Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XIII.
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Discours XIII.
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Allgemeine Erzählung
J'ETOIS il y a quelque tems aux
Tuileries, assis sur l'un des bancs qui entourent le bassin.
La Marquise de Galean vint s'y asseoir avec un jeune homme
très-bien mis, ne trouvant point de place ailleurs. Je
compris que ce jeune homme l'intéressoit, & j'allois me
retirer, pour ne pas surprendre ses secrets, lorsqu'elle fut
abordée par un élégant, qu'elle appella Marquis, & qui
dès les premiers mots la traita si légèrement que je ne me
fis pas scrupule de croire qu'elle ne méritoit point
l'attention obligeante que je voulois lui témoigner. Il est
vrai que ce Marquis pouvoit n'être qu'un fat comme tant
d'autres, & ne manquer de décence avec elle, que par
défaut d'esprit ; mais pour le croire, j'étois au moins
autorisé à exiger qu'elle parût choquée des
premieres sottises qu'il lui disoit, & c'est ce qu'elle
ne fit point. Je gardai donc ma place, résolu de rester
jusqu'au bout, & très-persuadé qu'il y auroit quelque
conversation dont je pourrois hardiment faire mon profit. En
effet la Comtesse de Salmeon vint à passer, & une vive
exclamation de Madame de Galean, fit partir le pétulent
Marquis, qui depuis un moment ne disoit rien. Qu'est-ce
donc ! s'écria t'il, qu'a-t'elle vû d'extraordinaire ! Eh
quoi, répondit-elle, vous ne voyez pas cette folle avec son
éternel Baron ? Vous me pardonnerez, dit-il, je la vois
très-bien, mais je suis moins frappé d'elle, que de ce que
vous venez de dire ; vous appellez éternel un homme de deux
mois ? Oui, sans doute, répliqua-t'elle, un homme de deux
mois dont on ne fait rien, est exactement ce qu'il y a de
plus ancien dans le monde. Permettez-moi de tous contrarier,
reprit-il, la chose en vaut bien la peine,
& je tâcherai de plus que vous n'y perdiez rien.
Premierement votre principe est faux, parce qu'il est décidé
que l’on fait toujours quelque chose d'un homme ; en second
lieu, vous vous trompez sur le compte du Baron ; il ne lui
est rien moins qu'inutile, & peut-être n'a-t'elle jamais
eu personne qui lui ait rendu d'aussi importans services que
lui : il lui sert à afficher qu'à soixante ans elle n'a pas
encore perdu tous ses charmes, & cela, vû ce qui en est,
& vû son humeur coquette, est d'une très-grande
importance pour elle. Voilà qui est du dernier méchant,
s'écria la Marquise, en regardant le jeune homme il n’y a
que lui qui ait de semblables idées. C’est qu’il n’y a
peut-être que moi qui pense, reprit-il, & voilà ce qui
fait que l’on me trouve si méchant : si j’étois moins
pénétrant, plus crédule, plus facile à séduire, on diroit
mille belles choses de moi ; mais j'examine, je
réfléchis, je doute, je ne flatte personne, il n'est pas
étonnant qu'on se plaise à me donner des noms odieux. Les
femmes, par exemple, me déchirent en mon absence ; par quel
motif ! Me haïssent-elles, me méprisent-elles ? Ce n'est
point cela ; elles ne sont pas aussi injustes que, pour leur
repos, elles voudroient l'être ; mais je n'estime leurs
saveurs que ce qu'elles valent, je ne leur prête point de
vertus, c’est-à-dire, je leur en accorde fort peu ;
j’empêche que des jeunes gens foibles ou ignorans ne tombent
dans des pieges qu'il n'est même pas permis de ne pas
remarquer, tant ils sont peu cachés ; & elles disent
partout que je suis méchant ; furieuses de ne me trouver que
vrai,& honteuses peut-être de leur déreglement ou de
leur maladresse, qui les livre à toute ma pénétration.
Malgré ces éclats & cette haine apparente, je suis
persuadé que dans le fonds, elles seroient bien-aise de
pouvoir décemment me témoigner de la
bonté, & je m’en rapporte à vous. En vérité, dit Madame
de Galean, voilà le paradoxe le plus singulier que j'aie
encore entendu. Elles vous déchirent, & seraient
bien-aise de vous montrer de la bonté ? Je ne sçache pas
qu'il puisse y avoir rien de si absurde que cette pensée
. . . Vous m'enchantez, lui répondit-il ; si je suis à vos
yeux ce qu'il y a de plus inconséquent, il faut avouer aussi
que vous êtes aux miens ce qu'il y a de plus étrange :
souffrez que je vous justifie ce paradoxe si choquant : vous
y gagnerez sans doute, car je juge bien, par ce que vous
venez de dire, que vous ne connoissez pas plus votre propre
cœur, que celui des autres femmes. Monsieur trouvera bon que
j'interrompe la conversation qu'il avoit avec vous, dit-il,
en regardant le jeune homme assez cavalierement ; vous la
reprendrez tantôt avec plus de plaisir parce que vous serez
en état de la rendre plus intéressante l’un
& l'autre, étant mieux instruits. Le jeune homme ne
répondit rien. Sa contenance étoit celle d'un homme pénétré
de douleur & de surprise. Je compris qu'il aimoit Madame
de Galean ; qu'il l'avoit cru jusqu'alors estimable &
respectée, & qu'il jugeoit par le ton que le Marquis
prenoit avec elle, qu'elle ne méritoit ni ses soins ni son
estime. Madame de Galean vit aussi tout ce que je voyois ;
elle voulut quitter la promenade, mais un mouvement plus
raisonnable la retint ; & je compris qu'elle aimoit
mieux, en restant, se conserver le moyen de détruire le
mauvais effet des impertinens propos du Marquis, que de lui
donner des armes contre elle par un départ inconsidéré. En
général, continua le Marquis, les femmes se rendent plus de
justice qu'on ne croit & qu'elles ne croyent
elles-mêmes : comme la plûpart de leurs défauts
ne sont que l'ouvrage de la réduction ou de la singularité,
elle n'en ont presque aucun qu'elles ne connoissent, &
dont elles ne cachent mieux que personne ce que l'on doit
penser : plus foibles que folles, & conséquemment plus
inconsidérées que hardies, elles n'ont pas le front de haïr
un honnête homme qui les juge ; souvent même elles auroient
assez de probité pour l'aimer, pour l'estimer du moins
publiquement, si une foiblesse malheureuse ne les
subordonnoit entierement à ces femmes audacieuses, que la
sottise des hommes a érigé en précepteurs du sexe, & qui
ont reglé qu'il falloit détester quiconque auroit
l’insolence de critiquer les femmes Vous, par exemple, vous
êtes le meilleur exemple que je puisse citer de la vérité de
mon opinion : vous avez commis, en votre vie, vingt
injustices ; vous avez fait mille choses que votre caractere démentoit, & qu'on ne doit attribuer
qu'au pouvoir tyrannique du bel air : vous ne vous êtes
jamais doutée de ce que je dis-là? Avouez-le ; eh, comment
auriez-vous pu vous appercevoir que vous étiez injuste !
Vous n'imaginiez pas même que vous pussiez le devenir. Trop
séduite pour vous soupçonner d'erreur, tout ce que vous
faisiez vous paroissoit légitime ; ce n'étoit pas vous qui
avoit tort, c'étoient ces monstres de femmes qui se
plaisoient à corrompre votre jugement ; vous vous croïez
innocente, & vous étiez très-coupable ; on vous accusoit
d'être méchante & vous n'étiez que foible. Vous voyez,
poursuivit-il, d'un ton très-affecté, que quelques raisons
que vous m'aïez donné de me plaindre de vous, je suis bien
éloigné d'en tirer avantage? Je sçais modérer mes passions
& les soumettre à mes principes ; j'ai vû que vous étiez
vous-même soumise à un astre dominant,
& je vous ai plaint au lieu de vous haïr. Le Marquis se
tut & sans attendre la réponse de Madame de Galean,
prenoit congé d'elle d'un air triomphant, lorsque le jeune
homme le levant du plus grand sang froid du monde, tira une
profonde révérence, & se mit presque à courir. Le
Marquis fit un éclat de rire en le voyant disparoître :
qu'a-t'il donc ? où va-t'il avec cet air égaré ?
demanda-t’il ironiquement à la Marquise ; je n'en sçais rien
dit-elle, en baissant les yeux, je n'y conçois pas plus que
vous. . . . . . Je serois désesperé que mes discours
l'eussent fait fuir ; reprit-il : il est peut-être assez sot
pour en conclure quelque chose contre vous ; ces jeunes gens
ont la bêtise d'estimer, & la moindre chose les
effarouche. . . . Ce que Madame de Galean répondit, ne
parvint pas jusqu’à moi ; le Marquis ne lui parla plus qu’à
l’oreille, & sans doute, je perdis de
belles choses ; cependant tout ne m'échappa pas, quelques
mots que je pus distinguer, m'apprirent que l’absent alloit
être sacrifié au plaisir de former une intrigue nouvelle. Ne
pouvant plus rien entendre, je me levai & partis,
regardant cette aventure comme très-terminée &
n’imaginant pas que sa conclusion réelle méritât une grande
attention de ma part. Cependant le dépote précipité du jeune
homme me revint à l'esprit ; je pensai qu'il n'avoit pas
pris son parti si brusquement, sans être préoccupé de
quelque forte idée & que cette singuliere brusquerie
produiroit quelque sccène digne de la curiosité d’un
Spectateur. En effet, je ne me trompois pas ; je ne pensois
même que trop juste & voici ce qui arriva le lendemain.
Le jeune homme que j’appellerai le Chevalier, vient trouver
le Marquis à sept heures du matin. En l’abordant il avoit les yeux égarés & précisément l'air d'un fou.
Je suis amoureux, Monsieur, lui dit-il, sans autre préambule
mon début vous annonce allez mon dessein. J'aimois Madame de
Galean depuis un mois, quand vous l'avez abordée hier au
soir : soit raison, soit folie, je ne l’avois point examinée
jusqu'alors ; je ne m'étois point informé d'elle, je la
croyois aussi estimable qu'elle vouloit me le paroître,
& je l'adorois ; je ne vivois de ne pouvoir plus vivre
que par elle : c'est le sort des jeunes gens de s'aveugler,
pour peu qu'une conquête flatte leur vanité. La façon dont
vous lui parlâtes, me fit ouvrir subitement les yeux ; &
la réflexion, que le dépit rend toujours imperieuse, a
achevé de détruire le charme qui m'avoit seduit. J'ai vû
dans Madame de Galean une femme dont j'avais été la dupe,
& dont bientôt j’eusse été la victime ; les informations
que j'ai faites m'ont appris qu'elle étoit
un peu plus coquette que légére, & un peu plus galante
encore que coquette ; j'ai sçu enfin qu'elle ne méritoit que
mon mépris ; mais ces traits de lumiere n'ont éclairé que
mon esprit. Je la méprise, mais je l'adore encore ; je sens
même que ni le mépris, ni le dépit, ni la suite ne pourront
jamais me prêter aucun secours contre ma passion, &
puisque c'est par vous que je suis devenu malheureux,
puisque ce sont vos discours qui m'ont condamné à fournir
éternellement autant de honte que de douleur & d'amour ;
il faut que je m'en venge sur vous-même, & je ne pense
pas que vous vouliez vous opposer à une résolution qu'aucune
considération humaine ne peut plus balancer. La longueur de
la harangue du Chevalier avoit donné au Marquis le tems de
se remettre. Il lui dit qu'il étoit fâché que
ses discours eussent eu une aussi fâcheuse suite, & que
s'il l'avoit pu prévoir, il n'est pas douteux qu'il les lui
eût épargnés. Il ajouta qu'il ne devoit pas prendre à la
lettre les plaisanteries qu'il avoit faites à Madame de
Galean, parce qu'il étoit un peu fâché contre elle lorsqu'il
l'avoit abordée, & que les momens du dépit sont ceux de
l'exagération & de l'injustice. D'ailleurs, ajoura-t'il,
quand Madame de Galean seroit telle que j'ai voulu la
représenter, ignorez-vous, Monsieur, qu'une coquette peut
devenir sensible, & que huit jours de passion peuvent
lui donner autant de vertus qu'on pouvoit lui reprocher de
défauts avant ce moment-là ! J'ai une autre représentation à
vous faire. Quand on aime avec passion on ne voit dans ses
sentimens que des plaisirs ou des peines éternelles, suivant
qu'on est est heureux ou malheureux ; on croit qu'on aimera toujours : les infidélités qu'on a faites ou
éprouvées, se présentent vainement à l'esprit ; le cœur est
séduit & il n'y a plus que lui qui agisse ; vous êtes
dans cet état à présent ; vous aimez Madame de Galean ; Vous
oubliez que jamais il ne fut de passion éternelle, & que
c'est même un bien qu’il ne puisse en avoir. Mais vous ferez
un jour cette réflexion, & vous serez alors bien étonné
qu'il ait fallu que vous en ayez l'obligation à un homme que
vous regardiez comme votre ennemi. Parler raison à un fou
qui veut se battre, c'est être encore plus fou que lui. Le
Chevalier se leva, & du ton d'un homme qui n'a pas de
tems à perdre ; je suis amoureux, Monsieur, je vous l'ai
dit ; il faut me suivre ou nous battre ici tout-à-l'heure.
Le Marquis est né brave & fut choqué de
cette incartade ; il lui eût fait passer son envie sur le
champ ; mais il avoit un rendez-vous le soir avec Madame de
Galean, & il ne voulut pas différer un plaisir qui
pouvoit être perdu pour jamais. Monsieur, lui dit-il
plaisamment, je suis fâché que vous soyez si pressé ;
trouvez bon que je ne le sois pas autant que vous ; j'ai une
petite affaire à regler aujourd'hui avec une femme qui me
veut du bien ; je ne puis en conscience me refuser à sa
bonne volonté : je serai libre demain, & si vous
voulez. . . . . . Ah, s’écria le bouillant Chevalier, c'est
avec la perfide que vous avez ce rendez-vous, vous n'y irez
pas, ou elle ne vous verra que couvert de mon sang. A ces
mots il mit l'épée à la main, & força le Marquis à se
battre en robe de chambre ; mais le combat ne fut pas
heureux pour lui, car il reçut deux coups d'épée, sans
pouvoir en donner un seul.
Metatextualität
Voilà une aventure très-vraie,
& je voudrois pouvoir dire très-singuliere ; mais
malheureusement un fat, une coquette & un jaloux, ne
peuvent plus occasionner d'aventures qui ne soient
très-vraisemblables.