Le Spectateur français ou Journal des Mœurs: No V.
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Dialogue
Cassiodore. *1
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Heteroportrait
General account
Discours.
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Discours.
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Prédiction
Pour l’Année 1778, tirées de l’Almanach ou du Manach de Liége, qui ne sera imprimé qu’à la fin de Décembre 1777.
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Dialogue.
Darviane et Saint-Far.
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Dialogue
Darviane.
Non, Saint-Far, je n’approuverai jamais vos déclamations contre le Luxe. Sans lui nos Arts seroient-ils jamais parvenus à ce degré de perfection où nous les avons portés ? Cette perfection rend toutes les Nations nos tributaires. Cette espèce de conquête ne vaut-elle pas toutes celles que nous pourrions faire par les armes ?Saint-Far.
Mon ami, je conviens qu’elle est moins funeste aux Peuples conquis ; leur défaite ne leur coûte que leur argent ; mais, pour le Peuple conquérant, vous conviendrez qu’il y perd ses mœurs, & par conséquent sa félicité ; & certes, aux yeux, je ne dis pas du Philosophe, mais de l’homme qui a un peu de sens dans la tête, & de justice dans le cœur, le gain que la nation conquérante fait d’un côté, ne vaut pas ce qu’elle perd de l’autre.Darviane.
Je ne vois pas ce que les mœurs ont à démêler avec l’Artisan & le Laboureur.Saint-Far.
Ne confondons point ; quand je parle des Arts, ce n’est point des Art utiles. Une Nations les perfectionnera tant qu’elle voudra, sans exciter ni l’envie, ni l’émulation des Nations voisines ; je parle de ceux que vous appelez Arts par excellence, inventions du Luxe & de la frivolité, dont les productions trop multipliées varient sans cesse dans leurs formes, parce que le goût qui les dirige est absolument arbitraire, & n’est fondé ni dans la nature, ni dans la raison.Darviane.
Oh ! voilà par exemple ce que vous auriez de la peine à me persuader. L’Art est d’abord informe & grossier : mais il me semble qu’il n’approche de la perfection, qu’autant qu’il se rapproche de la nature.Saint-Far.
Voilà précisément contraire de la marche des Arts de Luxe. Plus ils s’éloignent du sens commun, & plus on les trouve parfaits. Ce n’est pas pour ces Arts-là qu’on cherche le beau dans la nature, & les grâces dans la simplicité. Le caprice, la bizarrerie, voilà leurs principes : des formes qui plaisoient hier ne plaisent plus aujourd’hui.Darviane.
Mais, savez-vous qu’il n’y a rien sur quoi on soit moins d’accord, que ce beau simple, ce beau naturel ? Pourriez-vous m’en assigner un modèle, qui ne soit point sujet à contestation ? un modèle dont toutes les Nations conviennent ? L’idée de la beauté ne varie-t-elle point relativement aux Pays ?Saint-Far.
Connoissez-vous, je ne dis pas quelque Peuple policé, mais quelqu’homme ayant un cœur & des yeux, qui conteste la beauté à l’Apollon du Belvedere, à la Vénus de Médicis, à l’Antinous, & à quelques autres Statues de ce genre ? Si quelqu’un vous accusoit d’avoir dit que vous les trouvez d’un mauvais goût, n’en seriez-vous pas offensé ? Ne chercheriez-vous pas à faire cesser ces mauvais bruits ?Darviane.
Oui, sans- doute ; mais ce n’est pas de quoi il s’agit. Vous cherchez à m’écarter de mon sujet. Les modèles dont vous venez de me parler, retracent les plus belles proportions ; c’est la beauté toute nue ; & il est question des Arts de Luxe qui donnent des grâces à la beauté & même à la laideur.Saint-Far.
C’est précisément à quoi je veux en venir. Pensez-vous que ces Artistes sublimes, qui ont si bien saisi le vrai point de la beauté des proportions du corps-humain, aient été assez aveugles pour n’avoir pas senti en quoi consistoit cette beauté accessoire, la parure, qui convenoit à ces modèles ?Darviane.
Quand cela seroit, que pourriez-vous en conclure ?Saint-Far.
Que l’élégante simplicité des Grecs & des Romains, sans cesse reproduite à nos yeux dans les figures antiques ou modelées d’aaprès l’antique, est plus favorable à la beauté, que tant de fatras de haillons, sous lequel nos femmes s’engoncent. Comme rien n’est plus simple que de belles proportions, il faut que tout ce qui les accompagne soit simple comme elles. Je sais que la plupart de nos femmes auroient trop à perdre, sous une tunique flottante & légère, qui laisseroit appercevoir leur sein à moitié découvert, & qui ne descendroit que jusqu’à mi-jambes ; mais au moins, ne devroient-elles pas faire tellement disparoître le nud, qu’elles semblent plutôt avoir été faites pour leurs habillemens, que leurs habillemens pour elles. Chez nous, une femme n’est que l’accessoire de sa parure. Par quelle manie étrange adoptent-elles ces bisarres ornemens, de préférence à des vêtemens qui laisseroient à leurs grâces naturelles toute la liberté de se déployer ? Parmi les dix mille modes en tout genre, qui, depuis onze ans, ont mis à la torture le génie des Inventeurs, il y en a trois ou quatre que leur simplicité m’ont fait conserver, mais ce sont celles qui ont passé le plus vite.Darviane.
Mon ami, croyez-moi, les femmes savent mieux ce qui leur va, que nous-mêmes ; elles ont un instinct d’amour-propre qui met en défaut les plus belles réflexions de la Philosophie.Saint-Far.
Oui, c’est-là leur préjugé ordinaire, c’est ce qu’elles répondent toujours à nos reproches. Nous ne nous parons que pour vous plaire, disent-elles. En vain leur proteste-t-on qu’elles nous plairoient mille fois davantage avec moins d’art & plus de simplicité ; elles affectent de n’en rien croire, & n’en vont pas moins leur chemin.Darviane.
Il faut espérer qu’à force de chercher les moyens de plaire, de combiner, de varier les modes, cette simplicité Grecque & Romaine, dont vous êtes affolé, reviendra quelque jour.Saint-Far.
Et moi au contraire, je pense que la bizarrerie, en fait de modes, sera portée à un tel excès, que la France sera regardée par les Nations voisines, comme les petites maisons de l’Europe. Il n’y a rien de si ridicule dans ce genre à quoi l’on ne doive s’attendre. Ecoutez un petit conte de Fées que ma fille a appris de sa gouvernante.Level 4
Darviane.
Des Fées ! il y a dix ans . . . . Il me paroît qu’en fait d’Anachronismes la gouvernante de votre fille n’est pas difficile. Il y a quatre siècles qu’on ne croit plus aux Fées. Elle auroit dû remonter à des temps plus reculés.Saint-Far.
En fait de Contes, peu important les lieux & les temps : & en fait de modes, les événemens se multiplient & se succèdent si rapidement, que dix ans établissent une antiquité plus reculée que ne le seroit un fait politique, qui se seroit passé depuis dix siècles.Level 4
Darviane.
Mais elle est donc folle, votre gouvernante : quel mélange ! Des Fées dans le Wauxhal de Torré ! tout cela n’a pas trop le sens commun.Saint-Far.
Vous vous trompez encore. Il falloit transporter ma fille dans des lieux qu’elle connût, & elle connoissoit le Wauxhall de Torré : il falloit que ces lieux eussent une apparence de magnificence pour y revoir les Fées, qu’elle connoissoit encore par mille petits contes. Vous voyez que la gouvernante n’est pas aussi inconséquente qu’elle vous l’a paru d’abord. Je reprends mon histoire, & ne m’interrompez pas, je vous prie : faites seulement attention que c’est un enfant à qui l’on parle, & qu’on veut instruire en l’amusant.Darviane.
Je ne dis plus rien, je vous écoute.Saint-Far.
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Citation/Motto
Adieu à mes Lecteurs.
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Metatextuality
1* J’ai retrouvé ce morceau parmi mes papiers ; on me l’avoit envoyé pour être inséré dans ces feuilles, traduit de Cassiodore même, qui est censé écrire dans sa retraite : je doute que ce soit une traduction ; mais je ne sçais s’il est imprimé ailleurs, ni de quelle main est sorti cet Ouvrage. Magnus Aurelius Cassiodorus d’une famille illustre de Calabre, fut le principal Ministre de Théodoric, qui lui dût en partie la gloire de son règne. Cassiodore, après avoir été Consul, exerça la Préfecture sous Althalaric, Théodat & Vitiges. Après la défaite de celui-ci, il se retira dans un Monastère qu’il avoit fondé. Il y vêcut autant en Philosophe qu’en Moine. Il y composa des ouvrages de Théologie & de piété, des traités Philosophiques & la chronique de son temps : il se délassoit de la composition & de l’étude, par la culture des Arts qu’il fit servir à embellir sa retraite. Il mourut en 562, âgé de plus de 93 ans. On a recueilli ses Ouvrages.
2* Boëce eut la tête tranchée en 525. Il composa dans sa prison son livre de la Consolation de la Philosophie. On a aussi de cet infortuné Philosophe, quelques ouvrages de Théologie. Boëce étoit d’une des plus illustres familles de Rome. Théodoric étoit un excellent Prince ; mais quel Prince peut se flatter de ne pas être trompé ? L’intrigue entoure tous les Trônes du monde.
3Cette Anecdote est de M. D * * *.