Le Mentor moderne: Discours LXXX.
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Level 1
Discours LXXX.
Citation/Motto
Miserum est post omnia
perdere Naulum.
Juven.
Il est triste de faire malheureux voyage, & d’en regretter encore les fraix.
Level 2
Lettre.
Level 3
Letter/Letter to the editor
Monsieur, donnez-moi un bon conseil, vous
qui êtes un homme si sage, & dites-moi, si en
portant mes plaintes, telles que vous venez de les voir,
devant des juges integres & éclairez, je ne pourrois
pas faire condamner ma perfide veuve à payer tous les
fraix qu’elle m’a obligé de faire ; vos salutaires avis
sur ce sujet obligeront infiniment votre très-humble
admirateur. Simon Doucet.
General account
Un oncle m’ayant laissé la somme de mille
livres sterling, je me crus, avec ce secours, fait
exprès pour faire donner dans mes filets quelque
riche veuve, & je méprisai tout autre moyen de
faire fortune ; sans perdre du tems ; je m’adressai
d’abord à une Dame qui avoit enterré son Epoux il
n’y avoit qu’une semaine, & il ne me fut pas
difficile de lier commerce avec elle, par la
médiation de quelques-unes de mes Parentes, qui
étoient ses intimes amies : elles me servirent si
bien, qu’elle consentit à me voir, dans le tems même
que son affliction éloignoit de chez elle tout homme
excepté son avocat, qui est un petit bon homme deja
ridé, sans gras de jambe, & qui
plus est, marié ; ainsi je n’avois pas la moindre
raison de le craindre. Dans la premiere visite que
je lui rendis, elle se laissa échapper dans la
conversation, qu’elle avoit eu toujours beaucoup de
gout pour les teints pales, & qu’elle les
préferoit à tous les autres sur le visage d’un homme
aussi-bien que sur celui d’une femme. Vous saurez,
Monsieur, que j’ai le visage blanc comme lait, sans
le moindre mélange de quelque autre couleur ; jugez
si cette déclaration de la belle anima mes
espérances ; & si j’étois homme à négliger les
secours, les plus propres à relever ma paleur
naturelle. Dès que je fus sorti de chez ma maitresse
je courus chez un Perruquier, où je me fournis, pour
la somme de trente guinées, d’une très longue
perruque blanche comme la nége, & le jour après
j’eus l’honneur de voir ma veuve avec ce surcroit de
fadeur méritoire. Tout en causant avec moi de choses
& d’autres elle laissa tomber un petit mot
touchant une tabatiere d’Agathe; aussi-tôt j’en eus
une, persuadé que je ne devois rien négliger de tout
ce qui étoit capable d’augmenter son gout pour moi ;
de pareils insinuations m’équiperent
par force d’une veste de Brocard, d’un nœud d’épée
magnifique, d’une paire de gands à franges d’or,
& d’une jolie bague à Diamans ; mais soit
caprice, soit envie d’éprouver ma complaisance, la
belle se montroit toujours fort indifferente le
lendemain pour ce qu’elle avoit paru cherir le jour
auparavant, de maniere que dans l’espace de six mois
j’ai été forcé de changer jusqu’à douze fois
d’ajustemens. Pendant tout ce tems-là, je n’eus pas
une seule fois occasion de lui faire voir mes
intentions d’une maniere directe, & il n’y eut
que mes manieres soumises, & ma complaisance
pour la moindre apparence de ses desirs, qui
déclarerent ma tendresse ; je ne laissois pas d’être
fort content de mes progrès ; il m’étoit permis de
vivre très familierement avec son bichon, &
quelquefois j’ai badiné avec lui pendant une grosse
heure, sans m’attirer la moindre gronderie de la
part de la Dame. J’en ai reçu encore d’autres
faveurs, qui bien apréciées valent bien ensemble à
mon avis une promesse de mariage dans les formes.
Quand par hazard elle laissoit tomber son éventail,
je le ramassois toujours, & elle le recevoit de ma main avec un petit souris le plus
obligeant du monde ; d’ailleurs je lui ai rempli son
pot à thé plus de cent fois, & j’en ai été
recompensé par en boire quelques tasses, où elle
mettoit du sucre, & qu’elle me donnoit elle-même
de sa belle main blanche ; voilà où nous en avons
été elle & moi ; dites-moi après cela, si elle
n’est pas obligée en conscience de m’épouser ; j’ai
oublié encore de vous dire, que pendant tout le tems
qu’a duré cette intrigue, j’ai eu une chaise à
porteurs que je payois par semaine, afin de ne
paroitre jamais devant elle qu’avec toute la
propreté requise, ce qui augmente beaucoup
l’obligation, ou la Dame est de ne prendre jamais
d’autreépoux <sic> que moi. Pour ne vous pas
importuner par une trop longue Epitre, je vous
dirai, que dans une seule année, j’ai dépensé pour
l’amour de la belle, tout l’Heritage de mon oncle,
ayant employé mes dernieres cinquante livres à un
habit magnifique, que j’ai fait faire exprès, pour
demander ma Maitresse à elle même dans les formes.
Vous ne devineriez jamais qu’elle fut sa réponse. La
voici ; Helas, Monsieur, je suis promise à un autre ; je ne me suis jamais imaginée,
que vous eussiez une pareille intention, & j’ai
cru que vous veniez ici simplement, parce que vous
étiez bien aise d’être avec Mesdames vos cousines.
Mettez-vous à ma place, Monsieur, cela ne
s’appelle-t’il pas se moquer insolemment d’un
honnête homme ; je le lui dis bien aussi, mais
c’étoient autant de paroles perdues ; heureux si
j’en étois quitte pour des paroles, dont la perte se
repare facilement ; mais j’en suis pour mes mille
livres sterling, sans qu’il me reste la moindre
esperance de retrouver jamais une semblable
ressource ;
Metatextuality
L’Examen de chacun de ces articles demande plus
de loisir, que je n’en ai a present, & je suis forcé de
prier M. Doucet de ne pas trouver mauvais que je renvoye
cette discussion à une autrefois ; je voudrois bien aussi
qu’il eut la bonté de me dire, s’il est sûr d’un avocat
assez charitable pour le servir gratis. Les Procès coutent
beaucoup, & selon son propre aveu, il ne lui reste pas
une obole. Pour le consoler pourtant de mon mieux, je
l’informerai de la maniere dont se conduisit en pareil cas
un jeune Gentilhomme qui vecut, & fit l’amour sous le
Regne galant de Charles second.