Sugestão de citação: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Ed.): "Article XXXV.", em: Le Philosophe nouvelliste, Vol.1\041 (1735), S. 467-476, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2308 [consultado em: ].


Nível 1►

Article XXXV.

Du Mardi 28. au Jeudi 30. Juin 1709.

Du Caffé Grec, le 18. Juin.

Nível 2► Appellerai-je Habitude ou Coûtume le caprice général de prendra du Tabac par le nés, & de s’en bar-[468]bouiller tout le visage comme si c’était un ornement ? Quelque nom que l’on donne à la chose, il a fallu me faire une grande violence pour n’en pas dire plutôt ma pensée, & si je m’en suis tû si long-tems, ce n’est qu’à la consideration de quelques-uns de mes intimes Amis qui se sont laissé corrompre à la Mode. Ma méthode est d’examiner la playe jusqu’au fonds avant que d’y appliquer le remède. Pour cet effet je me suis assis à côté d’un grand Nouvelliste qui prend une demie Once de Tabac en cinq secondes & qui a hypothéqué un joli Bien, qu’il avoit près de la Ville, pour subvenir à cette dépense ; ayant ainsi tiré de sa terre un fumier qui nourrit son cerveau & qui le rend fertile. Pendant que cet Homme faisoit un Conte, à son ordinaire, j’ai remarqué qu’il regardoit attentivement quelque objet éloigné, & j’ai fris ce moment pour lui cacher sa Boëte. Il continuoit toujours son Histoire, & disoit Enfin Messieurs. Ici le Tabac devoit venir à son secours & il le cherche en disant, Je vous disois donc Messieurs. Il fouille dans sa poche, & n’y trouvant pas ce qu’il cherche, Quelqu’un, dit-il, n’a-t-il point vu ma Tabatiere ? On le prie de fi-[469]nir le récit de l’Avanture. Enfin, Messieurs, je vous disois donc Messieurs...... mais où puis-je avoir mis ma Boëte ? Et m’adressant enfin la parole, Monsieur, n’avez-vous point vu ma Boëte ? Oui, Monsieur, lui ai-je répondu, je vous l’avois cachée afin de voir combien de tems vous pouvez vous en passer. Il a repris le fil de sa narration qui m’a paru de la même insipidité, mais plus coulante. Chaque prise suppléoit à ces, Enfin, Messieurs ; je vous disois donc Messieurs, d’auparavant, & le tout alloit assez bien dans cette espece de stile que les Savans appellent plat, ou, ennuyeux.

Cette Observation m’a fait comprendre la raison philosophique de l’usage du Tabac, qui est de suppléer par la sensation au défaut de la Reflexion. Je puis me vanter que cette découverte est toute à moi, & j’espere qu’on m’en fera honneur dans la République des Lettres. Expliquons donc ce Systême. Comme nous portons naturellement la main à nos plaies, lorsque nous voyons quelque chose qui va y heurter, ainsi lors qu’une Personne s’apperçoit que ses pensées sont toutes sorties, il est naturel qu’il en fasse rentrer de nouvelles par une poudre qu’il porte à l’endroit le plus prochain du Cerveau, & [470] cet endroit-là ne peut-être que les Narines. La chose est si évidente, que la Nature suggere cet usage à proportion du besoin que les gens ont de cette Medecine, indépendemment du pouvoir de la Mode. On comprendra mieux ces Exemples. Les Habitans naturels de l’Hibernie, qui ressemblent, à peu près, aux Bœatiens d’autrefois, prennent plus de Spécifique, qu’aucun autre Peuple qu’il y ait dans le Mondes ce qu’ils ne font sans doute que pour remplacer par le dehors ce qui manque au dedans, & le savant Sotus, tout avare qu’il est de ses paroles, garderait un silence encore bien plus obstiné si ce n’étoit pour la grande quantité de Tabac dont il use.

Cette Coutume est donc, à mon sens, la marque d’un Esprit pesant ou sterile, & l’emploi des personnes qui ne savent que faire de leurs doigts ni de leur Cervelle. Je connois pourtant une espece d’Etres encore inférieure à la précédente. Je veux parler des gens qui vivent d’emprunt pour le Tabac, & qui ne portait jamais de Boëte sur eux, sont toujours à vous demander une prise de la vôtre. Ces pauvres malheureux me rappellent une phrase fort commune dans les Ecoles An- [471] gloises, ou les Enfans qui ne se sentent pas assez habile pour faire leur Thême, s’adressent à ceux qui sont plus avancés pour faire leur ouvrage, en les priant de leur donner un peu de sens. Mais sur tout parlez-moi des Dames qui ont recours à l’exercice de la Tabatiere pour soutenir la Conversation. Je travaille depuis trois ans à faire perdre cette habitude à Sagiste, sans avoir pu en venir à bout. Elle a tant de babil & tant de savoir qu’on n’avance rien à disputer contre elle. Un petit accident, qui lui arriva l’autre jour, a produit ce que toute mon Eloquence n’avoit pu obtenir. Elle étoit dans un tête-à-tête, lors qu’on lui vint annoncer quelque visite. Le Galant qui ne voulut pas lui montrer à la Compagnie, alla se cacher dans le Cabinet. Les Importuns faisant trop long sejour, la Belle impatiente prit quelque prétexte, pour visiter l’endroit où étoit le Prisonnier. Celui-ci profitant du mystere & de l’obscurité lui déroba un baiser ; mais comme il n’étoit pas accoutumé au Tabac, quelques grains tombés de la lèvre superieure de sa Maîtresse le firent éternuer si haut, que le pot aux Roses fut découvert. On a sû par-là que Sagisse a beau [472] lire, raisonner, se mêler des affaires d’autrui, que toutes ces occupations ne remplissent pas si fort son tems, qu’il ne lui en reste encore assez pour avoir besoin de se faire des amusemens où il entre moins de spiritualité,

Du Caffé de White, le 29. Juin.

La seule Nouvelle qu’il y ait ici, c’est que Cinthio, rebuté des rigueurs de Clarisse, a enfin resolu de faire l’amour à la veille mode, qu’il veut commencer le Roman par la queue, & qu’il a jetté ses plombs sur une jeune personne très-bien faite. Je ne doute point qu’il ne réüssisse ; car il se déclare avec beaucoup de franchise, sans pécher contre les lois de la bienséance. Metatextualidade► J’ai vu peu de Lettres où l’on dise librement sa pensée de meilleure grâce que dans la suivante. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► Mademoiselle,

Je vous écrivis Samedi par votre Femme de Chambre, & je reviens à la charge pour vous demander une séconde fois la grâce d’être admis chez vous. Je me garderois bien de vous en prier, si je crayois que le plus se- [473] vere honeur ne vous permît pas de me l’accorder. Je sai que vous êtes au-dessus des petits artifices, qui sont communs aux personnes de votre Sexe, qui se plaisent à chagriner sans raison leurs Amans. J’espere donc que vous rendrez justice à la pureté de mes intentions, que vous voudrez bien m’accorder une occasion de vous expliquer les motifs qui me font rechercher votre estime. Je ne m’amuserai point à vous entretenir de mes sentimens, jusqu’à ce que je sois informé que vous les approuvez. Ne cormprenant pas que la différence des Sexes nous doive obliger l’un ou l’autre à parler d’autre langage que celui de la droite Raison Je mettrai dans mes discours, autant de simplicité & de sincérité, que les autres y affectent d’embarras & de transports, du lieu de vous dire, que je mourrai pour vous, je déclare que je serois ravi de passer ma vie avec vous. Vous avez autant de beauté, d’esprit, de prudence, & de bonne humeur qu’aucune Dame que je connoisse. Cependant je vous avoue sans façon, que la seule chose qui me frappe dans ces perfections c’est que mon bonheur ou mon malheur dépendra de l’usage que vous en ferez. Pour moi, Mademoiselle, ce qui anime le plus mon amour est l’esperance qu’il fera réciproque. Je [474] vous prie de me faire savoir par votre Femme de Chambre quand je pourrai vous rendre visite. Je vous promets de ne vous entretenir que de choses indifférentes, quoi que je ne sâche pas trop bien de quelle maniere je pourrais m’approcher de vous à la premiere entrevüe, après la déclaration que je vous fais ici d’être,

Mademoiselle,

Votre très-obéissant, très-fidéle,
& très-humble Serviteur,
Cinthio. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

De mon Cabinet le 29. Juin.

Metatextualidade► On me rendroit un grand service, & ce seroit me fournir des secours pour le Traité que je mérite sur le jeu de mots, si l’on vouloit m’apprendre, à quelle classe des Savans qui parlent par pointes, il faut rapporter l’Auteur de la Lettre suivante. ◀Metatextualidade

[475] Nível 3► Carta/Carta ao editor► Monsieur,

« Il n’y a pas long-tems qu’il vous plut de nous donner une relation chimérique de la fameuse Famille des Bâtons, où vous sembliez insinuer que cette Famille est la plus ancienne, & la plus nombreuse qu’il y ait dans l’Europe. Je nie absolument que cela soit ni pour l’étendue, ni pour l’antiquité ; & je suis fort surpris que vous ayez eu l’audace de former cette prétention, puis qu’il est très-connu, que mon illustre & puissante Famille Romaine des ix. a eu le pas sur toutes les autres depuis le règne du bon Saturne. J’aurois bien des choses à dire si je voulois parler contre la vôtre, par exemple que les Fuseaux, & les Manches à Balai, ont toujours fait peu de figure, les uns réduits à filer & les autres à nettoyer les nies, pour gagner le pain qu’ils mangent. Mais ces objets sont indignes de ma colère. Il me suffira de donner un Catalogue de mes Ancêtres, pour mettre le Public en état de juger, qui de vous ou de nous a la préference ou la doit avoir. [476] L’origine commune de notre Famille fut une Dame fort fameuse & fort populaire, nommée, 1 Meretrix, de laquelle sortirent les Branches qui suivent, 2 Bellatrix, Lotrix, Nutrix, Obstetrix, Famulatrix, Coctrix, Ornatrix, Sarcinatrix, Textrix, Balneatrix, Portatrix, Famulatrix, Coctrix, Ornatrix, Sarcinatrix, Textrix, Balneatrix, Portatrix, Saltatrix, Divinatrix, Conjectrix, Comtrix, Debitrix, Creditrix, Donatrix, Ambulatrix, Mercatrix, Palpatrix, Praeceptrix, Pistrix. Je suis toute à vous,

3 Eliz. Potatrix. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1

1Ce mot Latin signifie une Femme publique, & si les Filles ressemblent à leur Mere, l’Auteur de cette Lette n’accommode pas mal le beau Sexe, faisant descendre de cette Tige la plûpart des Professions féminines.

2Cela veut dire en François, Guerriere, Lavandiere, Fileurse, Nourrice, Accoucheuse, Servante, Guisiniere, Coeffeuse, Coûturiere, Décrasseuse, Peigneuse, Débitrice, Créanciere, Prodigue, Coureuse, Marchande, Entremeteuse, Maîtresse d’Ecole, Meuniere.

3Elizabeth la Beuveuse ou l’Yvrognesse Quoi que le nom d’Elizabeth soit fort commun en Angleterre, on y est prévenu, je ne sai pourquoi, qu’il est de mauvais augure pour la vertu de celles qui le portent.