Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours XIII.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.7\013 (1759), S. 335-352, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2444 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
Discours XIII.
Ebene 2► Metatextualität► Un homme m’écrit, de la Rochelle, une Lettre assez longue, contre l’usage très-commun où l’on est aujourd’hui, de répandre quantité d’équivoques & d’obcènités dans la conversation. ◀Metatextualität Ebene 3► « Les hommes, dit-il, en ont fait un talent ; & les femmes, qui d’abord se contentoient d’applaudir ; imitent, en attendant de surpasser. » ◀Ebene 3 Metatextualität► Cette Lettre renferme des choses bien dites & bien vûes ; & elle trouvera un jour place dans un de mes Cahiers. Je me contenterai de traiter aujourd’hui un autre sujet, que le même inconnu me conseille de ne pas négliger. ◀Metatextualität Ebene 3► « Pardonnez, me dit-il, si je vous distrais encore un moment. Jusqu’à présent vous n’avez point parlé des mensonges polis, que l’un & l’autre sexe débitent tous les jours : il me sem-[336]ble cependant, que cette matiere doit faire naître bien des réflexions à un homme tel que vous. Vous êtes Spectateur, Monsieur, & vous ne pouvez ignorer. . . . Mais je dois sçavoir moi-même, que l’étendue de vos engagemens vous est assez parfaitement connue, & que vouloir vous les rappeller, seroit ingratitude & fatuité. » ◀Ebene 3
Metatextualität► Je remercie mon Correspondant, de la bonne opinion qu’il daigne avoir de moi, & je place ma reconnoissance, à traiter sans délai le sujet qu’il a la bonté de m’indiquer.
J’ai lû les réfléxions qui suivent, dans les Œuvres postumes du célébre Archevêque de Cantorbery. Celles que je pourrois faire moi-même, ne sçauroient les égaler, & je crois que le Public me sçaura gré de lui avoir sacrifié mon amour propre, & d’avoir préféré, pour lui, le mieux au bien. ◀Metatextualität
[337] Ebene 3► « Entre une foule d’exemples, dit cet Ecrivain, qui ne prouvent que trop la corruption du siécle où nous vivons, le manque de sincérité n’est pas un des moindres. La dissimulation & les complimens sont aujourd’hui si fort à la mode, que les paroles ne signifient presque plus les pensées. En effet, si un homme fuit les mouvemens de son cœur, s’il déclare au juste ce qu’il pense, & s’il ne témoigne aux autres plus d’amitié qu’il ne doit, ou qu’il n’en ressent, à peine évitera-t-il le blâme d’être mal élevé. Cette ancienne sincérité angloise, cette généreuse candeur, cette bonne foi naturelle, qui marque toujours une véritable grandeur d’ame, & qu’on voit toujours animée d’un courage intrépide, est presque éteinte au milieu de nous. Il y a long-tems qu’on cherche à nous familiariser avec les modes étrangeres, & qu’on veut nous assujettir à l’imita-[338]tion servile de celles de nous voisins, qui ne sont pas les meilleures, & de quelques-unes de leurs plus méchantes qualités. Le stile de la conversation est si enflé par de vains complimens, & si gorgé, pour ainsi dire, d’assurances de respect & d’amitié, qu’un homme, qui reviendroit au monde, après en être sorti depuis un ou deux siécles, auroit besoin d’un Dictionnaire pour entendre sa propre langue, & sçavoir la juste valeur des phrases à la mode : que dis-je ? Il auroit de la peine à croire, que toutes ces protestations solemnelles du plus parfait dévouement que l’on se puisse imaginer, fussent à un si vil prix dans le cours ordinaire du monde ; & lorsqu’il en seroit instruit, il lui faudroit bien du tems pour y accoûtumer sa conscience, les adopter d’un air sérieux & payer les autres de la même monnoye.
[339] J’avoue qu’on auroit de la peine à décider, s’il est plus digne de notre mépris que de notre compassion, d’entendre les assurances de respect & d’une fidélité inviolable que les hommes se donnent les uns aux autres, presque sans aucun sujet ; quelle estime & quel zèle ils témoignent à un homme qu’ils n’avoient peut-être jamais vu ; avec quel parfait attachement ils se dévouent tout d’un coup à son service, & prennent à cœur ses intérêts, sans la moindre raison ; quelles obligations infinies ils protestent lui avoir, sans qu’ils en ayent reçu aucun bienfait ; de quelle maniere vive ils s’intéressent à tout ce qui le regarde, & s’affligent même de son état, sans la moindre cause. Je sçais bien que, pour justifier le vuide & le foible de cette coutume, on dit qu’il n’y a point de mal ni de tromperie dans les complimens, 1 [340] puisqu’ils sont de la nature de l’argent monnoyé, qui vaut ce qu’on veut le faire valoir ; & que les hommes s’entendent les uns les autres là-dessus. Cet échappatoire seroit passable, si les complimens valoient quelque chose ; mais lorsqu’on vient à les mettre en ligne de compte, ce ne sont que des zéros en chiffre. Quoiqu’il en soit, nous avons toujours sujet de nous plaindre de ce que la franchise & la sincérité ne sont plus à la mode, & de ce que notre Discours n’aboutit qu’au mensonge ; de ce qu’on a presque perverti l’usage de la parole ; de ce que les mots ne signifient plus rien ; de ce que la conversation de la plûpart des hommes n’est qu’un commerce, où chacun dissimule ses véritables sentimens ; en sorte qu’un honnête homme, qui voit le peu de sincérité qui régne dans le monde, ne peut qu’être foû de la vie, » ◀Ebene 3
[341] Metatextualität► Je n’ajouterai rien à ces sages réflexions : on peut dire tout en quatre pages sur une matiere qui ne peut pas fournir une seule idée raisonnable qui ne soit déjà dans notre esprit, si nous voulons prendre la peine de l’interroger. Mais pour traiter dans ce Discours plusieurs défauts de la même valeur, je demanderai si cette politesse trompeuse est plus opposée à l’harmonie de la société, que cette grossiereté importune & insultante (soit des manieres, soit des discours) que l’on voit encore dans nos Provinces, dans nos jeunes gens sans état, & dans nos Militaires sans éducation ! Pour rendre l’objet de ma question plus sensible, je vais rapporter une relation de Voyage que j’ai lûe dans une autre Auteur Anglois. ◀Metatextualität
Ebene 3► « Après avoir dit à mon ami le Chevalier que je partirois le lendemain sans faute, dit-il, il ordonna qu’il y eut des chevaux prêts à une certaine heure, pour me conduire [342] jusqu’à la capitale de la Province, où l’on prend le coche pour Londres. Je m’y rendis à l’entrée de la nuit ; & ne fus pas plutôt arrivé à l’hôtellerie, qu’à la vûe du valet, qui avoit soin des chambres de la maison, le palefrénier, qui me servoit d’escorte, & lui demanda d’un ton si haut que je le pûs entendre, quelle compagnie il y auroit dans le coche. A quoi l’autre répondit, qu’il y auroit Mademoiselle Babet Arable 2 , cette riche héritiere si renommée, la veuve sa mere, M. Quikset 3 , son cousin, à qui elle vouloit la marier, un jeune Officier qui levoit des recrues, & qui avoit pris une place à leur occasion, Ephraim le Quakre, tuteur de la jeune Dame, avec un Gentilhomme qu’on attendoit de la maison de campagne du chevalier Roger de Coverly, [343] & qui s’étoit rendu muet à force d’étudier. Je vis bien parce qu’il disoit sur mon chapitre, que, suivant l’humeur & le génie de ceux qui occupent un tel poste, il se piquoit de connoître la carte du pays, & je ne doutai pas qu’il n’y eût quelque fondement pour ce qu’il avançoit à l’égard des autres, de même que pour le caractère bizarre qu’il me donnoit. Quoiqu’il en soit, le lendemain, dès la pointe du jour, on nous éveilla tous ; & comme je n’aime pas qu’on ait aucun sujet de se plaindre de moi, ni de me faire attendre, je sautai d’abord du lit. Avant notre départ, la demi-pique du Capitaine fut mise près du Cocher, & son tambour derriere le carosse. Cependant ses gens faisoient beaucoup de bruit, afin que tout son bagage fut placé d’une maniere à ne se point gâter. Là-dessus on fixa son portemanteau sur un des siéges ; & le [344] Capitaine lui-même, suivant la pratique assez usitée des gens de guerre, quoiqu’un peu odieuse, donna ordre à son valet de se tenir alerte, d’empêcher qu’aucun ne prit la place qu’il avoit retenue au fond du carosse, à moins que ce ne fût une des Dames.
Quand nous fûmes tous placés, on vit paroître ce dédain que des personnes, qui ne sont pas d’un trop bon naturel, conçoivent les unes pour les autres du premier abord ; mais le cahotement du coche nous familiarisa peu-à-peu : & nous n’avions pas fait plus de deux miles, que la veuve demanda au Capitaine, quel succès il avoit dans ses recrues ? L’Officier lui répondit d’un air dégagé, (qu’il croyoit sans doute fort agréable) qu’il y étoit malheureux ; qu’il avoit déja perdu bien des soldats par la désertion, & qu’il renonceroit de bon cœur à la guerre, pour [345] se mettre à son service, ou à celui de sa jolie fille. En un mot continua-t-il, je suis un soldat, & la franchise est mon caractère. Vous me voyez jeune, robuste & impudent ; prenez-moi pour vous, belle veuve, ou donnez-moi à votre fille ; vous pouvez disposer de moi comme il vous plaira. Je suis un soldat de fortune, ah ! ah ! ah ! Là-dessus il se mit à éclater de rire, pendant que tout le reste de la compagnie garda un profond silence. Pour moi, je n’avois d’autre parti à prendre que celui de sommeil, ou qu’à faire semblant de dormir. Je n’eus pas plutôt fermé les yeux, qu’il ajouta, du même ton suffisant & guerrier : allons, Madame, déterminez-vous ; nous célébrerons les nôces à la prochaine ville. Nous éveillerons ce plaisant dormeur, pour servir de pere à l’époux, & ce fin matois, (en frappant un coup sur le genoux du Quakre) qui, n’en [346] doutez pas, belle veuve, entend aussi bien que vous ou moi ce que c’est, servira de pere à l’épouse. Le Quakre, qui ne manquoit pas de vivacité, lui répondit : mon ami, je prends en bonne part l’honneur que tu me fais de me donner l’autorité de pere sur cette jolie & vertueuse fille ; & je te puis bien assurer que, si elle est à ma disposition, tu ne l’auras jamais. Ton badinage sent un peu trop la folie. Tu as l’esprit leger, & ta caisse qui résonne parce qu’elle est vuide, nous en fournit un bon emblême. Sans mentir, les discours que tu nous a tenus jusques-ici ne sont pas une marque de ta plénitude. Mon ami, mon ami ! nous avons loué ce coche ensemble, pour nous conduire à la grande ville, & nous ne sçaurions aller aucune autre part. Si tu veux persister à dire des sotises, il faut que cette illustre mere les entende, aussi-bien que nous, puisqu’il n’est [347] pas en notre pouvoir de l’empêcher : mais si tu avois du bon sens, tu ne prendrois pas avantage de ta mine guerriere pour nous intimider, nous qui sommes des enfans de paix. Tu es un soldat, à ce que tu dis ! fais donc quartier à des gens qui ne sont pas en état de se défendre. Pourquoi as-tu regardé d’un air effronté cet honnête homme qui vouloit s’endormir ? Il ne disoit mot, comment sçais-tu s’il approuvera que tu disposes ainsi de lui ? Si tu lâches des paroles indécentes en présence de cette jeune & vertueuse fille, c’est un outrage que tu fais à une personne qui ne sçauroit l’éviter : & si tu nous forces à les entendre, parce que nous sommes enclavés dans la même voiture publique, c’est une espece de guet-à-pens, commis sur le grand chemin.
Le Quakre s’arrêta ici, & le Capitaine, avec une effronterie aussi heureuse qu’extraordinaire, qui peut [348] être convaincue & se soutenir en même tems, lui répondit : de bonne foi, mon ami, je te remercie : j’aurois poussé l’impertinence un peu plus loin, si tu ne m’avois fait cette réprimande. Va, je m’apperçois que tu es un vieux routier qui en sçais long ; tu peux compter que je serai discret pendant tout le reste du voyage. Ainsi, Mesdames, vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plait, que je renonce à mes grands airs.
Le Capitaine fut si peu choqué de cette petite bourrasque, & la compagnie en souffrit si peu, qu’Ephraim & lui prirent un plaisir tout particulier à se rendre agréables l’un à l’autre dans la suite, & qu’ils redoublerent leurs soins en notre faveur. Ephraim étoit chargé de tous ce qui regardoit la nourriture, le logement & les comptes dans les hôtelleries où nous passions ; & le Capitaine avoit l’œil sur la conduite [349] du Cocher, & le droit que nous avions de prendre l’avantage du terrein sur toutes les voitures qui venoient de Londres. Il ne se passa rien de fort extraordinaire, ni qui soit digne de la curiosité du Public ; mais eu égard aux différentes personnes que nous étions, je pris pour un grand bonheur de ce qu’on n’employa pas toutes les journées à des impertinences, qui auroient pû servir de divertissement aux uns, & de supplice aux autres. Quoiqu’il en soit, ce qu’Ephraim nous dit lorsque nous fûmes presque arrivés à Londres, me parut non-seulement très-solide, mais conforme aux principes d’une bonne éducation. Sur ce que la jeune Demoiselle témoignoit être bien satisfaite de son voyage, & y avoir trouvé beaucoup de plaisir, Ephraim s’exprima en ces termes : il n’y a point de trait dans la vie civile qui marque tant un bon esprit & [350] l’honnête homme intérieur, que la maniere dont il en use avec des étrangers, sur-tout ceux qui sont d’un génie fort éloigné du sien. Lorsqu’un tel homme se trouve avec des personnes simples & innocentes, quelque connoissance qu’il ait du monde, & quelques talens qu’il possede, il ne s’en vantera pas ; mais il cachera plutôt sa supériorité, afin de ne leur être pas incommode. Mon bon ami, ajouta-t-il, s’adressant à l’Officier, nous allons nous séparer bien-tôt, & peut-être que nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir jamais. Prends l’avis d’un homme franc & sincère, quelque mal habillé qu’il te paroisse ; les modes & les habits ne sont que des bagatelles à l’égard de l’homme réel ; ainsi ne croi pas que ton juste-au-corps rouge te rendre plus terrible, ni que le mien, tout uni, me rende plus méprisable. Lorsque deux hommes, tels que toi & moi, [351] se rencontrent avec la bienveillance que nous nous devons les uns aux autres, tu devrois te réjouir de voir mon humeur douce & paisible, & moi je devrois être bien-aise de voir ta force & ta bravoure, qui te mettent en état de me protéger. » ◀Ebene 3
Ce Militaire Anglois n’étoit certainement pas plus impoli & plus grossier, que ne le sont les gens de notre nation, que j’ai d’abord indiqués par leur état. On peut dire aux derniers sur-tout, prenez exemple à ces hommes charmans qui vous commandent dans leurs postes divers ; & voyez comment ils sont reçus des femmes, comment les Bourgeois les traite dans les Garnisons, & combien enfin ils sont chéris dans le monde. Vous ne portez pas précisément une épée pour couper des oreilles & des bras ; elle n’est plus à vos côtés que l’instrument de la barberie, que le signal de la guerre civile, si vous vous en faites un [352] droit d’insulter à la foiblesse & à la modération des autres états. . . . . J’étendrois ces conseils volontiers ; car le cœur ici, touché de la vexation que le Militaire avantageux, fait éprouver au Bourgeois timide, fourniroit des volumes entiers ; mais que pourrois-je dire de mieux que ce qui est renfermé dans la derniere page de la relation qu’on vient de lire.
Il reste à décider lequel de ces deux défauts est plus contraire à l’harmonie sociale ; & j’ose dire que le dernier est plus choquant, plus méprisable, & plus funeste. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1