Appellerai-je Habitude ou Coûtume le
caprice général de prendra du Tabac par le nés, & de s’en
barbouiller tout le visage comme si c’était un
ornement ? Quelque nom que l’on donne à la chose, il a fallu me
faire une grande violence pour n’en pas dire plutôt ma pensée,
& si je m’en suis tû si long-tems, ce n’est qu’à la
consideration de quelques-uns de mes intimes Amis qui se sont
laissé corrompre à la Mode. Ma méthode est d’examiner la playe
jusqu’au fonds avant que d’y appliquer le remède. Pour cet effet
je me suis assis à côté d’un grand Nouvelliste qui prend une
demie Once de Tabac en cinq secondes & qui a hypothéqué un
joli Bien, qu’il avoit près de la Ville, pour subvenir à cette
dépense ; ayant ainsi tiré de sa terre un fumier qui nourrit son
cerveau & qui le rend fertile. Pendant que cet Homme faisoit
un Conte, à son ordinaire, j’ai remarqué qu’il regardoit
attentivement quelque objet éloigné, & j’ai fris ce moment
pour lui cacher sa Boëte. Il continuoit toujours son Histoire,
& disoit Enfin Messieurs. Ici le Tabac devoit venir à son
secours & il le cherche en disant, Je vous disois donc
Messieurs. Il fouille dans sa poche, & n’y trouvant pas ce
qu’il cherche, Quelqu’un, dit-il, n’a-t-il point vu ma
Tabatiere ? On le prie de finir le récit de
l’Avanture. Enfin, Messieurs, je vous disois donc
Messieurs...... mais où puis-je avoir mis ma Boëte ? Et
m’adressant enfin la parole, Monsieur, n’avez-vous point vu ma
Boëte ? Oui, Monsieur, lui ai-je répondu, je vous l’avois cachée
afin de voir combien de tems vous pouvez vous en passer. Il a
repris le fil de sa narration qui m’a paru de la même
insipidité, mais plus coulante. Chaque prise suppléoit à ces,
Enfin, Messieurs ; je vous disois donc Messieurs, d’auparavant,
& le tout alloit assez bien dans cette espece de stile que
les Savans appellent plat, ou, ennuyeux. Cette Observation m’a
fait comprendre la raison philosophique de l’usage du Tabac, qui
est de suppléer par la sensation au défaut de la Reflexion. Je
puis me vanter que cette découverte est toute à moi, &
j’espere qu’on m’en fera honneur dans la République des Lettres.
Expliquons donc ce Systême. Comme nous portons naturellement la
main à nos plaies, lorsque nous voyons quelque chose qui va y
heurter, ainsi lors qu’une Personne s’apperçoit que ses pensées
sont toutes sorties, il est naturel qu’il en fasse rentrer de
nouvelles par une poudre qu’il porte à l’endroit le plus
prochain du Cerveau, & cet endroit-là ne
peut-être que les Narines. La chose est si évidente, que la
Nature suggere cet usage à proportion du besoin que les gens ont
de cette Medecine, indépendemment du pouvoir de la Mode. On
comprendra mieux ces Exemples. Les Habitans naturels de
l’Hibernie, qui ressemblent, à peu près, aux Bœatiens
d’autrefois, prennent plus de Spécifique, qu’aucun autre Peuple
qu’il y ait dans le Mondes ce qu’ils ne font sans doute que pour
remplacer par le dehors ce qui manque au dedans, & le savant
Sotus, tout avare qu’il est de ses paroles, garderait un silence
encore bien plus obstiné si ce n’étoit pour la grande quantité
de Tabac dont il use. Cette Coutume est donc, à mon sens, la
marque d’un Esprit pesant ou sterile, & l’emploi des
personnes qui ne savent que faire de leurs doigts ni de leur
Cervelle. Je connois pourtant une espece d’Etres encore
inférieure à la précédente. Je veux parler des gens qui vivent
d’emprunt pour le Tabac, & qui ne portait jamais de Boëte
sur eux, sont toujours à vous demander une prise de la vôtre.
Ces pauvres malheureux me rappellent une phrase fort commune
dans les Ecoles Angloises, ou les Enfans qui ne se
sentent pas assez habile pour faire leur Thême, s’adressent à
ceux qui sont plus avancés pour faire leur ouvrage, en les
priant de leur donner un peu de sens. Mais sur tout parlez-moi
des Dames qui ont recours à l’exercice de la Tabatiere pour
soutenir la Conversation. Je travaille depuis trois ans à faire
perdre cette habitude à Sagiste, sans avoir pu en venir à bout.
Elle a tant de babil & tant de savoir qu’on n’avance rien à
disputer contre elle. Un petit accident, qui lui arriva l’autre
jour, a produit ce que toute mon Eloquence n’avoit pu obtenir.
Elle étoit dans un tête-à-tête, lors qu’on lui vint annoncer
quelque visite. Le Galant qui ne voulut pas lui montrer à la
Compagnie, alla se cacher dans le Cabinet. Les Importuns faisant
trop long sejour, la Belle impatiente prit quelque prétexte,
pour visiter l’endroit où étoit le Prisonnier. Celui-ci
profitant du mystere & de l’obscurité lui déroba un baiser ;
mais comme il n’étoit pas accoutumé au Tabac, quelques grains
tombés de la lèvre superieure de sa Maîtresse le firent éternuer
si haut, que le pot aux Roses fut découvert. On a sû par-là que
Sagisse a beau lire, raisonner, se mêler des
affaires d’autrui, que toutes ces occupations ne remplissent pas
si fort son tems, qu’il ne lui en reste encore assez pour avoir
besoin de se faire des amusemens où il entre moins de
spiritualité,
Du Caffé de White, le 29.
Juin.
La seule Nouvelle qu’il y ait ici, c’est que
Cinthio, rebuté des rigueurs de Clarisse, a enfin resolu de
faire l’amour à la veille mode, qu’il veut commencer le Roman
par la queue, & qu’il a jetté ses plombs sur une jeune
personne très-bien faite. Je ne doute point qu’il ne réüssisse ;
car il se déclare avec beaucoup de franchise, sans pécher contre
les lois de la bienséance.
Metatextualität
J’ai vu
peu de Lettres où l’on dise librement sa pensée de meilleure
grâce que dans la suivante.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Mademoiselle, Je vous écrivis
Samedi par votre Femme de Chambre, & je reviens à la
charge pour vous demander une séconde fois la grâce
d’être admis chez vous. Je me garderois bien de vous en
prier, si je crayois que le plus severe
honeur ne vous permît pas de me l’accorder. Je sai que
vous êtes au-dessus des petits artifices, qui sont
communs aux personnes de votre Sexe, qui se plaisent à
chagriner sans raison leurs Amans. J’espere donc que
vous rendrez justice à la pureté de mes intentions, que
vous voudrez bien m’accorder une occasion de vous
expliquer les motifs qui me font rechercher votre
estime. Je ne m’amuserai point à vous entretenir de mes
sentimens, jusqu’à ce que je sois informé que vous les
approuvez. Ne cormprenant pas que la différence des
Sexes nous doive obliger l’un ou l’autre à parler
d’autre langage que celui de la droite Raison Je mettrai
dans mes discours, autant de simplicité & de
sincérité, que les autres y affectent d’embarras &
de transports, du lieu de vous dire, que je mourrai pour
vous, je déclare que je serois ravi de passer ma vie
avec vous. Vous avez autant de beauté, d’esprit, de
prudence, & de bonne humeur qu’aucune Dame que je
connoisse. Cependant je vous avoue sans façon, que la
seule chose qui me frappe dans ces perfections c’est que
mon bonheur ou mon malheur dépendra de l’usage que vous
en ferez. Pour moi, Mademoiselle, ce qui anime le plus
mon amour est l’esperance qu’il fera réciproque. Je vous prie de me faire savoir par votre
Femme de Chambre quand je pourrai vous rendre visite. Je
vous promets de ne vous entretenir que de choses
indifférentes, quoi que je ne sâche pas trop bien de
quelle maniere je pourrais m’approcher de vous à la
premiere entrevüe, après la déclaration que je vous fais
ici d’être, Mademoiselle, Votre très-obéissant,
très-fidéle,
& très-humble
Serviteur,
Cinthio.
De mon Cabinet le 29. Juin.
Metatextualität
On me rendroit un grand service,
& ce seroit me fournir des secours pour le Traité que je
mérite sur le jeu de mots, si l’on vouloit m’apprendre, à
quelle classe des Savans qui parlent par pointes, il faut
rapporter l’Auteur de la Lettre suivante.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Monsieur, « Il n’y a pas
long-tems qu’il vous plut de nous donner une relation
chimérique de la fameuse Famille des Bâtons, où vous
sembliez insinuer que cette Famille est la plus
ancienne, & la plus nombreuse qu’il y ait dans
l’Europe. Je nie absolument que cela soit ni pour
l’étendue, ni pour l’antiquité ; & je suis fort
surpris que vous ayez eu l’audace de former cette
prétention, puis qu’il est très-connu, que mon illustre
& puissante Famille Romaine des ix. a eu le pas sur
toutes les autres depuis le règne du bon Saturne.
J’aurois bien des choses à dire si je voulois parler
contre la vôtre, par exemple que les Fuseaux, & les
Manches à Balai, ont toujours fait peu de figure, les
uns réduits à filer & les autres à nettoyer les
nies, pour gagner le pain qu’ils mangent. Mais ces
objets sont indignes de ma colère. Il me suffira de
donner un Catalogue de mes Ancêtres, pour mettre le
Public en état de juger, qui de vous ou de nous a la
préference ou la doit avoir. L’origine
commune de notre Famille fut une Dame fort fameuse &
fort populaire, nommée,
1Meretrix, de laquelle sortirent les
Branches qui suivent,
2Bellatrix, Lotrix, Nutrix, Obstetrix,
Famulatrix, Coctrix, Ornatrix, Sarcinatrix, Textrix,
Balneatrix, Portatrix, Famulatrix, Coctrix, Ornatrix,
Sarcinatrix, Textrix, Balneatrix, Portatrix, Saltatrix,
Divinatrix, Conjectrix, Comtrix, Debitrix, Creditrix,
Donatrix, Ambulatrix, Mercatrix, Palpatrix, Praeceptrix,
Pistrix. Je suis toute à vous,
3Eliz.
Potatrix.