Le Monde comme il est (Bastide): No. 47
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No. 47. du Samedi 5 Juill. 1760.
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Narração geral
même en respectant sa
résolution, fait parler sa douleur, & les
preuves d’insolence n’auroient pas suivi de si près
les sermens de tendresse. Il falloit donc que
désormais elle ne songeât plus qu’à l’oublier, qu’à
le mépriser ? C’est toujours une rude peine pour un
cœur que l’amour a vivement blessé. Zirphile étoit
arrivée chez elle l’esprit plein de tristesse. Son
aventure étoit déja publique, & déja elle se
voyoit abandonnée d’un Amant nécessaire, dont elle
sentoit tout le prix. Zirphile n’étoit pas aussi
corrompue que Moncade. Elle ne s’étoit pas
familiarisée, comme lui, avec le mépris des
sentimens : elle étoit capable de reconnoissance
& de remords. Le mauvais exemple l’avoit rendu
vaine, l’amour propre l’avoit rendu foible : mais
elle n’étoit point tout cela par un penchant décidé,
& elle reconnoissoit des devoirs :
il lui arrivoit quelquefois de désavouer ses
foiblesses ; peut-être même auroit elle eu des
vertus, si l’on pouvoit obéir à son cœur quand on
s’est une fois dévouée aux travers. Si du-moins, se
disoit-elle, l’objet de ma funeste étourderie
pouvoit être l’objet d’un attachement ; réduite à
l’aimer pour me sauver les reproches que je mérite,
je m’occuperois à trouver des consolations dans mes
sentimens ; mais Moncade n’est pas fait pour être
aimé, & de plus je sçai que je ne l’aime pas.
J’ai été séduite, parce que j’ai cru être touchée :
mon erreur n’a duré qu’un moment : hélas ! faut-il
que je sois punie par d’éternels regrets d’une
erreur qui a si peu duré. Elle trouvoit autrefois
tous les jours à son réveil, Dorimond au chevet de
son lit : il ne parut point le lendemain ; elle
l’attendit vainement jusqu’au soir. Elle envoya chez
lui : on le trouva, & il répondit assez
froidement aux reproches qu’on lui
faisoit de sa part : on lui demanda s’il ne
viendroit point la voir un moment : il s’excusa en
prétextant les affaires les plus pressées. Autrefois
il n’avoit point d’affaires : mais son cœur étoit
changé, ou du-moins sa raison cherchoit à triompher
d’un penchant contre lequel tout lui donnoit
maintenant des conseils & des armes. Zirphile ne
put consentir à renoncer à toute espérance : elle
prit le parti de lui écrire. Sa lettre étoit
extrêmement touchante, elle y parloit de sa
foiblesse & de son repentir avec toute
l’ingénuité que Dorimond pouvoit attendre d’elle :
elle le prioit de considérer que pour lui-même, il
ne devoit pas se livrer à un premier mouvement ;
qu’il l’avoit trop aimée pour ne pas sentir combien
il lui seroit difficile de triompher d’une passion
dont il avoit pris plaisir à voir croître chaque
jour la violence, & qu’il étoit impossible que
s’il n’en triomphoit pas
parfaitement, il ne se rendît aussi malheureux qu’il
la rendoit infortunée. Elle ajoutoit que quelque
impression que son funeste égarement eût faite sur
lui, il ne devoit pas croire qu’elle fût incapable
d’amour & d’amitié : elle sentoit ses torts,
& c’étoit assez qu’elle en eût rougi pour
devenir honnête femme : elle le prioit d’en être
persuadé, & de ne la pas désespérer par une
inflexibilité qui la livreroit à d’éternelles
douleurs. Zirphile se croyoit sincere, & elle ne
doutoit pas que Dorimond ne finît du-moins par être
généreux. Elle se trompoit de toutes facons
<sic>, & eut bientôt lieu d’en être
convaincue.
Cette lettre n’accabla point Zirphile comme
on le pourroit croire. Elle pensa que Dorimond
affectoit une fermeté qu’il n’avoit pas, ou que
du-moins sa résolution combattue par sa foiblesse ne
tiendroit pas contre son manége &
ses regards. Elle perdit bientôt une erreur dont
elle n’étoit pas digne. Elle alla chez Dorimond, sa
porte lui fut refusée ; elle lui écrivit, sa lettre
ne fut pas lûe : elle retourna chez lui, il étoit
parti pour la campagne. Certaine de son malheur,
elle se livra au chagrin qu’elle en devoit
ressentir ; mais ce chagrin qui eût pû la rendre
vertueuse s’il eût eû sa source dans le repentir, ne
servit qu’à la plonger dans des égaremens plus
étranges. Les extrêmités se touchent dans les têtes
sans principes. Elle rentra dans le grand monde, fit
ouvrir sa porte à toutes les pestes publiques de
Paris, & tâcha de remplir par la frivolité, le
vuide immense de son cœur. La fierté d’Araminte
mettoit l’orgueilleux Moncade dans la nécessité
d’imiter Zirphile. Il ne s’étoit pas comme elle plié
à la nécessité des circonstances ; il s’étoit
obstiné à ramener l’esprit d’Araminte, par l’excès
même de la douleur, & il n’y
avoit rien que son insolence n’eût mis en usage,
pour forcer sa vanité à composer : mais Araminte
n’avoit pas une vanité qu’on pût humilier ;
l’amour-propre au contraire étoit en elle l’appui de
la vertu ; & le manége de Moncade loin de
l’humilier, ne pouvoit jamais aboutir qu’à
l’attacher plus parfaitement au soin de sa gloire.
Désespéré d’un courage qui le réduisoit au sentiment
de son indignité, il venoit enfin de renoncer à son
systême, & de se rendre à la dissipation. Dans
des momens de vuide que sa brouillerie lui avoit
laissés, il avoit examiné attentivement la sorte de
frénésie qui l’avoit rendu si coupable aux yeux
d’Araminte : il n’avoit trouvé dans son cœur que de
l’indifférence pour Zirphile, & il n’étoit pas
encore parvenu à concevoir comment il se pouvoit
faire qu’on fût emporté si loin par une passion
imaginaire. Devenu libre par sa
résolution, & voulant s’expliquer à lui-même un
phénomene aussi singulier, il vola chez Zirphile dès
qu’il se sentit l’esprit plus tranquille. Zirphile
rougit en voyant Moncade, & Moncade qui s’en
apperçut, ne put se mettre au-dessus d’un certain
embarras. C’est que malgré l’avis des libertins,
notre ame n’est pas faite pour partager sans trouble
les excès auxquels une imagination égarée a le don
malheureux de l’associer. Ils se remirent bien-tôt
l’un & l’autre. Moncade plus hardi, parce qu’il
étoit plus méprisable, commença le premier à parler.
Zirphile n’ignoroit pas qu’un fat peut être à
la fois impertinent & sincere. Frappée de l’aveu
qu’il venoit de lui faire, elle le crut plus
amoureux
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Réponse de Dorimond
à Zirphile. « C’est une assez grand
consolation pour moi, Madame, dans l’état
d’accablement où je me trouve, que du-moins je
sois dispensé de vous apprende les
raisons qui m’ont forcé à m’éloigner de vous. Ce
seroit éprouver une seconde fois votre trahison
& mon malheur, que d’entrer dans un détail qui
m’en rappelleroit la cause. Je ne pourrois m’en
plaindre avec modération, & je ne veux point
vous offenser. Vous m’avez dit que vous m’aimiez,
j’ai dû me croire heureux : vous cessez de
m’abuser, je peux m’en plaindre ; mais je n’ai pas
le droit des reproches, si ma vivacité ne permet
pas qu’ils soient modérés. Cependant je souffre
beaucoup, & je peux vous le dire : jamais il
ne m’arrivera d’aimer aussi tendrement, &
d’être aussi malheureux. Je permets à ma passion
de s’exprimer ainsi, quoique j’aie prononcé dans
mon cœur contre son fatal pouvoir. C’est une
derniere consolation que je veux goûter, & ma
douleur peut se la permettre sans que ma raison en
murmure. Jamais l’enchantement qui m’avoit séduit ne reprendra son empire sur mes
sens ; je suis sûr de moi, je ne m’expose à rien
en cédant encore une fois à mon cœur. Cet aveu,
Madame, renferme toute ma résolution & toutes
les idées qui m’occupent ; je vous aime & ne
vous verrai plus, c’est un contraste de foiblesse
& de force ; mais si vous sçavez de quoi un
homme d’honneur est capable, il n’est pas
nécessaire que je vous apprenne laquelle des deux
triomphera. Je vous prie de ne me pas contraindre
à vous humilier, en vous permettant un doute qui
m’humilieroit moi-même ». J’ai l’honneur d’être,
&c.
Cette lettre n’accabla point Zirphile comme
on le pourroit croire. Elle pensa que Dorimond
affectoit une fermeté qu’il n’avoit pas, ou que
du-moins sa résolution combattue par sa foiblesse ne
tiendroit pas contre son manége &
ses regards. Elle perdit bientôt une erreur dont
elle n’étoit pas digne. Elle alla chez Dorimond, sa
porte lui fut refusée ; elle lui écrivit, sa lettre
ne fut pas lûe : elle retourna chez lui, il étoit
parti pour la campagne. Certaine de son malheur,
elle se livra au chagrin qu’elle en devoit
ressentir ; mais ce chagrin qui eût pû la rendre
vertueuse s’il eût eû sa source dans le repentir, ne
servit qu’à la plonger dans des égaremens plus
étranges. Les extrêmités se touchent dans les têtes
sans principes. Elle rentra dans le grand monde, fit
ouvrir sa porte à toutes les pestes publiques de
Paris, & tâcha de remplir par la frivolité, le
vuide immense de son cœur. La fierté d’Araminte
mettoit l’orgueilleux Moncade dans la nécessité
d’imiter Zirphile. Il ne s’étoit pas comme elle plié
à la nécessité des circonstances ; il s’étoit
obstiné à ramener l’esprit d’Araminte, par l’excès
même de la douleur, & il n’y
avoit rien que son insolence n’eût mis en usage,
pour forcer sa vanité à composer : mais Araminte
n’avoit pas une vanité qu’on pût humilier ;
l’amour-propre au contraire étoit en elle l’appui de
la vertu ; & le manége de Moncade loin de
l’humilier, ne pouvoit jamais aboutir qu’à
l’attacher plus parfaitement au soin de sa gloire.
Désespéré d’un courage qui le réduisoit au sentiment
de son indignité, il venoit enfin de renoncer à son
systême, & de se rendre à la dissipation. Dans
des momens de vuide que sa brouillerie lui avoit
laissés, il avoit examiné attentivement la sorte de
frénésie qui l’avoit rendu si coupable aux yeux
d’Araminte : il n’avoit trouvé dans son cœur que de
l’indifférence pour Zirphile, & il n’étoit pas
encore parvenu à concevoir comment il se pouvoit
faire qu’on fût emporté si loin par une passion
imaginaire. Devenu libre par sa
résolution, & voulant s’expliquer à lui-même un
phénomene aussi singulier, il vola chez Zirphile dès
qu’il se sentit l’esprit plus tranquille. Zirphile
rougit en voyant Moncade, & Moncade qui s’en
apperçut, ne put se mettre au-dessus d’un certain
embarras. C’est que malgré l’avis des libertins,
notre ame n’est pas faite pour partager sans trouble
les excès auxquels une imagination égarée a le don
malheureux de l’associer. Ils se remirent bien-tôt
l’un & l’autre. Moncade plus hardi, parce qu’il
étoit plus méprisable, commença le premier à parler.
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Réponse de Dorimond
à Zirphile.
Diálogo
Je ne sçais, lui
dit-il, s’il m’est permis de vous faire des
excuses des torts que j’ai avec vous ; ils sont si
grands, j’ai tant tardé à remplir un devoir qui ne
devoit être qu’un plaisir, qu’en vérité j’ai peur
que mes regrets ne vos paroissent faux. Avoir
laissé passer six jours sans vous voir ! cela est
inoüi ; & vous avez beau jeu pour
faire éclater un courroux vrai. Il est vrai,
répondit Zirphile, en minaudant, que cela m’a paru
singulier. Singulier ? reprit-il, simplement
singulier ! Ah ! vous êtes donc accoutumée à ces
impertinences-là ? Pour moi, Madame, à qui il est
pourtant arrivé d’avoir avec les femmes des torts
tout à-fait graves, je vous avoue que je ne
m’accoutume point à l’idée de celui-ci, & que
j’en suis pénétré & confus. Pourquoi donc
l’avez vous eu ? dit-elle : ah, pourquoi ? C’est
qu’on est né malheureux, qu’on a sa destinée à
remplir, & qu’on se voit quelquefois forcé
d’être à jetter par les fenêtres avec la femme
qu’on aime le plus ; car je vous aime
véritablement ; & sans compter les devoirs que
mon extrême bonheur m’a fait auprès de vous, il
doit m’être affreux de vous avoir si cruellement
offensée. Je sçai, reprit Zirphile, de l’air le
moins sincere, qu’il est des circonstances malheureuses, des enchaînemens . . .
Mais malgré leur funeste autorité, si vous m’aviez
aimée. . . . Comment, si je vous avois aimée ?
Mais, Madame, pensez-vous bien à ce que vous
dites, me prenez-vous pour un homme sans honneur ?
Eh ! comment ne vous pas aimer ? assurément cela
n’est pas possible, & je ne sçais pas répondre
à ces complimens-là. Vous vous fâchez aisément,
reprit Zirphile ; il m’est permis de donner
quelque chose au ressentiment, & vous ne devez
pas le trouver mauvais. Que feriez-vous à ma
place, si vous vous formalisez d’un soupçon aussi
juste ? Vous seriez donc furieux : car assurément
ce que je vous dis n’est pas, à beaucoup près,
aussi déplaisant que ce que j’éprouve. Vous ne
croiriez pas vos droits si supérieurs aux miens,
lui dit Moncade, si vous sçaviez ce qu’il m’en a
coûté me priver du plaisir de vous voir. . . .
Tant de générosité dans un homme de
votre caractere, m’étonne on ne peut pas plus ;
voudriez-vous bien m’apprendre ce qu’il vous en a
coûté ? . . . J’allois me marier, Madame ; &
pour comble de maux, j’épousois une de ces femmes
importunes, qui ne vous souffrent pas la moindre
distraction, qui sont jalouses de tout ce qui
respire, & qu’on s’exposeroit à voir périr de
chagrin, si l’on n’avoit pour elles les plus
grands ménagemens. Araminte est cet objet
charmant : elle avoit été témoin de mon
infidélité : le désespoir l’avoit saisie : elle
vouloit absolument rompre avec moi ; & pour me
faire quitter avec moins de danger pour elle &
pour moi-même, il m’a fallu donner à la pitié des
jours que j’aurois voulu ne donner qu’à l’amour.