Le Spectateur français avant la révolution: V. Discours.
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6520
Nivel 1
V. Discours.
Nivel 2
De Nesle-la-Reposte en Champagne, en 3 octobre 1770.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur le Spectateur, J’ai
toujours beaucoup aimé le Spectateur Anglais. Ces
lettres que chacun lui écrivoit à sa fantaisie, me
faisoient desirer qu’il y eut une pareille
correspondance ouverte à Paris : elle l’est et je me
hâte d’en profiter. Je suis, monsieur le Spectateur, un
honnête homme de prêtre, pas jeune, pas riche, pas
bien-portant : ainsi jugez de combien de choses j’avois
besoin. Cependant j’avois fait un petit raisonnement, ou
un petit calcul (comme vous voudrez, M. le Spectateur ;
ne prenez pas, s’il vous plait, garde à mon style), par
lequel je m’étois démontré qu’une petite pension de cent
écus suffiroit pour égaliser mes facultés à mes besoins.
O prêtres opulens ! quelqu’un de vos immenses bénéfices
n’auroit pas succombé sous cette charge ;
vous n’en auriez pas été moins jeunes, moins riches et
moins bien-portans ; et moi, cent écus devoient me
rajeunir, m’enrichir et me guérir. Suivant ces saintes
paroles, demandez, et il vous sera donné ; cherchez, et
cous trouverez ; frappez, et il vous sera ouvert, je
demandois, je cherchois, je frappois ; hélas ! c’étoit
en vain. Parlez un peu, je vous prie, de ces protecteurs
qui rendent leurs protégés si malheureux. La bassesse de
ceux-ci justifie quelquefois, il est vrai, l’orgueil des
autres ; mais conseillez sur-tout à ces hauts messieurs,
à ces hautes dames, plus de discernement. J’ai vu
donner, moi qui vous parle, des cent pistoles de rente à
des personnes qui n’auroient en besoin tout au plus que
de cinquante écus ; car j’avois, j’en suis sûr, le
double de leur âge, le double de pauvreté, le double de
maladie, et je ne demandois que cent écus. Un peu de
justice rendroit la répartition égale ; mais tout soit
dit là-dessus. Je suis content ; que les autres le
soient, je n’envierai pas leur sort. Or voici comme je
suis content. Au lieu de cent écus que je desirois, j’ai
obtenu quatre cents livres ; et ce qui me touche presque
autant, c’est la manière avec laqualle
ils m’ont été donnés. Ecoutez, monsieur le Spectateur,
on conseille plus volontiers qu’on n’agit. « Monsieur
n’est pas jeune ? qu’il se ménage. Monsieur est malade ?
qu’il fasse ci, qu’il fasse ça. Il n’est pas riche ?
qu’il aille ici, qu’il aille là ». Voilà ce que tout le
monde me disoit, et mon sort ne changeoit pas. Enfin,
tant il est vrai cependant qu’un bon conseil est une
bonne chose, on me dit un jour : « Allez voir madame
de * * * ; elle a « entendu parler de vous, et elle aime
à obliger ! » Oh ! monsieur le Spectateur, que de
madames avoient entendu parler de moi, et qu’on disoit
aimer à obliger ! Néanmoins celle dont on me parloit
(j’avois en déjà l’honneur de la voir dans quelques
maisons), annonçoit par la noblesse de sa physionomie
tant de noblesse d’ame ; les graces de toute sa personne
promettoient tant de bonté ; ses discours étoient si
obligeans ; elle unissoit si bien les charmes de la
figure et de l’esprit avec les sentimens d’un bon cœur,
que je dis : essayons encore et si je suis trompé dans
l’espérance que j’ai de trouver cette dame
généreuse, je ne croirai plus à la générosité. Etant
ainsi déterminé, un matin, je me présente chez elle ; on
m’annonce ; elle me fait dire d’attendre. Je crus que ma
demande alloit être rejettée, ou qu’elle seroit oubliée,
ce qui est encore pire à mes yeux ; car celui qui
demande n’a pas le droit d’exiger qu’on lui accorde,
mais il peut exiger qu’on ne le trompe pas. J’attendis
long-temps, et même assez, pour me résoudre à ne point
paroître importun, au moins pour cette fois. On me fit
entrer, et l’acceuil le plus honnête me rendit quelque
courage. Après des discours indifférens, cette dame me
dit : « J’écrivois à monseigneur * * *. Si vous n’avez
aucune affaire ce matin, vous m’obligerez de lui porter
ma lettre, que je desirerois faire remettre à
lui-même ». La manière dont cette commission me fut
proposée, me donna le desir de l’exécuter. Je me hâtai
de porter la lettre ; j’arrive. Ce seroit un tableau
bien digne de votre pinceau, que celui de ces
antichambres où voltigent les sollicitudes sur le front
des solliciteurs ; où celui qui demande le plus, croit
obtenir le moins ; où les passions les plus
violentes sont en proie sous le joug de la cupidité.
L’impatience de la foule des demandeurs frémit à
l’aspect d’un concurrent de plus. Cependant comme ma
mine annonçoit beaucoup de patience, ils comptoient
qu’on l’exerceroit. Quel fut donc leur étonnement, quel
fut le mien, lorsque je pénétrai avant eux dans
l’appartemen <sic> ! Le prélat, qui a toujours
reconnu combien madame de * * * use prudemment du crédit
qu’elle a sur son esprit, voulut voir tout de suite une
lettre qu’un ecclésiastique apportoit de sa part. Je la
lui présentai humblement ; il la lut, et me dit :
Je ne pus en lire davantage ; mille affections
diverses m’ôtèrent presque l’usage de mes sens. J’accourus chez ma bienfaitrice, pénétré
d’admiration pour elle et pour celui à qui elle m’avoit
adressé : les expressions me manquoient ; mes larmes
l’assurèrent de toute ma reconnoissance ; et afin
qu’elle soit publique, je vous prie, monsieur le
Spectateur, d’insérer cette lettre dans vos feuilles.
Nivel 4
Carta/Carta al director
« Monsieur, cette
lettre vous intéresse, et ce qu’on me demande pour
vous est accordé ». Alors il me la montre, et j’y
lis : « L’ecclésiastique qui vous remettra ma
lettre attend depuis long-temps, de votre
bien-faisance, une légère pension qui lui est
nécessaire, à cause de ses infirmités. Le siége
d’* * * est vacant ; si vous voulez bien lui faire
accorder quatre cents livres de pension sur les
revenus « . . . .