Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XII.
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Nível 1
Discours XII.
Nível 2
Metatextualidade
Nível 3
Diálogo
Dialogue.
La Duchesse Mazarin.
Saint-Evremond.
La Duchesse.
Voudriez-vous toujours
me paroître extraordinaire ! Que dans l’autre monde vous
ne sentissiez pas le ridicule de votre passion, à la
bonne heure ; cela n’est pas tout-à-fait inconcevable :
quoique vieux & presque usé, vous
pouviez espérer un caprice ; j’étois vive & légère ;
vous aviez de l'esprit, de la complaisance, de la
finesse, beaucoup d'usage des femmes ; toutes choses,
qui avec du tems & de la patience, peuvent produire
les révolutions les plus favorables, dans un cœur tel
qu'étoit le mien. Mais à présent, que pouvez-vous
attendre de vos beaux sentimens ? Il n'y a plus de
caprice à espérer. Saint-Evremond.
Vous avez jugé de ma passion par l'opinion que vous
aviez prise de l'amour, dans le monde ? Permettez-moi de
vous dire que vous ne l’aviez pas bien connue. Il est un
amour général que tous les hommes sentent, auquel ils
donnent les titres les plus nobles, & sans l'empire
duquel ils auroient à un certain âge peu de vrais
plaisirs, & peut-être peu de vrai mérite. Cet amour-là est l'effet naturel du feu de
l'âge : on le place honnêtement dans le cœur ; mais il
n'est que dans le sang & dans l'imagination : celui
qui le sent lui attribue une origine illustre, &
prend de bonne foi ses sensations pour des sentimens ;
celui qui le définit le prend pour ce qu'il est, &
ne le distingue pas du desir machinal des faveurs. Il
est un autre amour beaucoup plus noble, & beaucoup
plus rare que le premier : il se forme de l'impression
délicate de la beauté, de l'estime sympathique des
vertus & des talens, de l'attrait séduisant de
l'esprit ; du rapport des ames, de de la douceur de
l'habitude. Il se nourrit & s'augmente par le seul
attrait qui l'a fait naître : le desir des faveurs, ne
lui est, ni nécessaire ni étranger ; il desire avec
délicatesse & jouit avec œconomie. Cet amour là est
l'effet de l'honnêteté de l'ame & des réflexions de
l'esprit. Dans le printemps de la vie on le regarde comme une idée de roman ; dans l'âge mûr,
on le chérit comme un sentiment délicieux. Voilà l'amour
que je sentois pour vous, & que je sens encore : il
est précisément dans l’ame ; il a trouvé la mienne telle
qu'il lui en falloit une ; & il s'y est conservé.
La Duchesse.
Je ne vous
concevois pas tout-à-l'heure ; je vous conçois encore
moins à présent. Si vous sentiez véritablement cet amour
si délicat, à qui les faveurs ne sont pas nécessaires,
pour quoi étiez-vous si jaloux des préférences que je
paroissois accorder à vos rivaux ? Vous voyez bien que
cette seule contradiction entre vos idées & vos
sentimens prouve que vous venez de peindre une chimére !
Saint-Evremont.
Je vous
retrouve bien dans vos jugemens : mais votre vivacité
n'a plus sur mon esprit ce pouvoir dont
elle abusoit : la mort a détruit l'inégalité qui étoit
entre nos esprits, la matiere n'agit plus ; je puis vous
suivre & vous arrêter ; souffrez que je vous
désabuse. De ce que l’on gâte une chose, doit-on
conclure qu'elle n’existe pas ? Je gâtois l'amour pur
dont je brûlois pour vous, parce que j'avois connu trop
tard un amour si délicat ; l'habitude des plaisirs avoit
donné le ton à la machine : j'étois jaloux, parce que la
matiere ne cede jamais tout à l’ésprit lorsqu’on lui est
trop accordé. Mais dans le fond de mon cœur, je
rougissois de ma jalousie, & ne me dissimulois pas
que j’étois indigne de sentir la noble ardeur dont vous
me pénétriez. La Duchesse.
Cette
noble ardeur & toutes vos belles idées, n'étoient
qu'une erreur de votre esprit : un si parfait amour
seroit mieux connu des hommes, s'il existoit réellement ; on en verroit quelques traces
sur la terre, & je ne l'ai encore vu que dans vos
métaphysiques raisonnemens. Saint-Evremond.
Je ne dirai pas qu'il soit
bien commun ; mais il n'est pas si rare que vous vous
l'imaginez ; il y a même des cœurs à qui seul il
convient. La Duchesse.
Tant pis
pour ces cœurs-là. Les hommes sont faits pour penser
tous de même ; ceux qui se séparent du corps général,
fût-ce pour penser mieux, ont moins de plaisirs &
plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté à
s'assortir, ils sont heureux sans témoins ; s'ils en
ont, leur bonheur passe pour un ridicule ; il faut
qu'ils consacrent leur vie à les justifier : ils
trouvent à peine le moment d’en jouir. Saint-Evremond.
Ils
l'augmentent en le justifiant, ou bien ils dédaignent
d'en prendre la peine ; ils se contentent d'être heureux
en eux-mêmes. Croyez- vous que le bonheur ne soit que
dans l'éclat ? La Duchesse.
Si ce
que vous soutenez étoit vrai, je trouverois tous les
hommes à plaindre. Ils ne seroient plus heureux qu'en
particulier, il n'y auroit plus cette société que leurs
plaisirs forment. Croyez-moi, il faut aux hommes
plusieurs objets de bonheur : si vous diminuez le cercle
de leurs plaisirs, vous diminuerez celui de leurs idées
& de leurs intérêts ; le monde entier ne sera plus
pour chacun qu'un très-petit espace ; à une ligne du
point de leur félicité, il n'y aura plus rien qui mérite
leurs soins : le monde ainsi divisé, sera bientôt
détruit. Il faut que les choses soient
comme elles sont ; elles n'auroient pas tant duré si
elles n'étoient pas bien.
Nível 3
Diálogo
La Duchesse Mazarin. Saint-Evremond.
La Duchesse.
Voudriez-vous toujours me paroître extraordinaire ! Que dans l’autre monde vous ne sentissiez pas le ridicule de votre passion, à la bonne heure ; cela n’est pas tout-à-fait inconcevable : quoique vieux & presque usé, vous pouviez espérer un caprice ; j’étois vive & légère ; vous aviez de l'esprit, de la complaisance, de la finesse, beaucoup d'usage des femmes ; toutes choses, qui avec du tems & de la patience, peuvent produire les révolutions les plus favorables, dans un cœur tel qu'étoit le mien. Mais à présent, que pouvez-vous attendre de vos beaux sentimens ? Il n'y a plus de caprice à espérer.Saint-Evremond.
Vous avez jugé de ma passion par l'opinion que vous aviez prise de l'amour, dans le monde ? Permettez-moi de vous dire que vous ne l’aviez pas bien connue. Il est un amour général que tous les hommes sentent, auquel ils donnent les titres les plus nobles, & sans l'empire duquel ils auroient à un certain âge peu de vrais plaisirs, & peut-être peu de vrai mérite. Cet amour-là est l'effet naturel du feu de l'âge : on le place honnêtement dans le cœur ; mais il n'est que dans le sang & dans l'imagination : celui qui le sent lui attribue une origine illustre, & prend de bonne foi ses sensations pour des sentimens ; celui qui le définit le prend pour ce qu'il est, & ne le distingue pas du desir machinal des faveurs. Il est un autre amour beaucoup plus noble, & beaucoup plus rare que le premier : il se forme de l'impression délicate de la beauté, de l'estime sympathique des vertus & des talens, de l'attrait séduisant de l'esprit ; du rapport des ames, de de la douceur de l'habitude. Il se nourrit & s'augmente par le seul attrait qui l'a fait naître : le desir des faveurs, ne lui est, ni nécessaire ni étranger ; il desire avec délicatesse & jouit avec œconomie. Cet amour là est l'effet de l'honnêteté de l'ame & des réflexions de l'esprit. Dans le printemps de la vie on le regarde comme une idée de roman ; dans l'âge mûr, on le chérit comme un sentiment délicieux. Voilà l'amour que je sentois pour vous, & que je sens encore : il est précisément dans l’ame ; il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloit une ; & il s'y est conservé.La Duchesse.
Je ne vous concevois pas tout-à-l'heure ; je vous conçois encore moins à présent. Si vous sentiez véritablement cet amour si délicat, à qui les faveurs ne sont pas nécessaires, pour quoi étiez-vous si jaloux des préférences que je paroissois accorder à vos rivaux ? Vous voyez bien que cette seule contradiction entre vos idées & vos sentimens prouve que vous venez de peindre une chimére !Saint-Evremont.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens : mais votre vivacité n'a plus sur mon esprit ce pouvoir dont elle abusoit : la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre nos esprits, la matiere n'agit plus ; je puis vous suivre & vous arrêter ; souffrez que je vous désabuse. De ce que l’on gâte une chose, doit-on conclure qu'elle n’existe pas ? Je gâtois l'amour pur dont je brûlois pour vous, parce que j'avois connu trop tard un amour si délicat ; l'habitude des plaisirs avoit donné le ton à la machine : j'étois jaloux, parce que la matiere ne cede jamais tout à l’ésprit lorsqu’on lui est trop accordé. Mais dans le fond de mon cœur, je rougissois de ma jalousie, & ne me dissimulois pas que j’étois indigne de sentir la noble ardeur dont vous me pénétriez.La Duchesse.
Cette noble ardeur & toutes vos belles idées, n'étoient qu'une erreur de votre esprit : un si parfait amour seroit mieux connu des hommes, s'il existoit réellement ; on en verroit quelques traces sur la terre, & je ne l'ai encore vu que dans vos métaphysiques raisonnemens.Saint-Evremond.
Je ne dirai pas qu'il soit bien commun ; mais il n'est pas si rare que vous vous l'imaginez ; il y a même des cœurs à qui seul il convient.La Duchesse.
Tant pis pour ces cœurs-là. Les hommes sont faits pour penser tous de même ; ceux qui se séparent du corps général, fût-ce pour penser mieux, ont moins de plaisirs & plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté à s'assortir, ils sont heureux sans témoins ; s'ils en ont, leur bonheur passe pour un ridicule ; il faut qu'ils consacrent leur vie à les justifier : ils trouvent à peine le moment d’en jouir.Saint-Evremond.
Ils l'augmentent en le justifiant, ou bien ils dédaignent d'en prendre la peine ; ils se contentent d'être heureux en eux-mêmes. Croyez- vous que le bonheur ne soit que dans l'éclat ?La Duchesse.
Si ce que vous soutenez étoit vrai, je trouverois tous les hommes à plaindre. Ils ne seroient plus heureux qu'en particulier, il n'y auroit plus cette société que leurs plaisirs forment. Croyez-moi, il faut aux hommes plusieurs objets de bonheur : si vous diminuez le cercle de leurs plaisirs, vous diminuerez celui de leurs idées & de leurs intérêts ; le monde entier ne sera plus pour chacun qu'un très-petit espace ; à une ligne du point de leur félicité, il n'y aura plus rien qui mérite leurs soins : le monde ainsi divisé, sera bientôt détruit. Il faut que les choses soient comme elles sont ; elles n'auroient pas tant duré si elles n'étoient pas bien.Metatextualidade
Portraits.
J’AI déjà fait sentir l'utilité des portraits dans un Livre
où l’on se propose de faire connoître les mœurs d'un siécle,
& les hommes d'une nation. Les portraits plairont
toujours, pourvu qu'ils soient vrais : les premiers qu'on a
vus l'étoient & ont plu à plusieurs personnes : en voici
de nouveaux qui ne plairont pas moins par cette raison.
Metatextualidade
Retrato alheio
Portrait de
Julie. Julie est une de ces filles sans état, sans
attachement, & presque toujours sans caractere,
ausquelles on paye grassement le sacrifice de leur honneur,
sans s'embarrasser si elles en eurent jamais , pour
lesquelles on a de la passion sans amour, & de la
constance sans estime ; qui aiment toujours
moins celui de qui elles reçoivent, que celui à qui elles
donnent ; qui ruinent l'un sans remord, & se ruinent
avec l'autre sans honte ; que l'on paye parce qu'elles sont
cheres ; que l'on prend parce qu'elles ont été prises, &
que l'on garde souvent parce qu'elles sont infideles. Julie
n'a guere que l'état de commun, avec ces vertueuses
personnes : un caractere différent & tout particulier la
fait distinguer des gens même qui ne distinguent point,
parce qu'ils ne pensent pas. Elle est folle à l'excès, avec
un cœur capable d'attachement ; ne recevant que par
situation ; méprisant l'argent, & ne le regardant comme
un prix nécessairement dû à ses faveurs, que lorsqu'on n'a
fait aucune impression sur elle : facile à s'enflammer, mais
alors même capable de probité envers celui qu’elle va
trahir : sans art lorsqu'elle aime ; sans
détour lorsqu'elle n'aime plus ; déclarant aussi naïvement
ses sentimens que ses dégoûts ; n'ayant ni les intrigues de
la galanterie, ni le manege de l'amour propre, ni les
finesses de l'imposture ; ne distinguant point les états ;
trouvant tous les hommes égaux pour elle, ne rougissant
jamais, & n'ayant jamais à rougir.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait de
Crésus. Crésus a été une espece d'être à la mode :
quelques femmes dans des momens d'embarras, l'érigerent en
idole, & il passa, comme de raison, de l'une à l'autre.
Mais Crésus se rendant justice, se sentant obscur malgré son
or, & trompé malgré ses largesses, a pris le parti
d'acheter une maîtresse en forme, unique moyen de s'assurer
quelque propriété. Né avec toute la morgue imaginable, son
nouvel état n'a pas peu servi à doubler son impertinence. Il
a acheté une esclave ; il veut regner en tyran.
Les gens du bel air attendent que quelque usurpateur le
chasse de son empire ; on nomme déjà l'ennemi qui doit le
détrôner, il est dans sa maison, & ne cache point ses
desseins mais Crésus ne le soupçonne pas, parce qu'il croit
qu'on doit respecter un jaloux comme un honnête homme.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait de Belise
& de Cloé. Belise & Cloé sont les deux
plus impudentes personnes qui aient jamais paru sur la
terre. Elles disent hautement qu'un desir est une monnoie
courante. Nées avec une tête très-chaude tous les hommes
sont à leur bienséance ; toute rencontre est une occasion,
& toute affaire une bonne fortune : Préférant le nombre
au choix, & ayant toujours pensé de même, il leur seroit
difficile aujourd'hui de dire quelle aventure leur a jamais
fait plus de plaisir. Elles ont toutes deux autant d'esprit qu’on en puisse avoir ; il s'en faut
bien qu’elles soient également partagées du côté de la
figure. Leur visage, au-dessous du médiocre, est encore gâté
par une enluminure naturelle que tout l'arc ne pourroit
couvrir. Malgré cela elles ont eu qui elles ont voulu
avoir : elles ne plaisent pas, mais elles subjuguent ; leur
esprit fin, vif, pénétrant & hardi, leur est d'une
ressource extraordinaire : si quelqu'un étonné de ce
prodigieux empire, leur demandoit le moyen dont elles se
servent pour l’étendre tous les jours, elles pourroient
répondre comme la feue Maréchal d’Ancre, interrogée par le
Conseiller Courtin, nous nous servons du pouvoir que les
ames fortes ont sur les esprits foibles.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait d’un
homme qui n’est plus. Le * * de * * * vivoit au
commencement de ce siecle, & mérita d’être connu,
quoiqu’il n’eût, à proprement parler, ni vices
ni vertus. Il jouoit un rôle à la Cour, quoiqu'il y fût
inutile, & devoit beaucoup aux femmes, quoiqu'il ne fût
que galant. Né sans esprit il n'en aimoit que plus à
parler ; mais il étoit plaisant, & son radotage se
tournoit quelquefois en style : il avoit le cœur bon &
disoit du mal de tout le monde ; n'estimoit aucune femme,
aimoit qu'on les déchirât, & étoit toujours leur dupe à
la moindre apparence de vertu : il disoit du mal de tous les
Ministres, ne concevoit pas comment un homme pouvoit se
résoudre à l'être, & n'avoit publiquement d'autre
ambition que de le devenir. Quoique galant & homme de
Cour, un air de grossierté ne lui déplaisoit pas ; il aimoit
qu'on eût un caractere, & celui là surtout. Il se
plaignoit de la politesse de la nation dans tous les états.
Ses valeurs étoient insolens, & il rioit de leur
brutalité ; il disoit que sans eux, il n’auroit jamais vû
des hommes au naturel.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait de Pamphile. Pamphile est un jeune
Sénateur à qui deux bonnes fortunes très-équivoques ont
tourné la tête. On n'a jamais vû tant d'arrogance & si
peu de mérite. Sa fatuité même n'est pas un talent : il
affecte le mépris, & dans la crainte de plaire, ne parle
que par monosyllabes : quelque chose que vous puissiez lui
dire, il n'est jamais de votre sentiment & ne dit pas le
sien ; vous lui adressez la parole, il ne répond point, il
vous marche sur le pied, vous heurte, s'en apperçoit, &
ne vous fait pas la moindre excuse. Il parle aux femmes avec
insolence ; s'il est interrogé par elles sur le motif de ce
mépris, il ne leur fait pas l'honneur de l'attribuer à ses
réflexions, à son expérience ; il se contente de sourire
dédaigneusement, & veut qu'on voye que c'est sa façon
d'être. Pamphile, enfin, est un homme à qui il faut
souhaiter des malheurs, des aventures
humiliantes, si l’on prend un certain intérêt au bonheur de
la société.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait de Madame
& de Mademoiselle de Clairy. Madame de Clairy
est en gros une assez bonne femme, & en détail une fort
sotte personne. La familiarité, la flatterie, la joie
bruiante, sont ses vertus de société ; de cela dit tout :
ces trois défauts ne peuvent faire qu'un objet
très-désagréable, & rien ne peut les racheter. Elle est
affable, souvent avec bassesse, plus ouvert avec
grossiereté. Ses louanges sont toujours outrées, elles ont
si rarement le mérite pour objet, elles <sic> les
prodigue avec tant de facilité, & les prononce avec tant
de bruit, qu'elles sont indifférentes aux ennemis même de
ceux qu'elle en accable le plus. Son enjouement est un ris
continuel, de ces ris à grands cris, de ces ris à la toise,
qui ne font rire personne, qui étourdissent
tout le monde ; de ces ris enfin, qui ressemblent aux
transports de l'ivresse, de la folie, de la fureur, &
qui ne ressemblent, selon moi, à rien d'aussi insupportable
qu'eux. Madame de Clairy, cependant, a des prôneurs ; ce
seroit bien assez qu'elle eue des amis, je n'y trouverois
rien de bien étonnant ; elle peut avoir quelque qualité qui
efface le ridicule de ses défauts, de donne de l’indulgence,
en inspirant l'estime ; mais comment peut-on lui trouver du
mérite, & la louer de bonne foi, n'étant pas son ami
& ne connoissant pas son cœur ? c'est pourtant ce qui
arrive & ce dont je suis témoin tous les jours. Je
sçavois qu’un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire,
mais je ne croyois pas que les preuves de cet axiome pusent
être poussées aussi loin. Mademoiselle de Clairy est une
jeune personne à qui la nature n’a refusé que
Ie désir de plaire : son indolence ôte à sa beauté ce
charme, ce je ne sçais quoi toujours vû, toujours senti avec
un nouveau plaisir ; cependant elle est si régulierement
belle, si bien faite, & le son de sa voix a quelque
chose de si délicieux, qu'on ne se plaint qu'à la nature de
ce qu'elle n'est que belle. On pourroit lui dire. Citação/Lema
Vous êtes belle, & le Ciel
en votre ame A répandu ses trésors précieux ; Vous avez
tout, hors l'esprit d'une femme, J’entens l’esprit qui
brille dans leurs yeux, Forme leur cœur, leur donne
mille idées, Et leur imprime un air intéressant.
Instruit, rusé, sensible, pénßetrant, Long-tems avant
qu’elles soient décidées, C’est-à-dire, presqu’en
naissant. Sans cet esprit, la beauté solitaire, Manque
d’éclat & n’est plus un bonheur : Il ne se donne
point ; mais un ami sincere, Par ses leçons, peut porter
dans le cœur Des sentimens sont l’ardeur salutaire En
tienne lieu ; car ce qui touche, éclaire, &c.
Retrato alheio
Citação/Lema
Retrato alheio
Portrait de Madame la * * * * * *, sous le nom de Vénus.
1 Ne cherchez plus
Vénus à Cythere, elle est aujourd'hui dans nos murs. Peu
satisfaite du culte immodeste qu'on lui rendoit à Amathonte
& à Paphos, elle s’est promenée par toute notre Europe ;
& s'il n'étoit pas impie de dire que Vénus peut
s'embellir, je dirois du moins qu'elle a pris de nouvelles
grâces chez les nations qu'elle a embellies par sa présence.
Je la vois tous les jours, & j’admire le mélange
ingénieux qu'elle a sçu faire de tous les mérites des
peuples heureux qui l'ont possédée. Comme elle s'est fixée
en France, elle y a trouvé tous les goûts perfectionnés :
elle les a pris & les a perfectionnés
encore, mais elle a rejetté nos défauts, notre légéreté
&nos contrariétés. Nous faisons cette injure aux femmes
d'admirer les beautés de la figure, avant que d'examiner les
beautés de l’ame : il faut se conformer à l’usage. Notre
divinité a la plus belle & la plus riche taille qui
puisse annoncer une immortelle ; il ne lui manque qu'un
casque & un bouclier pour paroître Pallas, & une
couronne pour représenter Junon ; mais on aime mieux encore
l'adorer sous les traits de Vénus. Elle unit la jeunesse à
la majesté ; ses traits d'un enfant à la bonne mine de l'âge
mûr. Ses yeux sont doux & portent l’amour dans tous les
cœurs ; sa bouche surtout, sa belle bouche est le théâtre de
toutes les grâces qui se succédent & se varient à
l'infini ; ses dents sont des perles parfaites ; c'est le
rire, le sourire, la joie, la vérité, la confiance & l’amitié, parfaitement représentis :
l'amour s'y mêle quelquefois, & alors il faut tomber à
ses genoux en l'adorant, sans concevoir qu'on puisse être
aussi belle.2Oui, sa bouche & ses yeux sont l'image
de son ame ; elle regne sur nos cœurs, elle inspire toutes
les passions qui font le doux lien de la société & le
bonheur de la vie. Voulez-vous peindre la santé & la
force sans rudesse ! Les Peintres & les Statuaires la
prendroient pour modele : les Maîtres de Danse & tous
ceux qui montrent les exercices du corps, recevroient des
leçons d’elle. Si elle ne possede pas tous les jeux aussi
bien que ceux qui en font leur occupation, c’est qu’elle est
persuadée avec raison, que souvent les plus aimables graces
se développent dans les choses qu’on fait imparfaitement.
Les deux principaux points de son
caractere, sont la douceur & l’amour de la liberté. Le
premier a quelquefois pris pour le second, mais elle y a
remedié promptement, dès que la séduction d’une aimable
complaisance a pu la mener trop loin. Qu’est-ce, en effet,
que l’usage de notre existence, sans celui de la liberté, ou
sans l’opinion du moins qu’on est libre ! Nos peines, nos
déplaisirs viennent rarement de la nature ou du hasard ;
c’est la contrainte qui altére nos inclinations, nos desirs
& nos mouvemens : en les contrariant elle leur donne une
violence excessive de nos entours ; nos passions ne seroient
que des penchans, & nos desirs que des desseins
délibérés : saisissant le bien & le mal par un même
sentiment, & dans le même instant, nous préférions
toujours le bien au mal, parce que la nature est droite
& bienfaisante. La douceur détermine
toujours notre divinité au parti du bien ; c’est pour y
perséverer qu’elle veut rester libre. La douceur est le
premier de ses charmes ; elle est bonne & bienfaisante,
comme la nature elle-même ; elle n’a comme Astrée de desirs
que pour le bonheur des humains. Son esprit est plus cultivé
par la fréquentation des hommes instruits, que par l’étude
& la théorie. Ce n’est pas une Muse studieuse &
appliquée aux méditations philosophique (les Déesses sont
au-dessus des Muses.) Elle sera ce qu’elle voudra &
quand elle voudra. Elle a un esprit qui n’a besoin que
d’entrevoir pour apprendre, & de penser pour pouvoir
instruire. Dans ses voyages, elle a pris la fleur de toutes
les langues ; & les mêlant naïvement ensemble quand elle
néglige de s’observer, ses irrégularités même sont de
nouvelles découvertes pour nos oreilles charmées. Elle a fort méprisé le Dieu des richesse ;
elle n’a accepté de ses dons, que ce qu’il en faut pour
éviter de paroître au-dessous de soi-même. Elle ne
quitteroit point mes campagnes pour en aller chercher de
plus abondantes ; les seuls mouvemens de son cœur & la
voix de la nature 3pourroient la
déterminer à de nouveaux voyages. La fidélité la fixe ici,
où sans dédaigner les amours, dont elle est la mere, elle
sacrifie encore plus à l’inviolable amitié, qu’à ses propres
enfans, qu’elle connoît pour très-frivoles &
très-volages.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait de la ***
de **. La *** de ** est extrêmement
capricieuse : il n’y a point de moyen sûr de lui plaire ;
elle n’en indique aucun ; elle ne voit jamais les choses que
d’un côté ; elles lui plaisent ou lui
déplaisent au premier coup d'œil, & elle ne revient
point. Sa façon de sentir (car elle ne pense pas) lui fait
préférer également ce qui est bon ; & ce qui est
mauvais. La difficulté auprès d'elle est encore plus de
conserver que d'obtenir ; elle est extrêmement vive, &
se dégoûte comme elle se prévient : vous réussissez un
moment, toute sa bonne volonté éclate : elle vous suggére
elle-même des moyens, déjá tout préparés par son esprit
actif & pétulant ; vous les employez, ils vont réussir ;
il ne s’agit plus que de les appuyer se son crédit ; une
seule démarche, un seul mot d’elle, vont déterminer en deux
jours ce qui eût coûté à un autre, avec le même crédit,
trois mois de soins & de peines ; mais ces deux jours
sont encore un terme trop long, deux nouvelles affaires
l’auront occupée & ennuyée avant qu’ils soient expirés.
Elle a bien fait connoître son caractere à
un de mes amis, il n'y a pas long-tems. Il lui fut présenté
par le *** de **, & la trouva toute prévénue en sa
faveur. Elle n'attendit même pas qu'il lui eût demandé ses
bons offices ; tout étoit arrangé dans sa tête, & elle
commença par lui tracer le plan qu'il devoit suivre : mon
ami y trouva une defectuosité, & comptant trop sur la
bonté qu’annonçoit son accueil, il osa la lui faire
remarquer. Elle se frappa dans le même instant, & sans
le lui dire, ne put le lui dissimuler. Il comprit qu’il
étoit perdu, & il ne se trompoit pas.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait du **
de ***. Le ** de ***, très-célébre &
très-aimable est un homme de beaucoup d’esprit ; il n’y a
point d’expérience aussi consommée que la sienne. Sous l’air
de la plus philosophique indifférence ; il
cache un fond de résolution, de vanité & d'intrigue, qui
l'eût conduit à tout, si l'amour du plaisir ne l'avoit pas
rendu un peu paresseux. Il adore les femmes & en est
adoré. Sa façon de les attaquer est sûre, puisqu'il les
séduit toutes ; mais elle ne perce pas : on a beau
l'examiner de près, rien ne paroît ; la victoire est
publique avant que l’attaque soit soupçonnée. Unique en cela
autant qu'admirable; surtout aujourd'hui que les femmes sont
si indiscretes. C’est le seul homme à bonnes fortunes qui
n'ait jamais fait de copies.
Retrato alheio
Retrato alheio
Portrait des
Philosophes. Je compare les Philosophes aux
Comédiens de campagne. Habit d'emprunt & sans goût, jeu
sans esprit & sans naturel. Un Philosophe est un
impertinent qui cache un malhonnête-homme. Par amour propre,
on devroit chasser de la société quiconque
a la hardiesse d'en prendre le titre. Le moins mal
intentionné a toujours des motifs choquans pour notre
vanité ; celui de vouloir usurper notre respect,
judicieusement envisagé, ne sçauroit être assez puni. Mais
il s'en faut bien que l'on soit disposé à se faire justice
de leur insolente bouffonnerie. On recherche leur personne,
on dévore leurs systêmes, l'esprit semble manquer de
substance où ils ne sont pas. Ils jouent un premier rôle sur
la scene du grand monde. Abus étrange de la coquetterie
& de la fatuité ; car ce sont les prétendus oracles du
bon ton qui ont érigé en prodiges cette espece de monstres.
Le culte qu'on leur rend est tellement une passion, que
lorsqu'il arrive à quelqu'un d'eux de se démasquer, de céder
à un motif plus puissant que le motif qui l'a rendu fourbe
& malhonnête-homme, il conserve encore
long-tems les honneurs & les priviléges de son état. On
voit évidemment qu'il n'est plus philosophe, qu'il est
devenu courtisan, bel esprit, homme de plaisirs ; & loin
de lui demander raison d'un encens usurpé, on voudroit se
refuser à l'évidence du contraste, & l'on regrette le
charme que répandoit son imposture. Lorsque je considere le
jeu grossier des Philosophes & leurs succèss, je sens
que je prends des hommes une opinion qui m'humilie moi-même.
Est-il possible qu'ils ne se frappent pas de leur
mal-adresse, ou que s'ils la voyent, ils puissent regarder
leurs actions, leurs discours, leur maintien insultant comme
un spectacle intéressant ? Un mauvais comédien ennuie, un
mauvais sermoneur excéde, un critique mal-honnête-homme
& bête révolte, une simple mascarade sans goût donne du
mépris ; quel mépris ne devroit donc pas
inspirer l'imposture qui décele de la turpitude ! En
général, un Philosophe seroit un homme très-médiocre, s'il
se réduisoit à être ce qu'il est naturellement. On sent, que
la nature lui a refusé le germe des qualités supérieures
& que voulant s'élever, se donner une certaine
constance, & se sentant, indépendamment de l'orgueil
effréné, une envie extrême d'imposer aux hommes, pour les
duper de façon ou d'autre ; il s'est créé une nouvelle forme
d'après la connoissance de leur amour pour les prodiges.
Quoi ! je souffrirois qu'un orgueilleux qui n'auroit eu
qu'un rang fort inférieur au mien, dans la société,
s'élevât, par un artifice bas, au-dessus de moi, dans
l'intention de me duper ? Je le verrois agir insolemment
avec les hommes, les mépriser, les jouer, les égarer par ses
maximes motivées, & j'applaudirois à son
affreux triomphe? Je serois l'admirateur & le disciple
de celui qui, en me plaçant au-dessous de lui, me
déshonoreroit ! Non, j'ai connu la fourberie de ces
gens-là ; idoles chimériques & criminelles des sots
& des caillettes des deux sexes, ils ne m'en inspirent
que plus de mépris. En les détenant également, je les
mépriserois moins, si l'homme d'esprit pouvoit être leur
dupe.
Retrato alheio
Metatextualidade
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Saint-Quentin, ce 4 Juin
1759. JE crois vous obliger, Monsieur, en vous
mettant à même de donner un pendant au trait que je
viens de lire à l'instant dans la Lettre de M. Freron,
où il parle avec tant d'estime de votre Ouvrage.4 J'ai passé à Paris les
hyvers des années 1752, 1753 & 1754, avec ma
famille. Dans le nombre des Maîtres de mes enfans, je
distinguois M. du Phly, autant pour la douceur de ses
mœurs que pour son rare talent. Il avoir la complaisance
de me jouer ses pieces, après avoir donné ses deux
leçons. Le clavecin étoit dans la salle à manger, au second, chez M. de Foissy, Receveur
Général, rue de Clery, où je demeurois. ll y avoit
entr'autres tableaux, un portrait de femme en dessus de
porte ; elle y est demie-nue & agréablement peinte.
Ce portrait étoit tombé huit jours auparavant sur la
main de ma femme, & l’avoit blessée. Elle écoutoit
M. du Phly, & elle avoit son fils sur ses genoux,
âgé de quatre ans & sept mois. Un soir que ce grand
Maître jouoit la Médée, piece de son quatrieme Livre,
mon fils le regardoit fixement, la passion s'étoit
formée, elle croissoit par degrés sensiblement, il
s'animoit enfin, vers la fin de la piece, l'enfant se
leve, se jette sur moi, s’écrie, papa, un couteau, &
lance ses regards sur le portrait. Et pourquoi mon fils
un couteau ? Pour tuer cette femme qui a fait du mal à
maman ! Le compositeur enchanté, vint embrasser
l'enfant, on le calma ; on rapella dix
traits, où mon pere & moi avons éprouvé les mêmes
sensations, & cela m'a servi de supplément de
démonstration, pour la possibilité des grands effets de
la Musique. Vous pouvez me citer, Monsieur, après avoir
demandé la confirmation du fait à M. du Phly, si vous le
jugez à propos : ce sera lui faire faveur. J'ai
l'honneur d'être très-sincérement, Monsieur, votre
très-humble & très-obéissant serviteur, And à Well
Wisher to your new Spectator. D. Cottin.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Avis.
On a laissé échapper quelques fautes dans le dernier Cahier, & dans celui qui paroît aujourd'hui. Je vais les faire observer. Page 270, autant que vous le vouliez. Lisez, autant que vous vouliez. P. 283, ne cesserez-vous donc de, &c. Lisez, ne cesserez-vous donc jamais de, &c. P. 289, au fond du cœur. Lisez, au fond de votre cœur. Ibid. que vous daignez donner. Lisez, que vous daignez me donner. P. 310, en fait d’esprit. Lisez, en fait d’esprits. P. 317, pouvez-vous. Lisez, pourrez-vous. Ibid. tous les autres. Lisez, toutes les autres. P. 332, à les justifier. Lisez, à le justifier.1Ce portrait n'est point de moi, il est d’un homme de qualité qui joua un grand rôle dans l'Europe ; je n'ai que l'honneur de l'avoir corrigé & d’avoir ajouté quelques nuances. Je devois ce tribut à l’amitié.
2Le mot adorer est répété souvent : il faut pardonner l’enthousiasme aux Peintres.
3Elle a des parens & des amis dans des Cours étrangeres.
4M. Freron y rapporte une espece de prodige arrivé par la forte impression de la Musique, sur un créancier barbare. J’ai puisé ce fait dans un Livre Italien intitulé, Lettere familiari e critiche di Vicenzio Martinelle.