Le Spectateur français avant la révolution: XXXVIII. Discours.
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Livello 1
XXXVIII. Discours. Sur l’inconvénient des
Sociétés formées par la vanité.
Livello 2
Je ne
trouve rien de plus ridicule, de plus contrainte à la raison,
que ce mélange de vieillards sombres, grondeurs, et de jeunes
gens aimables, enjoués ; de femmes laides, impérieuses, et de
jeunes personnes douces et jolies ; d’hommes éclairés,
spirituels, et de gens lourds et stupides. Tous ces individus si
opposés se rassemblent pourtant sous l’étendard de la fortune ou
des dignités, et marchent quelquefois de concert. Un homme de
qualité, qui a des connoissances et du goût, préfère souvent de
s’ennuyer avec les sots qu’il rencontre dans le monde, à aller
s’amuser avec des gens instruits qui ont une existence ignorée.
Il y a mille femmes à Paris, remplies d’esprit, de
graces, et qui ne se trouvent jamais qu’avec des douairières
enluminées, et ne reçoivent que les tristes hommages de vieux
militaires ou d’ennuyeux robins. Un sot, tel riche qu’il puisse
être, quelqu’illustre que soit son origine, est plus déplacé,
selon moi, dans une société d’hommes agréables et légers, qu’un
pauvre dans un cercle de financiers. Donnez à ce misérable un
habit brodé et quelques pièces d’or, il paroîtra l’égal de ceux
qui l’environnent ; mais cet être stupide qui n’a que l’air de
l’insolence et le regard de la bêtise, toutes les puissances de
la terre ne le mettront jamais au niveau des hommes aimables qui
répandent sur leurs idées le vernis de l’esprit ou le charme du
sentiment. Au lieu de ne chercher ses amis que dans la classe
des riches et des gens de qualité, il me semble qu’il vaudroit
mieux des prendre par-tout où ils peuvent se rencontrer. La
société n’offriroit plus ces contrastes bizarres qui coquent
celui qui veut y pénétrer. Tous ceux qui ont reçu de la nature
une ame belle et sensible, ne passeroient pas leurs plus beaux
jours avec des êtres froids et sans délicatesse.
L’homme de génie ne seroit plus excédé des questions que lui
font les pygmées qui l’environnent. Les sots réunis ne se
mépriseroient plus. Les ignorans ne seroient plus humiliés par
les éclairs de l’esprit qui découvrent à tous les yeux leur
ténébreuse difformité. Les méchans, s’ils se nuisoient encore,
vengeroient la vertu qu’ils ont fait souffrir. Tous les hommes,
unis par les mêmes passions, par les mêmes facultés de l’ame,
soumis aux loix de la nature, imiteroient les habitans des airs,
qui ne se mêlent pas avec une espèce différente de la leur,
quoiqu’ils ayent à-peu-près le même plumage. Les héros, les
philosophes, comme l’aigle superbe, planeroient au-dessus de
l’humanité dans les régions de la gloire. La femme tendre et
fidèle soulageroit son cœur, et feroit entendre les doux accens
de l’amour, comme la timide fauvette qui voltige dans la
prairie. Semblable à l’oiseau nocturne qui n’ose s’exposer à la
clarté du jour, le méchant fuiroit dans les ténèbres. On ne
verroit plus alors de ces alliances si funestes aux époux. Une
jeune femme, vive et légère, ne sentiroit plus sa joie mourir au fond de son cœur, en contemplant son mari
triste et jaloux. Les graces ne seroient point unies à la
laideur ; la délicatesse ne seroit jamais liée à la brutalité,
ni l’esprit soumis à la sotise.