La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois: Livre onzieme.
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Nível 1
Livre Onzieme.
Nível 2
Metatextualidade
Depuis la publication de notre dernier discours, nous avons
reçu deux lettres, qui nous paroissent l’une & l’autre, & je crois que chaque
lecteur en jugera de même, tendre visiblement à prouver un seul article de grand
importance ; on pourroit même croire que les auteurs ont été d’intelligence ensemble,
& qu’ils ont seulement pris différentes routes pour parvenir au même but. Quoiqu’il en soit, & au risque de passer auprès de ceux qui prétendent être les
plus sages, pour des esprits foibles, & des gens de la vieille mode qui ajoutent foi à
ce que leurs ancêtres n’ont jamais revoqué en doute, nous insererons avec plaisir
non-seulement les lettres que ces deux correspondants nous ont fait la faveur de nous
écrire, mais encore tout ce qui nous sera communiqué dans la suite avec les mêmes vûes.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
A la Spectatrice.
Madame, « J’ai parcouru avec une satisfaction peu commune votre agréable essay du premier de ce mois, dans lequel vous exhortez si justement, & si obligeamment les personnes de votre sexe à s’appliquer à ce qui seul peut les rendre ce qu’elles souhaitent d’être, nos égales, & ce que nous voudrions de tout notre cœur qu’elles fussent, nos aides. Je puis vous assurer, que quoiqu’homme je ne suis point de ces seigneurs & de ces tyrans impérieux, qui voudroient leur refuser tous les priviléges dont elles peuvent faire un bon usage ; & je conviens volontiers que c’est un devoir indispensable pour leurs parens, leurs tuteurs ou leurs époux, de cultiver autant qu’il est en leur pouvoir, le génie de celle qui est sous leur protection. Comme vous recommandez aux Dames l’étude de la Philosophie, & que plusieurs excellentes réflexions sont repandues à ce sujet dans vos ouvrages, je suis persuadé, que vous n’êtes pas novice dans une science, dont vous parlez d’une manière si persuasive. Quand je parle de la Philosophie, j’entends la plus utile de ses branches, qui nous enseigne la connoissance de nous-mêmes, qui nous éclaire sur la nature de ce qu’il y a de plus noble en nous, savoir de notre ame ; la manière dont elle agit par l’entremise des organes du corps, pourquoi elle est tellement limitée, & comment elle opéreroit si elle étoit débarrassée de la matière. J’ose croire que vous avez réfléchi attentivement sur tous ces sujets ; & quoiqu’on ne doive point attendre de réponse définitive à cet égard, qu’il soit même impossible d’arriver à la certitude où le Tout-puissant à <sic> opposé une barrière à la pénétration humaine ; cependant les différentes opinions que nous entendons sur une question qui nous regarde de si près, étendent nos propres idées, & sont un fond de plaisir pour un esprit qui aime la contemplation. Que nos ames soient très différentes de celles d’aucune autre espéce de créatures qui nous soit connue, c’est ce que Lucrece, ni aucun de ses sectateurs n’ont jamais osé nier ; mais ils mettent l’instinct des brutes si près de la raison humaine, que s’ils donnent quelque preference à la dernière, elle est bien petite ; ils nous disent que chaque animal a assez de sagacité pour pourvoir à sa propre conservation ; ce qui est plus que nous ne pouvons dire de cette souveraine raison dont nous nous faisons tant d’honneur, pusiqu’étant sujette à être subjuguée continuellement par differentes passions, elle ne peut pas empêcher que nous ne tombions souvent dans des maux que les brutes on la sagesse d’éviter. Comment ces malheureux penchants se sont-ils introduits dans notre nature, par quel moyen on peut en arrêter le cours, & si ce renoncement à nous mêmes doit-être suivi d’aucune autre recompense après celle qu’une vie reguliere & vertueuse nous procure dans ce monde, c’est ce que je laisse à examiner aux Théologiens. Je ne prétends soutenir que la supériorité de la nature humaine ; je veux prouver que la sagacité des animaux ne peut point être mise en parallèle avec notre pouvoir de réflechir, & qu’il y a quelque chose dans l’ame qui prouve qu’elle est d’origine divine & réellement une émanation de la grande Ame de l’Univers, & par conséquent qu’elle doit être incorruptible & immortelle. Laissons donc à ceux qui semblent se plaire à dégrader leur propre nature en la mettant de niveau avec celle des brutes, laissons leur, dis-je, soutenir que l’instinct de celles-ci égale notre raison ; que les remords que nous sentons à chaque mauvaise action sont un effet du préjugé & de l’éducation ; que la conscience n’est qu’un nom sans aucune réalité, vuide de sens ; & dire avec Dryden, que Qu’ils poursuivent cet argument, tout foible qu’il est, & depourvu de
fondement ; je n’entrerprendrai pas de le refuter : je connois une autre methode pour les
convaincre, & qui est, à mon avis, plus demonstrative que si on prétendoit prouver
par la pensée, la réflexion, l’invention & les autres facultés de l’ame, que c’est
une substance immortelle. Il y a dans nous quelque chose que ni Prêtre, ni nourrice n’ont
pû nous inspirer : quelque chose dont nous ne pouvons pas disposer, soit pour nous en
servir lorsque nous en avons le plus grand besoin, soit pour le repousser, quoique nous
fassions nos plus grands efforts pour en venir à bout. Il brille devant nous quand nous
ne l’attendons pas, il est avec nous & il n’y est plus dans le même instant, comme l’éclair il est soudain, violent, & il ne paroit pas plutôt qu’il
s’évanouit. Je veux parler de ces pressentimens secrets qui se font sentir avec plus ou
moins de vivacité, à tous les hommes ; je n’ai encore vû personne qui m’ait nié de les
avoir éprouvés une fois ou une autre dans le cours de sa vie. Lorsque nous voulons jouir
de quelque relâche, après avoir mis de côté nos soins & nos soucis, & que nous ne
pensons qu’à nous divertir avec nos amis, un rayon de ce divin attribut viendra nous
atteindre & nous dire que telle ou telle chose arrivera ; mais il est alors flottant,
passager, il s’évanouit au même instant qu’il s’est montré, & nous n’y faisons aucune
attention, jusqu’à l’arrivée de l’évenement qu’il avoit prédit : alors il révient à notre
esprit, & semble nous reprocher le peu de cas que nous en avons fait. En vain
voudra-t-on les faire passer pour le résultat de quelques pensées précendentes, qui nous
revient à l’esprit lorsque nous ne le rappellons pas ; parce que ces éclairs de préscience régardent souvent des affaires auxquelles nous n’avons jamais pensé, ou
qui ne nous sont d’aucune importance, & si nous nous souvenons ensuite d’en avoir eu
le pressentiment, c’est lorsque nous en entendons parler. Ainsi comme ces émanations
soudaines ne nous sont d’aucune utilité dans la conduite de nos affaires, parce qu’elles
ne se conservent pas dans la mémoire, & que ce seroit une très grande impieté de
s’imaginer que les grand Autheur de la nature fait quelque chose en vain, ne devons-nous
pas croire qu’il nous les envoye pour nous convaincre que nous avons au dedans de nous
une partie de sa divine essence, afin que nous nous formions une haute idée de la dignité
de nos ames, que nous benissions incessamment, & que nous exaltions avec une humble
réconnoissance l’Autheur de ces immenses bienfaits, & que nous évitions soigneusement
de commettre aucune action qui nous en rende indignes ? Comme je n’ai jamais trouvé qu’on
se soit servi de cet argument pour prouver l’immortalité de l’ame ; je ne
m’attendrois pas qu’il eût beaucoup de force, si je n’étoit pas convaincu que chaque
lecteur en sentira la vérité dans son propre cœur ; pour moi, je le regarde comme une
preuve au dessus de toute défaite, & qui semble destinée à être universelle ; parce
qu’elle n’est pas fondée sur des principes abstraits, & que l’esprit le plus mediocre
peut la saisir comme le plus grand génie. Dans un siécle tel que celui-ci, où la
persuasion d’un anéantissement total est un article de foi à la mode, on devroit
encourager toutes les tentatives qu’on fait, pour empêcher qu’une doctrine si absurde
& qui tend manifestement à augmenter la corruption, ne jette de profondes racines ;
c’est pourquoi je me flatte que vous daignerez insérer ceci dans le premier discours que
vous publierez ; & si vous avez la bonté d’y joindre votre opinion sur ce sujet,
j’ose repondre que vous obligerez la plus grande partie de vos lecteurs, &
particulierement celui qui a l’honneur d’être avec la plus grande
consideration. »
Platonides.
Madame, « J’ai parcouru avec une satisfaction peu commune votre agréable essay du premier de ce mois, dans lequel vous exhortez si justement, & si obligeamment les personnes de votre sexe à s’appliquer à ce qui seul peut les rendre ce qu’elles souhaitent d’être, nos égales, & ce que nous voudrions de tout notre cœur qu’elles fussent, nos aides. Je puis vous assurer, que quoiqu’homme je ne suis point de ces seigneurs & de ces tyrans impérieux, qui voudroient leur refuser tous les priviléges dont elles peuvent faire un bon usage ; & je conviens volontiers que c’est un devoir indispensable pour leurs parens, leurs tuteurs ou leurs époux, de cultiver autant qu’il est en leur pouvoir, le génie de celle qui est sous leur protection. Comme vous recommandez aux Dames l’étude de la Philosophie, & que plusieurs excellentes réflexions sont repandues à ce sujet dans vos ouvrages, je suis persuadé, que vous n’êtes pas novice dans une science, dont vous parlez d’une manière si persuasive. Quand je parle de la Philosophie, j’entends la plus utile de ses branches, qui nous enseigne la connoissance de nous-mêmes, qui nous éclaire sur la nature de ce qu’il y a de plus noble en nous, savoir de notre ame ; la manière dont elle agit par l’entremise des organes du corps, pourquoi elle est tellement limitée, & comment elle opéreroit si elle étoit débarrassée de la matière. J’ose croire que vous avez réfléchi attentivement sur tous ces sujets ; & quoiqu’on ne doive point attendre de réponse définitive à cet égard, qu’il soit même impossible d’arriver à la certitude où le Tout-puissant à <sic> opposé une barrière à la pénétration humaine ; cependant les différentes opinions que nous entendons sur une question qui nous regarde de si près, étendent nos propres idées, & sont un fond de plaisir pour un esprit qui aime la contemplation. Que nos ames soient très différentes de celles d’aucune autre espéce de créatures qui nous soit connue, c’est ce que Lucrece, ni aucun de ses sectateurs n’ont jamais osé nier ; mais ils mettent l’instinct des brutes si près de la raison humaine, que s’ils donnent quelque preference à la dernière, elle est bien petite ; ils nous disent que chaque animal a assez de sagacité pour pourvoir à sa propre conservation ; ce qui est plus que nous ne pouvons dire de cette souveraine raison dont nous nous faisons tant d’honneur, pusiqu’étant sujette à être subjuguée continuellement par differentes passions, elle ne peut pas empêcher que nous ne tombions souvent dans des maux que les brutes on la sagesse d’éviter. Comment ces malheureux penchants se sont-ils introduits dans notre nature, par quel moyen on peut en arrêter le cours, & si ce renoncement à nous mêmes doit-être suivi d’aucune autre recompense après celle qu’une vie reguliere & vertueuse nous procure dans ce monde, c’est ce que je laisse à examiner aux Théologiens. Je ne prétends soutenir que la supériorité de la nature humaine ; je veux prouver que la sagacité des animaux ne peut point être mise en parallèle avec notre pouvoir de réflechir, & qu’il y a quelque chose dans l’ame qui prouve qu’elle est d’origine divine & réellement une émanation de la grande Ame de l’Univers, & par conséquent qu’elle doit être incorruptible & immortelle. Laissons donc à ceux qui semblent se plaire à dégrader leur propre nature en la mettant de niveau avec celle des brutes, laissons leur, dis-je, soutenir que l’instinct de celles-ci égale notre raison ; que les remords que nous sentons à chaque mauvaise action sont un effet du préjugé & de l’éducation ; que la conscience n’est qu’un nom sans aucune réalité, vuide de sens ; & dire avec Dryden, que
Citação/Lema
l’éducation nous jette tous dans l’erreur, que si nous
croyons quelque chose, c’est parce que nous y avons été élevés, que le Prêtre continue
ce que la nourrice avoit commencé, & qu’ainsi l’enfant en impose à l’homme fait.
Madame,
Votre très humble & obéissant Serviteur,Platonides.
Richemond, ce 21. Janv. 1745.
« P.S. Comme ces pressentimens arrivent plus souvent à certaines personnes qu’à d’autres, je m’imagine qu’il seroit fort utile d’insinuer comment on pourroit en profiter ; mais je m’en remets à ce que vous & vos belles associées jugerez convenable. »Nível 3
Exemplo
Je crois que quelques membres de la societé royale ont eu la
curiosité d’essayer, si en insérant le sang d’un animal dans un autre, on opereroit du
changement dans leur naturel ; si cette experience a réussi, c’est ce que je n’ai point
ouï dire, ou que j’ai oublié ; mais ce qui m’a engagé à en faire mention, c’est que le
bruit en étant parvenu aux oreilles d’un jeune Chirurgien, qui avoit une ambition
demesurée de faire parler de lui, il se mit dans l’esprit de faire le même essay entre un
homme & un chat : le projet lui plut tellement, qu’il ne cessoit d’en parler dans
toutes les compagnies où il étoit admis ; & soit qu’il pensât réellement, ou qu’il ne
fit que l’affecter, que l’ame des hommes & celle des animaux étoient de la même nature, & qu’elles consistoient l’une & l’autre dans le sang, il
devint fort amusant pour ses amis les plus libertins, en leur decrivant comment son
homme-chat se teindroit au coin d’une cheminée en faisant le rouet, commet il
s’élanceroit après une souris, joueroit après l’avoir prise, & gronderoit ensuite en
la devorant ; il poussa même à un tel point l’impieté & l’envie de profaner, que se
trouvant un jour dans une compagnie, où il y avoit un Ecclésiastique, & parlant sur
ce sujet, il lui adressa particulierement la parole, & termina ses fanfaronnades en
lui disant. Eh bien Docteur, que deviendra alors votre métier ? Quand j’aurai fait mon
expérience, où sera l’ame immortelle ? Je vous le promets, il vous faudra cesser de
prêcher. Il ajouta encore plusieurs traits également impies & effrontés, auxquels le
bon Ecclésiatique ne répondit que par un sourire de compassion & de mépris. Ce vain
& glorieux jeune homme y pensoit si serieusement, qu’il fit tout son possible pour
obtenir un criminel condamné à mort, sur qui il pût mettre son projet en exécution ; mais
soit qu’on ne jugeât pas à propos de lui en accorder la permission, ou que
les criminels préferassent de souffrir la mort à Tyburn, plutôt que de risquer leur
humanité, plusieurs mois s’écoulerent avant qu’il pût faire son expérience. L’impétuosité
de son temperamment ne s’accommodoit point de tous ces délais, d’ailleurs sa soif de se
faire un nom étoit toujours la même ; ainsi il eut recours à un autre moyen d’en venir à
bout ; & au lieu de faire d’un homme un chat, il entreprit de changer une femme en
lapin, Toute la ville sçait comment cette affaire fut menagée, & les peines que la
Reine défunte prit pour découvrir la supercherie ; aussi méritoit-elle à ce sujet les
remerciems & les éloges, non seulement de son propre sexe, mais encore de tous les
hommes en général, qui sont ou doivent être intéressés à soutenir l’honneur de la nature
humaine.
Citação/Lema
qu’en quittant ce monde, ceux qui sont à la porte de l’autre les voyent tous deux en
même tems.
Metatextualidade
Je vais à présent offrir à mes lecteurs l’autre lettre dont
j’ai fait mention ; comme elle porte avec elle un air de veracité, elle pourra peut-être
servir de preuve que la mort n’a aucun pouvoir sur l’ame, du moins dans l’esprit de ceux
qui ne sont pas résolus de fermer les yeux à tout conviction.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
A la Spectatrice.
Madame, « Puisque le présent âge affecte follement d’avilir tout ce qui regarde le monde intellectuel, sans réflechir au mauvais effet qu’une telle affectation peut avoir sur les sentimens & les mœurs de la postérité, c’est certainement le devoir de chaque personne sensée de contribuer de tout son pouvoir à deraciner ces notions absurdes, qu’on cultive avec tant d’industrie parmi nous, & qui n’ont que trop jetté une profonde racine. Nier la possibilité de l’apparition des esprits, après que les corps sont deposés en terre, c’est renverser toute l’histoire tant sacrée que profane ; cependant comment ne se moque-t-on pas actuellement de cette opinion ! Celui qui tâche de la défendre est regardé par toutes ses connoissances comme un superstitieux & un bigot : c’est envain qu’il prétendra citer le Vieux ou le Nouveau Testament, on a trouvé le moyen d’éluder l’autorité du texte sacré ; & d’ailleurs, il y a des gens assez présomptueux, pour avouer leur incrédulité sur tout ce qui est contenu dans lés <sic> Ecrits divinement inspirés. Je conviens volontiers qu’il y a plusieurs récits d’apparition très-ridicules ; mais qu’en resulte-t-il ? devons nous decréditer toute l’histoire, parce que des romans ont porté ce titre ? devons-nous rebuter tous les voyages, à cause de ceux que le Chevalier Mandeville a publiés ? Ce seroit bannir la partie la plus utile du savoir ; & je puis inférer avec autant de justice, que de nier qu’il y ait jamais eu aucune apparition de personnes decedées, uniquement à cause des contes sans fondement qu’on a fait à ce sujet : c’est déjà faire beaucoup de chemin du côté d’une incrédulité absolue à l’égard de l’immortalité de l’ame, ce qui est le plus terrible coup qu’on puisse donner à la vertu & à la religion en général. Je penche à croire, Madame, par votre manière d’écrire, que vous n’êtes pas du nombre de ces incrédules modernes, & que vous n’êtes pas assez attachée à la force de votre propre pénétration, pour rejetter comme fabuleux tout ce que l’esprit humain ne peut pas expliquer. Dans cette confiance, j’hazarderai de vous communiquer briévement une apparition surnaturelle, dont la vérité m’est parfaitement connue, comme à plusieurs autres personnes d’une veracité incontestable, qui sont encore vivantes.
Je suis entré dans un grand détail sur cette affaire, autant pour prouver que je
n’avois pû être trompé, que pour montrer que Madame de Beauclair n’étoit ni sujette aux
vapeurs, ni superstitieuse, comme on en accuse tous ceux qui prétendent avoir vû des
choses surnaturelles. Je conviens volontiers de la force de l’imagination sur les sens,
& que les contes, qu’on nous a faits dans notre enfance, laissent après eux des idées
qui nous reviennent dans un âge mûr ; mais il ne pouvoit y avoir rien de semblable dans
ce cas. La Dame dont j’ai parlé, bien loin d’avoir aucune appréhension, ou moindre
préjugé à ce sujet, regardoit au contraire toutes les apparitions comme très ridicules & absurdes, & n’auroit jamais pû être convaincue que par le
temoignage de ses propres sens. Il faut avouer, que nous recevons fort rarement de
semblables avertissemens de notre sort ; & on ne doit pas supposer que les esprits
décedés puissent nous visiter quand il leur plait. C’est pourquoi je regarde comme très
présomptueuse toute convention semblable à celle que ces Dames firent entr’elles ; &
quand il est permis de la remplir, nous ne devons pas nous imaginer que ce soit pour
satisfaire la vaine curiosité de ceux qui doutent d’un état à venir, mais plutôt pour
fortifier la persuasion de ceux qui y ajoutent foi. Je pense donc, que quiconque est bien
convaincu de la verité d’un semblable événement, doit le communiquer au public, sur-tout
dans ce tems, où la croyance d’un autre monde, de laquelle depend notre bonne conduite
dans celui-ci, a besoin de tous les secours pour se maintenir parmi nous. C’est seulement
dans cette vue, que je vous ai écrit une lettre si longue, vous laissant en pleine liberté, ou de l’inserer toute entiere, ou seulement de communiquer au public
la petite histoire qu’elle renferme, suivant votre maniére agréable de narrer ». Je suis
Madame,
Le plus constant de vos Lecteurs & votre grand admirateur.
A.B.
Madame, « Puisque le présent âge affecte follement d’avilir tout ce qui regarde le monde intellectuel, sans réflechir au mauvais effet qu’une telle affectation peut avoir sur les sentimens & les mœurs de la postérité, c’est certainement le devoir de chaque personne sensée de contribuer de tout son pouvoir à deraciner ces notions absurdes, qu’on cultive avec tant d’industrie parmi nous, & qui n’ont que trop jetté une profonde racine. Nier la possibilité de l’apparition des esprits, après que les corps sont deposés en terre, c’est renverser toute l’histoire tant sacrée que profane ; cependant comment ne se moque-t-on pas actuellement de cette opinion ! Celui qui tâche de la défendre est regardé par toutes ses connoissances comme un superstitieux & un bigot : c’est envain qu’il prétendra citer le Vieux ou le Nouveau Testament, on a trouvé le moyen d’éluder l’autorité du texte sacré ; & d’ailleurs, il y a des gens assez présomptueux, pour avouer leur incrédulité sur tout ce qui est contenu dans lés <sic> Ecrits divinement inspirés. Je conviens volontiers qu’il y a plusieurs récits d’apparition très-ridicules ; mais qu’en resulte-t-il ? devons nous decréditer toute l’histoire, parce que des romans ont porté ce titre ? devons-nous rebuter tous les voyages, à cause de ceux que le Chevalier Mandeville a publiés ? Ce seroit bannir la partie la plus utile du savoir ; & je puis inférer avec autant de justice, que de nier qu’il y ait jamais eu aucune apparition de personnes decedées, uniquement à cause des contes sans fondement qu’on a fait à ce sujet : c’est déjà faire beaucoup de chemin du côté d’une incrédulité absolue à l’égard de l’immortalité de l’ame, ce qui est le plus terrible coup qu’on puisse donner à la vertu & à la religion en général. Je penche à croire, Madame, par votre manière d’écrire, que vous n’êtes pas du nombre de ces incrédules modernes, & que vous n’êtes pas assez attachée à la force de votre propre pénétration, pour rejetter comme fabuleux tout ce que l’esprit humain ne peut pas expliquer. Dans cette confiance, j’hazarderai de vous communiquer briévement une apparition surnaturelle, dont la vérité m’est parfaitement connue, comme à plusieurs autres personnes d’une veracité incontestable, qui sont encore vivantes.
Nível 4
Narração geral
Vous avez sans doute oui parler de la fameuse Duchesse de
Mazarin, maitresse du Roi Charles II., de qui Mr. Waller parle ainsi, en faisant la
description des belles favorites de ce Monarque. Après que la belle Mazarin, aussi
brillante que le Soleil, a parcouru tous les lieux que cet astre illumine, tour à tour,
elle vole enfin dans cette Isle, comme dans le dernier endroit où elle vouloit faire
triompher ses yeux conquerants. Il est encore vraisemblable que vous avez connu de
reputation, si non personnellement, Madame de Beauclair, qui n’étoit pas moins aimée
& admirée de son frere & successeur Jaques II. ; mais peut-être ne vous a-t-on
pas dit qu’il régnoit entre ces deux Dames une amitié qui se rencontre
rarement entre des personnes du même sexe, surtout si elles vivent à la Cour. La
ressemblance de leur situation y contribua sans doute beaucoup ; elles avoient perdu
chacune leur amant, l’un par la mort, & l’autre par abdication ; toutes deux
avoient un excellent jugement, avoient jouï de tous les plaisirs que le monde peut
procurer, & quand j’eus l’honneur de les connoître, elles étoient arrivées à un âge
où elles devoient mépriser toutes les pompeuses vanités du siécle. Après l’incendie de
Whitehall, on leur donna à chacune un fort joli appartement, joignant les écuries du
palais de St. James. Mais la face des affaires étoit alors totalement changée, de
nouveaux courtisans, des nouvelles maximes se mirent à la mode ; c’est pourquoi ces
deux Dames se bornerent presqu’à se voir l’une l’autre. Ce fut à peu près dans ce
tems-là, que quelques personnes qui vouloient passer pour avoir plus de pénétration que
leurs voisins, commencerent à opposer la raison à la foi, ou du moins à
l’élever contre cette dernière ; cette doctrine se répandit bientôt, & devint un
sujet de conservation entre ces Dames. Je ne dirai pas qu’elles en fussent l’une ou
l’autre entièrement convaincues ; cependant les raisons specieuses qui partoient de
plusieurs personnes renommées pour leur savoir, firent sur elles une telle impression,
qu’elles commencerent à douter fortement de l’immatérialité de l’ame & de son
existence après la mort. Dans l’un des entretiens serieux qu’elles avoient souvent à ce
sujet, elles convinrent, que celle qui seroit appellée la premiére à sortir de ce monde
y reviendroit, s’il étoit possible, pour instruire l’autre de son état. Il paroit que
cette promesse fut souvent repetée entr’elles ; & lorsque la Duchesse tomba malade,
& que tous ceux qui la servoient désesperérent de sa vie, Madame de Beauclair lui
rappella leur engagement reciproque : surquoi Madame de Mazarin lui repliqua, qu’elle
pouvoit compter sur son exactitude à tenir parole. Elles tinrent ce discours environ
une heure avant que cette belle Dame expirât, & en présence de
plusieurs personnes qui étoient alors dans la chambre, & qui ne comprirent point
alors ce qu’elles entendoient. Il m’arriva quelques années après la mort de la
Duchesse, de faire visite à Madame de Beauclair ; la conversation tomba par hazard sur
un état à venir, & cette Dame exprima avec beaucoup de chaleur son incrédulité à ce
sujet ; comme je pensois moi-même tout différemment, & que je la supposois
fermement attachée à la réligion qu’elle professoit, je fut extrêmement surpris de ce
qu’elle me disoit : aussi je pris la liberté de lui alléguer quelques raisons qui me
paroissoient demonstratives en faveur de la croyance d’une vie à venir ; elle me
repondit alors, que tout ce que le monde entier pourroit lui dire, ne la persuaderoit
pas de cette opinion ; & me communiqua ensuite l’accord qui s’étoit fait entr’elle
même & sa chére amie defunte la Duchesse de Mazarin. Je lui représentai en vain
qu’il étoit très apparent que les ames dans l’autre monde n’avoient pas
la permission d’accomplir les engagemens qu’elles avoient formés dans celui-ci ;
sur-tout quand ils ne s’accordoient pas avec la volonté de Dieu, qui, lui dis-je, a
placé une épée flamboyante entre la connoissance humaine, & ce glorieux Eden, dont
nous esperons par la foi d’être les héritiers. C’est pourquoi, ajoutai-je, Madame de
Mazarin peut être en possession de cette immense félicité qui est promise aux
Sectateurs de la vertu, intercéder même actuellement pour que cette chére amie qui
partage son cœur puisse participer au même bonheur, & cependant n’être pas en
liberté de lui apprendre son état, ou seulement si elle existe encore. Tout ce que je
pus dire ne fit pas sur elle la moindre impression, & je trouvai à mon grand
chagrin, qu’elle étoit devenue autant partisane de la nouvelle doctrine de la
non-existence après la mort, que ceux même qui l’avoient publiée, & pour cette
raison j’évitai dès-lors tout discours avec elle sur ce sujet. Peu de mois après cette
conversation, je me trouvai chez une personne de qualité, avec qui Madame
de Beauclair étoit plus liée depuis la mort de la Duchessse de Mazarin, qu’avec aucune
de ses connoissances ; nous étions au jeu, environ à neuf heures du soir, autant que je
puis me le rappeller, quand un domestique entra avec précipitation dans la chambre,
pour dire à la Dame de la maison que Madame de Beauclair envoyoit la prier de venir
chez elle dans ce moment, ajoutant, que si elle vouloit la voir encore en vie, elle ne
devoit pas differer cette visite. Un message si extraordinaire ne pouvoit que
surprendre la personne à qui on l’adressoit ; & ne sachant que penser à ce sujet,
elle demanda qui l’avoit apporté : on lui répondit que c’ètoit le valet de chambre de
Madame de Beauclair ; elle ordonna alors qu’on le fit entrer, & s’informa de lui si
sa Dame se portoit bien, ou s’il lui étoit arrivé quelque chose d’extraordinaire, qui
donnât lieu à cette prompte sommation. Il répondit qu’il ne pouvoit pas en dire la
raison, & qu’à l’égard de la santé de sa Maitresse, il n’avoit pas vû ni oui dire qu’elle se fût plainte d’aucune indisposition. Fort bien, dit cette
Dame, un peu de mauvaise hnmeur <sic> : je vous prie de faire mes excuses, parce
que j’ai réellement un violent rhume, & que je crains que la fraicheur de la nuit
ne l’augmente, mais je ne manquerai pas de me rendre chez votre maitresse demain de
grand matin. Après que ce domestique fut parti, nous commencions à former différentes
conjectures sur ce message de Madame de Beauclair ; mais avant que nous pussions
convenir sur ce qui l’avoit occasionné, le même homme revint & avec lui Madame
Ward, la femme de chambre de cette Dame, l’un & l’autre hors d’haleine, & avec
un visage abbatu. O Madame, s’écria celle-ci, ma maitresse fait paroitre un extrême
chagrin de ce que vous refusez sa demande, parce qu’elle dit que ce sera la dernière ;
elle assure qu’elle ne sera pas en état de recevoir demain votre visite ; & comme
une marque de son amitié, elle vous legue une petite cassete qui contient sa montre,
son colier & quelques autres joyaux, qu’elle vous prie de porter pour
vous souvenir d’elle. En finissant de parler, elle lui remit le légat dont il étoit
question, ce qui joint au discours qu’elle venoit de tenir, nous jetta cette Dame &
moi dans une consternation que nous ne pouvions pas exprimer. Elle auroit voulu entrer
en conversation avec Madame Ward sur cette affaire, mais celle-ci l’évita en disant
qu’elle avoit laissé une simple servante avec Madame de Beauclair, & qu’elle devoit
retourner sur le champ ; surquoi cette Dame s’écria avec précipitation, je veux y aller
avec vous, il y a certainement quelque chose d’extraordinaire dans tout ceci. Je lui
offris de l’accompagner, ayant, comme on peut le croire, une forte envie de voir clair
dans une affaire qui me paroissoit si mysterieuse. Enfin nous y allames dans le même
moment ; mais comme on n’avoit point parlé de moi, & que Madame de Beauclair
pouvoit ignorer que je fusse avec cette Dame quand son domestique étoit arrivé, la
décence & le savoir-vivre vouloient que je restasse dans son
antichambre, à moins qu’elle ne me fit dire d’entrer. Cependant, dès qu’elle apprit que
j’étoit chez elle, elle me fit prier par son domestique de passer dans sa chambre ;
j’obéis, je la trouvai assise dans un fauteuil à côté de son lit, & elle me parut
de même qu’à tous ceux qui étoient presens, en aussi bonne santé qu’on eut pû la
désirer. Comme nous lui demandames si elle sentoit quelque mal intérieur, qui eût donné
lieu à ces tristes pressentimens que son message témoignoit, elle repondit que non :
cependant, ajouta-t-elle, avec un léger soupir, vous me verrez bientôt passer de ce
monde à l’éternité dont j’ai douté une fois, mais dont je suis maintenant convaincue.
En prononçant ces dernières paroles, elle m’envisagea fixement, comme pour me rappeller
la conversation que nous avions eue à ce sujet. Je lui dis que j’étois charmé, de voir
un si grand changement dans ses entimens <sic> mais que je me flattois que cette
conviction ne lui seroit pas fatale ; elle ne me repondit alors qu’aavec
un sombre, souris ; & comme un Ecclésiastique de sa persuasion, entra alors dans la
chambre, nous nous retirames tous, pour le laisser en liberté d’exercer ses fonctions.
A peine une demie heure s’étoit-elle écoulée, qu’on nous rappella, & nous la
trouvames alors plus contente qu’auparavant, parce qu’elle avoit déchargé sa
conscience ; ses yeux, aussi perçans qu’il est possible, brilloient d’un feu peu
ordinaire ; elle nous assura qu’elle mourroit avec plus de satisfaction, puisqu’elle
avoit auprès d’elle dans ses derniers momens les deux personnes qu’elle aimoit le plus
dans ce monde, & que dans l’autre, elle jouiroit de la compagnie de celle qui lui
avoit été si chére durant sa vie. Nous commencions à la dissuader de se livrer à une
pensée qui ne paroissoit pas avoir la moindre vraisemblance, lorsqu’elle nous arrêta en
disant. Ne parlez plus de cela, mon tems est court, & je ne voudrois pas consumer
vainement le peu de tems que je dois rester avec vous ; apprenez, continua-t-elle, que
j’ai vû ma chére Duchesse de Mazarin. Je ne l’ai point vue entrer, mais
en jettant les yeux de ce côté de la chambre, je l’ai apperçue debout, avec le même air
qu’elle avoit pendant sa vie, & le même habit qu’elle avoit accoutumé de porter ;
je voulois lui parler, mais je n’avois pas la force de prononcer une seule parole ;
elle a fait un petit tour le long de la chambre, paroissant plutôt nager que si elle
marchoit ; elle s’est ensuite arrêtée à côté de ce petit cabinet des Indes, & me
regardant avec sa douceur ordinaire. Beauclair, m’a-t-elle dit, entre minuit & une
heure, cette même nuit, tu seras avec moi. Ma première surprise étoit alors un peu
diminuée, & j’allois lui faire quelques questions touchant cet autre monde que je
devois si tôt visiter, lorsqu’en ouvrant la bouche dans ce dessein, je l’ai vue
s’évanouir je ne sçais pas comment. Il étoit alors près de minuit, & comme elle ne
montroit pas le moindre symptôme d’aucun mal, nous tâchames encore de la delivrer de
toute appréhension de la mort ; mais nous avions à peine commencé de parler, quand sa
phisionomie changea tout d’un coup, & qu’elle s’écria. O, je sens un
mal de cœur ! Madame Ward qui s’étoit toujours tenue près don son fauteuil, lui donna
d’abord quelques goutes, mais sans effet ; elle devint toujours plus mal, & expira
environ une demie heure après, exactement dans le même tems que son amie le lui avoit
prédit.
Le plus constant de vos Lecteurs & votre grand admirateur.
A.B.
Du quarré de Lincolns-inn ce 31 Janv. 1745.
Metatextualidade
La lecture de cette lettre nous a extremement touchées,
& sur tout Mira, dont la mere avoit été intimement liée avec Madame de Beauclair,
& qui avoit ouï parler de cette Dame comme d’une personne de beaucoup de genie, &
entierement degagée de ces préjugés de l’éducation qui peuvent en imposer aux petits
esprits.
Citação/Lema
car le monde, ainsi que s’exprime Dryden, est fait pour
l’impie, que rien n’arrête, & qui saisit tout ce qu’il peut prendre sans danger.
Nível 3
Narração geral
Un Officier Général, que je nommerai Martius, & qui
semblable au Dieu de la guerre, n’étoit pas moins galant que guerrier, fut sur le point,
après une longue suite de succès sur le champ & dans la ruelle, d’être vaincu par une
jeune Dame, dont l’innocence étoit égale à la beauté, & qui à la première découverte
de sa passion, le rebuta d’une manière à laquelle il n’étoit pas accoutumé. En vain
recourut-il à tous les artifices que les hommes mettent en usage contre notre trop
crédule sexe ; en vain employa-t-il avec des présens, des promesses, des soupirs, des
larmes, & tout ce que son amour & son esprit purent lui inspirer ; sa vertu étoit
un roc imprenable à tous les assauts du dehors, & qui ne pouvoit pas être trahie
au-dedans par aucune tendresse criminelle. Cependant les sollicitations continuelles de
cet amant la fatiguerent au point, qu’elle prit la résolution de se retirer à la campagne
chez une vielle Tante encore fille, & qui n’ayant qu’un bien mediocre
vivoit fort retirée. Comme elle ne pouvoit pas se rendre dans aucune assemblée sans être
sûre d’y rencontrer Martius, elle aima mieux renoncer aux plaisirs de la ville, que de
donner le moindre encouragement par sa présence à une passion à laquelle elle ne pouvoit
penser sans horrenr <sic> parce que Martius étoit un homme marié. Mais que la vertu
soit industrieuse pour sa propre conservation, le vice le sera encore davantage pour la
surmonter : Martius vint à bout, en corrompant un domestique de son père, à découvrir le
lieu où elle s’étoit retirée, & porté sur les ailes des desirs furieux, il vola sur
le champ après elle ; mais n’étant pas encore déterminé en lui-même comment il se
conduiroit pour réussir, il deguisa son nom & sa qualité, s’arrêta comme un
particulier dans une hotellerie voisine de la maison, dont Isménie (car c’est ainsi que
je nommerai cette Dame) avoit fait choix pour son azyle. Dans cette situation il ne
perdit point de tems à poursuivre le dessein qui lui avoit fait abandonner toutes ses
autres affaires ; il s’informa exactement de la conduite d’Isménie, &
il apprit qu’elle sortoit rarement, à moins que ce ne fût pour aller à l’Eglise, ou pour
faire un petit tour de promenade, mais qu’elle étoit toujours accompagnée de sa Tante,
qui, lui dit-on, étoit dans une situation fort étroite, & extrêmement interessée. Il
jugea donc qu’il viendroit difficilement à bout de son dessein, sans l’assistance de
cette même personne auprès de qui Isménie étoit venue chercher de la protection. Il
engagea donc son hôtesse à faire prier la tante d’Isménie, de se rendre chez elles, sous
le prétexte qu’elle avoit un mal de jambe, & parce que cette vieille Dame étoit une
grande Docteuse, comme la plupart de celles qui vivent à la campagne. Tandis qu’elle y
étoit, le Général entra comme par hazard dans la chambre, & trouva aisément le moyen
de se mettre dans ses bonnes graces. L’hôtesse les laissa alors seuls, comme ils en
étoient convenus ; il en profita pour lui faire savoir son nom & sa qualité, &
l’ayant ainsi préparée à entendre sa déclaration, il l’instruisit de sa passion pour l’aimable Isménie, s’étendit sur le tems qu’il avoit souffert les cruautés de
cette belle, & termina son discours en lui offrant un billet de banque de cinq cent
piéces, si elle vouloit être assez charitable pour l’aider dans cette affaire, & lui
en promettant encore davantage si elle la faisoit réuissir. On ne peut pas douter qu’elle
ne sentit d’abord quelques scrupules : mais sa rhetorique jointe à celle de ce peu de
mots que le morceau de papier contenoit, imposa bientôt silence à toutes les objections ;
elle devint entièrement la creature de Martius, & concerta avec lui les mesures les
plus propres pour exécuter son dessein. La pauvre Isménie, de son côté, appréhendoit bien
peu le cruel stratagême qu’on projettoit pour surprendre son innocence, & lorsque sa
perfide tante lui dit le jour suivant qu’elle avoit loué une chaise à deux chevaux, &
qu’elle la prendroit avec elle l’après midi, pour lui montrer le pays qu’elle n’avoit
point encore vû, elle crut lui être extrêmement obligée de cette marque d’affection &
de complaisance, & en conséquence elle s’habilla d’abord après diner
pour être prête à partir. Dès que la chaise fut arrivée, les deux Dames y entrerent,
& le cocher fit suivant ses ordres un assez grand detour. Isménie eut alors le
plaisir de considerer plusieurs belles maisons de campagne, dispersée çà & là sur le
penchant des collines, & dans les vallons, tandis que sa tante, qui étoit alors de
très bonne humeur, lui faisoit l’histoire de ceux qui les habitoient. Après que deux ou
trois heures se furent écoulées de cette manière, la tante remarqua qu’elles auroient
besoin de quelque rafraichissement, & ordonna au cocher de s’arrêter au prémier
endroit où elles pouvoient en trouver. Cet homme, qui avoit ses instructions, les
conduisit à la porte d’une maison qui étoit un peu écartée de la grande route ; elles y
descendirent, & entrerent dans une chambre ; on demanda du vin, & quelques
gâteaux, mais quelle fut la surprise & l’épouvante d’Isménie, quand elle vit entrer
Martius, après l’homme qui leur apportoit ce qu’elles avoient demande <sic> ! Il
les aborda d’un air gai, & leur dit que s’étant rencontré par hazard
dans ces quartiers, & étant venu descendre à cette maison pour s’y rafraichir, il les
avoit vû descendre de chaise, & qu’il se réjouissoit de trouver une si bonne
compagnie dans cet endroit. Isménie étoit dans un trop grand désordre, pour pouvoir lui
faire aucune reponse ; mais sa tante, qui prétendoit avoir connu autrefois le Général,
s’entretint avec lui très familiérement, & parut très charmées de le voir. Cependant
Isménie étoit toûjours plus en peine, & auroit donné tout le monde pour un moment
favorable de faire connoitre à sa tante les desseins de Martius, ne doutant point que
cette Dame ne se hatât de partir aussi-tôt que la décence le permettroit. Après quelque
tems la fortune sembla favoriser des desirs ; Martius sortit pour donner quelques ordres
dans la maison, & il ne fut pas plûtôt déhors, qu’elle déchargea toutes les craintes
dont son cœur innocent étoit rempli. Cette perfide parente affecta d’abord quelque
surprise, & lui dit ensuite qu’elle devoit être parfaitement tranquille, puisque sa vertu ne seroit point en danger tandis qu’elle seroit présente ; mais qu’il
ne lui convenoit pas de quitter brusquement un homme comme Martius, & qu’elle
connoissoit depuis si longtems. Isménie parut un peu contente de cette raison : elle
s’étoit apperçue que le Général ne lui avoit témoigné qu’une civilité ordinaire ; c’est
pourquoi elle ! s’imaginoit que la présence de sa tante lui avoit imposé cette
contrainte. On servit dans ces entrefaites une fort jolie collation, & elle y prit
part avec moins de plaisir, que si cet amant si redoutable à ses yeux n’avoit point été
dans cette maison. Il étoit assez tard, cependant elle n’ôsoit pas prescrire des loix à
la discrétion de sa tante, & voyant qu’elle ne parloit point de partir, elle pensa
qu’il ne lui convenoit pas d’ouvrir la bouche à ce sujet. Il est sûr qu’ils étoient tous
fort gays, & tandis que Martius les attiroit près de la fénétre pour admirer la
beauté de la lune, qui étoit alors dans son plein, & qui sembloit se jouer sur une
petite rivière qui couloit vis-à-vis de la maison, la perfide tante saisit
cette occasion pour s’échapper de la chambre, sans être apperçue d’Isménie, qui étoit
alors occupée à considerer le point de vûe dont le Général lui avoit parlé. Isménie ne
resta pas long-tems dans cette situation, elle tourna la tête, fit des yeux le tour de la
chambre, & ne voyant pas sa parente, elle s’écria avec quelque confusion. Où est ma
tante ? Le Général ne lui fit qu’une reponse indifferente, & tâcha ensuite de
l’engager dans un autre discours ; mais la consternation de cette jeune Dame augmentoit à
chaque instant, & bien loin de l’écouter, elle alloit sonner afin de faire monter les
gens de la maison, & leur demander où sa tante étoit allée. Il la retint alors, &
lui dit nettement que la Dame sur qui elle se confioit étoit retournée chez elle, &
l’avoit laissée sous sa protection pour cette nuit. A peine put-elle croire une vérité si
choquante, jusqu’à ce qu’elle en fut cruellement convaincue, ne la voyant point revenir,
& par ce que le Général changea de manières à son égard. A la verité il ne prit
encore avec elle aucunes libertés indécentes, mais il lui insinua qu’elle
étoit en son pouvoir, & qu’il n’avoit pas pris tant de peines pour laisser échapper
cette occasion sans en profiter. Il n’est pas possible d’exprimer la terreur, la
consternation, & les angoisses qui tourmenterent alors le cœur de la pauvre Isménie ;
elle pleura, conjura, & eut même assez de courage pour menacer cet agresseur de son
innocence ; mais elle le trouva autant inflexible à tout ce qu’elle put alleguer pour la
défense de sa vertu, qu’elle avoit été auparavant à ses poursuites. Enfin, soit que ce
fût parce qu’elle avoit un peu plus bû qu’à son ordinaire, ou quelle eût perdu sa raison
dans le désordre de ses esprits, toute sa résolution commença à mollir, & elle
consentit à se mettre au lit, sur ce qu’il lui jura sur son honneur, qu’il
n’entreprendroit rien au préjudice de sa vertu.
Citação/Lema
lorsqu’une couronne
& une maitresse se présentent à mes yeux, si la vertu vient se présenter avec son
visage saint de carème ; la vertu est déjà mienne, & je ne suis pas un ennemi de la
vertu. Pourquoi vient-elle où elle n’a rien à faire ? Qu’elle reste parmi les
anachorettes, & ne vienne point se mêler parmi les amans ; eux & les hommes d’état
veulent être en meilleure compagnie.
Citação/Lema
Ah Dieu tout puissant !
Je ne le dis qu’avec honte & chagrin si nos plus grands pêchés étoient un excès de
foi !
Nível 3
Narração geral
Je connois un homme, qui ne manque pas de courage à
d’autres égards, & qui traversant un soir, après le coucher du soleil, un cimetiére
de campagne, fut si épouvanté à la vue d’un vieux If, qu’il tomba dans un accès, dont il
ne seroit peut-être jamais revenu, si des personnes qui les connoissoient n’étoient pas
passées par le même chemin, & le voyant étendu sur la place, n’avoient pas fait tout
leur possible pour le tirer de cet état. La prémiere chose qu’il leur dit, fut qu’il
avoit vû son frère ainé, qui étoit mort une année auparavant ; qu’il lui avoit fait signe
de la tête, & qu’il étendoit les bras de son côté, comme s’il vouloit l’embrasser.
Lorsqu’il leur montra l’endroit où il s’imaginoit avoir vû cette appariton,
ils devinérent d’abord la verité ; mais quoiqu’ils tâchassent de l’en convaincre, &
qu’ils lui représentassent combien il étoit vraisemblable que ses yeux avoient été
trompés par la forme suivant laquelle l’arbre étoit coupé, cependant comme il ne voyoit
plus la même figure, soit qu’il ne fût plus dans la même attitude, ou que les rayons de
la lune eussent changé de direction, ils eurent bien de la peine à le persuader que ce
qu’il avoit vû n’étoit pas un esprit.
Nível 3
Narração geral
Il arriva, il y a sept ou huit années, un exemple de cette
nature assez plaisant, lorsqu’on ouvrit la voute de la chappelle du Roi Henri VII. pour y
enterrer la Reine défunte. Chacun sçait que dans une telle occasion, l’Abbaye de
Westmunster devient très fréquentée, les uns y courent en foule par curiosité, &
d’autres pour se livrer à des méditations plus importantes. Ce fut par le prémier de ces
motifs, que cinq ou six Messieurs, qui avoient diné ensemble dans une taverne, allerent
visiter cet endroit fameux, où on dépose après leur mort les têtes couronnées. L’un d’eux
s’écria en regardant la descente rapide, par où tant de Monarques ont été
transportés dans leur dernière place de repos sur la terre, il est noir comme l’enfer, un
autre se boucha les narines, & s’écrira contre la vapeur mal-faisante qui s’exhaloit
de cet endroit. Tous dirent quelque chose à ce sujet : mais comme il est naturel qu’un
semblable spectacle oblige les plus grand étourdis à faire quelques reflexions morales,
ils en sortirent tous avec un air plus serieux que celui qu’ils avoient en y entrant.
Cependant comme ils étoient convenus de passer la soirée ensemble, ils retournerent tous
au même endroit où ils avoient diné ; & la conversation étant venue à tomber sur un
état à venir, sur les apparitions & d’autres sujets de la même nature, l’un deux, qui
étoit un incredule parfait à cet égard, entreprit de railler les autres sur leur penchant
à croire la possibilité des apparitions. Comme il est beaucoup plus aisé de nier que de
prouver, surtout quand ceux qui maintiennent la négative ne veulent pas admettre comme
valides les temoignages dont on veut se servir pour les convaincre, il résista, quoique
seul, à tout ce qu’ils purent lui dire ; enfin ils lui proposerent pour
terminer la conteste, de gagner vingt guinées, qu’il n’auroit pas le courage, tout grand
Héros qu’il prétendoit ou qu’il s’imaginoit être, d’aller tout seul à minuit, dans la
voute qu’ils avoient vue le même jour : & de son côté il accepta volontiers cette
gageure, très satisfait de pouvoir gagner une telle somme avec tant de facilité. L’argent
fut deposé de part & d’autre, entre les mains du maitre de la maison ; ils firent
venir ensuite un des marguilliers de l’Abbaye, & l’engagerent, moyennant une piéce
d’or, à accompagner cet avanturier à la porte après lui, & à attendre son retour.
Après qu’ils eurent tout réglé de cette maniére, ils sortirent tous ensemble de la
taverne, dès que l’horloge frappa minuit : ils craignoient que celui, qui avoit fait la
gageure ne leur en en imposât, en gagnant le marguillier ; en chemin il s’éleva entr’eux
un autre scrupule, qui étoit de savoir comment ils seroient convaincus qu’il avoit été
jusques dans la voute, quoiqu’ils l’eussent vû entrer dans l’Eglise ; mais il les delivra sur le champ de ce dernier scrupule, en leur montrant un canif qu’il
avoit dans sa poche : Je le planterai, leur dit-il, en terre, & le laisserait là ; si
vous ne le trouvez pas dans l’interieur de la voute, je reconnoitrai que j’ai perdu la
gageure. Après cette assurance, il ne leur resta plus de difficulté à proposer, & ils
convinrent de l’attendre à la porte, commençant alors à croire qu’il n’avoit pas moins de
résolution qu’il le prétendoit. Peut-être ne faisoient-ils que lui rendre justice : mais
quel fond de courage qu’il eût en entrant dans cet antique & vénerable édifice, il ne
s’y vit pas plutôt renfermé tout seul, qu’il sentit, comme il l’a avoué ensuite, une
espèce de tremblement dans tout son corps, qui lui paroissoit venir de quelque chose de
plus que de la fraicheur de la nuit. Chaque pas qu’il faisoit étoit repeté par les voutes
& les souterrains, & quoiqu’il ne fût pas entiérement dans l’obscurité, parce que
le marguillier avoit laissé une lampe allumée précisement devant la porte qui conduisoit
à la chapelle (autrement il ne lui auroit pas été possible d’en trouver le chemin)
cependant la foible lumière qui en sortoit, augmentoit plutôt qu’elle ne
diminuoit l’horreur qui se faisoit sentir à son ame. Il avançoit cependant, mais il a
protesté ensuite, que s’il n’avoit pas craint d’être raillé, il auroit donné pour être
dehors, le double de la somme qu’il avoit deposée pour la gageure. Enfin soit en
tatonnant, soit à la faveur de la lumière de la lampe, il parvint à l’entrée de la fatale
voute. Ici son tremblement intérieur augmenta ; cependant résolu de le surmonter, il
descendit, & dès qu’il fut arrivé à la dernière marche, il se baissa, & enfonça
de toute sa force son canif dans la terre ; mais en se relevant, pour remonter &
quitter cet horrible endroit, il crut sentir quelque chose qui les saisissoit tout d’un
coup, & le tiroit en arrière. Les appréhensions qu’il avoit senties auparavant,
donnerent ici une nouvelle force à la surprise & à la terreur qui s’emparerent dans
cet instant de toutes ses facultés : il perdit tout ce qui pouvoit soutenir son courage,
& il tomba en foiblesse avec la tête dans la voute & une partie de son corps sur
l’escalier. Ses amis attendirent assez patiemment son retour jusques après une heure ;
ils trouvoient à la vérité qu’il restoit plus long tems dans le demeure
des morts, qu’un homme vivant ne sembloit devoir s’y plaire : mais quand ils virent enfin
qu’il ne venoit point, ils commencérent à craindre qu’il ne lui fût arrivé
quelqu’accident, quoiqu’ils fussent bien éloignés de soupçonner la vérité ; mais comme il
y a tant de tours & de détours parmi ces tombeaux, il leur parut vraisemblable qu’il
pouvoit s’être égaré, & n’être plus en état de retrouver son chemin dans l’obscurité.
Ils agitérent entr’eux ce qu’ils devoient faire ; quoique le marguillier dût être
familiarisé avec cet endroit, il ne vouloit point y aller seul ; c’est pourquoi ils
résolurent de l’accompagner, & faisant marcher devant eux un laquais avec une torche
à la main, ils entrerent dans l’Abbaye, en l’appellant à haute voix, s’imaginant que dans
quelque endroit qu’il se fût égaré, il ne pourroit que les entendre. Cependant on ne leur
répondoit point : ils avancérent donc jusques à l’entrée de la voute, & un de la
compagnie regardant en bas des escaliers, l’apperçut bientôt dans la posture & dans
l’état où il étoit tombé. Ils se hâtérent alors de descendre vers lui,
frottérent ses temples, déboutonnerent ses habits, & firent tout ce qu’ils purent
pour le tirer de son évanouissement, mais en vain ; ils furent obligés de le prendre
& de l’emporter, jusques dehors de l’Abbaye, où l’air frais, qui lui donnoit sur le
visage, lui rendit la respiration & le rappella à la vie. Après deux ou trois
profonds gémissemens, Que le Ciel soit à mon aide, s’écria-t-il, Seigneur aye pitié de
moi : ces paroles, & d’autres semblables qu’ils lui ouirent repéter les surprirent
extrêmement ; mais s’imaginant qu’il n’étoit pas encore bien revenu à lui-même, ils
s’abstinrent de lui faire aucune question, jusques à ce qu’ils l’eussent reconduit dans
la taverne ; là après l’avoir placé dans une chaise à côté du feu, ils commencerent à lui
demander comment il se portoit, & par quel moyen il étoit tombé dans une si grande
foiblesse. Il les instruisit alors des appréhensions dont il avoit été saisi
immédiatement après les avoir quittés, leur apprit qu’il avoit enfoncé son canif suivant
leur convention, & qu’il alloit rebrousser avec toute la précipitation
dont il étoit capable, lorsqu’il s’étoit senti tirer en arrière dans la voute, ajoutant
cependant, qu’il n’avoit rien vû ni entendu de surnaturel, & qu’il seroit sorti avec
les mêmes sentimens qu’il étoit entré, si cette main invisible ne l’avoit pas convaincu
de l’injustice de son incrédulité. Tandis qu’il faisoit ce récit, une personne de la
compagnie apperçut le canif qui pendoit à un pli de son habit : il ne lui fut pas
difficile de conjecturer alors la vérité, & s’appercevant quelle impression cette
méprise avoit faite sur son ami, & même sur tous les autres, qui ne doutoient pas
qu’une main surnaturelle n’eût empêché son retour, il arracha alors le canif en leur
présence, & s’écria. Voici le mystère découvert ; quand vous vous êtes courbé pour le
planter en terre, vous l’avez fait passer, comme vous voyez, par vôtre habit, & quand
vous avez tâché de vous lever, la crainte dont vous étiez saisi vous a fait prendre ce
leger empêchement pour une impossibilité absolue de vous retirer, & a fait impression
sur vos sens, avant que la raison ait pu venir à votre secours. Cette explication
paroissoit si claire, que tous se livrerent à des éclats de rire immoderés,
excepté celui qui avoit été la victime de cette méprise, & il ne fut pas possible de
lui arracher un simple sourire. Il réflechissoit à cette affaire, pendant que les autres
en parloient gayement : & se rappellant très bien les agitations qu’il avoit
éprouvées en traversant la Cathédrale, il s’écria ? Fort bien, il reste certainement
quelque chose après la mort, ou je n’aurois pas senti des mouvemens si étranges : Qu’y
a-t-il dans une Eglise de plus que dans un autre Bâtiment ? Dans l’obscurité que dans la
<sic> grand jour, qui puisse exciter des idées semblables à celles dont j’ai fait
l’expérience ? Ouï, continua-t-il, je suis convaincu que j’ai été trop présomptueux,
& soit que les esprits puissent ou ne puissent pas apparoitre, je croirai toujours
qu’ils ne sont pas anéantis avec le corps. Depuis cette époque, il a toûjours été ferme
dans cette opinion, & quoi qu’on ait fait pour tourner en ridicule son changement, il
n’a pas été possible de le ramener à son prémier sentiment.
Citação/Lema
Comme les rayons empruntés de la lune & des étoiles, n’éclairent que
foiblement un voyageur qui est seul, fatigué, & qui s’égare, ainsi la raison est à
l’ame un guide obscur ; & comme ces feux qui roulent au dessus de nous ne font que nous rendre les cieux visibles, & ne repandent point de lumière ici bas ;
de même les rayons de la raison, semblables à ceux de l’Aurore lorsque le jour commence à
poindre, nous ont été donnés, non pour dissiper nos doutes, mais pour nous conduire à un
meilleur jour. Et comme ces flambeaux nocturnes disparoissent, lorsque le brillant
Seigneur du jour se montre sur l’Horizon ; ainsi la raison pâlit à la vûe de la Réligion :
ainsi elle meurt, & se dissout en une lumière surnaturelle.
Citação/Lema
Dans quels caractères que le Livre du destin soit écrit, c’est fort bien pour
nous que nous ne puissions pas le lire. Nous deviendrions fous à force de savoir. A
l’approche de tous les maux que nous aurions prévus, nous ne ferions que frissoner sans
honneur & sans fruit, & nous n’hazarderions que lentement d’entrer dans le courant
fatal. Puisque nous devons y entrer, que nous le veuillions ou que nous ne le veuillions
pas, ceux qui s’y plongent tout d’un coup sentent moins de froid & de peine.
Nível 3
Retrato alheio
J’ai connu une Dame qui ne manquoit point de jugement à
d’autres égards, & qui sembloit avoir assez d’années sur sa tête, pour se présever de
semblables sottises ; cependant se laissa infatuer par une de ces brouilleuses de caffé,
au point d’engager son époux, sur qui elle avoit beaucoup d’ascendant, dans une affaire
qui aboutit à sa ruine & à celle de sa famille. Voici le fait : le Gentilhomme avoit
dans ses Terres une petite colline qui passoit dans l’esprit de quelques personnes pour
renfermer une mine ; on lui avoit conseillé d’y faire creuser, mais ayant calculé avec la
plus grande moderation ce qu’il seroit obligé de dépenser pour faire cet essai, il trouva
qu’il lui en couteroit trop pour s’hazarder sur un fondement si incertain : ce projet fut
donc mis de côté pour quelque tems, & il auroit sans doute resté dans cet état, sans
une de ces femmes dont j’ai parlé. L’épouse de ce Gentilhomme étoit un jour très occupée
avec cette créature autour d’une tasse, lorsqu’entre plusieurs autres
choses, elle lui dit, qu’elle voyoit une montage de prosperite en sa faveur ; il semble
que ce soit une maniere de parler en usage parmi ces miserables, lorsqu’elles veulent
vous persuader qu’une bonne fortune vous attend, & celle-ci n’avoit point d’autre
intention ; mais cette Dame, qui avoit la mine en tête, s’imagina d’abord que la colline,
qui devoit suivant elle renfermer cette mine, étoit représentée par les figures confuses
que faisoit la lie du caffé. Elle fit tant de questions à cette femme, qu’elle découvrit
aisément son secret, & en consequence prétendit voir plus clairement dans chaque
tasse cette montage de bonne fortune : enfin elle poussa l’effronterie jusques à assurer
qu’elle voyoit une multitude d’ouvriers très occupés autour de la colline, & à
montrer au bout d’une éguille, le métal qu’ils en tiroient. Avec quelle facilité ne
croyons-nous pas tout ce que nous désirons vivement ! Cette Dame s’imagina voir des
hommes chargés de trésors, & elle même avec son époux assis dans tout leur éclat pour
les recevoir ; en un mot, elle ne douta pas plus de l’infaillibilité de cette prédiction, que si elle la voyoit déja vérifiée. En consequence, elle ne laissa point
de repos à son époux, qu’il n’eût employé trois à quatre cents ouvriers, pour fouiller
cette colline, & la mettre de niveau avec la plaine : comme ils ne trouverent rien,
ils cherchérent encore plus bas, jusques à ce que là où le terrain formoit une élevation
considerable, ils eussent fait une profonde & triste vallée. Chacun peut juger du
tems qu’on donna à cet ouvrage, & de la dépense qu’il occasionna ; le credule époux
engagea ses terres l’une après l’autre, jusques à ce qu’il n’eût plus de sûretés à donner
pour les sommes qu’il empruntoit ; enfin il fut obligé de vendre, & il se vit réduit
par degrés à la plus grande misere, au lieu de se voir élevé, comme il s’en flattoit, à
une brillante fortune.
Citação/Lema
Nous sommes, dit l’ingénieux Auteur de la Religion du Medecin,
quelque chose de plus que nous-mêmes dans notre sommeil, & lorsque le corps est
assoupi l’ame veille ; les sens sont dans l’inaction, mais la raison est en liberté :
aussi ce que nous pensons quand nous veillons, ne s’accommode point avec les imaginations
de notre sommeil.
Citação/Lema
Car si cela étoit, dit-il, nous ne serions plus dans le
doute à aucun égard ; tous les mystéres de l’univers nous seroient aussi familiers que les fleurs de notre propre jardin : nous ne serions pas des hommes, mais des
anges, & nous jouirions de la vision beatifique avant que le tems de notre épreuve fût
expiré, & sans avoir rien fait que nous donnât le droit d’y avoir part.
Citação/Lema
On pourra m’objecter, dit-il
encore, que quelques personnes sont épouvantées durant leur sommeil par des feux
imaginaires ; que d’autres s’imaginent qu’ils tombent dans l’eau ; d’autres, qu’ils volent
& fendent l’air avec la même légereté & agilité qu’un oiseau ; & d’autres,
qu’ils sont embourbés dans de mauvaises routes, ou sur le point d’être ensevelis sous les
ruines d’un édifice. Et il faut convenir, que tout ceci peut être l’effet de la
constitution & des différentes humeurs du corps ; mais dans ce même cas, on doit
accorder, que la pure matière ne pourroit pas produire ces images, & que c’est l’ame,
qui nous avertit de cette manière des maladies auxquelles nous allons être sujets, &
dont nous n’avons peut-être aucun soupçon dans ce tems-là, parce que ces
songes arrivent souvent avant que la substance corporelle ait aucun symptome de ces
maladies.
Citação/Lema
Quand la bile s’épanche, nous songeons à des
flammes, des dragons rouges & tout ce qui porte cette couleur ; car les humeurs ont
chacune une couleur différente : par la même raison, nous faisons des songes de guerres
& d’expéditions militaires, nous croyons être assaillis par une multitude de guepes
& de frelons, qui bourdonnent à nos oreilles. La bile brulée congéle notre sang, &
nous remplit de frayeurs ; alors des taureaux furieux nous enlévent avec leur cornes,
& des diables nous dechirent. Sommes-nous attaqués d’un rhume, alors nous enfonçons
dans l’eau, où nous sommes en danger de nous noyer &c.
Nível 3
Exemplo
St. Paul, le grand Apôtre des Gentils, est le seul homme
vivant, qui ait jamais comtemplé le bonheur à-venir ; cependant après avoir été enlevé
dans le troisiéme Ciel, il avoue qu’il ne peut pas exprimer les prodiges qu’il a vûs ou
entendus ; & quoiqu’il eût autant de sçavoir qu’aucun homme de son siécle, il se
trouvoit incapable de déterminer si ce fut sans corps, ou avec son corps, que cette
faveur particuliere lui avoit été accordée.
Metatextualidade
J’ai reçu les deux Lettres signées
Adraste & Philenie, & je ne manquerai pas de les insérer dans le
discours suivant ; mais celle de Britannicus demande de la réflexion. Nous ne savons pas
comment une piéce de cette nature seroit goutée dans une conjoncture aussi critique ;
& si nous nous trouvons obligées ou à en différer la publication, ou à la supprimer,
nous nous flattons que l’Auteur aura la bonté de nous excuser. Il peut être persuadé, que
ce ne sera pas l’effet de notre choix, parce que nous souhaitons vivement d’obliger tous
nos lecteurs, & en particulier nos correspondents, autant que ce procedé sera
compatible avec la prudence & le principal but de ces réflexions.