Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 3.", in: La Bigarure, Vol.3\03 (1750), S. 17-24, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4634 [aufgerufen am: ].


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N°. 3.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Puisque nos Spectacles, que la Religion avoit suspendus, selon la coutume, pendant trois semaines, viennent de nous être rendus, je crois, Madame, ne pouvoir vous faire plus de plaisir que de vous en entretenir aujourdhui. Je sçais qu’ils ont toujours été de votre goût ; & l’on ne sçauroit amuser plus agréablement les personnes qu’en leur parlant de ce qu’elles aiment.

Je vous dirai donc que M. Nericaut Destouches, de l’Académie Françoise, homme assez connu par ses grands talents pour le Théatre pour lequel on croyoit qu’il avoit renoncé de travailler parce qu’il y avoit quelque tems qu’on n’y avoit rien vu de sa façon, nous a donné, sur la fin du Carême, une nouvelle Comédie intitulée, La force du Naturel. Voici le sujet & le Canevas de cette piéce.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Le Marquis d’Oronville, homme dont la fortune égale la naissance, a eu d’une femme, encore aimable, deux fils qu’il a perdus à la guerre, & une jolie fille, nommée Julie, qui se trouve pour lors agée de seize ans. Un parent qui porte son nom, & qui a le titre de Comte, est amoureux de cette riche héritiere ; & son père la lui destine en mariage. La Marquise sa Mere ne neglige rien pour lui donner une éducation convenable à son sexe, & à son rang ; cependant Julie, loin de se former, rebute la Marquise, & tous ses Maitres. Cette jeune Demoiselle est d’un naturel bisare & revêche que rien ne peut domter, [18] & pour comble d’extravagance, elle a pris du goût pour l’Intendant de son Pere, qui se nomme Guéreau. Ce dernier est un fat, & un homme sans mœurs. Lisette & Louison, femmes de chambre dans la maison, s’entretiennent du caractère de Julie dont elles soupçonnent l’intelligence avec Guéreau, lorsque celui-ci paroit. C’est ici que commence l’Action.

L’Intendant leur parle avec hauteur, & elles en sont indignées, principalement Lisette, qui lui fait des révérences affectées, & sort avec Louison pour épier les démarches de Julie & de Guéreau. Ce dernier s’aperçoit bien qu’il est haï de Lisette, & craint avec raison sa pénétration dans la situation délicate où il se trouve. Il a séduit la fille de son Maitre, & l’a épousée secretement. Le Monologue, dans lequel il expose ses frayeurs & sa témérité, est interrompu par l’arrivée de Julie qui vient de la maison Paternelle. Elle a des Diaments, & Guéreau de l’argent ; mais il craint d’être arrêté avant que de pouvoir passer dans le païs étranger. Il quitte Julie à l’arrivée de la Marquise qui vient donner à sa fille des instructions judicieuses pour son education & sa conduite. Julie baille en l’écoutant, & lui répond avec aigreur. Le Marquis, qui survient, & qui connoit le caractere de sa fille, demande à sa Mere si elle en est contente. Cette tendre Mere répond à ce Seigneur dont elle connoit l’humeur un peu violente, qu’il y a lieu de tout esperer. Le Marquis en se retirant exhorte Julie à marcher sur les traces d’une Mere si parfaite.

Cependant la Marquise, désolée du peu de fruit qu’ont eu ses soins & ses peines, a recours au Comte qu’elle lui a destiné pour Epoux. « Joignez-vous à moi, lui dit–elle, pour adoucir son caractere : Vous êtes sage & prudent, & par ces qualitez vous méritez ma confiance. Peut-être aura-t-elle plus d’attentions pour l’Amant, que pour sa Mere ; je vous laisse » Le Comte flatte Julie sur sa beauté. Celle-ci n’en devient que plus froide. Il fait ensuite le Précepteur ; ce qui [19] donne occasion à Julie de découvrir tous ses sentiments en disant au Comte : « Je déteste l’art, la parure, les grands airs, ce qu’on apelle la bonne Compagnie, en un mot tous ceux qui vous ressemblent. Vous m’ennuyez, & je n’ai aucun inclination pour vous ». Cette Scène, qui est vive & assez plaisante, finit le premier Acte.

Le second s’ouvre par l’arrivée de la Fermiere d’Oronville, Nourice de Julie, qui vient pour la voir, & apporter de l’argent à son Maitre. Fremdportrait► Elle a amené avec elle Babet sa fille, qui est de l’âge de Julie, & d’une figure charmante. Ses sentiments & ses manieres sont nobles, & elle fait sur-tout paroitre un grands fonds de douceur sans son caractère, elle a beaucoup profité de la bonne éducation que sa bonne femme de Mere dit qu’elle a reçue dans un Couvent où elle dit qu’elle l’a fait élever ; enfin la charmante Babet est adorable. ◀Fremdportrait Guéreau, qui la voit le premier, feint d’en devenir amoureux pour mieux cacher son mariage ; mais il ne plait point à Babet qui a aperçu le Conte destiné à Julie, & qui n’a pu s’empêcher de prendre des sentiments tendres pour lui.

Le Marquis, qui a entendu parler des graces de Babet, veut la voir, & en est enchanté. Comme il se persuade que c’est un avantage pour elle d’épouser Guéreau il lui propose ce mariage. Babet lui répond tout franchement qu’elle n’en veut point. Le Marquis, qui n’estime pas top son Intendant, reproche à celui-ci sa fatuité qui aura, sans doute, déplu à Babet. Il se plaint, à part, de la bisarerie du sort qui lui a donné une fille telle que Julie, pendant que la fille de sa Fermiere mériteroit d’être née d’une Prince. Il va chez la Marquise, & après lui avoir exagéré le mérite de Babet, il la conjure de la prendre auprès d’elle, ce qui finit le second Acte.

En ouvrant le troisieme, Lisette, qui seroit fort fâchée que Babet restât auprès de la Marquise, dans la crainte de perdre la place qu’elle occupe elle-même auprès de cette Dame, veut lui persuader que le Marquis [20] en est devenu amoureux. Elle lui débite, à cette occasion, beaucoup de Lieux Communs sur la Tirannie des hommes qui se font un honneur d’être infidelles à leurs femmes, & qui se croyent deshonorez lorsqu’elles prennent leur revanche. La Marquise écoute tranquillement Lisette, & lui dit que son Marie est bien changé, & qu’elle est, depuis un tems, assurée de son cœur. Elle lui ordonne ensuite de faire venir Babet. Lisette obeït, quoique à regrèt ; elle commence par maltraiter cette aimable fille qui ne lui répond qu’avec une douceur dont elle est même aussi enchantée, qu’elle l’est de sa grande beauté. Babet se jette aux pieds de la Marquise, implore sa protection, & se plaint soupçons outragents qu’on a conçus des bontez de Monseigneur pour elle. La Marquise, frapée de la beauté de ses traits & du son de sa voix, s’atendrit sur son sort, & ordonne qu’on lui donne une de ses plus belles robes.

La Fermiere, qui survient, est étourdie de la situation où elle voit Babet. Elle verse un torrent de larmes, & fait entendre, à part, qu’elle est la cause de son malheur. Lisette, qui n’y comprend rien, sort pour aller habiller Babet. Guéreau, qui a réçu l’argent de la Fermiere, vient lui en apporter la quitance, & cause avec elle. La Fermiere, qui est fort à son aise, & qui ne seroit pas fachée de se remarier, s’offre en quelque façon de l’épouser, pour le consoler des refus de Babet. Monsieur l’Intendant se trouve offensé de l’offre, & la renvoye. Plus inquiet que jamais, il finit ce troisième Acte par un Monologue dans lequel il prend la résolution d’emporter tout l’argent qu’il a à son Maitre.

Le quatrième commence par une entrevue entre le Comte & Babet bien parée. Ce Seigneur, qui ne pense plus à Julie, se passionne pour cette nouvelle Amante, & la presse vivement de répondre à son ardeur. Babet lui marque, en apparence, de la froideur, & lui représente l’inegalité de leurs conditions. Elle l’exhorte à ne pas rompre son premier engagement : « Votre fortune en dépend, lui dit-elle. Soyez heureux ; sé-[21]parons nous ; je ne suis déja que trop à plaindre. Et quels reproches ne me feroit-on pas si je nuisois encore à votre établissement ? » Le Comte la quitte à l’arrivée de la Fermiere que Julie a fait demander. Elle est surprise de ne la point trouver, & de voir Babet si belle & si richement vêtue. Elle soupire, elle s’agite, elle sanglote : « Vous suis-je désagréable, ma bonne, lui dit Babet ? Non, ma chere enfant, lui répond la Fermiere, je suis folle de toi. . . Mais j’aperçois Julie ; laisse nous. »

A la vue de Julie, la Fermiere recommence à soupirer & à sangloter. Dialog► Julie dit qu’elle a d’étranges secrets à lui communiquer. Nouvelle inquiétude de la part de sa Nourice. Qu’y a-t-il donc ? Qu’avez-vous fait, s’écrie-t-elle ? « Helas, reprend Julie, je m’ennuye ici. L’éclat dans lequel je suis, & dans lequel on veut que je continue de vivre, me fatigue : je n’ai aucun goût pour le Comte ; & j’ai fait un autre choix ». Qu’est-ce à dire ? reprend la Fermiere, il faut que vous l’aimiez. ◀Dialog Alors Julie embrasse les genoux de sa Nourice, lui fait un reçit exact de ce qui s’est passé entr’elle & Guéreau, en la conjurant de lui donner asile jusqu’à ce qu’ils ayent pris des mesures pour passer en païs étranger. La Nourice s’emporte, & tantôt en s’accusant, tantôt en s’excusant, elle aprend à Julie le secret de sa naissance : « Vous êtes ma fille, lui dit-elle ; & Babet est la fille du Marquis d’Oronville. C’est un échange que j’avois fait pour votre bien. Malheureuse que je suis ! me voilà bien punie par ta belle conduite ! »

Zitat/Motto► « Tu veux être Babet, & Babet tu seras ! » ◀Zitat/Motto

La nouvelle Babet est enchantée de cette Nouvelle dont la Nourice est pétrifiée, elles sortent l’une & l’autre, & finissent le quatrième Acte.

Le Cinquième est ouvert par Guéreau qui, malgré les ordres réitérez de Julie, qu’il croit toujours être la fille du Marquis, a de la peine à se résoudre à em-[22]porter la caisse de son Maitre. Ne prévoyant pas l’orage que ses dédains pour les femmes de la Marquise vont lui attirer, il fait tous les préparatifs nécessaires pour sa suite. Mais Louison, qui l’épioit derrière un Berceau, en a entendu le complot, & en a instruit le Comte qui, après avoir exigé du Marquis sa parole d’honneur qu’il se contiendra & ne maltraitera point ceux qui le trahissent, lui aprend la plus terrible de toutes les Nouvelles. Le Marquis, devenu furieux en l’aprénant, fait chercher partout son Intendant. La nouvelle Babet qui a pris des habits convenables à son nouvel état, debite de jolis Vers sur sa situation. Elle maudit les pompons, les rubans, les pierreries, & tout le précieux attirail de l’état qu’elle vient de quitter. Cependant le Marquis trouve Guéreau qui, voyant son Maitre dans une colere des plus violentes, prévoit son malheur. Il commence par nier son crime, & consent d’être pendu, si on peut le lui prouver. « Tu le seras, répond avec impétuosité le Marquis ». Tous les personages nécessaires au dénouement accourent au bruit qu’ils entendent, & tout se démesle heureusement par une nouvelle reconnoissance. Le Comte épouse la moderne Julie, & l’on pardonne à la Fermiere & à Guéreau qu’elle accepte pour son Gendre. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Tout l’Edifice de cette Comédie porte sur ce fondement, qu’une personne née de parents obscurs, quelque éducation qu’on puisse lui donner, aura toujours des sentiments bas, & que celle au contraire qui sort d’un sang illustre pensera toujours d’une manière noble quoiqu’elle ait été élevée dans l’obscurité. Ce sont deux veritez reconnues dans tous les tems, & que le grand & sublime Corneille a si bien développées, dans un de ses chefs-d’œuvres de Théatre, par ces beaux Vers :

Ebene 3► Les Nobles ont cela de leur baute naissance :

Leur ame dans leur sang prend des impressions
Qui dessous leur Vertu rangent leurs passions ;
Leur générosité soumet tout à leur gloire ;
Tout est illustre en eux quand ils daignent se croire,
[23] Et si le peuble y voit quelques déréglements
C’est quand l’avis d’autrui corrompt leurs sentiments
(a1 ). ◀Ebene 3

Tel est le portrait que ce célebre Poëte a fait des Grands, portait qui est conforme à la vérité. Voici celui qu’il fait, dans la même piéce, des gens obscurs que la Fortune éleve quelque fois aux premières dignetez de la Cour.

Ebene 3► Ils n’inspirent aux Rois que des mœurs Tiranniques,

Ainsi que la naissance ils ont les esprits bas :
Envain en les éleve à régirr des Etats ;
Un cœur né pour servir sçait mal comme in commande,
Sa puissance l’accable alors qu’elle est trop grande,
Et sa main, quel crime en vain fait redouter,
Laisse cheoir le fardeau qu’elle ne peut porter.
(b2 ) ◀Ebene 3

Vous n’aurez pas de peine, Madame, à concevoir que ces deux Véritez ont dû également déplaire aux Roturiers, & à certains esprits soi-disants Philosophes qui pensent différement, & qui fondent leur jugement sur quelques exceptions lesquelles ne font confirmer les deux régles qui sont généralement vraies. Mais toutes les personnes des condition <sic>, qui avoient été choquées, avec raison, de l’opinion contraire, qui est le principal pivot sur lequel roule la Comedie de Nanine (c3 ) goutoient assez celle-ci ; Aussi l’auroient-ils favorisée de leurs applaudissements & de leur approbation ; Mais par malheur elle s’est trouvée si tristement & si foiblement écrite, qu’elle ne poura pas se vanter d’endroits dans lesquels on reconnoit la main du grand Maitre qui l’a composée.

Voila encore un de ces tristes effets que la Vieillesse fait sur les plus beaux Esprits. Personne ne sçaurait refuser à M. Destouches ce glorieux titre que ses [24] belles piéces de Théatre, pour lequel il a travaillé pendant plus de quarante ans, lui ont si justement aquis (d4 ). Moins parfait, à la vérité, que Moliere, & moins enjoué que Regnard, il a eu, comme ces deux grands Poëtes, le merveilleux & rare talent de sçavoir saisir, & de bine peindre le ridicule des hommes, & par là mérite d’occuper, sur le Parnasse François, la troisième place parmi nos Comiques. Le médiocre succès qu’à eu sa dernière piéce ne fera point de tort à la réputation que ses autres ouvrages lui ont fait, tout le monde sachant que la Vieillesse n’est pas l’âge des graces, de l’enjouement, de la plaisanterie & de la gayeté. Ce peu de succès doit seulement avertir Messieurs les Poëtes qui travaillent pour le Théatre, qu’il vient un tems où ils doivent penser à la retraite, s’ils ne veulent pas avoir le chagrin de voir flétrir leurs Lauriers Poëtiques.

Ebene 3► Tout n’a qu’un tems & qu’un terme préscrit,

Avec les ans tout s’affoiblit, tout passe ;
Comme le Corps on voit baisser l’Esprit,
Et par degrez tout son brillant s’efface

Ne croyez pas, auteurs qu’un vain espoir séduit,

Que sur ce point le Ciel vous fasse grace.
Qui veut jouir de sa gloire, se dit
A cinquante ans serviteur au Parnasse. ◀Ebene 3

Monsieur Destouches, qui est presque septuagenaire, doit être content d’une carriere qu’il a si long tems courue, & que personne, de son tems, n’a aussi bien rempli que lui. Heureux le Public s’il a le bonheur de trouver un sujet qui le remplace dignement !

J’ai honneur d’être, &c.

Paris, ce 4 Avril 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(a) La Mort de Pempée, Tragédie, Acte II. Scene I.

2(b) Ibid. Acte IV. Scene 2.

3(c) Comédie, donnée l’été dernier par M. de Voltaire.

4(d) Les piéces de Mr. Destouches, sont le Curieux Impertinent, l‘Irrésolu, le Médisant, l’Ingrat, Le Triple Mariage, l’Obstacle imprévu, le Philosophe Marié, L’Envieux, La Fausse Veuve, les Philosophes Amoureux, le Glorieux, l’Ambitieux, le Dissipateur, l’Homme singulier, & la Force du Naturel.