Le Spectateur français avant la révolution: XLVIII. Discours.
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Level 1
XLVIII. Discours.
Observations du Spectateur à ses Correspondans.
Level 2
Metatextuality
Je reçois une si prodigieuse
quantité de lettres, que je pourrois former mes feuilles de
cette collection d’épitres. Je les enfile par ordre de
dates, et ce n’est pas une des fonctions que je remplisse
avec le moins de gravité. Souvent la lettre d’un abbé court
après celle d’une danseuse; celle d’une religieuse est
suivie de celle d’un moine; le billet d’une duchesse se
trouve à côté de l’épitre d’un acteur, celle d’un usurier
n’est pas éloignée de la lettre d’un militaire, et l’épitre
d’une dévote s’approche de celle d’un directeur. Je suspends
avec respect ce chapelet au-dessus de mon secrétaire, et
j’en détache les feuilles à mesure que j’ai besoin de
matière. Que mes correspondances ne murmurent plus et qu’ils
ayant la complaisance d’attendre leur tour. C’est maintenant celui d’une jeune personne qui ne
sera pas, je crois, toujours disposée à faire ce qu’elle
annonce. Voici sa lettre telle que je l’ai reçue.
Level 3
Letter/Letter to the editor
Il y a des femmes, Monsieur,
qui se plaisent à faire tourner la tête de leurs
adorateurs : leur vanité en est flattée, leurs charmes
triomphent et leur cœur est tranquille ; il n’y a que
celui qui les aime qui soit à plaindre. Pour moi,
Monsieur, plus sensible, plus délicate qu’elles, je me
ferois un devoir de ramener à la raison celui que j’en
aurois innocemment égaré, sur-tout si je le croyois
vraiment épris, digne de mes soins, et non un de ces
êtres volages qui expriment si bien l’amour sans jamais
le sentir. Je dédaignerois aussi un amant que ma seule
figure auroit séduit ; une pitié stérile seroit l’unique
sentiment qu’il pourroit m’inspirer. Je laisserois au
temps le soin de guérir une passion faite pour durer
aussi peu que l’agrément qui en est l’objet, mais si
c’étoit mon esprit qui est fait naître cette passion,
j’éviterois avec soin tout ce qui pourroit l’augmenter ;
je ne me permettrois plus de ces vives
saillies, de ces phrases heureuses qui font une
impression si vive sur un objet aimé, qui est toujours
disposé à vous admirer : j’emploierois pour le guérir
une éloquence simple et bienfaisante qui, portant dans
son cœur une douce lumière, l’éclareroit sans l’éblouir.
Si mon caractère, si les qualités de mon ame avoient
produit un sentiment assez vif pour déranger les organes
de celui qui m’auroit connu, je le regarderois comme un
malade dont la santé seroit précieuse à mon sexe ;
j’emploirois tous mes soins pour le guérir. Un jour je
lui ferois entrevoir du penchant à l’humeur et à
l’inconstance ; le lendemain je prendrois la défense des
femmes légères et frivoles : j’oserois quelquefois me
cacher sous le masque de la folie, pour le ramener à la
sagesse et lui rendre toute sa raison. Je n’ai que
dix-huit ans ; ne suis-je pas bien téméraire de parler
de l’amour que je ne connois pas encore ?
Réponse.
Mademoiselle, tant que vos amans ne vous paroîtront que des malades, vous vous porterez bien et vous pourrez les guérir ; mais vous êtes dans l’âge où l’on devient malade à son tour, et vous êtes trop aimable pour trouver des médecins aussi généreux que vous.Lettre.
Portrait d’un faux Noble.Level 3
Letter/Letter to the editor
Monsieur, Je n’ose plus saluer
personne. Ceux que j’ai le plus connus, je ne les aborde
qu’en tremblant. Je crains toujours de me tromper,
depuis qu’un homme avec lequel j’ai eu
l’honneur d’être clerc, que j’ai, il y a long-temps,
garanti du sort de la milice, n’est plus T . . . . fils
d’un huissier, mais qu’il est le comte de la M . . . .
en correspondance avec les plus grands seigneurs,
obtenant de l’un qu’il fasse un jour élaguer plusieurs
arbres qui bornent sa vue, le lendemain qu’il supprime
un objet qui lui déplaît, depuis qu’il reçoit d’un autre
des visites, par le ministère de son gentilhomme qu’il
traite comme un ambassadeur. Je vous avoue que je ne
sais plus ce que je dois croire. J’ai beau lui demander
si ce sont les exploits de monsieur son père qui l’ont
élevé à ce degré de considération, il ne me comprend
pas. Lorsque je veux lui rappeler notre jeune temps, il
me parle de ses concerts. Si je lui demande quand il
pourra me rendre les bagatelles que je lui ai prêtés, il
me répond que sa fille est remplie de talens, et qu’il
est bientôt temps qu’il cède aux instances d’un homme de
qualité qui soupire après l’honneur de son alliance. Je
le priois hier de me donner des nouvelles de son frère,
qui s’expose courageusement à l’humeur des mauvais
débiteurs ; il m’a interrompu pour me faire remarquer
un homme à sa livrée. Si je l’en
crois, un grand ministre lui doit toute sa gloire. Les
premiers commis venoient prendre ses ordres, et il leur
permettoit de s’asseoir. Il a les meilleures idées, les
plus heureux projets jettés sur le papier ; mais comment
les livrer à l’impression ? Comment risquer de se
compromettre ? Ce n’est plus le temps où Richelieu
écrivoit, où les hommes d’état s’exposoient à la
critique. Il a cependant hazardé de publier un excellent
mémoire ; mais il a rencontré une cabale si puissante,
qu’il a pris le parti d’en retirer tous les exemplaires.
Je voudrois, Monsieur, que vous vissiez ce grand
personnage, que vous l’entendissiez parler de ses jours
d’assemblées, des visites qu’il doit rendre, des lettres
qu’il a reçues, des conseils qu’on lui demande : sa
figure n’est pas très-noble, sa voix est sourde et
empoulée ; mais lorsqu’il élève sa tête chauve et qu’il
tourne sa face basannée, il a assez l’air d’un chef de
sauvages. Je lui pardonnerois de parler de sa qualité,
de son importance, à des hommes qu’il n’auroit jamais
vus ; mais moi, qui ai été son camarade, vouloir
m’associer à ses dupes, exiger que je le
nomme le comte de la M . . . pendant que je l’ai appelé
toute ma vie T . . . . Voilà ce qui me met en fureur !
Comme il m’a dit qu’il donnoit un jour de la semaine à
la littérature, et qu’il lisoit tout ce qui paroissoit
de nouveau, je vous prie d’insérer ma lettre dans votre
prochaine feuille, peut-être se reconnoîtra-t-il . . . .
Mais non, le bourreau ne se reconnoîtra pas, et il
voudra encore que je le nomme M. le comte.