dans la riviere, & disparoit à leurs yeux.

A ce triste spectacle, le rivage retentit des cris douleureux de ses Amants dont quelques-uns s’arrachent les cheveux ; mais tous restent immobiles. Un seul (c’étoit son cher Vilageois, nommé Thoms.) ne l’eut pas plus-tôt vu s’élancer dans l’eau, qu’il s’y jette lui-même aussitôt à corps perdu, pour l’aller sauver. Il semble, en le voyant nager, que l’Amour lui ait [84] donné tout l’agilité des poissons les plus alertes. Il vole, pour ainsi dire, sur la surface de l’eau. Il arrive au fatal endroit où sa chere Amante vient de se précipiter. Il y plonge, au hazard de périr lui-même, & la retire, avec des peines infinies, du fond de la riviere. Mais quel affreux spectacle pour ce tendre & fidelle Amant ! Quelque diligence, quelque effort qu’il ait fait, il arrive trop tard pour sauver ce qu’il aime. Il retrouve son Amante, mais sans vie, & toute défigurée par la mort violente qui venoit de la lui ravir. La douleur mortelle & le désespoir qu’il en ressent lui otent les forces. Il ne lui en reste plus qu’autant qu’il lui en faut pour embrasser cette chere moitié de lui-même. Il arrose son visage de ses larmes, déplore son triste sort ; & ne pouvant survivre à son malheur, il replonge avec elle au fond de la riviere où il se laisse suffoquer en la tenant toujours étroitement serrée entre ses bras. C’est ainsi, Madame, que la Mort vient d’unir deux tendres & fidelles Amants qui n’ont pu jouir de ce bonheur pendant leur vie. Leur fin Tragique fournira sans doute à quelque Ovide Anglois la matiere d’une Elegie aussi touchante que celle que le Romain fit autrefois pour deux célébres Amants qui eurent un sort à pue près semblable (a)1  ». ◀Racconto generale ◀Livello 3

Du Galant & du Tragique, je passe, Madame, à d’autres sujets qui, à ce que j’espere, ne vous amuseront pas moins. Ils sont de notre ressort, puisque c’est principalement pour nous qu’ils ont été faits. Le premier dont je vais parler est une Comédie intitulée, La Colonie, piéce dont le Théatre Franҫois m’a régalée à mon retour de la campagne. En voici le sujet & le plan.

Livello 3► Le Gouverneur d’une Isle, voyant qu’il importoit infiniment au bien de sa Colonie de la faire peupler, imagine un moyen par lequel tout le monde se puisse trouver dans le cas de se marier. Il fait pour cet effet une Loi par laquelle il est ordonné que toutes les jolies filles seront achetées au prix qui aura été taxé, à proportion de leur beauté, & que, de l’argent qui pro-[85]viendra de cet achat, on en dotera les laides ; de maniere que la plus belle devoit être vendue le plus cher, & que la plus laide devoit être la plus richement dotée. Valere, qui aime Isabelle, qu’on peut regarder comme la plus belle de la Colonie, se trouve fort embarassé. Il craint que tous ses moyens ne suffisent pas pour acheter sa Maitresse. Celle-ci, de son côté, paroit fort triste d’une Loi qui l’empêche de disposer d’elle à son choix. Frontin & Crispin, deux Valets d’intrigue, imaginent un moyen pour tirer leur Maître d’embarras. Frontin propose à Crispin de s’habiller en fille ; & comme il est fort laid, il espere que par-là il pourra obtenir la dot que Valere doit donner pour Isabelle, & en même tems, qu’il ne se trouvera personne qui ait le goût assez dépravé pour vouloir l’épouser. Crispin y consent. Il se travestit, & on le fait passer pour une Cousine de Valere, laquelle étoit déja agée, laide, & infirme. Le Gouverneur, par qui la Loi été proposée, consent que Valere épouse Isabelle moyennant qu’il donne dix mille piastres à sa Cousine, somme à laquelle Isabelle avoit été appréciée ; Mais comme cette dot est la plus forte, & qu’il a un Domestique, nommé Rustaut, qu’il veut récompenser pour les services qu’il lui a rendus, il prétend lui faire épouser la prétendue Cousine de Valere.

Cet incident fait un embarras considérable. Il ne falloit pas que cette supercherie vint aux oreilles du Gouverneur, ou bien il falloit se résoudre à payer les dix mille piastres. Frontin trouve encore moyen de tirer son Maitre de cet embarras. Rustaut vient voir celle qui lui est destinée. Malgré sa laideur, elle ne laisse pas de lui plaire à cause de son argent. Crispin fait tout ce qu’il peut pour se défaire de Rustaut. Il a beau affecter de la pudeur & de la répugnance pour le Mariage, ce manant n’en devient que plus pressant. La Cousine donne enfin quelques espérances. Elle cede, & donne enfin sa parole, pourvu qu’on lui accorde du temps. Rustaut y consent, & se retire dans un coin du Théatre d’où il entend un entretien que Valere a avec Frontin qui imagine de faire tomber dans le pan-[86]neau ce même Rustaut qu’il vient d’apercevoir. Il raconte à Valere que sa Cousine est sur son départ, qu’elle n’a donné des espérances à son Amant que pour avoir plus de tems ; mais que, comme il importe que ce mariage se fasse, il a résolu de lui donner un de ses amis pour guide, au lieu d’un de ses parents, qu’elle lui a demandé.

Rustaut, qui a tout entendu, vient pour remercier Frontin qui lui avoue qu’il est fort en peine de se tirer d’affaire. Il comptoit, dit-il, sur un Ami ; mais il l’a trouvé si yvre, qu’il n’est rien moins que propre à son projet. Il propose ensuite à Rustaut de vouloir être ce guide en changeant pour cet effet le ton de sa voix & prenant une grande perruque & un habit Bourgeois. Ce dernier projet s’éxécute. Rustaut, que son nouveau déguisement rend méconnoissable, se présente à la Cousine en qualité de parent. Crispin, usant de la liberté que donne la parenté, inspire à Rustaut la plus grande confiance qu’elle le reconnoit pour son parent ; & après quelques complaintes il vient au point fondamental. La prétendue Cousine lui raconte qu’elle est prête à s’unir à un nommé Rustaut ; mais qu’elle se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de s’exposer, qu’elle l’a prié de lui donner quelque tems, & qu’elle croit qu’après ce tems-là elle sera délivrée du funeste état où la mise un malheureux Amant qui l’a abusée sous une promesse de mariage, sous la restriction d’en faire part au Gouverneur. On entre en composition. Moyennant mille piastres qu’on donne à Rustaut, toute l’affaire s’accommode, & Valere épouse Isabelle. ◀Livello 3

Cette piéce, comme vous le pouvez voir par cet exposé, est assez remplie d’intrigues, & assez bien conduite ; mais les expressions trop libres & même obscenes qui s’y trouvent en grand nombre, ont été cause qu’elle a été mal reҫue au Théatre où elle n’a eu que trois ou quatre représentations. C’est une leҫon dont devroient bien profiter nombre de jeunes Poëtes qui nous inondent ici tous les jours de quantité de peti-[87]tes pieces de poësies qui font rougir la pudeur, & même les plus effrontez Libertins. Belle ressource pour le Parnasse Franҫois !

Le second sujet, dont j’ai à vous parler, est un Roman intitulé Le Triomphe du sentiment, dont l’Auteur est M. Bibiena, Italien, naturalisé en France. L’Héroïne de ce Livre est une femme coquette, qui aime l’éclat, qui a du tempéramment, une petite Maitresse enfin dont les fantaisies sont singulieres. Elle oblige son Amant, qui est un Président fort débauché, de lui trouver un homme à sentiment, espece d’Etre qui est infiniment rare aujourd’hui. A force de recherches il déterre le Chevalier d’Obville qu’un de ses Amis, grand curieux de caracteres, avoit inséré dans un Catalogue des Singularitez du Monde. Le Chevalier, par un caprice, ne voulant point être presenté dans la compagnie qu’on lui offroit, un autre homme à sentiment se propose de se servir du nom d’Obville, & de se faire mener chez la Coquette. Quelques femmes du bon ton s’y étoient assemblées pour se divertir des discours de l’homme à sentiment. La Phisionomie du Chevalier supposé frapa d’abord. C’étoit un homme de bonne mine, mais à qui l’air précieux manquoit. Ses discours n’étoient aucunement ornez de colifichets, de saillies, de pointes d’esprit qui ne signifient rien. Un ton naturel, une expression vraye faisoient tout l’ornement de son discours. Un Abbé, grand diseur de sornettes, se trouve de la partie. S’il sҫut effacer par ses belles niaiseries l’homme à sentiment, la figure de ce dernier lui enleva beaucoup de cet avantage. On quitte l’homme à sentiment avec regret ; on l’invite à revenir, & après plusieurs conversations, il trouve le secret d’inspirer du sentiment à sa Maitresse. L’Amour le plus pur se fait sentir également dans le Disciple comme dans le Maitre, on ne peut plus vivre sans se voir & sans s’aimer. Enfin le Roman couronne l’amour de l’homme à sentiment, & on tire les rideaux.

Il y a des gens délicats qui sont fâchez que l’Auteur ait donné à son Héroïne la bassesse de recevoir de l’argent de ses Amants. Je conviens avec eux que cela la [88] dégrade ; mais c’est un usage reҫu si universellement chez bien des femmes, qu’il ne paroit pas à d’autres que cet Ecrivain mérite d’être censuré pour cela. Que deviendroient, en ce cas, disent ces derniers, ceux qui n’ont point d’autre talent ni d’autre mérite pour se faire aimer du Sexe ?

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 12 Juillet 1750.

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Livres nouveaux

Qui se vendent chez Pierre Gosse Junior Libraire de S.A. R. à la Haye.

Cours de Mathematique, par Mr. Camus, 8. 2 vol. fig. Paris, 1750,

Etudes Militaires contenant L’Exercice de l’Infanterie, par Mr. Bottée, 12. 2 vol. fig. Paris, 1750.

Anecdotes Litteraires, ou Histoire de ce qui est arrivé de plus singulier & de plus Interressant aux Ecrivains Franҫois, depuis le renouvellement des Lettres sous Franҫois I. jusqu’à nos Jours, 12. 3 vol. Paris, 1750.

Elemens de Cosmographie, pour servir d’Introduction à la Geographie & à l’Histoire, par Mr. Buy de Mornas, 12. fig. Paris, 1749.

Les Avantages des Beaux Arts, Epitre à Mr. N * * * *. par Mr. . <sic> d’Arnaud, 4. Berlin, 1750. ◀Livello 1

1(a) Hero & Léandre.