Citazione bibliografica: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "IX. Discours.", in: Le Spectateur français avant la révolution, Vol.1\009 (1795), pp. 71-75, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4118 [consultato il: ].


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IX. Discours.

Suite de la réfutation du Systême de la Nature

Livello 2► Je ne me flatterai point d’avoir renversé le nouveau systême de la nature, parce que j’ai hasardé quelques réflexions sur cet ouvrage. Un édifice vaste et solide n’est pas consumé par des étincelles ; une flamme active et dévorante peut seule ébranler ses fondemens, et le faire rentrer dans la poussière.

J’aime à croire que l’auteur du nouveau systême de la nature n’a pas voulu enhardir le méchant, briser le frein qui l’arrête, et lui faire goûter cette paix, cette insouciance que l’habitude du crime donne au coupable. Il n’a pas prévu qu’un jour le généreux citoyen, qui brave la haine et persécution ; que l’homme vertueux qui souffre, sans murmurer, les malheurs attachés à son existence, sentiroient leurs ames flétries de tristesse, en voyant un nuage épais s’arrêter sur [72] cet avenir brillant qui faisoit leur espoir et nourrissoit leur courage.

Il a cru rendre l’homme moins malheureux, en dissipant ses frayeurs, ses incertitudes ; mais il n’a pas senti qu’en le fixant à la terre, il l’arrêtoit dans un séjour de peine et d’injustices ; qu’en détruisant l’espérance de cette heureuse égalité, qui donne à l’esclave la force de supporter sa chaîne, il étouffoit cette voix qui dit à l’opprimé : Tu seras un jour vengé.

Suivant l’auteur du nouveau systême à la nature, l’homme n’est point libre ; esclave de ses sens, il n’obéit jamais qu’à l’impulsion qu’il en reçoit ; mille causes secrettes agissent sur lui et le déterminent à son insçu c’est un aveugle qui, changeant de guide, marche, tantôt sur un sentier hérissé d’épines quelquefois sur la pelouse ; c’est à sa nature modifiée d’une manière quelconque, qu’il doit, et ses vertus, et ses vices ; c’est elle qui est le principe irrésistible de toutes ses actions, et même de ses pensées. Ecrivain exact et méthodique, penseur profond, c’étoit donc à l’impulsion de vos sens que vous cédiez, lorsque vous jettiez sur le papier vos premières idées ; que vous traciez à [73] plan de cet ouvrage écrit avec tant de force et de génie ? C’étoit la nature outragée, inconnue, qui vous forçoit à prendre sa défense, à renverser l’idole que l’homme adoroit. Si vous n’avez pu résister à cette puissance qui gouverne tous les êtres, qui osera vous en faire un crime ? quel tyran sera assez injuste pour vous en punir ? Mais cet homme, ébloui par l’éclat des pierreries, ébranlé par le desir de les posséder, en étendant la main sur l’écrin qui en est enrichi, ne dira-t-il pas aussi qu’il n’a fait que céder au mouvement de la nature ? que ce sont ses yeux enchantés qui l’on jetté dans le délire, qui ont dissipé toutes ses idées de justice ? Ne prouvera-t-il pas que le charme agissant plus puissamment sur lui que la crainte, il a dû nécessairement voler, et qu’il n’est pas plus coupable que le roseau qui plie sous le vent auquel il ne peut résister ?

En suivant la chaîne de ces idées, le sage que l’or ne peut dégrader, que l’espoir des honneurs ne peut avilir, ne seroit que le rocher qui s’est élevé sous la main puissante de la nature, et oppose sa masse énorme à la fureur des flots. Le conquérant qui dévaste [74] les provinces, qui submerge tout un peuple dans des flots de sang, ne devroit pas inspirer plus d’horreur qu’un tourbillon de feu qui brûle et consume nécessairement tout ce qu’il rencontre.

Le courtisan fourbe et artificieux ne sera pas plus méprisable que le sable mouvant que l’onde entraîne dans son cours.

Ne dites pas, homme vrai, que vous avez obéi à la nature, en écrivant ; c’est elle que vous avez soumise ; elle vous annonçoit la haine et la persécution, vous avez étouffé sa voix, et surmonté les craintes qu’elle vous inspiroit. Elle avoit cédé aux leçons de l’enfance ; vous l’avez forcée de rejetter les premières idées qu’elle avoit adoptés : elle avoit plié le genou devant la divinité ; vous vous êtes élancé avec fureur sur son image, et vous l’avez déchirée aux yeux de ses admirateurs.

Vous vous êtes trompé ; vous avez cru terrasser, dissiper les ennemis de l’humanité et vous n’avez fait que lui en donner de plus terribles. Hélas ! je le sais, la religion n’est pas toujours un frein pour le coupable ; l’usurier se mêle avec la foule qui pénètre dans les temples, et va ensuite exprimer le sens [75] de l’indigence. On a vu des soldats vainqueurs élever vers l’Eternel des mains teintes du sang des hommes.

Le ministre lui-même se joue quelquefois des vérités qu’il enseigne, et méprise le peuple qui l’écoute. Mais combien d’hommes foibles sont arrêtés par la crainte de l’avenir ! Combien de femme n’osent admettre dans la couche nuptiale l’amant qui les en conjure, parce qu’elles prévoyent déjà les remords et la honte qui suivroient leur faute ! Combien de malheureux porteroient sur leur cœur un fer homicide, s’ils ne redoutoient l’Etre puissant qui leur ordonne de supporter la vie ! ◀Livello 2 ◀Livello 1