Citazione bibliografica: Jean-François de Bastide (Ed.): "No. 59", in: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.2\029 (1760), pp. 337-348, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2529 [consultato il: ].


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N°. 59. du Samedi 2 Août. 1760.

Livello 2► Livello 3► thode, &c. toutes les inutilités qui sont dans cet Ouvrage, & d’y insérer certaines choses qu’on jugeoit nécessaires pour le rendre bon. Je ne remarquai point d’inclination pour cette entreprise, par la seule raison de causer du chagrin à l’Auteur. On lui a peut-être appris cette espece de refus, sans lui en apprendre le motif.

2°. Dans le tems que le Marot de M. de Percel s’imprimoit à Amsterdam, M. C. . . homme d’esprit & de sçavoir, qui corrigeoit cet Ouvrage, me fit la grace de me consulter sur la Préface, qu’il se faisoit un scrupule d’imprimer, parce qu’elle contenoit des satyres (I1 ) infâmes contre quelques personnes respectables. Je répondis, aussi sincerement que je le pensois, que son scrupule me paroissoit [338] juste ; & que malgré la nécessité où se trouve quelquefois un Correcteur de Hollande, de n’y pas regarder de si près, il étoit obligé néanmoins de faire toujours une juste distinction de certains livres. Je mettois dans ce rang, sans exception, tous ceux qui attaquent ouvertement, & de dessein formé, la Religion Chrétienne, les bonnes mœurs, & l’honneur du prochain. Peut-être que M. C. . . a fait quelque retranchement à la Préface du Marot, & que M. de Percel a sçu que j’y ai contribué par mon conseil.

3°. M. de Percel ayant offert ses services, par une Lettre écrite aux Libraires de la Haye qui s’étoient associés avec moi pour la traduction de M. de Thou, ils m’envoyerent la copie de cette Lettre. Elle contenoit, avec l’offre de plusieurs pieces qui m’étoient ou inutiles, ou assûrées d’autres part, quelques remarques que je ne trouvai point justes, & sur les-[339]quelles je pris la liberté de faire civilement mes réflexions, qui furent envoyées à l’Auteur. Peut-être que le tour civil de ma Lettre ne l’a point consolé du refus que j’ai fait de ses offres.

4°. Enfin, je me souviens d’avoir fait revenir dans mes notes sur le de Thou, une des remarques que M. de Percel avoit envoyées, & d’avoir témoigné que je la croyois fausse. Peut-être n’a-t-il pas trouvé bon que je l’aye contredit.

C’est apparemment pour se venger de ces quatre offenses, que M. de Percel a cru devoir me traiter comme il a fait. ◀Livello 3

Metatestualità► Annonce.

J’ai reçu une histoire intéressante il y a quelques jours, accompagnée du billet qui suit. ◀Metatestualità Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► « Vous avez dit des femmes le bien & le mal, plus l’un que l’autre ; car vous les aimez : mais rien n’est éclairci & ne suffit [340] pour instruire véritablement. Je vous envoye une anecdote dont la lecture pourra favoriser votre dessein. Je n’en suis ni le Héros ni l’Auteur ; mais je la tire de bonne source, & je vous en garantis la vérité. C’est la troisieme fois que je vous écris, dans le dessein de vous épargner du travail, & jamais vous n’avez fait usage des morceaux que je vous adressois ; je ne me sens point découragé, & je continue sur le même plan malgré vos rigueurs ».

On s’occupe de vous, tout ingrat que vous êtes.

J’ai l’honneur d’être, &c. ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

Metatestualità► Je répondrai à l’empressement favorable de l’inconnu qui me fait l’honneur de m’écrire ; mais j’ai aujourd’hui un morceau à donner, qui sans mériter peut être la préférence, la demande pourtant par des raisons particulieres. Il est question de faire connoître les [341] femmes par le côté qui nous attache le plus tendrement à elles. En définissant leurs faveurs & faisant sentir combien il est plus rare qu’on ne croit, d’obtenir d’elles des faveurs véritables, je fixerai l’opinion qu’on doit avoir d’elles ; & c’est l’objet que je me propose dans l’anecdote qui suit. ◀Metatestualità

Livello 3► Racconto generale► Anecdote.

Un homme qui ne peut plus compter ses bonnes fortunes, est de tous, celui qui connoît le moins les faveurs. C’est le cœur qui les accorde, & ce n’est pas le cœur qu’un homme à la mode intéresse ; plus on est prôné par les femmes, plus il est facile de les avoir, mais moins il est possible de les enflammer.

Les faveurs sont le prix de la passion reciproque : elles ne subsistent que dans le sentiment le plus vif, le plus mutuel ; il faut l’accord le plus exact de desir, d’attendrissement ; sans cela, [342] ce qu’on appelle faveurs, ne sont que des plaisirs comme mille autres.

En partant de ce principe, on peut dire qu’il n’y a rien de si rare que les faveurs. Pénétré de cette vérité, qui n’est pas la moins triste de celles qui frappent dans l’histoire du cœur humain, il m’a pris envie d’offir <sic> une consolation aux cœurs tendres dans une anecdote récente, & attestée, qui en prouvant combien les faveurs sont précieuses, prouve aussi combien elles sont respectables.

Eglé aimoit tendrement Zamor, & Zamor ne vivoit que pour Eglé : c’étoient, en tout, de ces Amans que la nature fait quelquefois l’un pour l’autre. Ils pensoient si bien ensemble, qu’en rien ils n’avoient la peine de se deviner. Leur bonheur étoit extrême, mais le mot d’amour manquoit encore à leur bonheur ; ils n’osoient ni l’un ni l’autre le prononcer : le même principe arrêtoit leurs lévres : toujours prêts [343] à se trahir, ils sçavoient qu’une déclaration est une façon honnête de demander & de promettre des faveurs.

Après une longue contrainte, il fallut s’expliquer. Quel embarras ? quel trouble ? auquel des deux est-il plus permis de parler le premier ? Celui qui aime le plus, a le droit d’oser davantage : mais une égale tendresse leur imprime une égale timidité. Zamor veut enfin parler, l’usage le détermine ; il s’y est préparé depuis deux jours ; il a ses discours tout arrangés sur ses lévres, son parti est pris. Il aborde Eglé, ses regards l’ont déja instruite ; elle a déja répondu par les siens : il ne faut plus qu’un mot, & il n’a pas la force de le prononcer. Son trouble est une douleur muette. Eglé en est attendrie, & la pitié qu’elle sent lui paroît un devoir à remplir. Ah ! Zamor, lui dit-elle, à quoi voulez-vous me réduire. . . . à mériter mon adoration, lui dit-il, en tombant à ses genoux, à [344] me montrer l’exemple du bonheur ; mais non, c’est à moi à vous dire le premier que je vous adore : si c’est un plaisir pour vous de l’apprendre, c’est un tribut que je vous dois.

Eglé, quoiqu’elle n’eût dit qu’un mot, ne se dissimuloit pas qu’elle s’étoit expliquée la premiere. Le plaisir de répondre à un aveu enchanteur n’empêcha pas qu’un peu de honte ne parut dans ses yeux. Zamor goûta cette douceur inexprimable de faire succéder la naïveté à la confusion.

Je m’imaginois, lui-dit-il, qu’un aveu coûtoit beaucoup à faire, & beaucoup à entendre, parce qu’il suppose le desir des faveurs ; je croyois encore que la timidité le suivoit toujours lorsqu’il étoit favorablement écouté. Que vous m’avez aisément détrompé ! vous faites plus que m’entendre, plus que m’écouter ; vous daignez me répondre, vous comblez tous mes vœux, & nous ne conser-[345]vons aucune timidité ? C’est que ce qui est faveur dans une tendresse innocente, est innocent comme elle.

Cette réflexion dans la bouche d’un autre que Zamor, n’eût pas eu pour Eglé l’autorité d’une maxime. Il y a des vérités, que l’amour seul peut persuader. Eglé jugea par sa sécurité, que Zamor raisonnoit juste : elle n’osa pourtant pas le dire, mais elle le regarda tendrement. Leur conversation, celle du lendemain, celle de plusieurs jours, fut une suite de la réflexion qu’il avoit faite, & de la justesse qu’Eglé y avoit trouvée. Il n’avoit pas voulu s’en faire un avantage pour l’avenir : mais éclairé par l’amour, il sentit qu’il pouvoit aller plus loin sans risquer de déplaire. L’événement justifia sa présomption. Les raisonnemens sur lesquels il établissoit ses témérités, ne suffisoient pas, comme la premiere fois pour rassurer Eglé : mais le sentiment, devenu plus vif, tenoit lieu de séduc-[346]tion d’esprit ; & pour céder à l’Amant qu’on aime, il est égal que ce soit l’esprit ou le cœur qui agisse.

Ce premier triomphe fut pour Zamor une raison de tout espérer, & une raison de tout entreprendre. Eglé n’eût ni cette terreur des femmes qui n’aiment point assez, ni cette complaisance des femmes qui aiment trop. Elle avoit prévu qu’elle céderoit ; mais elle n’oublioit pas qu’elle ne devoit point céder. Sa résistance fut une faveur qui les renfermoit toutes. Zamor obtint mille choses qui échappent dans un bonheur trop facile : il éprouva que les faveurs qu’une femme peut accorder, sont innombrables, & que la derniere ne surpasse les autres que parce qu’on l’a mieux méritée.

Ce moment si souhaité arriva enfin. Tous deux y puiserent une nouvelle tendresse : jamais on n’éprouva mieux le plaisir, jamais on ne l’exprima moins. Ils vouloient se parler, se com-[347]muniquer leurs idées délicieuses, les mots les plus familiers de la tendresse expiroient sur leurs levres : ils se regardoient ; & leurs yeux chargés d’amour, remplis de volupté, avoient aussi leur difficulté à s’exprimer.

Tout n’étoit pas fait, tout n’étoit pas obtenu. Ce n’est que dans les engagemens ordinaires que la derniere faveur est précisément la derniere. Zamor avoit des rivaux : Eglé ne leur laissoit aucune espérance, Zamor les voyoit encore auprès d’elle : elle ne crut pas comme mille autres, qu’il lui suffisoit de ne les pas écouter. Sans sçavoir s’il avoit assez de connoissance des femmes pour ne pouvoir être tranquillisé que par une fuite absolue, elle lui supposa la défiance la plus éclairée ; & tous ses riveaux <sic>, ceux même qu’il auroit exceptés, furent fuis sans exception. Zamor, qui connoissoit toute la coquetterie des femmes, sentit combien la résolution d’Eglé étoit une faveur. Ah ! lui dit-il, je ne suis [348] pas digne de tant de bonté ; l’amour n’a pas fait pour moi toutes ses faveurs ; en me les prodiguant toutes, vous me faites sentir combien vous avez d’avantages sur moi, malgré l’excès de mon amour.

Eglé étoit belle, jeune & charmanté <sic>, elle avoit tout ce que les hommes peuvent souhaiter excepté la fortune. Malgré sa retraite, elle enflammoit tous les cœurs ; il suffisoit qu’elle eût été quelque part un moment, pour y plaire toujours ; ceux qui y venoient après elle, la retrouvoient toute entiere dans l’impression qu’elle avoit laissée.

Zamor aussi aimable qu’elle, avoit le même reproche á faire à la fortune. Il en soupiroit quelquefois ; il craignoit qu’on n’offrît à Eglé un sort plus digne d’elle, & que ses faveurs ne fussent pas inépuisables. Il cachoit ses terreurs, il en souffroit davantage.

Ce qu’il avoit craint arriva. Eglé se vit dans le cas, si peu embarrassant ◀Racconto generale ◀Livello 3 ◀Livello 2 ◀Livello 1

1(I) On voit que c’est un vieux mal dans M. de Percel.