Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours Premier
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Nível 1
Discours Premier.
Nível 2
Narração geral
Un bon homme vivoit au fauxbourg
saint Marceau, dans une petite maison assez commode, où il
s’étoit retiré pour ne pas entendre gronder sa femme. En y
entrant, il avoit dit, elle ne viendra par me chercher ici
pour me tourmenter ! Je lui ai abandonné les deux tiers de
mon revenu ; elle sera contente de son sort, & moi je
bénirai le mien : loin d’une femme méchante que je ne puis
plus souffrir ; loin d’un monde faux que je n’ai jamais
aimé ; avec une fortune très-bornée à la vérité ; mais avec
des desirs très-modérés, je serai heureux ;
je n’aurai a envier le bonheur de personne ; & mes jours
iront doucement aboutir à ce terme qui est le dernier &
le plus heureux de nos jours. Ces réflexions se ressentoient
un peu du chagrin qu’il avoit éprouvé auprès de sa femme ;
car après tout, il est fort doux de vivre ; & pour être
autorisé à regarder la vie comme un malheur, il faudroit
être très-malheureux. Mais le bon homme perdit bien-tôt ses
noires idées dans sa nouvelle maison. Il y a mille plaisirs
pour les bonnes gens ; & la tranquillité en est la
source. Il n’eut pas plutôt mis le pied dans son jardin
qu’il oublia tous ses chagrins passés. Ah, dit-il, il n’y a
rien de tel qu’un jardin pour être heureux : on cueille une
pêche, on coupe un raison, on taille sa treille, cette
treille dont le nom est si doux à prononcer : il n’y a ni
femme ni enfans qui vaillent cela. Tous les
matins, à six heures, il faisoit sa petite promenade. Un
berceau le garantissoit ensuite des ardeurs du soleil. Une
vieille servante, machine à son bruyans, lui apportoit le
petit pain & la demi-bouteille ; & pendant qu’il se
nourrissoit, elle lui racontoit l’histoire des mauvaises
femmes du quartier. Il interrompoit quelquefois la
correspondance des dents & de l’estomac pour réfléchir à
ce qu’il avoit souffert avec sa femme. Après le déjeûné il
prenoit un livre, le feuilletoit & s’endormoit. Il
n’avoit jamais lû autrement. Cependant il avoit de
l’esprit ; esprit naturel qui n’a pas besoin de s’instruire,
& qui perdroit à s’étendre. Il retrouvoit la jeunesse
dans cet état tranquille, & il se promettoit d’en jouir
long-tems ; mais ses amis, qui n’étoient ni sans passions ni
sans vices comme lui, croyoient, que c’étoit un parti
desespéré que d’avoir quitté le monde. Ils venoient chaque jour le visiter, & vouloient, par
leurs importunes raisons, le ramener à la ville. Sa
femme l’écoutoit : on l’avoit fait placer dans un petit
cabinet, d’où elle pouvoit tout entendre. Elle sortit
furieuse & voulut l’étrangler. Rien de si beau que ces assurances : les
amis qui étoient présens, y mêlerent leurs syllogismes
importuns : on l’étourdit, il fut obligé de se rendre ; car
les bonnes gens ne déliberent point. Il embrassa tendrement
sa femme, & partit avec elle, en regrettant son jardin.
Ennemi de la mauvaise foi, ignorant jusqu’aux moindres
ruses, il ne soupçonnoit point sa femme de le tromper, aussi
ne le trompoit-elle pas ; elle avoit cédé à l’autorité des
bienséances, & elle croyoit que ses engagemens ne lui
couteroient rien à remplir ; mais les défauts
de l’humeur sont dans le sang ; & il auroit fallu une
terrible saignée pour opérer ce miracle : les calmans, les
anodins, ni tous les pavots du monde, n’y auroient pas
suffi. Pendant la route, elle lui produigua les caresses,
les doux noms, & elle-même y étoit trompée ; mais le
soir, pendant le souper, un petit chat, monstre adoré,
s’étant trouvé sous le pied du bon-homme, reçût
malheureusement l’empreinte du talon ; & le cri qu’il
fit fut le signal d’une sânglante guerre. Sa femme l’accusa
d’avoir voulu tuer ce chat ; & sa douceur ne fit que le
rendre plus suspect. Il se justifia, du mieux qu’il put :
Il
partit à pied, & ne mit pas longtems à faire le trajet.
Sa servante fut fort étonnée de le revoir. Louison ne put que difficilement se contraindre ;
mais il paroissoit vouloir être obéi, quoiqu’il parlat avec
douceur ; & il le fut, à cause de cette douceur
triomphante qui pénétre jusqu’au fond du cœur. Il reprit son
train de vie, & y trouva plus de bonheur que la premiere
fois, parce qu’il venoit d’éprouver des choses
tristes qui avoient comblé la mesure de ses chagrins. Il
vécut ainsi pendant six mois, ne voulant recevoir personne,
n’éprouvant aucun ennui, trouvant que les amis ne sont
propres qu’à importuner quand on est parvenu à se faire un
bonheur qu’ils ne peuvent pas concevoir. Il vouloit à peine
lire les lettres qu’il recevoit d’eux, parce qu’il n’y en
avoit aucune où il ne trouva des reproches de sa solitude.
Ces gens-là sont singuliers, disoit-il toujours, ils veulent
mieux sçavoir que moi ce qui peut me rendre heureux ; je
leur montrerois mon cœur rempli de joie, rempli du sentiment
de ma félicité, qu’ils ne pourroient pas croire que je
raisonne mieux qu’eux. Il concluoit de-là, qu’il n’y a ni
raison ni véritable amitié dans le monde, puisqu’on y est
assujetti aux idées générales, & qu’on ne peut pardonner
à un homme d’y être heureux par ses propres idées. Il fait un jour connoissance avec une jeune
veuve pleine de douceur : il s’attacha à elle, & la
cultiva autant qu’il étoit possible. Il alloit la voir tous
les deux jours, & il n’y avoit que pour elle qu’il
quittat volontier son berceau & ses poiriers.
Insensiblement l’inclination devint plus forte, & il lui
parut qu’elle étoit mutuelle : il regretta de n’être pas
libre. Voilà la femme qu’il me falloit, disoit-il ; mes
jours auroient coulé dans le lait ; j’aurois vécu dans un
printems éternel ; car je sens que les chagrins m’ont
vieilli. Pourquoi le ciel nous condamne-t-il à entrevoir un
bonheur auquel nous ne pouvons atteindre ? Pendant qu’il se
livroit à ces ameres réflexions, on vint lui annoncer que sa
femme étoit morte. Eh bien, dit-il, j’épouserai la veuve ;
j’ai encore le tems d’être heureux, & j’en bénis le
ciel. Il ne donna aucunes larmes au trépas de la
défunte : il étoit si franc & si sincere, qu’il ne lui
venoit pas dans l’esprit qu’on put feindre des douleurs
qu’on ne sentoit pas. Un de ses amis qui avoit trouvé le
secret de pénétrer chez lui, lui dit, qu’il falloit au
moins, par respect humain, qu’il s’efforçat de pleurer. Non,
répondit-il, le préjugé ne m’épouvante plus ; je léverai
très-bien les yeux devant ces hommes dont vous me ménacez :
quoiqu’esclaves de la fausseté & de l’usage, ils sont
faits pour admirer un esprit libre qui ne nuit à personne.
Quelque tems après, il annonça qu’il alloit épouser la
veuve. Les donneurs d’avis se mirent en campagne : on
l’importuna beaucoup, & il lui fallut essuyer toute la
bordée des argumens dont l’esprit commun abonde. La veuve
étoit jeune ; on prétendoit que ce nœud mal assorti
abrégeroit ses jours, ou l’exposeroit à des chagrins qu’il
ne pourroit supporter. . . . Avec ces maximes il terrassa les docteurs, ou les fit
taire, ce qui revient au même. Mais cette femme si douce
l’impatienta cent fois en six semaines : il ne l’avoit pas
bien connu, & il la connut trop bien ensuite. Il étoit
un peu vif, & la conversation l’ennuyoit quand on y
étoit trop aisément d’accord : sa femme disoit toujours
comme lui, & il ne pouvoit parvenir à se faire
contrarier ; il avançoit quelquefois des choses absurdes, il
donnoit des ordres ridicules, grondoit tout le monde dans sa
maison, à dessin d’animer cette machine immobile, & il
n’y parvenoit pas ; il croyoit que si elle ne s’impatientoit
pas, c’étoit qu’elle ne pensoit point. Cela est bien
singulier, disoit-il ; je suis né pour éprouver les
contraires, & la fortune a pris un étrange plaisir à contraster les causes de ma persécution ! On
cassa un jour dans sa maison pour vingt louis de
porcelaines ; il affecta de ne pas gronder, pour éprouver si
elle ne gronderoit pas : il n’eut pas la satisfaction de lui
entendre dire un mot. Quelques jours après, un autre
domestique cassa la patte à son chien, en présence du bon
homme : Mille traits de cette espéce, que je pourrois citer,
ne la feroient pas mieux connoître ; mais en voici un que je
ne dois pas passer sous silence. Son mari la surprit un jour
avec un jeune homme très-bien fait, dans une posture
très-peu équivoque : il recula à cet aspect, dont aucune coquetterie ne l’avoit encore menacé : il la
fit appeler sur le champ ; elle vint sans tarder ; &
jamais une coupable n’a eu l’air plus innocent, sans
l’affecter. Il tint parole ; il partit tout de suite
pour sa petite maison. Y vivra-t-il enfin tranquille ? Il a
payé cher le plaisir de rejoindre ses espaliers & son
berceau ! Leur retrouvera-t-il les mêmes charmes ? Il
emporte le souvenir d’une offense cruelle ; ce souvenir gâte
tout dans la vie. Voyons si la Providence lui laissera du
moins le triste pouvoir de philosopher sur son malheur ! Il
rêva dès le même soir à ce qui lui étoit
arrivé ; il se sentoit humilié, honteux ; il ne soupa point.
Il ne fut pas plus tranquille le lendemain ; il ne regardoit
son jardin qu’avec indifférence ; il étoit étranger chez
lui, embarrassé devant Louison même : le nom de sa femme
suffisoit pour le faire rougir. Il avoit de l’esprit ; il
s’étoit accoutumé à refuser au préjugé, ce respect
malheureux qui nous enchaîne tous : la raison vint au
secours d’un homme qui lui avoit rendu un si fidéle homage :
il s’interrogea, se rendit compte des causes de son état,
& fut fort étonné de leur avoir laissé faire un si cruel
progrès. Il reprit en un instant toute sa bonhommie, toute
sa gayeté : jamais prodige ne fut si prompt. Ah ! me voilà
tel que je dois être, s’écria-t-il ; je me retrouve dans ma
sécurité présente ! Quel mauvais génie avoit soufflé dans
mon cœur la honte & la mort ? Quoi ! une
femme perfide aura trahi la foi qui m’étoit dûe ; elle ne
rougira point de son crime, & je me chargerois du soin
affreux d’en rougir pour elle ? Non, le préjugé a ses
bornes, & mon honneur ne doit pas dépendre de quelqu’un
qui a perdu le sien. En la méprisant, je m’acquitte envers
le Public ; & s’il se trouve quelqu’un qui ne se
contente pas de ce mépris, c’est un être barbare. Il soupa
avec une gayeté incroyable, & cependant il rêva encore
le soir à son aventure : il se demanda, si elle ne lui
imposoit aucune obligation, si une femme que la douceur
avoit conduite si loin, n’étoit pas un être à faire
enfermer ; & il conclut qu’il n’y avoit pas d’autre
parti à prendre. Pour éviter l’éclat, il lui écrivit le
matin, &, dans sa lettre, il la menaça de l’autorité
souveraine, si elle balançoit à se retirer à l’instant même
dans un Couvent qu’il lui nommoit. Elle lui
répondit, avec toute la douceur imaginable, qu’il pouvoit
être tranquille sur le sort de ses volontés, & qu’elle
alloit obéir. Parbleu, dit-il, voilà une douceur bien
opiniâtre.
Diálogo
Eh ! mes amis, que vous ai-je
fait, leur disoit-il, pourquoi me contester un bonheur
si sensible ? Je vous assure que je ne suis pas fou ;
croyez que je suis très-heureux. . . . . Mais votre
femme ! pensez-vous pouvoir l’abandonner sans crime ?
l’avez-vous épousée pour la fuir ? . . . Je l’ai épousée
pour être heureux ; je n’ai jamais eu que ce seul desir
dans le monde ; & c’est pour cela que j’ai fui toute
occasion de m’élever, de m’enrichir, de me faire des
passions ; je n’ai permis à mon cœur que l’amour ; ma
femme n’en méritoit point, & elle doit souffrir que
je la confonde avec les choses qui ne peuvent me rendre
heureux, puisqu’elle m’a rendu misérable.
Diálogo
Madame, lui dit-il, je n’ai aucun
dessein de vous offenser ; mais vous sçavez que votre
mauvaise humeur m’a fait gémir cent fois ! souffrez que
je cherche mon bonheur dans le repos. . . . Votre
bonheur ! Monsieur ; il ne doit être qu’avec moi ; je ne
permettrai point que vous me fuyiez, que vous me
méprisez : on ne fuit que des femmes sans mœurs. . . .
Des femmes sans mœurs, Madame, ne sont pas toujours des
êtres sans humanité ; & vous m’avez appris, qu’avec
de la vertu on pouvoit être très-inhumaine. Je n’estime
que la douceur, que l’amitié. . . . Eh bien, Monsieur,
on en aura pour vous, il ne faut point tant d’efforts
pour cela ; vous êtes honnête homme, bon, aimable
quelquefois, & je commence à croire que si nous ne
nous sommes pas aimés, c’est que nous ne nous sommes pas
entendus. Ah, Madame, vous ne vouliez pas m’entendre ;
mon bonheur ne vous touchoit point, & vous vous
plaisiez à me tourmenter : vous en êtes
fâchée aujourd’hui, vous voulez vous corriger ; mais
dois-je vous croire plus de sentiment ? celui qui vient
de la soumission, a l’orgueil pour ennemi, & n’est
jamais durable ! . . . Vous essayerez, Monsieur ; je
vous réponds de ma bonne volonté ; il vous est aisé de
juger par ma démarche, que je cherche à me raprocher de
vous.
Diálogo
non, Monsieur, vous ne
rentrez chez vous qu’avec des sentimens ennemis ;
j’aurois dû le prévoir, & je suis une sotte ; vous
me détestez, vous haissez mes chats, vous voudriez que
je fusse morte. . . Non, Madame ; mais je voudrois qu’en
pensant cela de moi, vous daignassiez me laisser
tranquille ; pourquoi êtes-vous venu me
troubler ? Je reprendrai le chemin de ma maison, &
vous concevrez enfin, qu’il est impossible que nous
puissions nous accorder : ah, Monsieur, vous le
reprendrez lorsqu’il vous plaira, dès ce soir si vous
voulez : oui, Madame, je le veux encore plus que vous,
& vous n’entendrez plus parler de moi.
Diálogo
Ma chere Louison, lui dit-il, tu
revois ton maître ; félicite-le ; il est délivré pour
jamais de sa femme. Comment, Monsieur, elle est morte ?
Non, mon enfant, elle n’a point envie de mourir ; mais
elle en a encore moins de me revoir ; j’ai appuyé le
talon sur son chat ; elle a cru que c’étoit de dessein
délibéré ; & jamais elle ne me pardonnera cette
offense. Oh ! cela est bien certain, dit la grosse
Louison ; vous pensez juste ; elle est folle de ses
bêtes ; si elle avoit jamais eu de l’esprit,
elle l’auroit perdu pour elles il y a long-tems.
Louison ! dit le généreux bon homme en l’entendant
parler avec cette familiarité, ma femme a des passions,
& vous avez des devoirs ; celui dont je vous
dispense le moins, est de me parler d’elle avec respect.
Ma foi, Monsieur, on a bien de la peine à retenir sa
langue, quand on voit tant de haine pour un mari, &
tant d’amour pour des chats. Vous l’avez dit vous-même,
& je ne fais que vous répéter. . . . Sur ce pied-là,
reprit-il, j’ai dit plus que je ne devois ; & vous
ne deviez entendre que la moitié de ce que j’ai dit.
Diálogo
Quand on a affaire à une femme douce,
répondit-il, on peut impunément ménager sa santé ; des
deux malheurs que vous me présagez, le premier n’arrive
qu’à ceux qui s’immolent à la crainte qu’ils en ont ; le
second n’est si commun, que parce qu’on a l’impertinence
de ne pas dissimuler cette crainte. . . . On lui
représentoit encore, qu’il y avoit de l’imprudence à
renoncer à la retraite, puisqu’il y avoit passé de si
doux momens jusqu’alors. Oui, disoit-il, mon jardin
m’avoit fait oublier toute la terre ; je ne l’aurois pas
quitté pour un trône brillant ; mais trouvez bon que je
le quitte pour une société douce : on doit toujours
chercher à étendre son bonheur autant qu’il est
possible ; cette ambition est raisonnable, ou tous les
attraits de la nature sont des piéges : j’étois heureux,
mais j’étois seul ; mon existence étoit inutile : quand
on peut être deux, avec autant d’avantage qu’on en
trouvoit dans la retraite, on doit s’y résoudre, & se reproduire : le bonheur des
solitaires n’est point innocent, si la nature ne leur a
refusé ni un cœur, ni un objet digne de le remplir.
Diálogo
Comment,
Madame, lui dit-il, vous ne chassez pas ce maraut-là,
vous souffrez qu’on casse tout chez vous ! . . . . Il ne
l’a pas fait exprès, Monsieur ; il est assez puni, s’il
est sensible. Oui, Madame, mais s’il ne l’est pas,
demain vous n’aurez pas un meuble chez vous : est-ce
qu’on raisonne si délicatement avec ces drôles-là ! il
faut gronder, Madame ; il faut se faire craindre : rien
n’est en sureté ici, si vous restez dans cette
nonchalance.
Diálogo
prenez donc garde à ce
que vous faites, dit-elle ; vous estropiez ce pauvre
animal. Elle se tourna ensuite vers son
mari : eh bien, Monsieur, vous voyez que je gronde
lorsqu’il le faut ! Qui, Madame ; mais votre chien a la
patte cassée, & vous n’êtes guere sensible, si vous
croyez avoir assez grondé. . . . La patte cassée ? ah ,
mon dieu, pauvre Médor : en vérité, ces gens-là sont
d’une pésanteur affreuse. . . Ce fut tout ce que la
douleur put lui arracher. Elle alla doucement prendre
son chien qui étoit étendu sous un fauteuil ; elle
l’envoya, plus doucement encore, chez Lyonnois ; &
lorsqu’on lui vint dire, deux jours après, qu’il étoit
mort : je l’avois bien prévu, dit-elle ; c’est le
troisiéme qui périt misérablement par ces gens-là.
Diálogo
Je suis bien
surpris de ce que je viens de voir, lui dit-il ; quoi,
Madame ! vous, à qui j’ai cru tant de vertu, tant
d’amitié pour moi ; vous me trahissez, vous attentez à
ma gloire, sans égard, sans ménagement, sans
précaution ! Je suis desespérée, Monsieur, de ce que
vous avez vû : ce jeune homme m’a surprise dans mon
cabinet ; il m’a dit, qu’il se tueroit si je faisois du
bruit ; je lui ai envain représenté que j’étois
incapable de manquer à mon devoir. . . . Ah, Madame,
deviez-vous avoir plus de respect pour ses jours que
pour les miens ? Ne sçaviez-vous pas, que ce seroit me
percer le cœur ? Oui, Monsieur ; mais vous sçaurez
vous-même, que je suis peu faite à me mettre en colere ;
il m’avoit allarmée, je ne sçavois plus comment m’y prendre pour me débarrasser de
lui. . . . Allez, Madame, ce procédé est indigne ; une
douceur qui ne peut repousser un outrage, est un vice du
cœur, & vous m’apprenez à connoître le vôtre : je
retourne dans mon jardin, qu’heureusement j’ai toujours
conservé ; le ciel m’a donné la constance à la place du
pressentiment, & je vois qu’il ne néglige rien pour
notre bonheur. Puissai-je y perdre à jamais votre
mémoire. . . . Je serai fâchée, Monsieur, que vous
preniez ce parti, il va me deshonorer dans le monde ;
mais je ne sçais point dire des injures, & pourvû
que vous m’en épargniez vous-même, je subirai mon sort
sans murmurer. Je me suis attaché à vous, parce que je
vous ai crue de la douceur, & s’il faut que vous me
grondiez sans cesse. . . . . Comment ! gronder ! Madame,
dit-il impatiemment ; donnez un autre nom au
ressentiment le plus juste ; connoissez mieux les
sentimens d’un homme délicat ; on gronde,
parce qu’on a de l’humeur ; mais on se plaint, on gémit,
on s’éloigne, parce qu’on a de l’honneur. . . . Je sçais
cela, Monsieur ; je sçais que vous êtes fondé à vous
plaindre ; mais je sçais aussi que qui se plaint, fait
du bruit ; & le bruit m’est affreux. . . . Vous n’en
entendrez plus, Madame, dit-il avec courroux ; & je
vous sacrifie, par mépris, celui que je serois en droit
de faire ; jamais je ne vous ferai l’honneur de vous
parler.