La Bigarure: N°. 22.
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Nível 1
N°. 22.
(Suite de la Relation des troubles de Paris.)
Nível 2
Carta/Carta ao editor
Un Pere, une Mere, quoique attachez par les liens de la
Nature à leur Enfans, peuvent les abandonner lorsqu’ils leur ont déplu, ou qu’ils se sont
plongez dans le libertinage ; Mais qui sont ceux qui ne les chérissent pas, lors même
qu’ils ne font encore que commencer à bégayer leurs noms ? Les peines que ces Enfans leur
coutent dans cet âge de foiblesse ne font rien ; les gentillesses qu’ils leur trouvent
sont infiniment au dessus. Nos Parisiens, qui chérissent assez peu les leurs, lorsqu’ils
naissent, pour ne se pas donner la peine de les élever, semblent redoubler d’amour, pour
eux, lorsqu’ils les reçoivent des mains de leurs Nourices. Il s’y attachent jusqu’à la
foiblesse ; ils en font toutes leurs délices. Sans examiner si la Nourice ne leur en a pas
imposé, ils en font leurs idôles, & les perdent enfin à force de complaisances. Quand
l’amour que la Nature inspire à des Parents pour la deffense & la conservation de
leurs Enfans ne seroit pas aussi grand & aussi général qu’il l’est, cette foiblesse
qu’ont ici les notres leur suffiroit pour explorer leurs biens, & même leur vie, pour
ne s’en pas laisser priver. Les Auteurs des troubles, dont vous avez entendu parler, ne
s’étoient donc pas mépris en semant le bruit qu’on vouloit les leur enlever. Ils avoient
bien prévu l’effet que feroient ces faux bruits ; & ils n’ont pas moins
bien senti combien les petits Enfans leur étoient plus chers que les grands. Ce n’étoit
plus, selon eux, des hommes dont on pouvoit tirer quelque service dans les Colonies, que
l’on enlevoit. C’étoit des Enfans, & des Enfans de la plus tendre jeunesse, pour les
transporter dans ces païs au climat desquels ils s’accoutumeroient, disoit-on, bien plus
aisément, que des personnes déja toutes formées. Le peuple, qui est peuple partout,
c’est-à-dire, sot & crédule, mesure ordinairement ce qu’on lui dit beaucoup moins sur
le bon sens, que sur la crainte qu’on lui inspire. Il cherche plutôt à éloigner le
prétendu malheur dont on le menace, qu’il ne pense à examiner si ce qu’on lui dit a la
moindre ombre de vraisemblance. La frayeur qu’on lui a faite est la seule chose qu’il
consulte dans ces occasions. A entendre la populace de notre bonne Ville, on entrainoit
& on enlevoit de toutes parts un nombre prodigieux d’Enfans. Les uns les avoient vu
enlever ; les autres l’avoient entendu dire. Ceux-ci disoient que c’étoit pour les
transporter en Amérique ; ceux-là que c’étoit pour les égorger, & faire de leur sang
un Bain pour la guérison d’un Prince de la cour qui ne pouvoit, disoit-on, racheter sa vie
qu’aux prix du sang de ces innocents. Tout Paris retentissoit de ces bruits, &
d’autres encore plus ridicules. La frayeur s’empare des esprits ; & il n’est point de
Pere ni de Mere qui, en les entendant debiter, ne sente la Nature se révolter. Toute la
Ville étoit dans ces agitations, lorsque, le 16 du Mois dernier, on crut voir les Exemts
& les Archers faire la recherche des Enfans, pendant que, dans la réalité, ceux-ci
n’en vouloient qu’à un Débiteur qu’ils avoient ordre d’arrêter en vertu d’un Decret de
prise de corps obtenu par ses Créanciers. Leur manière d’agir, & l’espece
d’empressement qu’ils marquoient pour se saisir de leur proye, furent d’autant plus
persuasifs, que l’on étoit plus prévenu contre eux. Il ne falloit qu’un mot pour mettre
tout en feu ; & ce mot ne fut pas plus-tôt lâché ; qu’on crie, qu’on s’atroupe de tous
les côtez, & qu’on tombe sur les perquisiteurs. Autant qu’il se trouve de
personnes dont le chemin s’adresse dans cette ruë, autant on en juge en qualité d’amis, ou
d’ennemis. Ce n’étoit que cette différence, qui pouvoit les sauver, ou les faire
assassiner. Tout ce qui tombe sous la main des furieux leur sert d’armes ; On se bat sans
sҫavoir contre qui ; enfin, après avoir tué & blessé quelques personnes, le feu de la
sédition se ralentit ; Mais ce ne fut que pour se ràlumer le lendemain aux Porcherons,
l’un des Fauxbourgs de cette Ville, où il n’y eut cependant que quelques blessez. Jusqu’au
Vendredi suivant, on n’entendit parler que d’enlevements ; mais il n’y eut point d’émeute.
Ce jour-là, la fermentation fut plus grande qu’elle ne l’avoit encore été ; & comme si
Paris eut été dans un danger eminent, il sembloit qu’il n’y eut plus de sureté dans cette
Ville. Les Peres & les Meres couroient par les rues pour chercher leurs Enfans. Les
uns alloient aux Ecoles, & les autres aux Instructions publiques, pour les ramener,
bien résolus de tout égorger, & de se faire égorger eux même, plutôt que de soufrir
qu’on les leur enlevat. Quoique tous les bruits que je viens de vous raporter, Monsieur,
fussent destituez de tout fondement, & qu’il eut été bien difficile de trouver une
seule personne qui eut le moindre lieu de se plaindre à ce sujet, ils étoient néanmoins si
généralement répandus, qu’on auroit fait passer pour stupide, & pour imbécile,
quiconque auroit voulu les nier. Ce fut dans cette disposition des Esprits qu’éclata
l’émeute du Fauxbourg S. Denis. Un espion de la Police fut soupҫonné d’avoir voulu attirer
des Enfans. Dans ces occasions le seul soupҫon est punissable. La populace le poursuit
aussi-tôt. Le prétendu criminel s’échape, & se réfugie chez un Commissaire ; mais
c’est en vain qu’il se croit en sureté dans cet asile. On s’obstine de part & d’autre,
les uns à démander qu’on le lui livre, & l’autre à le refuser. On en vient aux
invectives & des invectives au désordre. On enfonce la porte du Magistrat, on brise
ses fenêtres, & la maison est mise au pillage. Le bruit de cette émeute, répandu dans
toute la Ville, fasoit fermenter les autres esprits. Sur les deux heures, il
s’en éleva une autre devant le Collège des Quatre Nations, où tous les Etudiants, qui y
étoient alors assemblez, poursuivirent jusques près du Palais ces prétendus chercheurs
d’Enfants. Le peuple s’atroupa, enfonҫa & pilla plusieurs maisons dans lesquelles ces
malheureux s’étoient réfugiez. Sur le soir il s’elevaune <sic> pareille sédition
dans un quartier du Fauxbourg S. Germain, apellé La Croix rouge. Une douzaine de gens de
la plus vile populace, animez par tous ces faux bruits, menaҫoient d’en venir aux plus
grandes extrémitez. Un jeune homme, piqué de leurs discours, eut l’imprudence de leur
répliquer. Aussi-tôt ces furieux se jetterent sur lui. Pour se dérober à leur rage, il se
retire chez un Traiteur de sa connoissance. On l’y poursuit, on attaque la maison du
traiteur qui venoit de la fermer ; on en enfonce les portes, on brise toutes les
ustensiles, on emporte tous les meubles. La Cave est pillée, & le vin répandu ; enfin
on s’assomme à coups de buches, & des autres instruments de Cuisines qui tombent sous
la main. Le lendemain plusieurs autres mutins s’assemblent devant l’Hôtel du Lieutenant de
Police. Pendant que ceux-ci vomissoient mille injures, & faisoient mille imprécations,
contre ce Magistrat, une autre troupe arrive, trainant le cadavre d’un malheureux qu’ils
venoient de déchirer. Non contens de sa mort, ils se disposoient à l’attacher à la porte
de son Hôtel, lorsque, pour arrêter la fureur de ces enragez, on fait prendre les armes à
tout le Guet à pied & à cheval. Pour mieux contenir encore cette multitude effrénée,
on fait entrer, outre cela, dans la Ville, la Garde Royale des Suisses, & on les
distribue dans les quartiers qui étoient menacez d’une semblable révolution. La vuë de ce
Armement inspiroit bien quelque crainte aux séditieux ; mais elle n’étoit point assez
forte pour les contenir entierement. Aussi y joignit-on encore les Gardes Franҫoises. Ce
renfort rétablit un peu le calme. Les choses en resterent-là jusqu’au Lundi suivant, que
notre Parlement rendit un Arrêt, portant deffense, sur pein de de mort, de s’atrouper dans
les rues, & promet tant toute forte de satisfactions aux personnes qui
porteroient quelques plaintes fondées au sujet des faux bruits qu’on avoit fait courir
dans la Ville, & qui y avoient causé cette confusion & ce désordre. On est
d’autant plus persuadé maintenant de la fausseté de ces bruits, que, quelque satisfaction
que le Parlement ait offert de donner, il ne s’est présenté personne pour redemander aucun
Enfant qui lui ait été enlevé. C’est ainsi que le peuple, toujours crédule, toujours sot,
& toujours furieux lorsqu’il s’est une fois mis quelque folie dans la tête, se porte
sans raison aux plus grands excès, dont il est toujours lui-même la duppe, &
quelquefois la victime. Vous seriez-vous jamais attendu, Monsieur, à de semblables choses
de la part de nos tant bons, & tant dociles, Parisiens dont je vous ai vu mille fois
admirer la patience & la . . . . ? Je suis bien persuadé que non, & que le détail
de cet événement, vraiment singulier & extraordinaire, vous causera autant de
surprise, qu’il poura vous faire de plaisir. La
première, est la chute d’une Tragédie nouvelle qui avoit pour titre Caliste, ou la Belle
Penitente. Comme cette piéce est traduite de l’Anglois de M. Rawe, & qu’elle se trouve
dans le cinquieme Tome du Théatre Anglois dont on a fait ici, depuis peu, une traduction,
je ne vous en donnerai point ici d’extrait. Je vous dirai seulement, que j’y ai remarqué,
avec tout le Public, un Adultére grossier, chose que nos Spectateurs Franҫois, quoique
très galants, & fort peu scrupuleux dans la pratique sur cet article, ne peuvent
pourtant souffrir sur le Théatre. Des catastrophes multipliées & risibles font tout le
fond de ce Poëme. Le vice du sujet n’est ni voilé, ni racheté par le talent de l’Auteur
& du Traducteur. Le Dialogue est long, & froid ; la Versification prosaïque &
chevillée ; enfin les pensées en sont fausses & burlesques. On attribue ce pitoyable
Ouvrage à M. l’Abbé De la Tour, Auteur de beaucoup de mauvaises Histoires, & d’un
petit Roman, qui n’est pourtant pas sans esprit. Quand cette piéce n’auroit
produit que les deux petites Scènes que je vais vous raporter, ce seroit toujours une
Nouveauté de plus. Comme l’on est ici toujours affamé de celles qui y paroissent,
quoiqu’il y en ait aujourdhui fort peu au Théatre qui méritent cet honneur, tout le monde
couroit à la première representation de cette Tragedie, comme on auroit fait à la
production la plus achevée, de faҫon, que tous les billets furent enlevez en très peu de
tems. Un Petit-maitre, des mieux Adonisez, arrive, mais un peu trop tard pour pouvoir
entrer & aller étaler, à l’ordinaire, sa risible personne sur le Théatre, ou dans
quelque Loge. Quel chagrin, quelle mortification pour sa vanité ! On ne sҫait ni que
faire, ni que devenir. On venoit, disoit-on, de quitter la meilleur & la plus
brillante compagnie du monde, dans le dessein de voir, des premiers, cette Nouveauté ;
point du tout, il faut s’en passer. Toutes ces chagrinantes réflexions l’amenerent au
Caffé. Eh, ne falloit il pas que l’on fut, au moins, instruit de son désespoir ? Là il se
plaignit hautement du ridicule empressement qu’avoient les Parisiens pour tout ce qui a
quelque air de Nouveauté. Pendant qu’il exhaloit ainsi son chagrin, un autre Animal, à peu
près de la même espece, mais un peu plus fin, & plus rusé, lui offrit, poliment, un
billet qu’il avoit, dit-il, retenu pour un de ses amis qui ne venoit pas assez-tôt à son
gré. Le Petit-maitre l’accepte, & le paye. Un instant après, celui qui venoit de lui
vendre lui vit un fort joli petit meuble, dont-il devint amoureux. C’étoit un Parapluye de
foye, dont les branches étoient d’argent, avec de petites charnieres à la Rhinocérot ;
enfin c’étoit un petit meuble des plus jolis & des plus galants, un vrai meuble à la
Petit-maitre. Entrez vous bien-tôt à la Comedie, Monsieur, lui dit celui qui venoit de lui
vendre son billet ? Non, répondit l’Acheteur : Je n’entrerai que lorsque tout le monde y
sera . . . . En ce cas, lui repliqua son rusé confrere, Voudriez vous bien, Monsieur, me
faire le plaisir de me prêter votre parapluye, pour aller jusqu’au milieu de la rué
Dauphine ? je vous en aurai mille obligations ; & dans le moment je suis de retour.
Quand on a le cœur bon, & qu’on se trouve obligé aussi sensiblement que
le peut être un Petit-maitre qui meurt d’envie de lorgner nos Dames au Spectacle,
oseroit-on rien refuser à une personne qui nous procure cette satisfaction ? . . . Non
assurément : Aussi notre Petit-maitre prêta-t-il son para pluye <sic> ; mais, par
malheur pour lui, son confrere, non seulement ne le raporta point ; mais le prêteur n’en a
point eu de Nouvelles depuis. Peut-être est ce un défaut de mémoire de la part de
l’emprunteur, à moins qu’on n’aime mieux dire que c’est un oubli volontaire. Que ce soit
l’un ou l’autre de ces deux motifs qui l’a fait agir ainsi, il est certain que
l’impatience, les emportements, & la figure risible du Petit-maitre dupé ont fait cent
fois plus de plaisir à ceux qui ont été témoins de cette Scène, que ne leur en a fait la
representation de la nouvelle Piéce qu’ils allerent voir, après avoir bien ri de cette
Avanture. La seconde Catastrophe, qui n’est pas tout à fait si risible, arriva le même
jour, & justement à la même heure sur le Théatre même de la Comédie. Un autre sot, en
ayant voulu faire sortir un Domestique qui gardoit une place pour son Maitre, &
celui-ci n’ayant pas voulu la lui céder, en fut soufletté vigoureusement par trois
différentes reprises. Juste Ciel ! quel est l’homme, & surtout le Franҫois, assez
patient pour en souffrit autant ? Monsieur le Laquais, grand, bien fait, courageux, &
robuste, ne crut pas devoir laisser cet affront public impuni. Il prend le fat
Petit-maitre au collet, & le terrasse sur le Théatre. Le vaincu se reléve tout
furieux, & voulant avoir sa revanche il met flamberge au vent. Il étoit prêt à
ensanglanter la Scène, & de tout exterminer, lorsqu’il se sent tout à coup saisir,
& conduire à la porte par une force majeure. Le Laquai demeura tranquillement sur le
Théatre où il fut très aplaudi par tout le parterre, pour le courage qu’il venoit de faire
paroitre ; & il ne quitta sa place que pour la céder à son Maitre. Voilà, Monsieur, ce
que nous attirent l’étourderie & la brutalité. Il faut avouer qu’il y a dans le monde
des gens qui semblent n’y être que pour divertir les autres par leurs sotises.
Metatextualidade
Je passe à des
Nouvelles un peu moins sérieuses, & qui pouront récréer vos Dames.
Metatextualidade
Notre Parnasse ne m’a fourni, cette Semaine, que les Vers
que je vous envoye. Ils sont de M. Piron & contiennent un éloge des Essais de Morale
& de Littérature, par M. l’Abbé Trublet, Ouvrage dont je vous ai parlé dans une de me
Lettres (a)1.
Nível 3
Madrigal. Homage & Gloire à l’Auteur des Essais Et de
Morale, & de Littérature.
Plus on te lit, plus, cher Abbé, tu plais ;
Tu passeras à la Race future.
Ce n’est ici gracieuse imosture,
Ni faux encens. Ton œil observateur
Perce les plis & les replis du cœur,
Y voit très clair, & sans faute y sҫait lire.
Au fond du nilon lis donc à ton honneur
Plus mille fois que l’esprit n’en peut dire.
Plus on te lit, plus, cher Abbé, tu plais ;
Tu passeras à la Race future.
Ce n’est ici gracieuse imosture,
Ni faux encens. Ton œil observateur
Perce les plis & les replis du cœur,
Y voit très clair, & sans faute y sҫait lire.
Au fond du nilon lis donc à ton honneur
Plus mille fois que l’esprit n’en peut dire.
Metatextualidade
Dans une de mes précédentes Lettres je vous ai envoyé un
Extrait de l’Histoire de Cléopatre, que tout le monde attribuoit ici à Mr. Jordans
(b)2. Mais j’aprends aujourdhui
qu’elle est de M. Marmontel qui a jugé à propos de la composer lui-même, pour mettre le
Public au fait de l’Histoire de cette Princesse dont il vient de faire l’Héroïne d’une
nouvelle Tragedie de sa façon. Cette piéce a déja eu deux representations. Comme je ne
l’ai point encore vue, je ne puis vous en parler ; mais ma Sœur, qui est de retour de sa
campagne, & qui doit l’aller voir ce soir, s’est chargée d’en rendre compte à votre
aimable Cousine qu’elle salue, ainsi que ses gracieuses compagnes. J’en fais autant de
mon côté, & suis très parfaitement, &c.
