Le Spectateur français avant la révolution: Conclusion.

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Ebene 1

Conclusion.

Ebene 2

Français, tels furent les traits sous lesquels je vous envisageai et vous peignis en 1772 ; vous n’en avez pas changé jusqu’en 89 : s’ils ne se sont pas effacés de votre mémoire, vous conviendrez que je n’ai exagéré ni vos défauts ni vos ridicules. Je n’ai pas non plus dissimulé vos peines, ni pallié les abus, les injustices dont vous aviez à vous plaindre : il n’a pas tenu à moi que vous ne fussiez meilleurs, et que le sort de la multitude ne fut adouci. Comparez maintenant ce que vous étiez à ce que vous êtes devenus. Vous avez opéré de grands changemens, étonné l’Europe par des actes incroyables ; les résistances qu’on vous a opposées n’ont fait qu’accroître votre énergie ; vous en avez triomphé par tous les moyens : oserai-je le dire ! par le crime et l’héroïsme. Pensez-y bien, ce n’est pas assez que de jetter la terreur chez les autres nations, il faudroit encore s’en faire admirer, les forcer à l’estime par des vertus. Elles ne vous contesteront plus une valeur indomptable ; mais ces peuples dont vous avez tant déprisé le gouvernement et les lumières, vous accorderont-ils la prééminence de la raison, si vous ne montrez que le courage des sauvages ? Vous avez obtenu des lauriers ; songez qu’ils ne tardent pas à se flétrir lorsqu’ils ne croient pas au sein de la prospérité publique. Il ne faut pas que les habitans qui en sont ombragés offrent toujours l’image de l’incertitude, de la défiance et du repentir ; qu’ils fassent de grand pas, sans avancer dans la route du bonheur. Si la prudence m’interdit de vous donner des conseils, elle ne m’empêchera pas de faire des vœux pour votre félicité et pour votre gloire. Vous avez formé le noble projet d’être libres, conduisez-le à son terme ; mais n’oubliez pas qu’il y a une puissance dont il est impossible de s’affranchir, celle des circonstances. Il faut malgré soi lui céder : son sceptre ne peut être brisé par les mains de l’homme. Ramenez donc votre attention sur cette force impérieuse, et voyez ce que vous devez lui accorder pour n’en être pas écrasés. Habitans de tous les points de la République, vous êtes dans ce moment investis de la souveraine puissance ; il n’en existe plus devant votre volonté suprême. Voici l’époque1tant désirée où vous pouvez faire triompher le vœu national et manifester à tous les peuples que vous abhorrez ou que vous sanctionnez tout ce qui s’est fait en votre nom. Songez qu’il y va de votre gloire ou de votre honte. . . . Ne vous laissez pas abuser par un calme perfide, par une conjuration paisible qui nous livre à nos rivalités, à nos passions, à notre imprévoyance, à nos essais politiques, et ne veut plus nous donner d’autres leçons que celle de notre propre malheur ! Républicains, je ne vous offre ces pensées que comme des vagues conjectures. A dieu ne plaise que j’aie le projet de troubler votre sécurité, de vous inspirer d’injustes défiances ! je voudrois seulement que vous ne perdissiez pas de vue une grande vérité : vous avez trop humilié vos ennemis pour qu’ils deviennent jamais vos amis. Quant à moi, quelle que soit votre destinée, je ne peux plus prendre qu’une foible part à vos craintes et à vos espérances. J’ai assez passé de jours sur la terre pour être rassasié de la vie ; j’ai assez médité sur les révolutions pour être bien convaincu que les peuples, en s’agitant beaucoup, ne font que changer de malheurs ; qu’ils s’éblouissent au lieu de s’éclairer, en multipliant trop leurs lumières ; que le joug de la présomption, de l’impudence et de la sotise, succède souvent à celui dont on s’est délivré avec peine ; que l’homme ne tire une véritable liberté que de la force de son esprit, et que c’est en se préparant à tout perdre qu’il gagne du moins de n’être pas trop affligé de ce que l’injustice lui enlève.
Fin.

1Ceci est écrit à l‘époque des Assemblées primaires de 1795.