Le Spectateur français avant la révolution: XLII. Discours.
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Niveau 1
XLII. Discours. Douleur d’un Amant qui a
perdu tout ce qu’il chérissoit.
Niveau 2
Qu’en
avez-vous fait de cette femme que je vous ai confiée ? où
est-elle ? N’est-ce pas à vous, n’est-ce pas dans vos mains que
je l’ai remis, ce dépôt si précieux, le bonheur, la richesse de
ma vie ? Mortels présomptueux, ne m’aviez-vous pas promis de me
la rendre, de la rendre à mon cœur ? Pourquoi
m’avez-vous trompé ? Pourquoi ne m’avez-vous pas dit : elle
mourra. . . et vous aussi ? . . . . Oui, je n’ai plus qu’à
mourir. . . . Créature si belle, qu’es-tu devenu ! Où es-tu, que
je te voye encore une fois, et que je meure ! Hélas ! je ne le
prévoyois que trop que j’allois te perdre ; comment m’y
serois-je trompé ? tu m’aimois moins ! . . . Lorsque je te
montrois à ces hommes dont le savoir est si vain, lorsque je
leur disois : ses joues se décolorent, sa tête penchée a peine à
se soutenir, ses mains sont brûlantes, et son sang épaissi,
semble s’arrêter dans son cours ; ils sourioient à mon
ignorance, et dédaignoient mes conseils : Ah ! ils n’étoient pas
tes amans. Que leur importois que tu vécusse ? Mais moi, moi qui
aurois voulu faire passer mon sang dans tes veines, je sentois
que tu allois échapper à mon cœur ; maintenant que j’ai tout
perdu, que tu n’es plus, où irai-je, qui aura pitié d’un insensé
qui te cherche, qui court après ton image, qui croit te voir et
saisir tes vêtemens ? . . . Me vois-tu, ma bien aimée ?
entends-tu ton amant ? l’entend-tu gémir ? Hélas ! lui, il ne te
voit plus, il ne te verra jamais. . . . Qu’ai-je maintenant besoin de voir, d’entendre ? que ma vue s’éteigne,
que mes oreilles se ferment ; je ne verrai plus, je n’entendrai
plus mon amante. Puissances du ciel ! je vous implore ; hélas !
que pouvez-vous pour moi, vous ne me la rendrez pas, et c’est
elle seule que je veux. . . . oui je voudrois la contempler
encore mourante, attacher sur elle un regard de douleur, sentir
sa main défaillante dans les miennes ; j’étois bien malheureux,
mais elle vivoit. Les beaux jours n’éclaireront plus que ma
tristesse ; tous mes plaisirs se sont enfuis. O Dieu ! ils sont
dans sa tombe, . . . et moi, pourquoi n’y suis-je pas !