Le Spectateur français avant la révolution: XXI. Discours.
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Nivel 1
XXI. Discours. De l’influence des Jeux sur
les Sociétés.
Nivel 2
Je me promenois, il y a
quelques jours, dans un jardin assez bien dessiné. Des moines
qui en sont les maîtres, laissent au public la liberté de le
parcourir. A l’ombre d’une charmille épaisse, je respirois un
air pur, mais mon ame étoit triste et oppressée ; elle sembloit
gémir de sa captivité. En vain je voulois m’occuper d’objets
élevés, lire dans ce vaste livre dont les caractères sont si brillans ; j’errois d’incertitude en incertitude ;
un nuage épais obscurcissoit toutes mes idées : je cherchois la
vérité, et je ne rencontrois que l’erreur. Je me levai pour
sortir. En avançant, j’entendis une troupe de jeunes gens qui
renvoyoient avec force, vers un mur, une balle bondissante.
L’ardeur qui brilloit dans leurs regards, l’impatience qui les
portoit sans cesse d’une place à une autre, l’aimable franchise
qui régnoit dans leurs propos, le desir simple et pur de se
montrer plus vifs, plus adroits, qui les animoit, me faisoit
regretter cette âge où, libre de souci, l’enfant commence cette
longue carrière que l’on nomme la vie. Aimables jeunes gens,
disois-je d’une voix basse, puissiez-vous ne jamais connoître
d’autres jeux ! Je les avois déja examinés quelque temps,
lorsqu’un d’eux, plus fatigué, voulut quitter une partie
commencée. Je fus tenté de le remplacer, mais un peu de honte me
retint. Les autres joueurs étoient très-embarassés ; il falloit
qu’un second se retirât. Tous me regardoient, sans oser me
proposer de jouer avec eux. Cependant, un jeune écolier plus
hardi, et qui craignoit de n’être que le témoin des amusemens de
ses camerades, après avoir hésité quelque temps,
vint d’un air honnête me demander si je voulois accepter la
place de son ami. J’eus l’air de me prêter à ses desirs, et je
me mélai à cette petite troupe bruyante. Si je ne montrai pas
autant d’adresse que les autres, je fis voir peut-être plus
d’ardeur. J’allois çà <sic> et là ; mes regards avides
suivoient la direction de la balle, et mes mains agitées
brûloient de la renvoyer au loin. Alors toutes mes pensées
mélancoliques se dissipèrent ; mon visage enflammé ne portoit
plus l’empreinte de la tristesse. A la fin du jour, je me
séparai de mes jeunes compagnons, et j’allai m’enfermer dans un
appartement échauffé par un nombre infini de lumières. Des
femmes qui environnoient tristement une table de jeu, tendoient
une main avide pour recevoir quelques pièces d’or que des hommes
leur donnoient avec une attention soupçonneuse. Une joie
contrainte, quelques mouvemens d'impatience décéloient le secret
de ces ames dissimulées qui cachent tant d’avarice sous les
dehors de la générosité. O mes jeunes amis, me disois-je ! votre
naïve confiance, cet heureux délire qui vous transportoit valent
bien mieux que les plaisirs froids et silencieux
de gens graves qui croiroient se compromettre en se mêlant parmi
vous, en s’amusant de vos jeux. Pour moi, lorsque je promène mes
regards sur tous ces individus que l’opulence rapproche et lie
de sa chaîne d’or, je suis toujours étonné que de jeunes
guerriers que le feu de l’âge devroit agiter, transporter,
puissent s’assoupir dans l’oisiveté, s’amuser de ces jeux
sédentaires qui ne conviennent plus qu’á l’impuissante
vieillesse. Que voit-on dans ces salons que le luxe fait éclater
de sa magnificence ? A l’exception de quelques jours où la danse
anime ceux qui s’y rassemblent, la conversation n’est qu’un
foible murmure ; le plaisir n’est que le sourire de la
méchanceté ; on n’y voit d’autre action que celle de distribuer
des cartes ; on n’y éprouve d’autre sentiment que celui de
l’intérêt. Les hommes, en vivant avec les femmes qui ont eu
l’adresse de les fixer auprès d’elles, en ont pris le goût et
imité les amusemens. Ils ont remarqué que des assiduités
suppléoient au mérite. De petits soins ont pris dans leur cœur
la place de l’amour, et la récompense a été la même. Ils ont
dédaigné ces exercices si salutaires, où la force
et l’adresse se déployent. Ils ne se sont plus montrés en public
qu’en fermés dans de riches boîtes, comme des animaux rares et
superbes. Leur corps s’est affoibli par le repos ; en perdant
leur force, ils ont aussi perdu leur courage. De petits intérêts
ont succédé à de grandes passions. L’amour de la gloire, de la
patrie, de leurs concitoyens, n’a plus été à leurs yeux qu’une
brillante chimère. Plongés dans le sein du vice, toutes les
vertus leur ont paru imaginaires : le fatal égoïsme a étouffé le
sentiment le plus généreux. Les hommes éclairés, qui savent
combien révolutions les plus étonnantes ont souvent de petites
causes, ne me démentiront pas. Oui, je le soutiens, c’est dans
nos amusemens tristes et frivoles, qu’il faut chercher la cause
de cette inertie et de cette langueur qui nous tuent. C’est dans une vaste enceinte, c’est en
présence de tout un peuple que le cœur s’échauffe, que l’ame
s’agrandit. Princes, si vous ne voulez pas commander à des esclaves, si vous voulez gouverner des hommes, honorez
leurs jeux de votre présence ; donnez des prix à la force, à
l’adresse, au courage ; vos sujets vous aimeront et ne vous
craindront plus. Dans les paix, vos états seront remplis de
citoyens, et tous courront aux armes si vous déclarez la guerre.
Metatextualidad
Je ferai voir dans un autre
discours, combien ces jeux que la Gréce sembloit donner à
l’univers, rendirent ses républiques guerrières et
florissantes.