Le Spectateur français avant la révolution: Premier Discours.
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Level 1
Premier discours.
Level 2
Les feuilles du Spectateur Anglais
furent reçues avec transport par un peuple qui aime la vérité,
et qui est digne de l’entendre. Les hommes les plus célèbres,
dont l’Angleterre s’honore, ont travaillé à cet ouvrage
philosophique, Stéele, le peintre de l’humanité ; le sage
Adisson, l’un des plus beaux génies de sa nation, l’ont enrichi
de plusieurs discours qui le rendront immortel. Le génie
observateur de ces grands écrivains n’a voulu saisir que les
ridicules et les vices d’un peuple, si différent de nous par son
caractère, ses habitudes et ses loix. Si le
Spectateur Anglais adouci l’humeur brusque et sauvage d’une
noblesse impérieuse : s’il a retenu dans l’honnêteté, dans la
décence ce sexe charmant auquel la modestie et la crainte
donnent tant de graces ; s’il a calmé l’esprit bouillant et
dissentieux, qui nourrissoit le trouble et la discorde chez un
peuple fier de sa liberté ; pourquoi le Spectateur Français ne
pourroit-il pas ramener la pudeur sur le front de la beauté que
le crime entraîne ? Pourquoi ne rendroit-il pas l’homme plus
vrai, plus généreux ? Pourquoi ne le feroit-il pas rougir de ces
détours qu’il employe pour devenir plus riche ou plus puissant ?
M. de Marivaux nous a prouvé que nous pouvions ne pas être
inférieurs aux Anglais, dans le genre du Spectateur. La lettre
d’un père délaissé par un fils qu’il aime encore ; celle d’un
époux que l’avarice de sa femme rend malheureux ; celle d’une
jeune personne, excédée de la dévotion de sa mère ; les feuilles
où il peint la jalousie industrieuse des femmes, et décrit la
douleur d’une amante trop généreuse, livrée à la honte et un
désespoir, annoncent qu’il auroit pu nous donner un excellent
Spectateur. : mais son génie paresseux et
indépendant s’est bientôt fatigué ; il est devenu long et
diffus ; il a laissé à d’autres le soin de payer au public le
tribut qu’il s’étoit imposé. Moins légers, moins agréables que
lui, nous nous efforcerons de le surpasser par la vérité de nos
portraits, par le naturel d’un style moins recherché que le
sien. Nous ne nous vouerons pas au mépris, à la haine, pour
plaire à la malignité ; nous ne voudrions pas d’une célébrité
qui nous coûteroit notre estime. Lettre D’un Mari qui n’en a que
le titre.
Level 3
Letter/Letter to the editor
Monsieur, Je me suis marié
avec une jolie femme, pour être souvent près d’elle,
pour lui dire combien je la trouve aimable, et il n’y a
personne qui la voye moins que moi. Premièrement, elle a
un appartement trèséloigné du mien. J’ai eu
beau lui représenter qu’étant mon époux, la moitié
d’elle-même, nous devions reposer dans la même chambre :
jamais je n’ai pu lui faire entendre raison. Elle m’a
demandé de quel pays je venois, et elle a aussi-tôt
donné des ordres à son tapissier. Il a fallu en passer
par où elle a voulu. J’imaginois la voir le matin, lui
rappeler quelque fois que j’étois son mari : le
croiriez-vous, Monsieur ? si je me présente chez elle,
on me dit qu’elle repose ; et si j’ose avancer, elle me
demande, en colère, si j’ai juré de la faire mourir, en
interrompant son sommeil, et ce que je lui
veux ? . . . . Ce que je lui veux ! belle demande ! Je
m’en retourne tout confus, dans l’espérance de la voir à
son lever ; mais ce sont des coiffeurs, des bijoutiers,
de jeunes marchandes qui l’environnent ; et si je
parois, tout ce monde-là me présente des mémoires qui ne
finissent pas : je n’ai rien de mieux à faire que de
m’enfuir. Lorsque le dîné est servi, des hommes que je
n’ai pas le temps de connoître, car ils se renouvellent
tous les jours, se demandent si je suis Monsieur. . .
Ils me saluent d’un air assez leste, et vont écouter ma
réponse auprès de ma femme, qui est
radieuse, qui leur parle avec un certain
intérêt. . . . . Mais que dire ? A peine songe-t-on à
moi pendant tout le repas. Après le dîné, en attendant
l’heure du spectacle, ou celle des visites, ma femme
fait son brelan ; et quand elle seroit sûre de me gagner
tout ce que je possède, je doute que’elle me fit
l’honneur de m’admettre à sa partie. Un viel abbé, qui a
pitié de moi, me propose un trictrac, et on nous envoie
bien loin, pour ne pas étourdir les joueurs. Je n’ai pas
besoin de vous dire qu’il n’y a jamais de place pour moi
dans la loge de ma femme. En vérité, je crois qu’elle
rougit de m’avoir pour époux. Morbleu, si je m’en
doutois ! . . . . La voilà, je crois l’entendre ; oui,
c’est elle. Qu’elle est belle ! que son œil est doux et
tendre ! Je parie que c’est de l’argent qu’elle vient me
demander. Je l’avois bien deviné. Elle est ce soir d’un
grand souper (on a oublié de m’en prier) : on jouera un
cavagnol ; ce maudit jeu me coûte cruellement, et ne
m’amuse guère. Voilà donc encore trente louis de
donnés ! Si je l’avois écoutée, je n’en aurois pas été
quitte pour cinquante. Elle m’a tendu la
main avec l’air de me dire : Recevez la prix de votre
générosité. Je voulois lui faire comprendre combien je
la trouvois aimable, mais elle m’a répondu en souriant,
qu’on l’attendoit. C’en est fait, elle ne reviendra que
sur les trois ou quatre heures du matin. Convenez,
Monsieur, que j’ai fait une grande sotise d’acheter de
toute ma fortune une femme que je vois à peine, qui ne
me parle que de ce qu’elle doit, qui ne me sourit que
lorsque mes mains remplies d’or s’étendent vers elle. Si
jamais je suis ruiné, que je lui paroîtrai triste et
maussade ! Ce qui me donne encore plus d’humeur, c’est
que tout le monde me dit que j’ai une épouse charmante,
que je suis le plus heureux des maris. . . .
Heureux ! . . . hélas ! je n’ai d’autre bonheur que
celui de payer ses dettes.