Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours Premier
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.4111
Ebene 1
Discours Premier.
Ebene 2
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Monsieur,
Allgemeine Erzählung
J’arrivai hier au soir à Meaux, d’où j’ai
l’honneur de vous écrire, & où je prévois que je
serai obligé de faire quelque séjour. Pour dissiper
les tristes idées que m’occasionne une aventure qui
interrompt mon voyage, je vais m’amuser à vous faire
part de quelques réflexions, qu’un esprit avantageux
diroit philosophiques, & que je me contenterai
de regarder comme utiles.. La lecture de
vos Feuilles me rend attentif, & même ardent à
saisir un fait, & à en examiner les causes,
autant qu’il m’est possible ; je fais ensuite des
réflexions sur tout cela, qui m’instruisent dans la
science de la Philosophie, qui est tout à la fois
celle de la Morale & du Monde ; & je vous
assure que si chacun de vos Lecteurs tiroit autant
que moi d’utilité de votre Ouvrage, on verroit
bientôt tomber le systême absurde de cet Homme
célébre & dur, qui a prétendu (peut-être en
pensant le contraire) que les Lettres & la
Lecture étoient toujours fatales à une Nation.
J’étois venu de Paris à Meaux dans le Carosse
public. Dans ce Carosse j’avois trouvé deux gros
Chanoines, un Procureur, deux Fermiers, & deux
ou trois femmes, assez proprement mises, mais dont
le visage couvert de hâle, annonçoit que cette
propreté extérieure, & l’aisance qu’elle faisoit
supposer, étoient le fruit de la sueur
du front & du travail des mains. J’avois été
obligé d’entendre pendant la route mille plaintes
pitoyables sur la rigueur de la fortune, cris
toujours importuns pour l’homme sage, qui sçait se
contenter de ce qu’il a, & oublie ce qu’il n’a
plus ; mais ce qui m’avoit donné surtout beaucoup
d’humeur, c’étoit que ces voix mécontentes, ces voix
ingrates, qui murmuroient si haut, partoient du sein
même de l’abondance. Je veux dire, Monsieur, que
c’étoient les deux gros Chanoines qui se plaignoient
si amérement de la fortune. Je m’étois fait une loi
de mépriser leurs imprécations contre une déesse,
dont les faveurs insignes sont écrites sur leur
visage ; je m’étois vingt fois mordu les levres pour
me taire, sçachant que ces Messieurs, & leur
pareils, abusant de leur état, & de leur
domination, prennent communement des avis pour des
satyres, & font bientôt de la dispute un outrage. Mais cette violence m’avoit beaucoup
couté ; & je crois que malgré ma retenue
ordinaire, j’en aurois été incapable, si en
même-tems je n’avois été distrait & calmé par
les discours ingenus & l’air de contentement des
deux Fermiers & des trois Femmes, avec lesquels
je viens de vous dire, Monsieur, que je voyageois
aussi. Ces pauvres gens, si malheureux par l’excès
de leurs travaux journaliers, & si heureux par
la modération de leurs désirs, je dirai même par la
justesse de leurs idées, & par la justice de
leurs sentimens, rioient de si bon cœur des
complaintes lugubres & odieuses des Acolytes du
Très-Haut, que souvent je n’avois pu m’empêcher de
rire de ce contraste, en admirant & détestant
tour à tour les objets qui m’en rendoient témoins.
Tout cela à la longue auroit fini par m’amuser ; les
Fermiers & les Chanoines avoient commencé à se
prendre de quérelle, & je prévoyois une excellente scène, à la suite de laquelle je
pourrois faire un excellent traité sur le bien &
le mal ; mais malheureusement le Procureur qui
n’avoit encore rien dit, ennuyé de son silence, ou
peut-être accablé de remords en voyant dans ces
aimables Fermiers l’image de mille innocentes
victimes, dont son avidité l’a cent fois obligé de
se repaître, prit de l’humeur, & se mit à
disputer contre eux, & à leur dire qu’ils
n’avoient pas le sens commun, (peut-être &
vraisemblablement dans l’intention de s’attirer
quelques injures, & de pouvoir en dédommagement
leur répondre par quelque assignation) cela gâta
tout ; je pris le parti du foible contre le fort ;
je voyois un piége dans cette dispute, &
j’abhore les piéges ; le Procureur fronsa le
sourcil ; je lui dis qu’il étoit un coquin, & il
me regarda d’un œil menaçant : la conversation ne
fut plus qu’entre nous ; elle fut vive, &
j’allois l’assomer pour une sotise,
qu’il n’auroit vengée qu’en procedant contre moi,
lorsque nous arrivames à l’auberge. Cette scène,
violente de ma part, parce que je n’ai jamais sçu
soutenir avec modération la cause de la vérité &
de l’innocence, sur cause que je me sentis un peu
incommodé en descendant de Carosse. Je me fis donner
une chambre en particulier, & me voyant seul, je
ne pus me défendre de faire des réflexions sur ce
que j’avois entendu pendant la journée. Tout ce qui
s’étoit dit pour & contre, méritoit le nom de
raisonnement. Les Chanoines avoient argumenté, &
les Fermiers avoient répondu. Ceux-ci avoient
attaqué à leur tour ; ils avoient dit d’excellentes
choses très-simples, & leurs discours touchans
& sublimes, n’avoient pas empêché que les
premiers ne trouvassent mille choses à répondre,
mille objections fortes ou caprieuses à leur faire.
Je revai à tout cela, & je me dis :
le vice & la vertu ont donc leurs raisonnemens
également capables de persuader ! Les passions de
l’homme injuste, & les sentimens de l’honnête
homme, ont donc un égal appui dans les ressources de
l’esprit ! L’ingrat qui pense & sçait parler,
trouvera des excuses de son crime dans les sources
fertiles de l’imagination & de l’éloquence !
L’usurier, le sujet rebelle, le pere barbare,
l’amant perfide ; tous les vices, tous les crimes,
pourront se procurer un triomphe éclatant, par le
secours d’un langage enchanteur. O ! que l’esprit
est dangereux ; qu’il est haïssable, & que ces
paroles beati pauperes spiritus, renferment une
terrible sentence ! Cette conclusion m’attristoit ;
je cherchai des choses à lui opposer : l’idée des
Chanoines & du Procureur m’en eut bientôt
fourni. Ces gens-là ne sont pas contens de leur
sort, me dis-je ; des gens que le bien des malheureux vient chercher ; qui sont
engraissés des bienfaits de la terre, qui profitent
des premiers fruits de l’industrie & de la sueur
du laboureur infatigable, que la dixme appauvrit, ou
qu’une sentence contraint ! Eh ! à qui la fortune
pourra-t-elle se flater de plaire, si l’abondance
des biens, & la facilité des moyens ne sont que
d’impuissantes des raisons pour être content de ses
faveurs ! Je sentis dès-lors que ce n’étoit pas la
fortune qui avoit tort ; & que l’ingratitude des
hommes la condamnoit souvent à entendre des injures
qu’elle ne méritoit pas. Mais, continuai-je, ce ne
sont pas ceux à qui elle a mesuré précisement ses
bienfaits, qui se plaignent le plus ; les plus
mécontens sont ceux à qui elle les a prodigués ;
& l’on peut croire qu’ils lui réprochent
jusqu’aux souris flateurs qu’elle accorde
quelquefois aux plus malheureux. J’aurois poussé
plus loin cette triste analise, &
certainement je m’étois ouvert un beau champ de
réflexions, mais je fus interrompu par la maîtresse
de l’auberge, femme honnête & attentive, qui
honore sa profession ; & merite sa fortune. Elle
venoit me demander si je ne voulois pas souper. Je
me sentois mieux & j’acceptai sa proposition.
Elle ajouta que je souperois, si je voulois, avec
les deux Ecclésiastiques qui étoient venus avec moi
de Paris dans le Carosse. Oh, je vous remercie, lui
dis-je avec humeur ; ils m’ont déplu & je les
deteste ; elle fit un éclat de rire en m’entendant
parler avec cette naïvité, & comme elle est
très-naïve aussi, elle me demanda si c’étoit leur
embonpoint qui m’avoit choqué ! Je serois en droit
de le trouver choquant, répondis-je en plaisantant,
car leur inutile existence ne demande pas tant de
santé ; & mois qui cours, qui me fatigue, qui me
tourmente pour le bien d’une famille ; je suis
transparent de maigreur : mais d’ailleurs je suis convaincu qu’ils sont remplis
de haine pour leur prochain, & d’amour pour
eux-mêmes ; & ces caractères-là me furent
toujours odieux. Je lui demandai s’il n’y avoit pas
quelques honnêtes gens dans sa maison, avec qui je
pusse souper, n’aimant point à manger seul. Elle me
dit qu’il venoit d’arriver deux Messieurs avec un
Ecclésiastique . . . . Encore un Ecclésiastique !
répondis-je ; . . . . Oh, celui-là ne vous choquera
pas, répondit-elle, il est si mince & si sec
qu’on verroit le jour à travers son corps, &
puis il paroît très-bon homme : en ce cas cette
compagnie me conviendra fort ; demandez à ces
Messieurs s’ils veulent me recevoir. Elle sortit
& revint un instant après me dire que je ferois
plaisir & bonneur <sic.> à la compagnie.
Il faut, Monsieur, vous faire connoître ces trois
aimables personnes. L’une s’appelle le Marquis de
Megrinville ; c’est un homme de
quarante ans, qui paroît extrêmement fatigué, qui
parle peu, rit encore moins, est de l’avis des
autres, ou se tait ; & paroît indifférent aux
ridicules comme aux plaisirs ; mais qui intéresse
cependant par un grand air de douceur, & une
politesse très-unie. Il vit en Province dans une
Terre qu’on m’a dit très-belle, & où il attend,
dit-il, la mort sans la craindre, & en se
faisant un plaisir de recevoir ceux qui sont assez
sages pour pouvoir s’amuser avec un homme qui n’est
plus fou. Tel est le Marquis ; je developperai mieux
son caractère, & il ne sera indifférent qu’à
ceux à qui il faut des plaisirs bruyans & des
sociétés vicieuses pour s’amuser. L’autre est le
Chevalier de Riancour. On peut le regarder comme une
copie heureuse de l’ami de tout le monde, mais il
n’est ainsi qu’à force d’esprit. Peu d’hommes, en
effet, en ont autant que lui ; il est d’une gayeté
toujours extrême, mais rarement
naturelle ; la raison en est simple : l’esprit lui
dit de haïr des hommes, la raison lui conseille de
les aimer ; il cherche à pancher de ce dernier côté,
mais la résolution ne fait pas le panchant. Pour se
dompter lui-même, pour écarter une expérience &
des idées qui justifient la difficulté qu’il y
trouve, il embrasse & caresse tout le monde ; il
cherche le plaisir ne pouvant se donner le
sentiment. Le troisiéme est Curé de la Terre du
Marquis. C’est un homme tout extraordinaire. La
simplicité & l’ignorance paroissent si grandes
en lui, qu’en le voyant, on croit être avec
l’excellent original qu’a peint l’aimable Auteur de
Verivert dans son Poëme de la Chartreuse. Il faut
que je vous retrace ce portrait, Monsieur ; vous ne
vous représenteriez pas bien, sans cela, l’homme
unique & charmant dont je vous parle.
Tel est l’aimable Ecclésiastique
que le sort m’a fait connoître, Monsieur : on
voudroit convertir en vin toute l’eau des fontaines,
pour l’abreuver & l’enyvrer, s’il étoit
possible. Cependant il boit avec graces &
modération. Il paroît gourmand & n’est que
délicat ; je suis persuadé qu’entre la Fate &
Chaulieu il eut préféré, comme eux, l’omelette au
lard à l’aloyau. Vous serez surpris que je place ici
le nom d’un chetif Curé à côté du nom fameux des
fils d’Anacréon ! Toujours de la surprise,
Monsieur ; toujours des choses qui doivent nous étonner ! C’est notre lot, &
peut-être n’y perdons nous pas. Mais ce n’est pas
ici le lieu d’analyser notre condition ; peut-être
a-t-elle des choses si bien combinées, qu’elles
doivent même échapper à notre connoissance ! Je suis
charmé de le pouvoir supposer pour m’épargner la
peine de réfléchir. Je reviens à mon Curé, pour vous
le représenter sous ses véritables traits. Cette
expression est ici très-propre, car d’abord je vous
dirai qu’il a un visage qui se décompose cent fois
par jour, & se met, pour ainsi dire, tantôt au
ton de votre esprit, tantôt au ton du sien, tantôt
enfin au ton de l’esprit de tout le monde. Quel
homme, Monsieur, si je l’ai bien peint ! Ce n’est
encore là qu’une esquisse. Cette simplicité &
cette ignorance dont on l’accuse d’abord en le
voyant, sont des piéges ingénieux qu’il rend à la
malice humaine, dont il aime à se jouer. Il s’arrive
par cet air, des plaisanteries bonnes ou mauvaises ; & il y trouve également son
compte, car les uns & les autres l’amusent
parfaitement. Il y répond après les avoir essuyées ;
il vous montre alors qu’il a autant d’esprit que
vous, & il a par-dessus vous, votre étonnement
& votre confusion, qui l’amusent & le
flatent à un point qui ne se peut rendre. Ainsi ces
grimaces faciles, qui inondent & couvrent son
visage lorsqu’il lui plaît ; cette laideur originale
& déterminée qu’il employe pour faire rire, ne
sont pas même des jeux de son imagination ; on doit
les regarder comme des moyens de plaisir, dont se
sert un esprit fin & instruit, qui adore
l’amusement, & qui sçait que pour se le
procurer, il faut sçavoir & vouloir amuser les
autres. Je m’étois apperçu que le Curé avoit de
l’esprit & se mocquoit de nous & de tout le
monde par son air ignorant & imbécile ; je
voulus avoir une conversation avec lui, & pour
cela je l’attirai dans le jardin de
l’auberge. J’avouerai que j’eus de la peine à
l’amener à cette conversation que je souhaitois ; il
sembloit qu’il craignit de se dépouiller d’un
prestige qui le rendoit aimable, en le rendant
original. Il fit même quelque chose d’assez
plaisant ; ce fut de courir de toutes ses forces,
dès qu’il vit que je commençois à l’entamer dans le
jardin. Je courus après lui, mais ce fut en vain ;
je m’arrêtai pour rire de cette comédie, &
j’allai m’asseoir sous un berceau. Le transfuge
revint un moment après, & en le voyant paroître,
je lui addressai ces Vers de M. de Voltaire, au
charmant Evêque de Luçon : Il
fit un éclat de rire, en répondant à ces
Vers par ceux-ci de Chapelle & de Bachaumont.
Fort
bien, M. le Curé, fort bien, lui dis-je ; mais vous
me trompiez ; le cœur tendre & l’esprit orné !
C’est une trahison que de m’avoir caché ces deux
qualités-là. Il éclata de rire une seconde fois,
& jamais je ne pus parvenir à lui faire prendre
un air plus sérieux. Il me dit les choses les plus
sensées, les plus spirituelles ; quelquefois même il
disserta avec une profondeur d’esprit étonnant, mais
toujours en riant & folatrant. Je
crus qu’en lui parlant de sa Cure & de son
revenu, qui étoit très-modique, je pourrois lui
imprimer une certaine gravité, mais ce fut encore un
stratagême perdu. Il me dit plaisamment qu’il
n’avoit jamais le sou, & que néanmoins il ne
sçauroit comment commencer une plainte à la
Providence. Elle vous préviendra quelque jour, lui
dis-je, & vous serez riche : je ne le souhaite
pas, répondit-il ; quand on est content de son sort,
il n’y a plus rien à y ajouter, & l’ambition est
alors imprudence, & petitesse
d’esprit. . . . . . . . Croyez-vous que la fortune
puisse jamais nuire, repris-je ; oui, Monsieur, elle
nuit toujours quand on s’est accoutumé à n’avoir pas
de situation. Mais vous voulez me faire raisonner,
& moi je veux rire, je veux même ignorer que mon
bonheur naisse de ma façon de penser, parce qu’alors
je m’imposerois la loi de la conserver, & que je
la perdrois par-là peut-être. Le vrai
bonheur est celui qui se trouve tout fait, sans
qu’on y contribue par aucune réflexion. Ce furent là
les derniers paroles pensées que je pus lui
arracher ; & il me menaça de me planter là tout
net, si je ne rentrois avec lui dans l’appartement.
Je vous suis, lui dis-je, & je vous promets de
ne vous faire plus aucune question ; mais répondez à
celle-ci de grace : Qu’est-ce que c’est que le
Marquis, & pourquoi êtes-vous ici avec lui &
le Chevalier ? 1°. Répondit-il, en reprenant sans
contrainte son visage très-original, le Marquis est
un homme à qui le pous ne bat plus. Comment,
m’écriai-je en riant, il va mourir ! . . . . . . Il
va mourir, ou il est mort, répondit-il, c’est la
même chose : il ne sent plus rien ; il étoit trop
heureux, & les femmes l’ont trop aimé. 2°. Nous
sommes ici, parce que nous voyageons, & nous
voyageons pour chercher le plaisir. . . . J’ai bien
peur que vous n’ayez le sort de Jean,
qui s’en alla comme il étoit venu, repris-je ; j’en
ai peur aussi, ajouta-t-il, mais je ne renonce pas à
mon espérance. J’ai remarqué que le Marquis sourioit
de bonne-foi à mes bêtises, & puisque quelque
chose peut encore le faire rire, moi qui ris de tout
& m’en trouve si bien, j’espére qu’il y a encore
des plaisirs pour lui. Puisse-t-il en trouver mille
pour récompenser votre charité, lui dis-je, car je
juge qu’il en entre beaucoup dans tout ce que vous
faites ici : si devant les sots vous pouvez être un
bouffon, devant Dieu vous êtes un martyr ; & la
Providence est intéressée à faire un miracle pour
nous apprendre à honorer votre vertu. . . . . Sa
réponse, à laquelle je ne m’attendois pas, peint
tout à la fois son esprit & son cœur. La
Providence me doit moins que nous ne pensez, me
dit-il, en me serrant la main. Les plus douces
récompenses de la charité, sont renfermées dans le plaisir de faire du bien.
J’allois continuer lorsqu’un domestique de la maison
vint m’avertir qu’un homme d’assés mauvaise mine,
demandoit à me parler. Je quittai mon Curé sans
pressentir rien de ce qui m’alloit arriver ; &
j’allai droit à cet homme, qu’à ses haillons
transpercés, j’aurois pris pour un Milicien revenant
de la bataille, si des yeux hagards & un air
barbare ne m’avoient annoncé un Exploiteur de
Justice. Je lui demandai ce qu’il souhaitoit, &
pour toute réponse il me coula un chiffon timbré
dans la main. C’étoit, Monsieur, une assignation,
dont me gratifioit le Procureur Bénévole, que
j’avois été obligé de maltraiter dans le Carosse.
Vous jugez, Monsieur, que ce cartel insolent ne me
fit pas trembler ! Je crus cependant devoir
consulter & me mettre en regle, pour n’être pas
arrêté dans la résolution que j’avois prise de
partir le lendemain. Je me privai pour
cela du plaisir de souper avec mon aimable Curé,
& je donnai le tems destiné à ce plaisir, à une
fâcheuse consultation. Mais malgré mes diligences,
je prévois que j’aurai un procès ici, si je ne prens
pas plus sagement le parti d’offrir quelques écus au
loup dévorant qui poursuit l’agneau timide.
J’abhorre les procès, Monsieur, & vous
conviendrez qu’avec une pareille antipatie, il n’y a
rien que je ne doive préférer au tourment de me voir
placé entre deux Procureurs, pour être déchiré tour
à tour par l’un & par l’autre. J’entrevois donc
que je finirai par proposer un accommodement, &
ce sera le plus sage parti ; mais ne
conviendrez-vous pas, qu’un Procureur qui fait
payer, argent comptant, le plaisir commun de lui
dire des injures, est un coquin bien rusé, & un
usurier bien barbare ! J’ai l’honneur d’être,
&c.
Zitat/Motto
. . . . . . la
bonhommie, L’air loyal, l’esprit non pointu, Le
patois toujours ingenu, Du Curé de la Seigneurie,
Qui n’usant point sa belle vie Sur des écrits
laborieux, Parle comme nos bons ayeux, Et
donneroit, je le parie, L’Histoire, les Héros, les
Dieux, Et toute la Mythologie, Pour un quartaut de
Condrieux.
Zitat/Motto
Rendez-moi donc votre présence, Galant
Prieur de Frigolet, Très-aimable, &
très-frivolet ; Venez voir votre humble valet,
Dans le Palais de la Constance, &c.
Zitat/Motto
Sous ce berceau
qu’amour exprès Fit pour toucher une inhumaine,
L’un de nous deux un jour au frais, Assis près de
cette fontaine, D’une main qu’il portoit à peine,
Grava ces Vers sur un Cyprés. Dans ces beaux lieux
digne d’envie, Hélas ! que l’on seroit heureux, Si
toujours aimé de Sylvie, On pouvoit, toujours
amoureux, Avec elle passer la vie.