Le Mentor moderne: Discours LXXXVI.
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Discours LXXXVI.
Zitat/Motto
Dum flammas Jovis,
& sonitus imitatur Olympi.
Pendant qu’il imite les flammes de Jupiter, & les Eclats du Tonerre.
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Il y a du plaisir a considerer le
grand nombre de Phenomenes de la Nature, qui ont été imitez par
l’art humain ; Le Tonerre est devenu une drogue fort commune
parmi les Chimistes, on achete des éclairs à la livre, & une
poignée de Phosphore contient une grande étendue de flammes, qui
badinent autour d’un objet sans le consumer : certains ouvrages
hydrauliques imitent la pluie en perfection, & j’ai appris,
que des virtuosi François firent tomber, il y a quelques années,
de la nege artificielle pendant plus d’une grosse heure, pour
amuser Louis le Grand. Je suis engagé dans cette réflexion, par
le merveilleux feu d’artifice, qu’on nous a donné la nuit
passée, sur notre belle riviere : nous y avons vu une espece de firmament tout rempli d’un grand nombre de
cometes, & d’autres Meteores : rien ne pouvoit être plus
étonnant que ces colonnes de flammes, ces épais nuages de fumée,
cette prodigieuse quantité d’étoiles qui se meloient avec le
desordre le plus agréable ; ces fusées, qui finissoient en
autant de constellations, & qui repandoient dans l’air des
pluies de lumiere : parmi tant de choses extraordinaires rien
n’étoit plus admirable que l’Ingenieur lui-même, qui exécutoit
son projet avec ordre, & avec tranquillité, quoiqu’il fût
tellement couvert de feu & de fumée, qu’on auroit dit qu’il
n’y avoit qu’un Salamandre, qui pût soutenir une pareille
situation. Pendant tout le spectacle j’étois accompagné de deux
ou trois Beaux-esprits de ma connoissance. Celui qui brilloit le
plus parmi eux étoit un Critique de Profession, c’est-à-dire un
homme, qui passe légerement sur ce que les choses ont de beau,
pour ne penser qu’à ce qu’elles ont de défectueux. Il se mit
d’abord a exercer son aimable & utile talent sur les objets,
qui frappoient nos yeux ; j’aime assez, dit il, ce Chyfre
enflammé ; je trouve que le feu est la matiere du
monde la plus propre a écrire, & il n’y a point de
charactere plus lisible, que celui, qui sert de lumiere a
lui-même ; Pour les Vertus Cardinales, que nous voyons là, je
vous avoue que je ne les voudrois pas composées d’une matiere si
combustible ; on auroit pu, si vous voulez, donner un glaive
flamboyant à la justice, & faire jetter feu & flame à la
valeur : mais il est ridicule de voir sortir cet élement
terrible du sein de la chasteté, & de la temperance. Notre
Critique voyant que la severité d’une censure si déplacée, nous
arrachoit de grands éclats de rire, ne la poussa pas plus loin ;
& il aima mieux nous entretenir de plusieurs plans de feux
d’artifice, inventez par lui-même, dont quelques-uns étoient
passables, & dont les autres valloient très peu de chose. Ce
que nous trouvames le meilleur dans son discours, c’est qu’il
donna occasion à un autre de mes amis de nous parler d’un feu
d’artifice décrit par Strada, & exécuté par les ordres d’un
Prince d’Italie, qui en vouloit regaler sa maitresse.
J’ai oublié plusieurs autres particularitez également
curieuses d’une machine si heureusement inventée ; mais ce que
j’en ai retenu suffit, pour faire voir qu’on peut placer dans un
feu d’artifice une fable, ou une allégorie suivie, capables de
donner une beauté accessoire a des objets si merveilleux par eux
mêmes. Il m’arrive rarement de considerer des choses
extraordinaires sans en tirer des réflexions propres a me rendre
meilleur : toute la nuit passée je n’ai pas pu m’empêcher de
ruminer dans mon lit sur le beau spectacle que je venois de
voir, & de réflechir sur la petitesse de l’art humain le
plus extraordinaire, quand on le met en parallele avec les
desseins de la Providence ; en suivant cette idée je me mis a
considerer une comête, comme une fusée tirée d’une main toute
puissante. Plusieurs de mes Lecteurs se souviennent d’avoir vu
un de ces Phenomenes effrayants l’an 1680 ; s’ils ne sont pas
Mathematiciens, ils seront surpris d’apprendre qu’elle avoit
plus de rapidité qu’un boule de Canon, & que la queue de feu qu’elle trainoit après elle occupoit une espace
de plus de vingt & six millions de lieues : le moyen de
considerer sans une espece de sainte horreur des corps d’un
volume si prodigieux, qui parcourent l’univers avec une rapidité
si inconcevable, & qui ne laissent pas de demeurer
constamment dans la ligne dans laquelle la toute-puissance a
borné leur carriere ; où est l’imagination, qui puisse concilier
une regularité si exacte, avec ce mouvement furieux, qui paroit
menacer l’univers d’un embrasement général ? De quelle étendue
cet Univers ne doit-il pas être, pour ouvrir à des corps si
vastes des routes suffisantes sans en soufrir le moindre
desordre ? De quel Spectacle ne sont pas frappez certains Etres,
devant qui se déploye tout le Theatre de la Nature, & qui
voyant des millions de pareils Phenomenes traverser, par des
courses reglées, les abimes de l’air ! Peut être qu’un jour nous
aurons la vue assez forte pour percer une perspective si
magnifique, & l’esprit assez éclairé, pour demêler les
differents usages de ces parties considerables du monde ; en
attendant un changement si heureux dans nos organes & dans
nos lumieres, ces sublimes objets peuvent
accoutumer notre imagination, aux plus hautes idées, d’un
pouvoir & d’une sagesse sans bornes ; ils peuvent nous
enseigner à former des pensées humblement justes de nous-mêmes,
& de toutes les viles productions de l’invention humaine.
Voici encore une Lettre du Cavalier Anglois, qui voyage en
France.
C’est là une des plus fortes raisons qui m’ont fait
quitter Paris & la Cour que je suis
pourtant charmé d’avoir vus, parce qu’il est difficile
de voir ailleurs, tant de beaux lieux, & tant de
grands personages. A Versailles sur tout on ne sauroit
guerres entendre un nom qui ne vous rappelle dans
l’esprit quelque gazette, ni voir un homme qui ne se
soit signalé dans quelque bataille. On est tenté de se
croire dans quelque Palais enchanté d’un Roman, tant on
y rencontre de Heros, & tant les jardins, les eaux,
& le statues ont l’air d’être l’ouvrage de quelque
enchanteur. Je suis honteux, au reste, de n’avoir pas
encore fait de plus grands progrès dans la Langue
Françoise ; quand on l’apprend sur les Lieux mêmes, il
faut avouer qu’on trouve tout le secours imaginable pour
y réussir, puisque on y est toûjours environné du peuple
du monde le plus familier & le plus grand parleur.
Toutes les compagnies sont ici extraordinairement
bruiantes, & l’on crie ici plus fort en déjeunant,
que vous autres à Londres, quand minuit vous surprend
encore à table. Autant que j’en puis juger, après avoir
étudié de mon mieux les deux Nations, il y a plus de
gayeté dans une conversation Françoise, & dans une Angloise il y a plus d’esprit ;
chez vous on raille plus finement, mais ici on rit de
meilleur cœur ; à mesure que j’avance dans le François,
je trouve cette langue extremement propre pour le
babil ; on diroit presque qu’on l’a appauvrie exprès,
afin de rendre les circonlocutions nécessaires, &
d’obliger les gens à dire peu de chose en beaucoup de
paroles. Ce qui caracterise un étranger, c’est de
répondre à une question, tout court, oui ou non ; car
vous saurez que de ces deux Monosyllabes les François
savent faire des Pensées. Ils ont un assortiment de
certaines Phrazes ceremonielles, dont tout le monde va
se fournir au même Magasin, & les complimens les
plus gracieux, descendent par une cascade continuelle
des gens du premier rang, jusques à la Populace. Rien de
plus ordinaire que d’entendre un artisan, qui prie son
voisin d’avoir la bonté de lui dire qu’elle heure il
est, ou deux Savetiers qui protestent qu’ils sont
charmez d’avoir l’honneur de se voir l’un l’autre. Le
Païs, où je me trouve, frappe les yeux dans cette saison
par des agrémens qui passent l’imagination. Tout est
gai, tout est riant ; les oiseaux mêmes, à
l’exemple des hommes, me paroissent de meilleure humeur,
que ceux qui égayent nos bocages en Angleterre, & je
suis sûr qu’en France l’année devance la nôtre moins par
le nouveau stile, que par les productions de la Nature.
Je puis dire à present qu’une fois de ma vie j’ai passé
le mois de Mars, sans être derangé par les vents, &
l’Avril sans être arrosé par les pluies. Je suis &c.
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Allegorie
On
voyoit au milieu d’un grand lac une montagne flottante
qui avoit au sommet une crevasse fort
spacieuse, afin de mieux representer le fameux Mont
Æthna, dont elle devoit jouer le Rolle. Dès qu’on eut
donné le signal, il commença à sortir de cette ouverture
un nuage de feu & de fumée mêlé de morceaux de
rocaille ; quelque tems après on entendit sortir des
entrailles de cette machine d’horribles mugissements,
& l’on vit toute la montagne se fendre en deux &
découvrir du coté exposé a la vue du Prince & de sa
Cour une grande Caverne qui representoit la Forge de
Vulcain, & dans laquelle on demesloit, a travers la
flamme, de grandes masses de toutes sortes de metail.
Une Colonne d’un feu bleuatre se levoit continuellement
de cette forge, ou Vulcain s’occupoit avec ses Ciclopes
a former des Carreaux de foudre pour le Maître des
Dieux. Ces armes redoutables de Jupiter se levoient, de
temps en temps de l’Eclume, & sortoient de la
Caverne avec une rapidité & un bruit terribles.
Venus toute environnée du feu le plus lumineux & le
plus brillant se tenoit a coté de son époux environnée
d’une nombreuse troupe de Cupidous qui faisoient voler
de tous cotez des fleches enflammées ;
devant elle on voyoit un autel tout couvert de cœurs
brulants, victimes toujours agreables a cette déesse.
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Brief/Leserbrief
Blois le 20 de Mai N. Stile
Monsieur, Votre obligeante Lettre m’a fait un plaisir sensible ; c’est tout l’Anglois, qu’on m’a parlé depuis plusieurs mois, que je suis forcé à considerer l’absence de mes compatriottes comme une espece de bonheur ; Je puis appliquer à la situation, où me met l’envie d’apprendre le François, ce Vers qu’Ovide met dans la bouche de Narcisse,Zitat/Motto
Votum
in Amante novum ! Vellem quod amatur abesset. Je
cherche à m’éloigner de ce que je cheris.
