Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours VIII.
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Level 1
Discours VIII.
Level 2
Level 3
General account
« Cyrus, après le gain d’une
bataille, trouva parmi les prisonniers, Panthée, Dame
d’une grande beauté, & femme d’Abradate, Roi de
Susiane : il ne voulut pas la retenir lui-même, & la
mit sous la garde d’Araspe, jeune Seigneur Méde, qui
avoit soutenu en sa présence, que la beauté d’une femme
ne pouvoit jamais contraindre un honnête-homme à manquer
à son devoir, quand il avoit pris la résolution de s’en
acquitter. Cependant le jeune Méde n’eut pas plutôt
cette belle captive en sa garde, qu’il en devint
amoureux, qu’il mit tout en œuvre pour la suborner,
& qu’au désespoir de n’en pouvoir venir à bout, il
se préparoit à quelqu’extremité fâcheuse, lorsque Cyrus
en fut averti. Ce Prince qui l’aimoit dès
l’enfance, le manda au plus vîte, lui représenta son
crime avec beaucoup de douceur, & lui rappella ce
qu’il avoit dit lui-même à cette occasion. Là-dessus,
Araspe, touché d’une vive douleur, & pénétré de
honte, versa un torrent de larmes & lui répondit en
ces termes.
1 Nous n’avons pas deux ames; nous
n’en avons qu’une, & c’est quelquefois trop pour
notre malheur ; mais nous avons mille vices & mille
fausses excuses.
Level 4
Dialogue
Voulez-vous, Seigneur,
que je vous dise la vérité ? J’éprouve
sensiblement que j’ai deux ames. C’est une
nouvelle philosophie, que l’amour, ce grand
sophiste, m’a enseignée : en effet, si je n’avois
qu’une ame, elle ne pourroit pas être tout à la
fois bonne & mauvaise, ni aimer en même-tems
le bien & le mal, ni vouloir tout ensemble
faire une certaine chose & ne la pas faire.
Cela prouve clairement que j’ai deux ames : quand
la bonne est la plus forte, elle fait le bien ;
quand la mauvaise a l’avantage, elle entreprend
les actions vicieuses : maintenant que vous êtes venu à mon secours, ma bonne ame est
la plus puissante.
Level 3
General account
« 2La ville de Lacédémone attaquée
à l’improviste par une puissante armée de Thébains,
couroit grand risque d’être la proie de ses ennemis,
lorsque ses habitans attroupés coururent aux armes,
& se battirent avec toute la vigueur qu’on pouvoit
attendre de la nécessité où ils se trouvoient. Mais il
n’y en eut aucun qui se distingua d’une maniere aussi
éclatante, au grand étonnement de l’une & l’autre
armée, qu’Isadas, fils de Phœbidas, qui
étoit alors dans la fleur de sa jeunesse, &
très-remarquable pour la beauté de sa personne. Il
sortoit du bain lorsque l’allarme fut donnée ;
c’est-à-dire, qu’il n’eut pas le tems de mettre ses
habits, ni d’aller chercher ses armes. Cependant, plein
de zèle pour sa patrie, dans une rude extrémité, il
arrache une lance à l’un & une épée à l’autre, &
court, tête baissée, au plus épais des ennemis. Rien ne
put résister à son ardeur, & partout où il tourna
ses pas, il mit l’ennemi en fuite, sans recevoir une
blessure. Je ne déterminerai pas, dit Plutarque, si
quelque Dieu, pour le récompenser de sa grande valeur,
en eut un soin tout particulier dans cette journée,
& le couvrit de sa protection ; ou si les ennemis
frappés de la singularité de son équipage, & de la
beauté de sa personne, crurent qu’il y avoit en lui quelque chose au-dessus de l’homme. Les
Epheres, ou les principaux de la Ville, trouverent tant
de noblesse & de bravoure dans cette action, qu’ils
lui décernerent une guirlande ; mais ils le condamnerent
en même-tems à une amende de mille drachmes, pour avoir
paru à la bataille, sans être armé de toutes pieces. »