Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 5.", in: La Bigarure, Vol.3\05 (1750), S. 33-40, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4636 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 5.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Vous êtes étonnée, Madame, & vous vous plaignez de ce que depuis un tems je ne vous ai point envoyé de Romans nouveaux. Ebene 3► « Qu’est donc devenue, me dites-vous, la loüable complaisance que Messieurs vos Auteurs ont toujours eu pour notre Sexe ? Ont-ils renoncé à ce genre d’écrire qui est uniquement fait pour nous ? A quoi veulent ils que nous nous amusions dans la Province ? . . . . A écouter, apparemment, les Sornettes de quelques fades Soupirants, ou à voir les impertinences de quelques petits Maitres manquez qui ajoutent encore le ridicule le plus pitoyable à l’ennui dont ils nous accablent par leurs sots discours ? Prétendent-ils que nous passions notre tems dans de fastidieux Cercles où de jeunes Coquettes ne nous parlent que de la belle façon de leurs juppes, de la bonne grace de leurs falbalas, & de leur Coëffure à la Rhinocéros *1 , à entendre d’autres babillardes, sur le retour, qui n’ouvrent la bouche que pour déchirer la réputation de toutes les personnes de leur Sexe qui jouissent des avantages qu’elles n’ont plus, je veux dire, les graces de la jeunesse & de la beauté qui les ont abandonnées, & dont la perte les met de mauvaise humeur : Enfin veulent-ils qu’assises, tous les soirs, autour d’un tapis verd nous passions les nuits à des jeux auxquels [34] l’amusement sert de prétexte & d’excuse, mais dont l’Intérêt & l’Avarice sont les veritables motifs, & qui dégénérant bientôt en passion, & en même en fureur, nous conduisent par degrez, ainsi que nos familles, à une ruine totale. Voilà, dites vous, à quoi ces Messieurs nous exposent lorsqu’ils cessent d’écrire pour nous. Quand ils ne nous amuseroient qu’avec des balivernes ; vous concevez assez par ce que je viens de vous marquer que notre Sexe leur auroit toujours de grandes obligations ». ◀Ebene 3

Hé bien, Madame, tranquilisez vous. Vous allez avoir ici ce que vous demandez. Si je ne vous en ai pas fait part plus-tôt, c’est que j’attendois quelque chose de meilleur. Peut-être viendra t-il. En attendant, je vais vous donner l’Extrait de deux Romains, que je vous enverrai, s’ils sont de votre goût, & auxquels je joindrai l’Analise d’un troisième Ouvrage que nous venons de recevoir de Hollande.

Le premier des deux Romans dont j’ai à vous parler, est intitulé ; Favoride. En voici le sujet, qui est fort simple. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Fremdportrait► Favoride, fille naturelle d’une Princesse, est née avec tous les agréments de la figure, tous les charmes de l’esprit, toutes les vertus de l’ame, qui lui attirent un grand nombre d’Amants par qui elle est recherchée en mariage. ◀Fremdportrait La honte attachée à sa naissance, & la modestie de son caractère, lui font préférer un homme sage, & peu riche, avec lequel elle se retire en Province. Un dérangement, qui survient dans sa médiocre fortune, l’oblige de venir à Paris. Aussitôt qu’elle paroit chez la Princesse sa Mere, que des raisons d’Etat ont obligée de se marier à un Prince, chacun lui fait la cour ; & le Prince même alloit la retenir auprès de la Princesse si sa Maitresse, qui craignoit la beauté de Favoride, n’eut détourné le Prince de ce dessein. On la fait voir à la Cour où tous les Soupirants que lui font son esprit & sa beauté tentent inutilement de profiter de sa situation.

Fremdportrait► Son Pere, homme sans mœurs, & le plus débauché de tous les hommes, ne l’aperçoit pas plus-tôt, qu’il forme le dessein de la séduire. ◀Fremdportrait Quoique son âge dût [35] le prévenir contre les refus de Favoride, il ne fit que s’y attacher encore d’avantage. Mais s’apercevant que la Princesse, dont il avoit été autrefois l’Amant, avoit beaucoup de bontez pour elle, il eut quelque soupçon qu’elle pouvoit bien être le fruit de leurs amours. Il en écrit à la Princesse qui lui assure que, non seulement elle est leur fille, mais l’instruit encore de sa fâcheuse situation, pour l’engager à lui donner du secours. Le Pere se fait connoitre à sa fille, & lui fait entendre que l’estime qu’il avoit pour elle ne paroit que de l’idée qui l’avoit frapé qu’elle lui appartenoit. Favoride tres surprise de cette Nouvelle, veut qu’elle lui soit confirmée par la Princesse même, qui l’assure de la vérité du fait. Elle se soumet à son Père, & va loger chez lui ; mais l’impudique ne cesse point de la persécuter.

Favoride, au lieu de fuir ce Pere incestueux, s’amuse à se plaindre de ses poursuites à un de ses parents appellé Bacojus. Fremdportrait► Ce jeune homme, qui est d’un caractère grave & compatissant, commence à devenir le Confident de Favoride. ◀Fremdportrait Elle prend plaisir à lui raconter ses malheurs, & le Confident n’en prend pas moins à les entendre. Peu à peu il devient son Consolateur, & enfin ils prennent l’un pour l’autre un goût qui se change en passion. Ce tendre & agréable commerce est interrompu quelquefois par le Pere qui ne s’en doutoit point. Mais Bacojus, s’étant attiré sur les bras une affaire de la part d’un homme de grande qualité qu’il a tué, il se voit obligé de se retirer Favoride, son Amante, ne pouvant résister à une séparation si cruelle, tombe dans un désespoir, & une langueur, qui la conduisent au tombeau. On ne sçait pas ce que devient Bacojus ; mais il est représenté trop amoureux pour avoir pû survivre à sa chere Maitresse. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Tel est le plan d’un Roman qui a fait un bruit étonnant avant qu’il parut, mais dont je crois qu’on ne se souviendra plus ici lorsque vous le recevrez, en cas que je vous l’envoye. On s’étoit d’abord imaginé, je ne sçai sur quel fondement, que c’étoit le fruit des méditations de Mr. le Président de Montesquiou. Il a été ensuite attribué à M. Duclos de l’Académie Françoise, [36] & enfin adjugé à M. le Marquis Du Châtel, Lieutenant-Général des Armées du Roi. Quoiqu’on ait donné cet Ouvrage à des personnages si distinguez, ne vous figurez pas pour cela, Madame, qu’il en soit meilleur. C’est une simple narration, sans situations, sans sentiments ; & sans aucune image. C’est une Métaphysique de cœur, plutôt obscure que profonde, des réflexions communes, ou mal rendues, un stile dur & inégal, & dont le défaut n’est point racheté par des graces négligées, & par des expressions de génie ; On est d’autant plus étonné, que le Marquis Du Châtel étoit un homme de Cour, qui avoit autant d’esprit que de bravoure. J’ajouterai seulement ici que ce Seigneur n’a pas survécu long-tems à son Livre, étant mort quelques jours après qu’il l’eut donné au Public.

Comme ce Marquis étoit d’une maison où il y a de grands biens, & qu’il a laissé une succession très considérable, on raconte à cette occasion, que le Curé de S. Eustache, qui étoit son Pasteur, vient faire une descente chez lui dans le dessein d’enrichir encore son Eglise de quelqu’une de ses dépouilles ; mais il fut presque aussi-tôt congedié qu’annoncé. Le Curé fort mortifié d’avoir manqué son coup, assemble aussi-tôt tout son Consistoire dans lequel on alloit délibérer sur le sort éternel du Moribond, lorsque celui-ci envoya chercher le Vicaire de la Paroisse. Il s’y rend aussi-tôt, confesse & administre le malade duquel il reçoit un présent assez considérable qu’il a préféré à une somme vint fois plus forte que ce Seigneur auroit pu donner à l’Eglise, & que son Curé comptoit tirer de lui, mais dont ce Vicaire n’auroit rien eu. On a dit à ce sujet que, si ce Marquis avoit échapé aux flammés du Purgatoire, aux quelles son Pasteur l’a condamné lorsqu’il a appris le tour qu’il lui avoit joué, ce n’avoit été tout au plus, que par contrebande.

Le second Roman que je vous ai annoncé a pour titre l’Enfant trouvé, traduit de l’Anglois, par M. de la Place. En voici le Canevas. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► M. Alworthi, venant pour se coucher dans son lit, y trouve un enfant qui vient de naitre, & qu’il fait élever, sous le nom de [37] Thom Jones, avec autant de soin que si c’étoit son propre fils. Jones, devenu grand, prend de l’amour pour Sophie Western, fille d’un Gentil homme voisin d’Alworthi, & il a pour rival Blefil, Neveu de son protecteur & Pere Adoptif. Ce perfide fait tant auprès de son Oncle, qu’il vient à bout de lui faire regarder Jones comme un Monstre & de le faire chasser de la maison. Sophie, que l’on veut ensuite forcer à épouser Blefil, s’enfuit ; & ce n’est qu’après un grand nombre d’Avantures, qu’elle épouse Jones qui est enfin reconnu pour Neveu d’Alworthi, & très innocent de tous les crimes que Blefil lui avoit imputez. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Quoiqu’il paroisse très bien que le Traducteur a resserré autant qu’il a pu l’Ouvrage qui, selon la coutume des Romançiers Anglois, est extrêmement diffus, il s’y trouve néanmoins encore des longueurs dont notre vivacité Françoise ne s’accommode pas ; ses caractères sont fort naturels, & assez variez ; mais la multitude des personages que l’Auteur Anglois a introduits sur la Scène y cause une espèce de confusion. L’intérêt qu’on doit prendre aux deux Héros du Roman y est affoibli par celui qu’on veut donner à des personages subalternes. Une autre chose qui me paroit encore très mal entendue, ce sont les infidélitez que Jones fait à sa Maitresse. Enfin les détails un peu trop bas, dans lesquels l’Auteur entre, peuvent plaire aux Anglois ; mais ils ne sont nullement du goût de nos Dames Françoises.

Un troisième Livre, que nous venons de recevoir de Hollande, a pour titre : l’Histoire & les Avantures de Bertholde, contenant ses Sentences, Bonemots, Réparties ingénieuses, ses tours d’esprit, l’Histoire de sa fortune, & son Testament, Traduite & Paraphrasée de l’Italien de Giulio Cesare Croci, & de Messieurs les Académiciens della Crusca. Il paroit par le titre de ce Livre, que les Auteurs de Hollande se mettent aussi dans le goût de ceux de Paris, je veux dire la traduction des Livres étrangers. Celui-ci, à ce que nous aprend le Traducteur dans sa Préface, est un des plus anciens, & en même tems des plus connus en Italie où quiconque, dit-il, ne l’a pas lu est regardé comme un ignorant, & un [38] homme sans goût. Il nous assure que, depuis plusieurs siécles que l’Original de ce Livre y a paru, il a été trouvé si beau dans ce païs-là, qu’outre le nombre extraordinaire d’Editions qu’on y en a faites, Messieurs les Académiciens de Florence l’ont encore trouvé digne d’être mis en Vers, ce qu’ils ont fait exécuter par vingt trois de leurs plus habiles Poëtes dont il raporte les noms, les qualitez, & les païs.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Fremdportrait► C’est l’Histoire d’un Païsan fort laid, mais à qui la Nature, en revanche, avoit, dit-on, donné beaucoup d’esprit. Ce Païsan quitte son Village, vient à la Cour d’Alboïn, ancien Roi de Lombardie, où il est fort étonné de tout ce qu’il y voit. Ami de la Vérité, & incapable de dissimulation, il dit naturellement, & avec esprit, ce qu’il en pense, c’est-à-dire, qu’il censure avec liberté, & d’une maniere aussi forte que naïve, toutes les sotises & tous les Vices dont il est témoin. ◀Fremdportrait Les Courtisans, les Princes, le Roi même, aussi bien que la Reine, les Femmes, les Parasites, & tous les personages mauvais, ou ridicules, qui se trouvent ordinairement dans les Cours, sont autant d’objets sur lesquels s’excerce cet esprit Critique. Mais comme son but n’est pas uniquement de censurer, mais d’instruire, il assaisonne ses Satires de très bonnes réflexions qui ne peuvent que rendre la lecture de ce Livre fort utile. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 La Morale qu’on y debite sur tous ces sujets est egayée par une multitude d’Avantures assez plaisantes qui y donnent occasion, & qui forment une variété agréable. L’Auteur & le Traducteur de cet Ouvrage y ont surtout conservé cette simplicité & cette naïveté qui sont aujourdhui si rares. Enfin ce Livre m’a paru amusant & utile. C’est tout ce que je puis vous en dire, n’ayant eu que le tems de le lire assez rapidement. Au reste comme vous êtes plus à portée que nous de l’avoir, étant plus proche de la source, vous en pourez juger par vous même.

En voilà assez sur l’Article des Livres, Terminons ces Extraits, par de jolis Vers que je suis bien assurée qui vous feront plaisir ; car ils viennent de bonne main. Vous n’en douterez point lorsque vous sçaurez qu’ils [39] sont de Mr. de Voltaire qui les à adressez à un de ses jeunes Eleves qui peut-être le remplacera quelque jour sur le Parnasse François. C’est du moins ce que celui-ci fait entendre, & lui souhaite dans l’Epitre suivante.

Epitre

De M. de Voltaire.

A Mr. De Mahis.

Ebene 3► Vos jeunes mains ceuillent des fleurs

Dont je n’ai plus que les épines ;
Vous reposez sous les Courtines
Et des Graces & des neuf Sœurs.
Je leur fais encor quelques mines,
Mais vous possedez leurs faveurs.

Tout s’éteint, tout s’use, tout passe ;

Je m’afoiblis, & vous croissez ;
Mais je descendrai du Parnasse
Content, si vous m’y remplacez.
Je jouis peu, mais j’aime encore ;
Je verrai du moins vos amours,
Le Crépuscule de mes jours
S’embellira de votre Aurore ;
Je dirai : je fus comme vous.
C’est beaucoup me vanter peut-être ;
Mais je ne serai point jaloux ;
Le plaisir permet-il de l’être ? ◀Ebene 3

Si M. de Voltaire a quelquefois été jaloux du talent de ses Confreres, les Vers que je viens de vous transcrire font du moins connoitre qu’il n’est plus atteintaujourdhui <sic> de cette maladie à la quelle les Beaux-Esprits de nos jours sont si sujets. En voici d’autres du même Poëte qui semblent prouver la même chose. C’est une invitation fort galante qu’il fait à Mr. Noricaut [40] Destouches, ce célebre Poëte Comique dont je vous ai parlé dans une de mes derniers Lettres, de venir diner chez lui.

Billet.

De M. de Voltaire à Mr. Destouches.

Ebene 3► Auteur solide, ingénieux,

Qui du Théatre êtes le Maitre,
Vous qui fites le Glorieux *2
Il ne tiendroit qu’à moi de l’être ;
Je le serai, j’en suis tenté,
Si demain ma Table s’honore
D’un Convive si souhaité,
Et je sentirai plus encore
De plaisir, que de vanité. ◀Ebene 3

Voila ce qui s’appelle de la politesse, & même de la plus rafinée. Que la société de ces Messieurs seroit aimable, s’ils parloient toujours les uns des autres sur ce ton-là ? Pourquoi ne le sont-ils pas ? Ce n’est pas assurément faute d’esprit, ni de sçavoir-vivre. D’où vient donc tiennent-ils aujourdhui, pour la plûpart, une conduite qui y est diamétraleme<sic> ut opposée ? . . . Demandez leur en la raison à eux-mêmes.

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 12 Avril 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Œuvres de Théatre.

Qui se Vendent dans la Boutique de Pierre Gosse Junior, Libraire de S. A. R. à la Haye.

Œuvres de Monsieur de Capistron, 12. 2 vol. Paris, 1739.

- - - de Racine, 12. 3 vol. fig. Amst. 1743.

- - - - - - de Mr. Poisson L’Aisné, 12. 2 vol. Paris, 1743.

- - - - - de Monsieur Bourfault, 12. 3 vol. Paris, 1746.

Théatre de Monsieur Favard ou Recueil d’Operas Comique & Parodies qu’il a donné depuis quelques années, avec les Airs, Rondes, Vaudevilles Gravées, 8. 2 vol. Paris, 1746.

- - - - de Monsieur Boindin, 12. Paris, 1746.

- - - - de Mr. de la Thuillerie, 12. Paris, 1745.

- - - - de Mr. la Font, 12. Paris, 1746. ◀Ebene 1

1* On verra dans un des No. suivants l’Origine Burlesque de cette nouvelle mode de Coëffures.

2* Comédie charmante de M. Destouches.