Le Spectateur français avant la révolution: X. Discours.

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X. Discours Sur l’abandon dans lequel languit la portion la plus utile de la société.

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De tous les hommes assemblés, réunis sous un même gouvernement, il n’y en a pas de plus utile, de plus précieux à la société, que le cultivateur ; c’est lui qui nourrit l’habitant des villes et qui le défend ; ce sont les campagnes qui fournissent à l’état le soldat robuste et docile ; ce sont les villageois qui donnent à un pays un aspect fleurissant : il n’y a qu’une societé de marchands actifs et industrieux qui puisse, comme les Hollandais, exister long-temps sans cultivateurs. L’instant où la culture des terres est abandonnée, où les campagnes sont désertes est celui où un état touche à une révolution funeste. Les Romains (on ne se lasse pas de citer ce peuple si étonnant) ne furent jamais plus à craindre et plus puissans, que lorsque les citoyens habitoient les campagnes et cultivoient la charrue à des mains serviles et étrangères, ils n’eurent plus que de l’orgueil : l’intérêt et l’intrigue prirent dans leur cœur la place du courage. Ce n’étoit pas dans les campagnes que Catilina et ses conjurés alloient chercher des ennemis à sa patrie ; c’étoit dans les quartiers de Rome où la jeunesse, livrée à la débauche, vouloit échapper aux poursuites de ses créanciers et à l’œil du censeur. C’est dans le sein des villes que l’ambition, que la vengeance, que le fanatisme méditent leurs projets destructeurs. Au village, rarement le murmure et les plaintes rompent le silence de la tristesse ; tous les cœurs sont pour l’état ce que l’arbre fleuri est au jardinier ; si un vent du Nord ne vient pas agiter ses branches et dessécher ses fleurs, il le nourrit de son fruit et le couvre de son ombre. Par quelle étrange indifférence s’occupe-t-on donc si peu du sort de ces misérables qui fertilisent les campagnes, et font sortir l’abondance du sein de la terre ? Tous les jours on forme de nouveaux établissemens dans les villes, pour que leurs habitans trouvent dans leur vieillesse un asyle contre la misère et la faim. Des écoles publiques s’ouvrent à la jeunesse : la magnificence des rois a tout prévu ; elle s’est étendue sur les maîtres et sur les disciples. Mais ces innocentes créatures qui ont reçu le jour dans une chaumière, dont les yeux ne semblent s’ouvrir que pour laisser un passage plus libre aux armes, ne trouvent point d’appui contre ’indigence <sic> : on n’a point encore élevé la voix en leur faveur. Si leur malheureuse mère ne peut les nourrir, si son sein épuisé trompe leur bouche affamée, personne ne veille au soutien de leur débile existence ; la charité foible et impuissante ne retarde que de quelques instans la mort prête à les dévorer. S’ils échappent aux dangers qui environnent leur plus tendre enfance, qui prend soin de leur jeunesse ? Des maîtres doux font-ils germer dans leur ame la bienfaisance et l’humanité ? Les arrache-t-on à cette ignorance stupide qui les rend timides et sauvages ? Un maître brutal, qui de sa voix féroce les intimide, ne leur inspire que de la frayeur. Lorsqu’ils ont atteint l’âge où ils peuvent soulager leur père, partager ses travaux, la crainte de la milice, les fait fuir dans les villes, et les enrôle dans un service honteux. Si la nature les retient au village, près d’une mère indigente, et leur fait braver les dangers du sort, combien de fois ne voyent-ils pas leurs plus douces espérances trompées ? Que de peine ils essuyent, et dont un propriétaire injuste retire tout le fruit ! Si, au milieu des épines, dont leur triste carrière est semée ils parviennent à la vieillesse ; lorsque leur mains tremblantes ne peuvent plus tracer un sillon, que leur voix foible et mouvante ne peut exciter leurs chevaux épuisés, où trouvent-ils un asyle où ils puissent achever de mourir ? Hélas ! à la honte de l’humanité, ce vieillard brûlé par le soleil, qui a tant de fois détrempé la terre de ses sueurs, s’il se présente à la porte de ces hôpitaux magnifiques, il est indignement repoussé. . . . . . . . . ceux qu’il a nourris toute sa vie, refusent de le nourrir un instant, et il ne lui reste que la honte d’aller mendier son pain. Ne dites point, ô vous qui nagez dans l’abondance, et dont le cœur est endurci par l’opulence, que tous ces maux sont sans remède ; que la peine et le malheur sont nécessairement attachés à la portion d’hommes qui le méritoit le moins. Oserez-vous soutenir qu’il est impossible d’augmenter le nombre de ces filles charitables qui donnent si généreusement leurs soins à la jeunesse, et des secours à l’humanité souffrante ? En soumettant ces filles, peu éclairées, il est vrai, mais douces et bienfaisantes, à l’inspection d’un médecin chargé de les instruire, de les guider, de quelle utilité ne seroient-elles pas pour les campagnes ? Elles iroient visiter le laboureur qui n’a plus de femme, et repose accablé de langueur sur sa couche endurcie par la misère ; elles lui offroient les alimens qui lui sont si nécessaires dans son épuisement ; elles lui rendroient les forces que la peine et le besoin lui ont êtées. Un jour, sans doute, ces tombeaux ont de jeunes victimes de l’avarice et de l’ambition descendent toutes vivantes, où des cœurs, livrés aux regrets et à d’inutiles desirs, gémissent en silence, cesseront d’être habités. Ne pourroit-on pas en détourner les revenus sur ces filles dont l’instruction est si utile aux malheureux ?1 Les vieillards qui sont parvenus à cet âge où ses forces l’abandonnent, ne devroient-ils pas trouver une retraite douce et salutaire dans ces maisons où des moines riches et oisifs languissent si tristement ? Pourquoi ces hommes si pieux ne rendent-ils pas à la misère ce qu’ils tiennent de l’opulence ? Qu’ils inspirent à la jeunesse l’amour de la justice ; qu’ils lui fassent aimer le travail, et haïr la servitude ; qu’ils fassent régner autour de leur demeure la bienfaisance et la paix ; alors, la société ne les envisagera plus comme des êtres inutiles ; leurs richesses, versées sur l’industrie et l’indigence laborieuse, n’exciteront plus l’envie, et ils n’entendront plus les murmures qui les effrayent. Plus les villageois sont éloignés de la capitale et des grandes villes, plus leur misère est affreuse. Les regards de ces femmes généreuses et compatissantes qui vont à leur terre ramener l’abondance et le plaisir, ne s’abaissent jamais sur leur pauvreté ; leurs travaux ne sont pas multipliés par les caprices et la vanité de l’opulence.

Lettre.

Confidence d’un Joueur. Nous avons reçu la lettre d’un jeune étourdi qui a perdu, dans une nuit, presqu’une année de son revenu. Après s’être emporté contre le malheur qui s’attache à lui et change tous ses plaisirs en des peines cruelles, il se consoloit par cette réflexion :

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Lettera/Lettera al direttore

Mes créanciers, se disoit-il, ne sont-ils pas encore plus à plaindre que moi ? J’ai mis ce que je leur devois sur ma carte ; est-ce ma faute si la fortune s’est déclarée contr’eux ? Oui, mon cher bijoutier, vous qui m’offrez vos diamans de si bonne grace, vous avez joué cette nuit d’un malheur affreux ; et toi, mon ami Lallemand, qui m’a vendu de si beaux chevaux, tu méritois d’être plus heureux. Je vois d’ici mon tailleur ; il est pâle et inquiet ; il a bien l’air d’un joueur qui n’a pas passé une seule fois. Voilà ma jeune marchande de dentelles ; la petite friponne ! si elle eut tenu la main, elle auroit ruiné tous les pontes. . . . O Dieu ! j’entends la voix de mon tapissier, de mon carrossier, de tous mes fournisseurs. Que de malheureux ! . . . . J’ai le cœur déchiré : je vais à ma campagne pour ne pas être le témoin de leur douleur ; je ne les verrai de six mois.

1Les Sœurs-grises