Le Spectateur français avant la révolution: XXXI. Discours.
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XXXI. Discours. Exhortations à un Peuple
qui paroissoit se lasser de son Gouvernement.
La nation la plus légère, la
plus enjouée, est devenue sombre et pensive. On ne la voit plus
dans sa course inconstante faire naître les
plaisirs sous ses pas : elle ne cherche plus qu’à donner le
change à sa douleur. Peuple aimable et né pour le bonheur,
livre-toi à l’espoir d’un avenir plus heureux ! Jette tes
regards sur les nations qui t’environnent ; vois le fier
Espagnol baisser sa tête superbe sous le joug de l’autorité qui
commande : toutes ses richesses ne valent pas celles que la
nature répand autour de toi. Examine ces contrées si belles et
si riantes, habitées autrefois par les souverains de l’univers ;
comme elles sont changées ! Le sol n’est plus déchiré par la
main de l’homme libre ; il est arrosé pas <sic> les pleurs
de l’esclavage et de l’indigence. Que ces temples superbes
enrichis par les arts, que ces jardins magnifiques qui
embellissent la capitale du monde, ne te fassent point
illusion ; elle renferme dans son sein presqu’autant de
malheureux que d’habitans. Compare ton sort à celui de ces
peuples nombreux qui obéissent en tremblant aux ordres d’un
orgueilleux sultan. Leur pays désolé par la guerre, la famine et
la peste offrent à chaque pas l’image de la mort. Ces esclaves
du Nord, qui marchent comme de vils troupeaux à la
voix des maîtres qu’ils nourissent, ne sout-ils <sic> pas
plus à plaindre que toi ? Les uns opprimés par mille tyrans, les
autres dédévorés <sic> par un seul, passent leurs tristes
jours dans la misère et l’effroi. Entends-tu les cris séditieux
qui s’élèvent de dessus cette isle où l’étendart de la liberté
flotte encore ? Le sang y coule en pleine paix ; les citoyens
s’y égorgent ; la divinité qu’ils adorent, plus cruelle que la
tyrannie, leur demande sans cesse de nouvelles victimes. Sur
quelques lieux de la terre que s’arrête ta vue, tu n’appercevras
que peine et privation. Cesse donc de t’envisager sous un aspect
si triste et si humiliant ; oublie un instant tes maux, pour
t’occuper des biens qui te restent. La nature bienfaisante ne
peut-elle adoucir ton sort ? Hélas ! par quelle fatalité,
lorsque la terre est chargée d’une moisson abondante, le
cultivateur ressent-il encore les horreurs de la faim !
Pourquoi, quand les côteaux, enrichis de grappes pendantes,
présentent l’espoir d’une heureuse récolte, le vigneron
misérable peut à peine étancher sa soif et réparer ses sources
avec la liqueur dont son travail est la source ? Les prairies ne
suffisent pas à nourrir les nombreux troupeaux qui
y paissent, et le pasteur indigent n’a pas de quoi se vêtir.
Enfans de la nature, en abandonnant les campagnes pour vous
entasser dans des villes, que de maux, que d’injustices vous
avez créés ! Vous avez quitté les seuls biens pour des
chimères ; vous avez fait dépendre votre bonheur, votre repos,
des conventions humaines. Insensés ! ignorez-vous que l’ouvrage
de l’homme est aussi fragile que lui ? Au lieu de courir après
le hazard, que ne vous êtes-vous attachés à la terre ? elle vous
auroit nouris. Combien d’hommes gémissent aujourd’hui, et
appréhendent la plus affreuse misère ! Combien de père tremblent
pour leurs enfans, qui n’auroient jamais connu la peine et le
souci, s’ils n’eussent dédaigné l’héritage de leurs ancêtres,
s’ils ne se fussent pas livrés aux espérances qui séduisent
l’ambitieux, et l’entraînent au milieu des dangers ! Descendans
des Francs, rappelez-vous ce qu’ont coûté à vos aïeux les
révolutions et les guerres intestines ; je le vois, vous
voudriez revenir à vos anciens privilèges ; craignez, si vous ne
marchez pas d’accord vers ce but glorieux, de ne rencontrer
qu’une nouvelle servitude dans la route périlleuse
de la liberté.
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Metatextualidade
Je commence à sentir combien
l’engagement que j’ai pris est difficile à remplir. Chaque
pas me découvre de nouveaux obstacles. J’éprouve déjà
combien il est triste de percer dans l’avenir, lorsque l’on
ne peut pas dire ce que l’on entrevoit. Cette gaîté douce
qui se communiquoit à mes écrits, s’altère tous les jours ;
mon imagination obscurcie n’enfante plus que des idées
sombres Dans <sic> quel temps suis-je venu, et quels
objets s’offrent à mes regards ! Observateurs de l’humanité,
ô vous qui m’avez précédé, vous n’aviez qu’à décrire la
folie des hommes, leurs jeux frivoles, leurs passions les
secrets mouvemens de leur cœur. Vous pouviez vous amuser de
leurs débats, de leurs vaines querelles : et moi je suis
forcé de les plaindre.
Lettre.
Conjecture sur un troisième Sexe.Nível 3
Carta/Carta ao editor
Monsieur, Voulez-vous bien me
dire si vous ne vous êtes proposé que d’observer deux
sexes ? Ma question vous étonne sans doute ; vous ne
vous étiez peut-être pas encore avisé d’en soupçonner un
troisième ; c’est pourtant sur celui-là que je veux
arrêter mes regards. Je vous vois d’ici lever les
épaules, et rire de pitié ; mais ces êtres foibles et
légers, que les plus petits événemens attirent ou
élèvent au comble de la joie, parlons franchement,
Monsieur, sont-ce là des hommes ? Il seroit trop
ridicule de le penser. Nous ne ferons pas non plus cet
honneur à ces jolies marionnettes si parées et si
ajustées, qui n’attachent d’importance qu’aux choses les
plus frivoles ; qui, remplies de graces et de
minauderies, cherchent à nous subjuguer avec les petits
moyens que nous mettons quelquefois en
usage pour vous séduire. Et ces créatures rampantes, que
l’ambition eu l’intérêt conduit au déshonneur, qui, sans
caractère et sans courage, cèdent à la première
impulsion qu’elles reçoivent, flottent sans cesse entre
l’espoir et la crainte, soyez de bonne foi, monsieur le
Spectateur, les prenez-vous pour des hommes ? Pour moi,
je vous avoue que je me garde bien de mettre au nombre
des femmes ces machines brillantes, dont un goût
d’imitation et une vanité sans esprit dirigent tous les
mouvemens. Et ces êtres glacés, qui n’ont jamais
éprouvé, ni fait goûter le charme du sentiment, qui
prennent leur stupide indifférence pour de la vertu,
imaginez-vous, Monsieur, que je les envisage comme mes
semblables ? Non, en vérité ; vous voyez que j’aurai un
bon nombre de personnages à peindre. Combien de gens qui
se croient les coryphées de leur sexe, seront surpris de
se reconnoître dans les portrait que je ferai de sexe
neutre, je veux dire de celui qui n’a, ni les vertus du
vôtre, ni les charmes, ni les aimables qualités du
mien ! Ce qui me flatte le plus dans mon
projet, c’est qu’il est neuf et original. Je ne sais pas
pourquoi, nous qui avons le coup-d’œil si perçant, nous
ne nous sommes pas encore avisés de faire un ouvrage
dans le genre du Spectateur : certainement nos
observations (je le dis sans vanité) vaudroient bien les
vôtres, messieurs les Spectateurs Anglais et Français ?
Pouvez-vous, par exemple, vous flatter de nous
connoître ? Cependant vous ne cessez de parler de nous.
Hélas ! souvent nous ne méritons pas plus vos éloges que
vos reproches. Croyez-moi, Monsieur, les femmes ne
peuvent être jugées que par elles-mêmes : elles n’y
gagneront pas ; mais elles sauront du moins à quoi s’en
tenir. Pour les hommes, ils n’ont jamais été plus
observés et mieux connus que par nous : la manière dont
nous les traitons le prouve assez bien. Ne soyez donc
pas surpris, Monsieur, si vous voyez tout-à-coup
paroître sur la scène du monde une Spectatrice, dont les
yeux ne seront point obscurcis par les préjugés ; qui,
sans avoir égard aux distinctions, aux dignités, à
l’opulence, et à tous ces signes extérieurs qui caractérisent les hommes et les femmes,
mettra chaque individu à sa place.