Référence bibliographique: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Éd.): "Avertissement", dans: La Bigarure, Vol.4\000 (1750), édité dans: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Éd.): Les "Spectators" dans le contexte international. Édition numérique, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4653 [consulté le: ].
Niveau 1►
Avertissement
Niveau 2► Metatextualité► Rien ne démontre mieux la petitesse de certains esprits, que la peine qu’on a à leur faire entendre les choses les plus simples. Par le titre que nous avions donné dabord <sic> à cette Feuille, & par l’explication que nous y avions jointe de tout ce qu’elle contient, nous croyions avoir mis tout le monde au fait de notre projet ; Cependant nous avons appris qu’il y avoit des gens qui, non seulement l’ignoroient encore, mais qui avoient même de nos Feuilles une idée toute différente de ce qu’elles sont dans la réalité. Il est vrai que nous devons bien moins nous en prendre à ces personnes, qu’à la méchanceté de quelques Envieux qui ont, apparemment, jugé qu’il étoit de leur intérêt de les décrier. Ils les leur ont representé comme un Réchauffé de vieux Contes à dormir de bout, plus faux, & plus ridicules mille fois, que ceux de Peau d’Ane, de la Barbe bleue, de la Femme au nez de boudin, &c. comme une Rapsodie sans choix, sans goût, & sans discernement, en un mot comme un fatras d’impertinences & de Vieilles Balivernes, ramassées par un sot qui n’eut jamais d’autre talent que celui d’ennuyer le Public.
C’est, en effet, en ces termes que se sont expliquez sur notre travail deux Ecrivains Périodiques, dans le dessein, apparemment, de voir leurs Feuilles s’élever sur les ruines de celle-ci. Comme tout le monde connoit le désinteressement & le mérite de ces Messieurs, personne n’a été étonné de leur entendre tenir ce langage. On auroit été trompé, au contraire, s’ils avoient parlé autrement. C’auroit été pour la première fois de leur vie. Pour nous, qui connoissions leur caractere, nous nous attendions à ce torrent d’injures de leur part : Aussi, bien loin de nous fâcher, il nous a fort divertis ; & nous nous sommes bien gardés d’y répondre. En effet qu’aurions-nous avancé par-là ? Ce que nous aurions pu dire d’eux n’auroit rien ajouté à ce que le Public en sҫait déja, & auroit été suspect à ceux qui ne les connoissent pas. Ce n’est point à un Ecrivain, lorsqu’il a tant soit peu de jugement, à répondre aux sottises dont ses envieux s’efforcent de l’accabler. C’est à ses Lecteurs à juger s’il les mérite. Dès qu’ils lui rendent justice, il doit être plus que content.
Grace à l’indulgence des notres, nous avons eu cette satisfaction ; & tout ce que la Jalousie à pu dire & écrire contre cette Feuille, n’a servi qu’à la leur faire lire avec encore plus d’ardeur, & plus d’empressement, qu’ils ne faisoient auparavant. Nous leur en devons, sans doute, un remerciment. Nous nous aquitons de ce devoir, en les assurant que nous sommes extrêmement sensibles à leurs bontez, que notre reconnoissance les égale, & que nous tâcherons de nous en rendre dignes de plus en plus par les nouveaux efforts que nous ferons pour leur plaire. C’étoit le but que nous nous étions principalement proposez en leur presentant cette Feuille.
Sans rien changer au plan que nous nous y sommes fait, & que nous avons suivi, nous avons cru, pour mettre tout le monde au fait de ce qu’elle contient, devoir en expliquer une seconde fois le titre, d’une manière qui en donnât une idée juste, nette, & précise. C’est ce que nous avons fait à la tête de ce quatrieme Volume, en joignant à son premier titre, de Bigarure, celui de Gazette Galante, Historique, Littéraire, Critique, Morale, Satirique, Sérieuse, & Badine. Si ce titre, & le petit détail dont il est encore suivi, ne suffisent pas pour donner de cette Feuille l’idée qu’on en doit avoir, & de ce qu’elle est réellement ; nous avouerons franchement que nous ne sҫavons point de quelle maniere il s’y faut prendre pour se faire entendre à certaines personnes.
A l’égard de celles qui pouroient s’être laissé surprendre aux clabauderies de nos Enrieux, nous n’avons point d’autre grace à leur demander que celle de vouloir bien jetter les yeux sur la Table des Matieres contenues dans nos deux premiers Volumes, & sur le troisieme ; Elles y verront précisément le contraire de ce qu’on leur en a dit, et reconnoitront si nous leur en avons imposé en donnant à cette Feuille le titre de Bigarure, ou de Gazette, Galante Littérarie, &c.
Mais en voulant remedier à un petit mal, n’allons nous point, comme il arrive quelquefois, en faire un beaucoup plus grand ? Nous ferons peut-être taire les Envieux ; mais ne nous mettrons-nous point à dos Messieurs les Gazetiers. La chose seroit à craindre pour nous si nous allions sur leurs brisées. Mais ils ont deja pu voir, depuis huit mois que notre Feuille se débite, que ce ne fut jamais, & nous leur declarons encore ici que ce n’est point notre intention. Au reste, si la chose arrive quelquefois (comme il se peut faire qu’elle soit déja arrivée, à notre insҫu) ce ne sera, tout au plus, que dans quelques fuits curieux & interressants qu’ils ne font ordinairement qu’effleurer dans leurs Gazettes, & dont on nous envoye les détails circonstanciez que leurs Correspondants leur laissent souvent ignorer. En ce cas, ils ont trop de raison & trop d’équité pour trouver mauvais que d’autres qu’eux en instruisent le Public. Ce n’est point alors un larcin, ni un tort qu’on leur fait. C’est un devoir ; c’est un droit sur lequel ces Messieurs n’ont, ni ne peuvent former, aucune prétention.
Qu’ils se tranquilisent donc, & qu’ils soient persuadez que notre intention n’est pas de leur faire le moindre tort. On n’a point vu, & l’on ne verra jamais dans notre Feuille, de Messes solemnelles chant’es <sic> par la Musique Royale, & auxquelles L.M. ont assisté, point de Voyages de la Cour à Fontainebleau, à l’Escurial, aux Bains de las Caldas, Portici, Castel-Gandolphe, à la Verue, Schonbrun, Leipsig, Potsdam, &c. point d’Assemblée ni de tenue de Conseils dont on ignore le sujet, les délibérations, & le résultat ; point de Conjectures sur la proximité d’une Guerre immanquable, même dans le sein de la plus profonde Paix, point de grandes parties de Chasse, faites par tels & tels Princes, ou Seigneurs ; point d’allées & de venues de Couriers expédiez par les Ministres de telle & telle Cour à telle autre ; point de Morts de ces grands personnages dont on ne connoit que les noms, & qui pendant leur vie n’ont eu d’autre mérite que celui que leur donna le hazard qui les fit naitre ce qu’ils ont été ; point de Mariage de la fille de Madame la Marquise, la Comtesse, la Baronne une telle avec le fils de Monsieur un tel, Fermier Général ; point de Fianҫailles entre Mr. Le Marquis, le Comte, le Baron de N…. & la petite fille d’un riche Juif d’Amsterdam, ou d’un gros Marchand de la rue S. Denis ; point d’annonce de l’arrivée des Vaisseaux de la Compagnie, ni de la vente de ses Marchandises ; en un mot on n’a point vu, & l’on ne verra point dans notre Feuille, de faits de cette nature, ni de cette importance. Comme il y a des gens, d’un goût particulier & extraordinaire, qui ne trouvent pas dans touts <sic> ces faits le grand intérêt que d’autres croyent y voir n’est-il pas juste qu’ils ayent aussi pour eux une Gazette qui soit de leur goût ? C’est pour ces personnes que nous imaginames, il y a huit mois, la notre d’où nous avons banni la multitude & l’inutilité des faits & des événements qui leur sont très indifferents, pour ne leur donner que ceux que nous avons cru qui leur feroient plaisir. Elles nous ont paru en être satisfaites jusqu’à ce jour. Comme c’étoit l’unique but que nous nous proposions, nous ne croyons pas, pour l’amour de quelques personnes enrieuses, & de mauvaise humeur, devoir discontinuer notre travail. S’en fâche donc qui voudra, nous poursuivrons notre tâche, en laissant à ces Messieurs la liberté d’en faire autant, & même mieux. Nous en serons charmez pour le Public. Au reste,
Citation/Devise► Nos obtrectare si volet Malignitas,
Imitari dum non possit, obtrectet, licet.
