Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours XVII.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.7\017 (1759), S. 402-417, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2448 [aufgerufen am: ].
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Discours XVII.
Ebene 2► Metatextualität► Selbstportrait► L’honnête homme se pénétre de ses engagemens, & c’est en lui une habitude, que ni les mauvais succès, ni le dégoût, ni l’injustice même ne pourroient détruire : il est jaloux de l’estime, il veut la mériter, & il ne peut être satisfait que de celle que la vérité accorde après qu’elle a tout examiné. Il veut bien faire pour être content de lui ; il veut faire plus qu’il n’a promis, dès qu’il se voit applaudi ; & il passe du bien au mieux, du mieux au plus, parce que la louange fait naître le zèle lorsque l’on sçait sentir.
Je suis cet homme dont je parle : l’aveu est hardi ! La fatuité m’accusera de ses défauts ; & la crédulité facile me jugera sur ses rapports ; on ne rend point justice à qui ose se la rendre : mais mon cœur braveroit l’envie mê-[403]me ; il est reconnoissant du succès d’un ouvrage qu’il me dicta souvent ; & c’est lui qui parle ici par un effet prompt de cette même reconnoissance. ◀Selbstportrait
J’ai fait beaucoup peut-être jusqu’à présent ; mais si je puis faire & mieux & d’avantage, je suis encore sous la loi du devoir, & ma mission est à peine commencée. Le zèle est rare parmi ceux qui écrivent : les succès sont trop faciles ; l’ame est amolie par les applaudissemens prématurés ; & il n’est pas dans le caractère de l’homme de s’imposer de nouvelles obligations, quand la louange prévient les vœux qui pourroient en être l’objet.
J’aurois peut-être succombé comme d’autres aux dangers de la vanité ; mais je suis heureusement plus sensible que vain. Je vois du bien a faire ; la nature m’y porte, j’en attends mon bonheur ; & ma vocation est perdue pour moi, si je suis trop aisément content de moi-même. Avec de pareilles dis-[404]positions, on doit croire que je redonte même mon amour propre : je ne l’écouterai point, & il n’aura nul pouvoir sur moi.
Ce bien, dont l’idée suffiroit pour m’animer, sera très-effectif, très-grand, en dépit de l’envie qui abhorre le sentiment, & de la frivolité qui méprise la raison. Déja je ne crains plus la critique ; elle a prouvé, dans les Journaux, qu’elle étoit capable d’applaudir aux inspirations de l’humanité ; & j’attends d’elle des secours, si l’on m’attaque, & non des injustices, si je réussis.
Les misantropes & les plaisans sont faits pour parler des hommes avec mépris ; les satyres sont très-communes, & les gens qui n’ont pas assez d’esprit ou d’expérience pour en scruter les motifs, en les répétant comme des chansons, finissent par les croire comme des oracles ; de-là cette calomnie féroce, ces injures attroces, dont tous les livres & tous les discours sont remplis ; de-là [405] encore cette raillerie sincere dont on accable le citoyen qui espere attaquer avec fruit les mœurs, par la morale. Je sçais qu’il y a du mal à dire des hommes ; mais je sçais aussi, qu’on doit leur faire du bien quoiqu’on en puisse dire du mal ; je sçais encore, que le projet n’en peut jamais être tout-à-fait perdu, si c’est le cœur qui l’a formé ; & pût-il l’être, on doit toujours commencer par en courir volontairement les risques. Doit-on jamais craindre d’être trop en avance avec l’humanité ?
Mais il est faux que les remedes soient si incertains ; il est faux que la morale soit absolument inutile : on peut dire du moins, qu’il y a des maladies & des défauts qu’on est sûr de guérir, quand on les a bien vûs. Est-il un homme qui n’ait un cœur ? S’il existe, qu’il se montre ; on peut réparer la trahison de la nature ; & elle est déjà réparée, s’il sçait qu’il doit le souhaiter. Des femmes ont cent fois touché des [406] insensibles, & fixé des inconstans ; le même miracle seroit-il plus impossible aux cris touchans de la nature, qu’aux accens plaintifs de l’amour. Quand on aura devant les yeux des hommes généreux, des peres tendres, des ames sublimes, des héros de la vertu, des martyrs de l’amitié ; pourra-t-on voir avec indifférence ces sources d’intérêt & d’attendrissement ? Non, ne le pensons pas : au lieu de porter ce jugement terrible d’un être fait à notre image, hâtons-nous de lui faire un cœur par des sentimens qui le subjuguent. J’ai déjà éprouvé que ce projet n’est point une chimere. Ici, je pourrois citer dix hommes connus, qui m’ont aimé en me lisant, & qui m’ont convaincu par des faits positifs, que les maximes de mon Livre pourroient un jouer couler dans les mœurs de ma nation. C’est aux sentimens qu’ils m’ont supposé, & dont j’ose me vanter, que [407] je dois ce retourner d’estime & d’amitié qu’ils m’ont accordé ; & c’est un preuve qu’il y a du bien à faire, & que cet honneur est reservé au sentiment. On n’écrit généralement que pour soi ; c’est la vanité ou l’intérêt qui détermine ; aussi l’ouvrage a des partisans, & l’Auteur n’a point d’amis. On est célébre sans être utile ; on amuse l’esprit sans intéresser le cœur ; & l’on cesse d’être, dès qu’on cesse d’écrire. Je ne ferai le procès à personne ; mais j’oserai me vanter de mes vûes & de mes plaisirs ; & je dirai que les sentimens que j’ai fait naître, annoncent le triomphe le plus certain à celui qui, avec plus de talent que je n’en ai, aspirera à réformer les mœurs par les mêmes moyens que j’y employe.
Le succès de ces moyens enflâme mon cœur d’un nouveau zèle. Il vient de m’apprendre mon devoir, en me suggérant de nouvelles idées, avanta-[408]geuses au public : je vais les expliquer & m’y soumettre.
L’avance d’un louis, dans un tems malheureux, excéde les facultés des gens malaisés, & je veux que tout le monde soit en état de se procurer mon Lvire : j’abolis donc la sousciption, & desormais je ne donnerai plus mon Ouvrage que par Volumes, & j’en diminuerai le nombre. Tel peut donner un écu, & renouveller cette dépense plusieurs fois dans l’année, sans se gêner ; qui dans toute l’année n’est pas en état de donner huit écus à la fois, & sans se gêner beaucoup.
J’ai vû souvent, qu’on venoit demander le Nouveau Spectateur, & qu’on reculoit en apprenant qu’il falloit payer, ou un louis, ou vingt-une livres douze sols d’avance ; c’étoient pour la plupart des Ecclésiastiques, des Prédicateurs, des Directeurs de conscience, gens qui généralement n’ont [409] aucune aisance, & à qui mon Livre peut être utile, par la connoissance qu’il donne du cœur humain. J’ai compris que la souscription étoit onéreuse, & qu’elle m’empêchoit d’arriver à mon but, qui est d’avoir pour Lecteurs les gens qui ont un emploi utile aux mœurs ; & sur-tout les gens malheureux, pour qui je voudrois pouvoir écrire gratuitement.
Cependant, il y a des personnes qui ne sont point à portée d’acheter un Livre lorsqu’il paroît, sur-tout lorsque ce Livre doit être distribué par Volumes successifs. Pour ces personnes, la souscription subsistera toujours. A l’égard des autres, elles payeront le Volume lorsqu’il paroîtra ; & comme je ne veux m’assujettir à aucun jour fixe pour le faire paroître, elles auront soin de le faire toujours payer d’avance, & de se faire inscrire chez mon Libraire, si elles veulent qu’on le leur envoye chez elles. Cette innovation, qui en-[410] traîne la suppression des Cahiers, déplaira à beaucoup de gens : s’il faut la justifier tout-à-fait, je dirai que je suis instruit, par des avis certains, que mon Ouvrage est contrefait dans la Province. Tout exige que je pare le coup qu’on veut par-là me porter ; l’unique moyen qu’il y ait pour cela, c’est de donner par Volumes, & non par Cahiers : il ne faut que trois jours pour imprimer 72 pages, & il faut un mois pour en imprimer 432. Cette précaution est la seule certaine, & l’on doit sentir qu’elle est inévitable ; car si je me contentois de recourir à la voye de l’autorité, je n’en aurois pas plus de raison d’être tranquille ; on me contre-feroit alors dans les Pays étrangers.
Il y a encore d’autres raisons qui me déterminent au changement dont on croira devoir se plaindre, & les voici.
La Province m’invite à aller faire des découvertes chez elle ; je dois me rendre à ses invitations, convaincu qu’il [411] y a des caractères par-tout ; & que par-tout on peut s’instruire quand on écrit pour les hommes. Annibal, de Marseille, vient de finir sa longue carriere : tout le monde a parlé de sa mort, & personne ne songera peut-être à recueillir les particularités de sa vie. Je l’ai connu ; & me suis souvent entretenu avec lui ; il avoit beaucoup voyagé & beaucoup vû ; mais je le raillois, loin de l’écouter : j’étois trop jeune alors pour sentir le prix d’un homme de cent ans. S’il vivoit encore, l’objet de mon premier voyage, seroit de m’aller instruire auprès de lui, parce qu’il seroit l’homme le plus vieux de la Nation.
Des vûes aussi sages & je puis dire aussi humaines, ne seront justifiées que par le tems. Je connois ma nation ; elle ne reconnoît d’autre autorité que l’habitude. Il faut se laisser critiquer injustement, & tirer, de-là même, des leçons pour les autres. Voici ce que je répondrai à ceux qui auront la [412] cruauté de m’accuser de fausse importance & de faux zèle ; car cela arrivera.
Un homme de qualité, (de ceux qui ne voyent que les Princes du Sang entre les Rois & eux) me recherchoit il y a quelque tems. J’en fus instruit par ses ordres, & je volai vers lui. Je pressentois un entretien dont mon ame seroit pénétrée. Je ne me trompois point. Ce Grand ne vouloit me donner que des louanges & il me donna des leçons ; il s’attendrit avec moi, & son attendrissement m’apprit comment je devrois toujours écrire.
Ebene 3► « J’aurai votre ouvrage éternellement devant les yeux, me dit-il ; il m’a appris que j’avois un cœur ; & je vous convaincrai du plaisir que je goûte à vous lire, en faisant tout le bien qu’il dépendra de moi. . . . . » ◀Ebene 3
Une Dame avoit perdu un Procès considérable & se trouvoit presque ruinée par cet affreux événement : elle succomboit à sa douleur & vouloit [413] mourir ; elle lut par hazard le Discours sur les avantages de l’adversité inséré dans mon second Volume, & elle sentit un calme délicieux couler dans son ame ; un mois après elle m’écrivit, & dans sa Lettre que je pourrois montrer, il y avoit : Ebene 3► « La nature humaine n’a plus d’ennemis à craindre depuis que la Providence a daigné lui donner un consolateur tel que vous. Il prend envie d’être malheureux quand on vous a lû. » ◀Ebene 3
On se rappelle l’honnête homme dont j’ai parlé dans le cinquiéme Cahier de mon sixiéme Volume (page 300.) J’ai dit de lui dans ce Cahier. Ebene 3► « Cet homme que ses ami adorent, que ses rivaux estiment, que le ministre considere, a éprouvé en me lisant, ce qu’éprouva Montagne en voyant cet ami dont il nous parle dans son livre. Il m’a écrit sans me connoître ; sa lettre ingénue a déterminé en même tems me sentimens [414] & ma réponse. Nous nous aimons sans nous être jamais vûs ; mais nous nous verrons bien-tôt, & nous nous en aimerons davantage, &c. » ◀Ebene 3 Ce que j’avois prévû est arrivé ; il est venu à Paris, nous nous sommes embrassés ; je dois souhaiter que ceux qui ont été témoins de notre entrevûe puissent n’oublier jamais la tendre impression qu’elle a faite sur eux. Voici ce qu’il m’avoit écrit quelques jours auparavant : Ebene 3► « Je voudrois répandre sur vous le respect & la considération que vous métités. . . . Mon fils vous lira les jours de récompense. Puisse-t-il vous aimer autant que je vous aime, & vous imiter autant que je voudrois vous initier moi-même. » ◀Ebene 3 Cet homme est très-riche & va dans la Province où il a de grands établissemens : quelle ne sera pas désormais la consolation des malheureux qui oseront l’imploter.
Voilà une partie des succès de mon [415] ouvrage & des sentimens qu’il a fait naître ; sans compter plus de cent Lettres plus flateuses les unes que les autres que j’ai reçues depuis un an. Il est bien aisé de voir par la façon dont je m’exprime & par les faits que je cite, que je ne cherche nullement à en imposer ; je suis incapable de cette basse supercherie. On dira ce qu’on voudra, mais on ne détruira pas la vérité ; & moi je dis en finissant, que lorsqu’on a bien réussi dans une entreprise, on doit l’apprendre aux hommes, pour les disposer à sentir les vûes d’un mieux, que la critique aveugle, croit toujours avoir droit de condamner.
Le premier Volume paroîtra dans les premiers jours de Janvier, & les autres suivront de deux en deux mois, autant qu’il me sera possible.
Les personnes qui ont renouvellé leur souscription, seront servies chez elles, & recevront les nouveaux Volumes jusqu’à la concurrence de l’argent qu’elles [416] ont donné ; après ce tems, elles feront dire si elles veulent continuer. Celles qui n’ont pas satisfait encore aux conditions de la souscription, doivent 3. liv. I 2 sols au Libraire pour les six Cahiers qu’elles ont reçû depuis le premier Septembre de cette année ; & ne seront plus servies qu’elles n’ayent envoyé payer, & ces Cahiers, & le nouveau Volume. Elles sont priées, ainsi que toutes les personnes qui ne souscriront pas, ou n’ont pas encore payé la nouvelle souscription, de faire toujours payer un Volume d’avance, si elles veulent que ledit Volume leur soit porté chez elles.
Les personnes de la Province, obligées, par l’éloignement, de souscrire, comme je l’ai dit plus haut, payeront, pour six Volumes, 29 livres 12 sols, si elles veulent les recevoir par la poste à mesure qu’ils paroîtront, ou 21 livres 12 sols seulement, si elles ont des occasions pour les faire venir. [417]
Les six Cahiers qui ont paru depuis Septembre formant un Volume, & ce Volume étant le premier de la nouvelle année, on sera obligé de la prendre en achetant les suivans. On aura ainsi, à la fin de Juillet, une année complette. A l’égard des six premiers Volumes qui ont paru l’année passée, il suffira de les prendre lorsqu’on aura connu l’Ouvrage, & qu’on voudra le placer dans sa Bibliothéque. On les trouvera toujours chez le libraire. Un Ouvrage de cette nature n’étant nullement suivi, il est indifférent par quel volume on commence ; & de cette façon, on n’aura point à faire d’abord une dépense trop forte, qui est ce que je veux éviter pour le particulier malaisé : on ne la sera que lorsqu’on y sera porté par l’Ouvrage même.
Le Bureau sera desormais chez M. Duchesne, Libraire, rue Saint Jacques, au Temple du Goût. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1