Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 30.", in: La Bigarure, Vol.4\030 (1750), S. 73-80, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4664 [aufgerufen am: ].
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N°. 30.
Ebene 2► Brief/Leserbrief► Si vous n’étiez pas, Madame, à plus de cinquante lieues de nous, & cela depuis près d’un an, je pourois croire, en voyant l’empressement que mon frere a pour vous servir, qu’il seroit devenu amoureux de vous. A peine, effectivement, avons-nous appris ici quelque nouveauté, qu’il me la vole pour vous en faire part aussi-tôt, & me prive par là du plaisir que j’aurois à vous l’écrire moi-même. Il est heureux, sans doute, pour lui, que la Nature ne nous ait pas fait tous les deux du même Sexe, & que l’Amitié ne soit pas sujette aux emportements qui accompagnent si souvent l’Amour ; Sans cela nous courrions risque de nous couper la gorge, pour nous disputer l’honneur de votre bienveillance. Mais
La tranquille Amitié bannit la Jalousie.
L’Amour, le seul Amour, aveugle en sa folie,
Tirannisant le cœur qu’il a cru s’engager,
Craint par d’autres objets de le voir partager.
L’Ami, pour son Ami, sҫait s’oublier lui-même ;
Ravi qu’un autre encor aime l’objet qu’il aime,
D’une rivale ardeur, loin de s’inquietter,
Lui-même par ses soins il cherche à l’augmenter,
Bien loin donc, Madame, de voir d’un œil jaloux l’empressement qu’a mon frere à vous servir, je serai char-[74]mée, au contraire, qu’il redouble ses soins pour tout ce qui peut vous faire plaisir ; mais à condition, que je me réserverai toujours le droit de vous amuser toutes les fois que mes occupations me le permettront, & que je croirai que cela vous sera agréable. C’est uniquement dans cette vue que je le préviens aujourd’hui, & prens la plume, pour vous faire part d’une Avanture Tragique qui vient d’arriver ici, & de quelques autres Nouveautez. Voici la premiere.
Allgemeine Erzählung► Un Bourgeois de cette Ville, venoit ordinairement, & régulierement, passer son tems chez un de ses Amis dont la femme étoit jolie, sans avoir un air ni galant ni coquet. On ne soupҫonne point d’ordinaire ces sortes de personnes ; Mais souvent les passions les plus violentes & les plus folles se cachent sous ces dehors trompeurs. Par malheur pour celle-ci, son Mari se mit dans la tête que ce n’étoit point à lui que s’adressoient les fréquentes visites de son Ami, & prétendit que les charmes de sa femme y avoient plus de part que le desir d’entretenir son Amitié. L’assiduité, quelques tête-à-têtes, ménagez toujours en son absence, & qui ne lui paroissoient rien moins que naturels, lui persuaderent qu’il ne s’étoit pas trompé.
La jalousie a des yeux qui voyent quelque fois ce qui n’existe pas. L’Epoux de la jeune Brunette n’avoit rien vu ; mais il avoit cru tout voir. Plein de cette idée, & résolu de faire cesser ce commerce, un peu trop familier pour lui, il vint trouver son Ami auquel il tint ce discours. « Quoique je vous croye trop homme d’honneur pour me défier de vous, & que la vertu de ma femme me paroisse hors d’atteinte, je ne vois pas cependant d’un œil indifférent & tranquille vos assiduitez auprès d’elle. Je ne vous soupҫonne ni l’un ni l’autre d’aucun égarement ; mais l’amour que j’ai pour ma femme me fait désirer que personne ne partage avec moi sa confiance. Je veux même croire que jusqu’à present mes affaires n’ont point été le sujet de vos entretiens. Elles pouroient le devenir par la suite, & je serois fâché que vous en dussiez [75] la connoissance à d’autre qu’à moi. Ainsi, mon très cher, ou cessez de voir ma femme, ou cessez d’être mon Ami. On ne sҫauroit me choquer impunément, & j’espere que, si mon Amitié vous est chere, vous ferez cas & profiterez de l’Avertissement que je vous donne ici ».
L’Ami feignit d’être fort surpris de cette déclaration. Elle devoit l’étonner ; mais un autre l’eut été bien davantage. Sa résolution fut bientôt prise. Il témoigna au Mari que, puisque ses visites lui portoient ombrage, il ne lui en rendroit plus aucune à l’avenir, non plus qu’à sa femme. Sur cette promesse, les deux Amis, contents en apparence l’un de l’autre, burent ensemble, & se firent mille amitiez.
Cependant le Mari,étant de retour chez lui, voulut éprouver sa femme. Dans cette vue il lui dit qu’il venoit de se brouiller avec son ami, contre lequel il se répandit en invectives. La femme, qui ne se defioit point du piége qu’il lui tendoit, & qui ne croyoit pas qu’elle fut la cause de cette rupture, offrit d’abord sa médiation pour les racommoder, & exalta beaucoup les bonnes qualitez de son Ami. Ce n’est pas le moyen de faire la cour à un Mari jaloux que de lui tenir un pareil langage. Loin que ce zele indiscret fit revenir celui-ci, & le guérit de ses soupҫons, il ne fit que les augmenter encore. Cependant la femme, voulant s’éclaircir de tout ceci, en écrivit à son Ami, qui lui fit une réponse, dans laquelle il lui détailloit fort au long tout ce qui s’étoit passé entre eux, la situation presente de leurs affaires, & les risques qu’ils couroient l’un & l’autre.
Quoique il se passat quelque temps, après cette premiere scène, sans que le Mari s’apperҫut de rien, il n’en étoit pas pour cela plus tranquille. Il regardoit les caresses & la bonne mine que lui faisoit sa femme comme autant de témoignages secrets de sa haine, & de marques de son affectation.
[76] Maris, Amants jaloux, de votre phrénésie
Voilà le détestable effet.
Les soupҫons défiants de votre Jalousie
Convertissent en fiel de la douceur infinie
Des caresses sans nombre, & de ce que vous fait
Une tendre Maitresse, une Epouse chérie.
Ce Monstre, sur vos sens & sur votre raison
Répandant son mortel poison,
Change votre amour en furie,
Et dans un objet plein d’attraits,
Pour qui votre ame fut mille fois attendrie,
Vous fait voir bien souvent ce qui n’y fut jamais.
Dans cette perplexité, notre Jaloux eut recours aux Espions, pour faire observer tous les pas & toutes les démarches de sa femme. Ces sortes de gens, pour faire parade de leur vigilance & de leur zele, ou plutôt pour être plus grassement payez, feignent souvent d’avoir vu en effet ce qu’ils n’ont qu’inventé ; & il est rare que leurs imaginations ne soient pas adoptées pour des réalitez par des personnes que leur propre imagination a déjà plus d’àmoitié <sic> persuadées. D’ordinaire ils n’assurent d’abord rien d’absolument criminel, mais ils répandent si habilement des soupҫons, & sҫavent si bien confirmer ceux qu’ont déjà les sots qui les mettent en œuvre, qu’il n’est presque pas possible à ceux-ci de ne se pas rendre à leurs discours.
Maris soupҫonneux & jaloux,
Lorsque vous agissez d’une telle manière
Avecque <sic> vos moitiez, dites, qu’y gagnez-vous ? . . .
Vous vous attirez, d’ordinaire,
Le prétendu malheur dont la peur vous rend foux,
Et ces beaux procédez leur font faire des coups
Qu’elles n’auroient jamais pensé, sans vous, à faire,
Ce n’est pas, en effet, connoitre notre Sexe, que de s’imaginer qu’on le guérira de ses foiblesses, lorsqu’il [77] en a, en s’y prenant de cette maniere. C’est, au contraire, le veritable moyen de le faire succomber, & même de le faire penser à des choses auxquelles, fort souvent, il ne penseroit pas.
Quoiqu’il en soit de cette réflexion, le pauvre Jaloux voulut enfin triompher, si l’on peut donner le nom de triomphe à ces fâcheuses découvertes. Pour cet effet il feignit un voyage, aposta bien ses espions, & jura de tirer une éclatante vengeance des infidélitez qu’on lui avoit dit que lui faisoit sa femme. Il étoit bien vrai qu’elle aimoit son Ami ; mais elle avoit conduit si adroitement cette intrigue, qu’on ne pouvoit avoir aucune preuve convaincante qu’elle eut avec lui un commerce criminel.
Tant qu’on est sur la défiance, on se tient toujours sur ses gardes ; mais le malheur est qu’en amours on se néglige, on s’abandonne un peu trop lorsqu’on se croit en sureté. Ce fut la faute que commirent ces deux Amants. Croyant le Mari bien loin, l’Ami se rendit le soir chez sa Belle avec laquelle il comptoit passer une nuit des plus délicieuses. Les Espions, que le Jaloux avoit appostés, firent pour cette fois leur devoir, & lui accuserent la vérité. Instruit par eux du rendez-vous qui alloit vérifier tous ses soupҫons & justifier toutes ses craintes, il revient chez lui, heurte avec fureur à la porte de l’allée de sa maison. La Servante s’eveille & se leve, met la tête à la fenêtre d’où elle apperҫoit son Maitre dans la rue, qui revenoit de son prétendu voyage, & qui redoubloit ses coups pour qu’on lui ouvrit promptement. Elle court aussi-tôt à la chambre de sa Maitresse : Mon Dieu, Madame, s’écriat-elle en entrant, nous sommes perdues ! Voilà Monsieur de retour ! . . . . Arrêtez, lui répondit le Galant, ne faites point de bruit ni l’une ni l’autre & que l’on éteigne les bougies. A ces mots il saute du lit, s’habille à la hâte, prend un couteau de chasse qu’il avoit apporté avec lui, & descend lui-même avec la Servante pour ouvrir la porte au Jaloux, & se poste derriere, le fer nud, tout prêt à immoler son ennemi s’il a le malheur [78] d’en être attaqué. On ouvre. Pendant que la crainte fait palpiter le cœur de notre amoureux Héros, le Jaloux, transporté de fureur & de rage, n’a presque pas le tems d’attendre que la porte soit ouverte. Il se précipite dans l’allée, monte les degrez quatre à quatre, & parvient à son appartement de la porte duquel il s’assure en appelant sa Servante. Elle vient. Il allume la bougie, & courant vers le lit où il croit trouver le Galant, il vomit contre sa femme toutes les invectives que sa fureur jalouse peut lui suggérer.
Pendant qu’il exhaloit ainsi sa bile, en cherchant toujours le Galant qu’il est fort étonné de ne point trouver, celui-ci rioit, dans la rue, du tapage qu’il entendoit faire à ce Jaloux, & remercioit le Ciel de l’avoir tiré aussi heureusement du danger qu’il venoit de courir. Enfin, après bien des perquisitions inutiles, honteux & confus des infamies dont il vient d’accabler sa femme, ce pauvre Mari ne sҫait comment s’excuser auprès d’elle. Il maudit les Espions qui l’avoient, disoit-il, ainsi trompé, & l’avoient exicté, par leurs faux raports, à faire cet esclandre, & reprend enfin auprès de sa femme, la place qu’y occupoit son Galant un demi quart d’heure auparavant.
Le lendemain il se plaignit amérement à ceux qu’il avoit appostez, du rapport infidelle qu’ils lui avoient fait. Ceux-ci lui répondirent que ce n’étoit pas leur faute si le gibier, qu’il cherchoit, lui étoit échapé au moment qu’il alloit s’en saisir ; mais qu’il étoit, bien surement, dans la maison lorsqu’il y étoit entré. Sur ce nouveau raport, le Mari sonde adroitement sa Servante qui defend d’abord vigoureusement l’honneur de sa Maitresse ; mais, comme il y revient à diverses reprises, elle tergiverse & se coupe dans ses réponses. Il n’en fallut pas davantage au Jaloux pour former un nouveau projet de vengeance. Pour cet effet il invite son Ami à venir diner chez lui. Celui-ci refuse, & lui propose de faire cette partie chez lui-même. Le Mari accepte le repas où tout se passa tranquillement jusqu’au dessert. On y parla de mille choses indifférentes ; mais lorsque [79] le Domestique se fut retiré, selon la coutume, la conversation tourna insensiblement sur le chapitre des femmes & enfin sur l’article dont il étoit question. La dispute ne fut pas long-tems sans s’échaufer. Au moment qu’on y pensoit le moins, le Jaloux tombe sur son Ami qu’il blesse de plusieurs coups de couteau. Les cris du blessé font accourir à son secours ; mais l’asassin avoit déja pris la fuite. Heureusement pour l’un & pour l’autre que les blessures ne sont pas mortelles. ◀Allgemeine Erzählung
Voilà, Madame, une de ces scènes Tragiques qui ne sont pas fort ordinaires dans notre bonne Ville où les Maris passent, avec raison, pour les hommes du monde les plus pacifiques, les plus bénins, les plus complaisants, & les plus indulgents envers leurs femmes. Mais si elles sont aussi rares dans ce païs, qu’elles sont communes en Italie, en Espagne, en Portugal, & ailleurs, elles n’en doivent être que plus instructives, & nous apprendre combien nous devons nous garder d’une passion qui nous expose à des retours si funestes.
Sitôt qu’on s’abandonne à ses trompeurs appas,
Si l’on veut éprouver l’effet de ses promesses,
Si l’on se fie à ses caresses,
Quels maux affreux l’Amour ne nous cause-t-il pas !
Son empire est si tirannique,
Que lorsqu’on lui resiste, on lui résiste en vain,
Et dans sa violence il est plus inhumain,
Que tous les Monstres de l’Afrique.
Il fournit mille traits à la rigueur du Sort,
Il en fournit à la colere ;
Il abuse du nom qu’il porte pour nous plaire
Et l’on doit craindre moins & l’Enfer & la Mort.
Autre effet Tragique de l’Amour, mais effet le plus bisarre, je crois, que vous ayez jamais entendu raconter. Aussi nous vient-il d’un païs dont les habitants passent pour le peuple de l’Europe le plus singulier dans ses manières & dans sa façon de penser & d’agir. Le [80] voici tel qu’une Dame Angloise vient de me l’écrire de Londres.
Ebene 3► « Vous sҫavez, Madame, que lorsqu’on nous donne, à nous autres Angloises, quelque passion amoureuse, on nous la fait toujours signaler par quelque trait des plus extraordinaires. En voici un qui, à ce que je crois, n’a jamais eu son pareil chez vous.
Allgemeine Erzählung► Dans un Vilage, situé sur le bord de la Tamise, à quelques milles de cette Capitale, est un Aubergiste, Cabaretier, ou Tavernier (trois termes qui sont Synonymes ici) lequel avoit une fille, la plus belle peut-être qui fut dans tous les trois Royaumes de la Grande Bretagne. Cette fille, qui étoit agée d’environ 19 ou 20 ans, par les charmes ravissants de sa beauté attiroit une si grande affluence de monde dans l’Auberge de son Pere qu’elle lui a fait faire, en assez peu de temps, une fortune considerable. On y venoit effectivement en foule, non seulement de Londres, mais de quantité d’autres Villes bien plus éloignées, moins encore pour s’y réjouir & y faire bonne chere, que pour y voir & admirer la charmante & l’incomparable Nanny. C’étoit le nom de cette aimable fille.
Dans une si grande multitude de Curieux, il n’étoit pas possible que tous ceux qui venoient pour la voir la regardassent impunément. La voir, en effet, & l’aimer, étoit presque une même chose. Aussi jamais fille ne se vit peut-être un si grand nombre d’adorateurs. Gens de tout rang, de tout état, de toute condition, chacun s’empressoit à lui faire la cour ; desorte qu’elle ne sҫavoit bien souvent auquel entendre. Importunée par un si grand nombre de soupirants, elle résolut enfin de s’en debarrasser. Mais je suis bien sûre, Madame, que vous ne devinerez jamais à quel expédient elle a eu recours pour cela. Il faut être Angloise pour en imaginer de semblables. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2
(La Suite dans le No. suivant) ◀Ebene 1
