La Bigarure: N°. 21.
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Nível 1
N°. 21.
(La suite dans le No. suivant.)
Nível 2
Carta/Carta ao editor
Vous me demandez, Monsieur,
l’éclaircissement et le détail d’un événement dont vous me
marquez que vous venez d’entendre parler, mais d’une manière
fort confuse. C’est, dites-vous, une emeute arrivée à
Vincennes, à l’occasion de l’enlevement qu’on y a, dit-on,
voulu faire de quelques Enfans. Comme ce Vilage n’est qu’à
une petite lieuë d’ici, vous avez présumé que j’en devois
être instruit, si tant est que la chose ait valu la peine
que l’on s’en informat. Assurement, Monsieur, elle le
méritoit ; & je puis vous protester que depuis tres
long-tems, nous n’avons point eu d’événement ici qui ait
fait plus de bruit, ni qui ait eu de plus fâcheuses suites.
Aussi aurois-je été le premier à vous en informer si la
chose m’avoit été possible plus tôt. Mais, comme dans la
premiere chaleur des émotions populaires, il est impossible
de démeler la vérité, & que celle-ci a duré pendant
plusieurs jours, j’ai cru devoir attendre qu’elle fut finie,
& que les esprits fussent calmez & tranquilles, pour
pouvoir en aprendre plus surement tout le détail, & vous
en instruire ensuite. C’est ce que je suis en état de faire
aujourdhui ; de manière que non seulement vous ne perdrez
rien pour avoir attendu, mais que vous seriez même fâché que
je l’eusse fait plus-tôt, par la raison que ce que j’aurois
pu vous en écrire n’auroit pas eu le même degré de
certitude. L’examen & la discussion des grands événemens
demandent du tems ; & vous sҫavez, Monsieur,
que ce n’est que par ce moyen qu’on vient à bout de
discerner la Vérité du Mensonge. Un Arrêt que notre
Parlement vient de rendre à ce sujet, & qui a enfin
terminé tous ces troubles, vous prouvera que l’affaire a été
des plus sérieuses. En voici l’Histoire & le détail. On
vous a trompé, Monsieur, quand on vous a dit que c’étoit à
Vincennes que ces tumultueuses Scènes se sont passées. Ce
n’est point dans ce Vilage, mais dans notre Capitale même,
où peu s’en est fallu qu’elles n’ayent ramené la fâmeuse
& sanglante journée des Baricades*1. On
ignore qui en ont été les premiers & véritables
auteurs ; mais il n’y a point à douter que ces révoltes (car
nous en avons eu dans presque tous les quartiers de Paris,
& cela pendant plus de huit jours) n’ayent été fomentées
par des personnes mal-intentionnées pour le bien public,
& par cette sorte de gens qui ne trouvent leur compte
qu’où les autres trouvent leur ruine. L’entreprise auroit
paru difficile à tout autre. La bonté, la soumission, la
douceur, & la docilité, qui sont comme naturelles à nos
Parisiens, leur font regarder avec une espéce d’horreur tout
ce qui a le moindre air de sédition. Mais quelque bons que
soient les hommes, il n’y en a point dont on ne puisse faire
tout ce qu’on veut lorsqu’on les sҫait prendre par leur
foible ; & malheureusement il n’y en a point sur la
Terre qui n’ait le sien, plus ou moins grand. Il ne faloit
donc que prendre nos bons Parisiens par le leur ; &
c’est ce que firent ces brouillons, en leur faisant craindre
l’enlevement de leurs Enfans.
1* Voyez Mezerai, Histoire de France, & tous nos autres Historiens, Regne de Henri III, Anno 1588.
