Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours X.
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Nível 1
Discours X.
Nível 2
JE vois dans le monde mille jeunes
gens perdus, ruinés, méprisables, destinés au malheur & au
repentir, & qui étoient nés pour le bien, & pour le
bonheur de leur famille. J'en vois beaucoup d'autres que des
qualités, des talens, & des occupations nobles & utiles,
font respecter & chérir universellement, & que la nature
sembloit avoir voués au vice, à l’injustice, à l'inutilité, au
mépris public enfin, en les formant. Je m'approche d'eux, je les
interroge, j'interroge leurs amis, & j'apprens
que tout le mal & tout le bien de ces divers phénomenes
doivent être imputés à l'empire & au différent caractere des
femmes. Quel ascendant n’ont-elles pas sur notre esprit, sur
notre ame, sur toutes nos pensées, sur tous nos penchans !
Malheur à celui qui n'est pas persuadé qu'il faut se défier de
ce pouvoir terrible. . . . . Cette réflexion est partout ; elle
est gravée sur le front des malheureux que les femmes ont
égaré ; c'est-là qu'il faut la lire pour apprendre à trembler.
Mais si ce sexe peut avilir & énerver notre ame, combien ne
peut-il pas la fortifier & la perfectionner. Il reçut de la
nature deux pouvoirs égaux ; je ne m'attacherai aujourd'hui qu'à
prouver jusqu'où il peut pousser le pouvoir du bien.
Metatextualidade
Mes preuves sont dans les lettres
qu'on va lire. Celle qui les a écrites vit parmi nous ; nous
la connoissons, nous respectons ses vertus, de nous
chérissons son esprit aimable ; elle a eu le
bonheur d'épouser depuis l'homme dont elle a formé les
mœurs. Puisse-t'elle jouir long-tems de sa félicité & de
sa gloire.
Narração geral
Nível 3
Lettre premiere.
Carta/Carta ao editor
Monsieur, A combien de
remords ne vous exposez-vous pas, si vous me trompez
jamais ! vous avez commencé par me rendre injuste,
ne finissez pas par me rendre malheureuse. Il y va
de votre gloire à affermir la bonne opinion que j'ai
prise de vous ; songez que je vous ai plus aimé pour
vous que pour moi-même, & qu'il vous seroit
difficile de trouver dans un autre engagement les
ressources que vous trouverez toujours dans mon
cœur. . . . Que ne dois-je pas craindre de votre
légéreté ! vous vivez dans le grand monde ! hélas,
cette idée me fait trembler. . . . Vous
avez dû sentir combien il est humiliant de n'être
connu que par ses perfidies ! vous pouvez l'être par
vos vertus, & je veux que cette gloire vous
tente. Je me croirai aimée à proportion que je
verrai en vous l'homme vertueux se développer &
se produire. Accoutumez votre esprit à n'avoir point
de détours ; laissez jouir votre cœur du plaisir
d'aimer, pour lequel il est fait ; la vanité de
faire des conquêtes produit bien moins que la gloire
d'y renoncer par raison. Vous avez plus que personne
le don de plaire ; & l’inconstance vous seroit
permise, si elle n'étoit pas un vice quand on est
bien aimé mais il s'éleve une barriere ! vos
inconstans desirs, & cet obstacle, sur la foi
duquel je me suis engagée, doit vous retenir pour
jamais. . . . . Je vous ai aimé sans vous bien
connoître ; mais je n'ai consenti à vous aimer que
pour vous rendre véritablement aimable. Ne croyez même pas que ce soit bien
précisément la passion qui m'attache aujourd'hui à
vous : un plus noble intérêt m'anime ; c'est le
desir & l'espoir de vous empêcher de retomber
dans des égaremens qui entraineroient la ruine
entiere de votre cœur : je cesserois de vous aimer,
si vous cessiez de respecter mes motifs. . . . . .
Que vous m'avez coûté de larmes, cette nuit ! vous
n'auriez pu les essuyer sans en répandre. Mille
craintes m'ont agitée ; le passé m'a effrayée,
l'avenir m'a épouvantée. Je crains autant pour vous
que pour moi-même de vous perdre, & je sens que
je vous perdrai, si je ne sais des miracles :
rassurez-moi ; je ne suis point une femme
méprisable, je dois vous être chere. Ayez de la
confiance en moi ; vous verrez que je ne suis pas
plus votre maîtresse que votre amie. Je vous aimerai
uniquement pour vous-même : malgré ce qu'il pourra
m'en coûter, je sçaurai me détacher de
la satisfaction si douce de vous posséder sans
partage. Mais jamais de détours ; ils deviennent les
plus sensibles blessures que puisse recevoir un cœur
qui se sent incapable de tromper. Ne craignez rien
de ma passion ; elle ne peut jamais être qu'à votre
avantage ; mes vœux, tous mes délits ne tendent qu'à
vous rendre digne de moi & de vous-même : votre
gloire m'est plus chere que ma vie : je vous ai
sacrifié la mienne pour vous rendre la vôtre, que
l'inconstance alloit vous ravir ; & vous ne
pouvez vous défier de moi, dans quelque occasion que
ce puisse être, sans devenir ingrat. Je sens bien
que vous ne m'aimez pas autant que je vous aime mais
je veux du moins vous forcer à m'aimer un peu ; je
veux vous attacher par un sentiment que le tems ne
puisse détruire. Je n'ai rien perdu de ce que vous
me dites hier au soir ; je voudrois l'avoir ignoré
toute ma vie : je croyois vous devoir
au tendre amour, & je ne vous ai dû, hélas !
qu'à l'habitude de changer ! Combien d'art & de
détours pour séduire mon cœur ! Quelle en sera la
fin ? Vous avez dissipé l'erreur qui vous cachoit à
mes yeux ; il m'est permis de vous montrer mes
craintes. Que serez-vous pour me convaincre que je
vous suis devenu plus chere ? Je ne puis plus en
croire vos discours ; vos actions seules peuvent me
persuader ; mais aurai-je la force d'attendre leur
tardive impression ? Que n'avez vous pas fait pour
me séduire ! eh bien, il faut encore que vous me
séduisiez Bon jour. Je suis uniquement à vous, &
j'ai plus de chagrin de ne pouvoir vous le prouver
tous les jours de ma vie, que d'être obligée de
penser que vous n'en êtes peut-être pas digne.
Nível 3
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Billet. Votre procédé
m'étonne & me désespere. Aurois-je dû m'attendre
à tant d'indifférence ! Est-ce ainsi
que l'on prouve qu'on aime ? Suis-je donc devenue
pour votre cœur un objet si peu intéressant que vous
ne craigniez pas même de me le faire connoître ! Bon
dieu, que vous me faites souffrir ! A quoi dois je
m'attendre ! Ne m'auriez-vous inspiré une si vive
passion, que pour en faire l'objet de vos caprices !
Si du moins vous croyez l'augmenter par mes
tourmens ! cette idée, qui prouveroit que vous vous
occupez de moi, auroit des charmes, &
redoubleroit peut-être mon attachement : mais non,
vous êtes cruel sans dessein, & je ne peux vous
accuser que d'insensibilité. Votre silence me tue :
faites-le cesser : je veux que vous vous expliquiez,
n'eussiez-vous que des malheurs à m'apprendre ; je
vous ai dit cent fois que j'abhorrois les mysteres.
Faudra-t'il toujours vous apprendre à vous conduire
avec moi ! Adieu.
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Lettre II. Vous
ne concevez jamais les sentimens que vous faites
naitre dans mon cœur, & vous donnez la plus
outrageante interprétation à la passion la plus
vive. Je vous avoue que vous me laissâtes avant-hier
dans un état difficile à rendre ; vous me dîtes les
choses les plus désobligeantes : ma délicatesse en
fut vivement blessée. Il est trop aisé de me
connoître pour se méprendre aux mouvemens qui
m'agitent. Je sus peut-être trop prompte à
m'allarmer ; mais ingrat, lisez dans le fond dé
votre cœur, vous y trouverez toutes les excuses de
mes inquiétudes. . . . Renvoyer mon Laquais sans lui
dire un seul mot ! Il me semble que je n'ai pas
mérité ce traitement. Vous m'aviez offensée par vos
soupçons, & vous deviez venu réparer l'injure
que vous m'aviez faite. Est-ce que l'on
ne sent pas ces choses là ? Je ne sçais comment les
hommes sont faits : ils nous outragent & ils
attendent nos excuses ; que seroit-ce donc si nous
avions le malheur de les offenser !. . . . On m'a
dit que vous alliez vous mettre au lit sans avoir
rien pris de toute la journée : m'aimez-vous astez
peu pour négliger ainsi le soin de votre santé !
Votre vie est-elle à vous pour vous y intéresser si
peu ! Ah ! je vous suis donc bien indifférente !
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Lettre III. JE
vois avec la plus sensible douleur la fin de mon
regne : cinq mois de constance ont épuisé votre
cœur. Que voulez-vous que je pense de vous, quand je
vous vois suivre une femme que vous m'avez dit que
vous redoutiez pour mon repos ! votre précipitation à me l'avouer, n'avoit sa source que
dans le dessein politique de me déguiser le fond de
vos sentimens : vous craigniez ma pénétration, &
vous vouliez la prévenir par un air de bonne foi
admirable. Bon Dieu ! que j'envisage avec horreur le
sort de l'infortunée d’* * *, à qui, sans doute,
vous aviez fait, comme à moi, les plus tendres
protestations & dont il ne vous reste pas même
un léger souvenir. . . . Vous auriez renoncé à aller
aujourd'hui chez cette femme, si votre traitre cœur
s'intéressoit encore aux tourmens du mien. Pourquoi
former des engagemens que vous sçavez qui ne peuvent
que me déplaire ? Ai-je mérité d'être traitée avec
si peu de ménagement ? Si du moins vous n’aspiriez,
comme je vous l'ai dit, qu'à connoître toute
l'étendue d'une passion dont vous avez douté ; en
détestant vos moyens, j'adorerois vos motifs ; mais
non, trop sûr de ma tendresse, le seul
dessein d'y mettre des bornes vous conduit : vous ne
voulez plus être aimé de moi, vous craignez de
l'être, & votre inconstance n'est que le
prétexte de votre ingratitude. Peu fait à être aimé
avec ardeur, & incapable de braver le remord
quand vous devenez infidele, le peu de vertu que
vous conservez vous importune ; vous cherchez des
engagemens qui ne vous coûtent rien à rompre, &
vous m'abandonnez, parce que ma passion vous fait
trembler pour votre repos. Je n'ai que trop
pressenti votre infidélité depuis que vous n'avez
plus voulu m'accompagner à * * * ; vos lettres que
vous m'avez ravies, & que j'avois payées de tant
de larmes me laissoient-elles la triste liberté de
m'abuser ! N'auriez vous pas dû me les rendre pour
rassurer mon cœur allarmé ! Vous craindriez de me
faire des sacrifices qui puissent intéresser ma
reconnoissance ! Ah ! que n'en dois-je pas
conclure ! Il fut un tems où vous
craigniez de me perdre ; le moindre objet vous
allarmoit, vous redoutiez mes réflexions qui
pouvoient m'éclairer sur mes foiblesses :
aujourd'hui elles vous importunent, parce qu'elles
doivent contribuer à m’attacher à vous. Ainsi vous
ne cessez d'être soupçonneux, que pour en devenir
plus injuste. Adieu ; j'ai la mort dans le cœur.
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Lettre IV. Vous
donnez à ma prudence des noms qui peindroient mieux
votre étourderie. Mon dessein n'a jamais été que de
vous convaincre de mon sincere attachement.
M'occuperois-je si uniquement du soin de vous rendre
aimable, si je ne voulois vous attacher à moi ! Vous
prenez le contre-sens de tout ce que je vous dis ;
vous affectez des sentimens ausquels je ne peux me
faire. Peu accoutumé à vous
contraindre & à raisonner, vous croyez qu'il est
du bon air de paroître extraordinaire ! Pour moi qui
ne fais consister mon bonheur que dans l'idée de
pouvoir toujours bien penser de moi, j'aime mieux
renoncer au plaisir de vous aimer, que de courir à
la honte de m’être trompée, en ne vous tendant pas
tel que vous deviez être. Je ne doute nullement que
ma façon de penser ne vous paroisse étrange ; les
femmes que vous avez eues ont fait une partie de vos
idées en vous apprenant à penser mal d'elles. Vous
prenez pour indifférence, ce qui est tendresse : mon
cœur n'a que trop de penchant à vous justifier ;
mais quelle preuve me donnerez-vous que ce penchant
n'est pas une foiblesse ! Il faut donc écouter la
raison & tâcher de ne vous plus aimer. Je me
connois : je ne me console pas aisément, & je
serois capable de me perdre par la passion que je
conserverois pour vous Vous avez
troublé mon repos ; souffrez qu'il dépende de moi de
le retrouver, s'il est possible ; le foible plaisir
que vous pouvez goûter à me voir, ne doit pas
m'intéresser assez pour l'emporter sur la nécessité
d'une rupture. Je ne vous rends point malheureux en
rompant ; je ne suis qu'une femme pour vous, &
vous vous vantez de ne pouvoir jamais être
malheureux par les femmes C'est du moins une
consolation pour moi de penser que je ne vous aurai
fait aucun mal, en vous arrachant un cœur dont vous
aviez voulu paroître si touché. Adieu. . . . . Je
vais toujours a la comédie ; je serai bien-aise de
vous y voir ; le Comte d'* * * m'y donnera la main ;
demandez-lui son carrosse, & vous viendrez
souper avec nous chez la B * * *. C'est vous faire
un cadeau digne de mon amitié: on ne peut pas rompre
plus noblement.
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Lettre V. IL
faudroit pour bien répondre à votre lettre, que
j'eusse l'esprit & le cœur plus tranquilles.
Depuis que je vous connois je ne me connois plus.
Mille mouvemens m'agitent : je vous regarde comme
l'ennemi de mon repos, & je tremble pour
l'avenir. Malgré ma cruelle prévention, je n'en suis
pas plus en état de cesser de vous aimer. Aidez-moi
à débrouiller l'affreux cahos qui m'environne ; il y
auroit moins de cruauté à me rendre tout-à-fait
malheureuse, qu'à me faire craindre sans cesse de le
devenir Au nom de Dieu séparons-nous, si vous devez
continuer à me tourmenter. Donnez-moi le moyen
d'étouffer une passion qui me désespére ; ce sera
vous-même que vous servirez, car je sens que je vous
suis à charge : tout me reproche ma foiblesse, & rien ne me dit de vous conserver
que mon lâche cœur. Ce cœur, vous le sçavez, n'étoit
pas fait pour ce cruel partage : j’étois, avant que
je vous connusse, heureuse & estimée : qu'est
devenu ce temps ! Combien il est déjà loin de moi !
on me reproche mes sentimens ; on ignore combien ils
me coûtent. Vous me perdez dans le monde par votre
inconstance ; on me regarde comme une étourdie qui
n'écoute qu'un penchant effréné, comme une folle qui
n'a les yeux ouverts qu'au faux éclat de sa chimere.
Voyez dans quel abyme vous m'avez précipitée. Vous
sçavez bien pourtant si c'est à mon étourderie que
vous m'avez due : je vous ai aimé malgré moi, &
vous eussiez toujours douté de votre victoire, si
vous l'aviez toujours vue avec la même indifférence
qu'aujourd'hui elle vous donne. . . . . Vous voulez
que je suspende l'exécution de mes desseins ! Vous
m'annoncez une lettre qui les détruira
sans retour ! Eh bien, écrivez donc ; qu'attendez
vous ? Faut-il vous presser de me rendre une
tranquillité, sans laquelle je ne puis plus vivre !
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Lettre VI. EH
comment voulez-vous, que je croie que vous m'aimez
encore, quand tout m'apprend que vous ne m'aimez
plus ! je ne suis point une visionnaire ; la
jalousie m'a toujours fait horreur ; vous m'apprîtes
seul à la connoître, & vous avez eu besoin de
beaucoup d'art pour cela. J'ai examiné votre
conduite ; j'ai étudié votre caractere avant que de
vous faire un crime de vos procédés ; ils pouvoient
être l'ouvrage d'une malheureuse habitude ; vous
pouviez être séduit & n'être coupable que par
foiblesse : j'aimois à m'en flatter ; je craignois,
je redoutois l’affreuse clarté que je cherchois à
répandre sur vos motifs ; mon
incertitude me plaisoit ; je ne tenois plus à vous
que par elle. Hélas ! je ne l'ai pas assez chérie,
je la perds pour jamais ; je reste sans illusion,
sans consolation je me sens abandonnée de tout ce
qui me soutenoit. Je ne m'abuse point : je ne suis
pas de ces femmes que l'habitude de s'égarer dans de
vils plaisirs, attache servilement aux objets de
leurs honteuses passions ; qui toujours décidées par
le cri des sens, toujours tourmentées par eux,
voyent leur bonheur disparoître dans la diminution
des soins qu'on leur rendoit. Vous sçavez que la
passion n'est jamais entrée dans mes caresses que
pour animer vos sentimens ; je voulois vous sauver
de votre propre indifférence ; je craignois que vous
ne fussiez trop humilié de la fausseté des soins que
vous me rendiez, & je cherchois à vous tromper
par une douce violence qui pût, en vous procurant
quelques vrais plaisirs, vous faire
oublier que vous n'en étiez pas digne. Comparez ces
sentimens aux vôtres. . . . . Mais non, oubliez-les,
loin de les comparer ; vous devez redouter mon idée,
elle troubleroit votre repos : vous n'avez plus
d'injustices à me faire ! Craignez les remords ;
vous n'en êtes pas incapable ; je vous en ai vû
tourmenté pour de moindres crimes ; encore un coup,
ne vous souvenez jamais de moi : ce conseil est
digne de mes sentimens ; il est la derniere preuve
que je vous donnerai de mon amour ; jugez combien il
est sincere ; laissez-moi souffrir seule de votre
infidélité ; c'est un service que vous me rendrez :
ne me trouvez-vous pas assez infortunée ?
Voudriez-vous ajouter au tourment de vous perdre, le
tourment plus épouvantable de vous sçavoir
malheureux.
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LETTRE VII. EH
bien, il faut vouloir tout ce que vous voulez. Je
consens à vous revoir, venez ; je vous pardonne tout
; je crois sincere le sacrifice que vous m'avez
fait ; vous récompenserez quand il vous plaira mon
extrême confiance, je ne me mêle plus de vos
sentimens, je veux ne vous devoir qu'à vous-même ;
je ne réfléchis plus, ne raisonne plus, je ne veux
plus qu'aimer. . . . . Si vous connoissez les
douceurs de ma situation ! ah ! combien votre
coquetterie en seroit déconcertée. Vous ne goûtez
jamais que de petits plaisirs ; vos idées ont besoin
de prendre la forme des choses que vous voulez
trouver agréables ; c'est un mensonge flatteur qui
séduit un entant. Vous n'êtes pourtant pas si enfant
que vous pouvez le croire ; vous êtes fait pour
sentir les plus doux charmes de
l'amour ; & sans l'éternelle infidélité que
votre esprit a faite à votre cœur, vous trouveriez
bien du vuide dans le bonheur qui vous enchante. Que
mes plaisirs sont différens des vôtres ! Je me
trouve très-heureuse, malgré la nécessité où vous me
réduisez, de penser qu'on peut l'être davantage. Je
n'ai point de vanité, & cependant j'embellis
tous les jours à mes yeux : arrangez cela ; n'est-ce
pas l'amour qui me rend si jolie ! Parlez, n'est-ce
pas lui ? Vous balancez ? Je vous entens. Non,
Madame, vous extravaguez, vous n'êtes pas jolie ;
vous êtes tout au plus, à tout prendre, une espece
de figure de fantaisie que le caprice & la
misere des tems ont mise à la mode ; vous n'êtes que
cela . . . . . . . Non, Monsieur, je ne suis pas la
dupe de vos plaisanteries : je suis jolie, vous ne
m'ôterez pas cela de la tête ; je me suis arrangée
pour vous jouer le tout de ne me plus méconnoître.
Vous en murmurerez tant qu'il vous
plaira : mais c'est mon dernier mot. Pauvre homme !
je vous plains, vous voilà engagé à plus de soins
que vous ne vouliez m'en rendre ! Cela est affreux ;
il me faut des hommages tant soit peu particuliers ;
votre vanité y est engagée : car enfin, que
penserois je de vous, si vous me traitiez comme on
traite tout le monde ! Vous sentez que je pourrois,
sans méchanceté, faire revivre la plaisanterie des
cœurs usés ! Mais je vous vois frémir ! Vous me
demandez grâce ! Rassurez-vous : je suis bonne &
je vous promets de ménager l'amant qui veut bien me
faire l'honneur de recourir à ma miséricorde. Adieu.
Nível 3
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Lettre VIII.
Vous le prendrez tout comme il vous plaira, mais il
faut absolument que je vous voie aujourd'hui.
Sçavez-vous bien ce que je suis devenue depuis deux
jours que je ne vous ai vû ? Amoureuse, Monsieur,
amoureuse. Venez, je vous l'ordonne. Vous réglerez
vous-même mes amusemens si vous voulez, (car je suis
génereuse) vous ferez des nœuds, vous me direz des
injures, vous ne me direz rien, vous me parlerez de
Madame de M * * *, vous me lirez le * * * que je
n'aime gueres, ou le * * * que je haïs tant : vous
ferez tout ce que vous voudrez ; mais du moins je
vous verrai, je jouirai de votre embarras, de votre
impertinence ; tout est plaisir pour un cœur qui
sçait aimer. N'allez pas croire au moins que tout
cet étalage de désintéressement ne soit
qu'un jeu pour vous surprendre ! Vous devez sçavoir
que naturellement je suis aisée à amuser ;
j'observerai une neutralité très-exacte, & vous
n'aurez affaire qu'à vous-même. Venez ; vous
éprouverez qu'en tout je suis toujours sincere.
Adieu.
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Lettre IX. Vous
avez oublié votre tabatiere à portrait, & quoi
que vous en puissiez dire, il faut que je vous en
remercie : votre distraction me fournit un prétexte
honnête de vous écrire, & de réparer la briéveté
de ma derniere lettre. Sçavez-vous bien, Monsieur,
que si je ne vous disois pas aujourd'hui que je vous
aime, je courrois risque d'être bien maussade pour
tout le monde ! Vous me donnez tous les jours de
nouvelles raisons de chérir ma chaîne ; j'en fais
l'objet de toutes mes pensées ; j'ai eu
la peine de la former ; mais vous en resserrez les
nœuds par tant de vertus qu'il n'est plus possible
de ne vous en pas rapporter toute la gloire ; je
vous dois le bonheur d'en jouir ; je ne sais que
commencer à me sentir quelque mérite ; il en fallait
beaucoup pour vous fixer ; sans vous je n'aurois
peut-être jamais eu que celui des autres femmes ;
mérite frivole ou trop sérieux, mérite toujours
altéré par l'envie de plaire. Je ne dois le mien
qu'à l'amour, qui ma docilité, qu'au desir d’être
digne de vous. Quelles obligations ne vous ai-je
pas ! Celle de sentir l'amour accompagné de tant de
joie, est la plus grande de toutes. C’est à ces
vertus que vous avez formées, que je dois le bonheur
de vous le voir sentir vous-même ; sans elles, il se
seroit peut-être toujours présenté à vous sous une
forme imparfaite ; vous ne l’auriez connu que par le
plaisir, & le plaisir tout seul n’apprend pas à
connoître cette vivacité de pensées
qui écarte à jamais l'ennui, cette délicatesse de
sentimens qui rend sublimes & heureux ceux
qu'elle anime & conduit. Je vous arrête pour
vous communiquer des lumieres dignes de la beauté de
votre ame ; vous m'aimez, parce que vous êtes
vertueux ; vous m'aimez encore, parce qu'en me
voyant vous jugez qu'il est doux d'aimer. L'amour
est une maladie qui se gagne, & dont la raison
même invite à augmenter le mal. Aimez-moi donc bien
tendrement, & ne vous lassez jamais de vous
rendre heureux. Adieu.
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Lettre X. Vous
voulez donc absolument me rendre digne de vous !
Qu'ai-je à faire de mieux que d'y consentir & de
vous devoir tous mes sentimens ! Vous avez bien
raison de dire, qu'à paroître toujours ce que nous
sommes, nous en valons beaucoup mieux. J'ai fait ce
que j'ai pu pour rendre ma sœur telle que je suis
moi-même. Quoique née avec bien plus d'esprit que
moi, je sens qu'elle ne me vaut pas. En général,
comme vous dites fort bien, l'esprit nuit plus aux
femmes qu'il ne leur sert : il rend les hommes
sensés, plus difficiles, plus défians sur leur
compte. Eh ! quel avantage une femme peut-elle
retirer d'une qualité qui l'expose toujours à la
privation ou à la perte de l'estime & de la
confiance des gens sensés !. . . Insensiblement je
me laisse entraîner par votre lettre
& j'en prends le ton : ce n'est pas mon
dessein ; ce seroit m’oublier ; il n'appartient qu'à
vous de raisonner. Un soin plus pressant m'occupe ;
celui de vous dire que je vous aime plus que jamais.
Vous me donnez des louanges, & je vous les
rends ; j'y renonce par une certaine vue de leur
fatalité. Je ne veux pas risquer de devenir vaine.
Adieu. Je soupe chez la B * * *. Y viendrez-vous ?
Oh, sans doute. Citação/Lema
Eh !
comment ne pas m’enflammer Pour l'aimable objet
qui m'enchante !
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Lettre XI. QUE
la soirée m'a paru longue, quoique je l'aie passée à
m'occuper de vous ! Vous m'avez fâchée par votre
tristesse ; & votre précipitation à me quitter
n'a pas peu contribué à me rendre triste à mon tout.
Vous me reprochez toujours le plaisir
que je goûte à vous voir, par me faire sentir la
distance qui nous sépare ; & il semble que je
doive payer ce plaisir par le désagrément que vous
trouvez à me le procurer. Vous me feriez souhaiter,
à ce prix, de ne vous point voir au tout :
écrivez-moi s'il vous en coûte moins que de me
voir ; je jouirai au moins paisiblement de votre
esprit : mais mon cœur en sera-t'il plus satisfait ?
Vous ne m'écrivez que pour m'écrire : pour moi, qui
ne vis qu'en ce que vous me rendez agréable, je ne
vous écris que pour vous répéter sans cesse que je
vous aime. Vous m'allez dire que je vous fais une
mauvaise querelle ! Pourquoi y avez-vous donné
lieu ? Je serois moins difficile si vous étiez moins
inégal ; vous ne vous ressemblez jamais : hier vous
étiez enchanté de mes lettres ; demain vous ne les
voudrez plus lire. Les vôtres ne me flattent
qu'autant que je les crois sinceres. Je
n'ai pas besoin de votre esprit ; sa grande parure
obscurcit la implicite du mien ; il m'embarrasse
quelquefois, & je souffre lorsqu'il faut vous
répondre. . . . . Je ne délire rien tant que de me
raprocher de vous : en serez-vous plus à moi ! il
vous en coûtera moins de peine, mais vous n'en
éprouverez peut-être que plus d'ennui. Les sentimens
changent comme les saisons ; hier je me croyois la
femme du monde la plus aimée ; aujourd'hui je ne
sçais plus qu'en croire : cependant-tout le honneur
de ma vie est attaché à vos sentimens. Vous aviez,
disiez-vous, de l'humeur lorsque vous êtes venu.
Ah ! cette humeur ! elle fut souvent votre excuse.
Tout n'est-il pas plaisir auprès de ce qu'on aime !
Est-ce avec aussi peu d'égards que l'on se
justifie ! Est-ce avec ce sang froid que l'on pense
qu'on n'a pas été assez aimable ! Que vous sentez
peu ce que vous dépeignez si bien ! Qu'à vous lire, l'amour est aimable ; qu'à vous voir
il perd de ses charmes !. . . Je serois pourtant
désespérée que vous jugeassiez ma lettre à la
rigueur. Vous croire moins tendre, est-ce vous
offenser ? il me semble du moins que vous êtes
très-capable de supporter ces offenses-là. Oui, vous
n'êtes réellement pas assez sensible pour avoir cet
esprit de rancune qui brouille les amans. Adieu.
Nível 3
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Lettre XII.
L'INQUIETUDE de votre santé m'éveille de bonne
heure : je veux sçavoir si vous n'êtes pas
incommodé. Vous pourriez me dire aujourd'hui que
vous l'êtes, sans risquer de passer pour un
imposteur. Qu'il est étrange qu'à votre âge on ne
puisse plus goûter, sans danger, le moindre plaisir.
Vous concevrez à présent combien il est fou de vivre sans réflexion ! J'ai vu que
malgré les charmes du bal il vous en échappoit de
très-tristes ; ces femmes qui vous ont raillé, ont
été cause que vous avez eu de l'humeur. Voilà le
sort de ceux qu'un mérite fatal a mis de trop
bonne-heure dans le droit de leur plaire & de
les enflammer. Moqués par elles, quand ils ne sont
plus qu'aimables, ils sont obligés d'essuyer leur
ingratitude, & de s'humilier par un dépit qui ne
devroit être que du mépris. Vous conserviez encore
ces tristes pensées lorsque nous nous sommes
séparés : j'en ai de l'inquiétude ; peut-être
craignez-vous de ma part des plaisanteries encore
plus sensibles que celles que vous avez éprouvées :
non, mon ami, je vous plains, & je veux même
vous cacher ma pitié : je veux que vous oubliez que
j'étois présente à ces railleries impertinentes. Je
suis d'ailleurs moins capable qu'une autre de
sçavoir jusqu'où elles ont pû blesser votre amour propre. Je n'aime que le sentiment, je
ne connois que le cœur ; & tout ce qui n'est pas
lui, tout ce qui ne vient pas de lui dans l'amour,
m'est absolument inconnu, quoiqu'on ait soin d'en
faire encrer trop souvent le détail dans la
convention. Soyez donc bien tranquille sur toutes
mes idées. Je n'en aurai jamais qui puissent
contrarier celle que vous devez toujours avoir de
vous malgré ce que l'on vous a dit. Venez souper
avec moi, je vous renverrai de bonne-heure. Venez
même ce matin, si vous ne vous êtes pas couché comme
vous m'en avez menacée. Vous dormirez dans mon
fauteuil. Venez enfin, venez jouir d'une ame qui n'a
besoin que de vos regards pour être très-animée
& très-contente. Adieu.
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Lettre XIII.
C’EST attendre le plaisir trop long-tems ; ma lettre
préviendra la vôtre, & il se trouvera peut-être
qu'elle vous aura fourni matiere à m'écrire
tendrement. Je ne croirai assurément jamais avoir
mieux à faire que de vous prévenir. Vous verrai-je
demain ? Il me semble toujours qu'il y a un siecle
que je ne vous ai vu ! Vous m'inspirez tant de
choses, que je ne sçais plus par leur confusion ce
que je puis vous dire. Vous trouvez, dites-vous, mes
lettres divines ! Comment ne pas bien écrire quand
on vous lit tous les jours ? Un esprit naturellement
bien tourné, que vous avez pris soin de former
vous-même, doit avoir des charmes & même des
qualités. Je puis vous assurer que depuis que je
vous suis attachée, l’esprit avec lequel j'étois
née, n'est entré pour rien dans ce que
j'ai pû faire qui m'ait rendu digne de vous ; j'ai
toujours sçu distinguer les qualités que vous me
donniez, de celles qui m'étoient naturelles ; &
je n'ai jamais fait servir au soin de vous plaire,
que l'usage même de vos bienfaits. Malgré cela, je
n'ai pas laissé de m'enorgueillir quelquefois ; mais
j'étois vaine sans sottise & sans impertinence :
c'étoit une suite de l'hommage confiant que je
rendois à votre esprit : j'osois croire que personne
ne sentoit mieux que moi ce que vous valiez ; &
je me persuadois qu'avec un mérite ordinaire, on
n'étoit guere capable de s'affecter autant de celui
des autres. . . . Vous ne pouvez donc pas souper ce
soir avec moi ! Bon Dieu ! que je vous plains d'être
assujetti à des complaisances si coûteuses. Je veux
me flatter que votre illustre ami est digne des
sacrifices que vous lui faites. Cependant, je ne
sçais ; j'ose craindre que vous ne l'aimiez trop. En général vous accordez trop à
l'amitié; & les attachemens des grands sont si
fragiles ! Vous les connoissez ; vous me disiez un
jour que la confiance, quand par hazard ils en
étoient capables, étoit une infidélité que leur cœur
faisoit à leur esprit. Pourquoi vous livrer
aveuglément à une inclination d'ailleurs si
gênante ? Etes-vous fait pour vous asservir aux
goûts, souvent bizarres, de gens que la bassesse de
leurs valets corrompt, & qui pour la plupart du
moins, n'ont même pas besoin des vices des autres
pour être injustes & bas ; Vous n'êtes pas
heureux, mais vous pouvez le devenir en suivant vos
premieres idées ; les ressources que la mauvaise
fortune nous fait accepter, sont souvent de nouveaux
malheurs. Adieu. Je n'ose pousser plus loin ces
réflexions Venez du moins de bonne heure demain,
puisque vous ne pouvez me voir aujourd'hui.
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Lettre XIV. Il
ne faut jamais juger sa maîtresse ni son ami, sans
les entendre. Je suis désespérée que vous cherchiez
à vous faire des inquiétudes, quand je jouis de tant
de repos. Vous craignez ma solitude, & vous ne
pouvez pas concevoir le goût qui m'y attache. Ah !
si vous aimiez comme j'aime, il n'y auroit que le
goût du monde que vous ne concevriez pas. J'ai le
plaisir quand je suis seule, de penser uniquement à
vous. Je vous entretiens deux heures sans
m'interrompre ; je vous interroge, je vous prête
l'esprit qui m'anime ; vous me répondez. . . .
Dieux, que de tendresses ne me dites-vous pas ! Avec
quel ton, quelle ardeur ne me jurez-vous pas que
vous m'aimerez toujours ! Vous me contez vos
infidélités passées ; le repentir vous inspire, l'amour vous enflamme, je vous pardonne
tout. Vous prenez quelquefois l'air que vous aviez
la premiere fois que je vous vis ; air fatal &
charmant, qui me séduisit, & m'a depuis coûté
tant de larmes. Vous me rassurez ; vous me séduisez
encore, & quelquefois. . . . Ah, vous seriez
trop heureux si votre cœur vous servoit aussi bien
que mon imagination. Voilà ce que me vaut ma
retraite : jugez du charme qui m'y attacheroit, si
vous en pouviez mieux comprendre les douceurs !. . .
Vous ne voulez donc venir qu'après demain ! Si vous
étiez assez aimable, ou pour mieux dire, si vous
m'aimiez assez pour me donner deux jours, je ne
sçais ce que je ne serois pas. La tête m'en
tourneroit. Oh non, ne venez pas, ménagez-moi ; oui,
ménagez-moi, c'est fort bien dit. Mais de quel soin
m'occupai-je ? Eh, ne me ménagez vous pas assez !
Qui dans le monde a plus de circonspection que
vous ! Venez pourtant je vous
l'ordonne ; venez demain, venez Dimanche, venez tous
les jours de votre vie. Bon-jour.
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Lettre XV. PLUS
je réfléchis à la fatale résolution que vous me
communicâtes hier au soir, moins je me sens capable
de cette générosité dont vous m'avez si perfidement
louée. Je ne consentirai jamais que vous fassiez des
démarches qui vous déshonoreroient : la plus
dangereuse de toutes, seroit de revoir Madame
de * * *. Vous avez beau vouloir m'éblouir par les
services qu'elle est à portée de vous rendre ; je ne
consentirai jamais que vous la revoïez. Il faut
sçavoir souffrir ses malheurs quand on ne peut les
adoucir que par d'indignes ressources ; ils
illustrent quand on sçait les supporter.
Oubliez-vous tout ce que cette femme m'a fait
souffrir ! Les mauvais tours qu'elle a
voulu me jouer, l'impudence avec laquelle elle a
conduit & affiché son affreux triomphe, l'éclat
de votre rupture, les outrages qu'elle vous a forcé
de me faire, toute sa conduite enfin ! Oubliez-vous
qu'elle a fait tout cela, sans vous aimer, sans
avoir même pour vous un goût bien vis, &
uniquement pour faire du mal ou du bruit ! &
vous voudriez aller respirer encore auprès d'elle la
criminelle séduction ! Eh bien, si vous la revoyez,
si jamais je suis instruite que vous ayez souffert
qu'elle vous rencontrât quelque part, comptez que
vous m'avez perdue pour jamais. Je ne fournirai
point que ce que j'aime, se soit laissé engager à me
percer le cœur par un vil intérêt. Je suis
naturellement jalouse, & je veux croire que
toujours prompte à m'allarmer, vous avez eu souvent
ce reproche à me faire ; mais dans le cas présent,
il n'est nullement question de ma jalousie ; il s'agit de votre gloire à laquelle j'ai
tout sacrifié, que je ne peux vous laisser oublier
sans me déshonorer moi-même, & que vous allez
perdre sans retour, par un caprice bas. Je suis
encore plus généreuse que jalouse : si vous ne
n'aimez plus, si je ne suis plus votre bonheur, si
je vous suis à charge ; il faut me l'avouer ;
j'accepterai volontiers une rivale, je vous en
indiquerai moi-même une dont vous serez content ;
mais du moins vous resterez mon ami, & vous
m'aurez pas souffert par une monstrueuse
ingratitude, que votre bonheur soit devenu l'objet
de mon désespoir. Consultez-vous, je suis capable de
cet excès de générosité ; que ne ferois-je pas pour
vous conserver ! Mais pour m'engager à me sacrifier
à mes sentimens, il faut commencer par me les
justifier ; je veux toujours être votre victime,
mais jamais votre dupe. Voyez ce que vous voulez
décider ; faites vos réflexions ; les
miennes, malgré mon désespoir, n'aboutiront jamais
qu'à me rendre digne de moi, & je ne veux plus
vous revoir, si vous revoyez Madame de * * *. Adieu.
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Lettre XVI. JE
veux croire que je me suis trop légèrement allarmée,
& que vous n'êtes coupable que parce qu'en
amour, tout ce qui n'est pas vertu, peut inquiéter ;
mais comment détruirez-vous les nouveaux griefs que
j'ai contre vous ! je sçais que vous êtes en
commerce de lettres & de sentimens avec un
inconnue <sic> qui s'est prise pour vous de la
plus vive passion. Je suis instruite par des gens
dont le Ciel a permis que vous ne vous soyez jamais
défié, & qui vous ont toujours trahi. Ce n'est
pas que j'aie cherché à les séduire ; je n'ai pas
des sentimens si bas ; ils sont venus
me trouver, ils m'ont fait toutes les avances de
leur trahison & peut-être, malgré l'extrême
curiosité attachée à l'amour jaloux, aurois-je
refusé de les écouter, s'ils ne m'avoient forcée à
les entendre. Quel que soit votre objet dans ce
commerce, du moins est-il certain que vous avez en
vue la bonne fortune. Ne vous persuaderez-vous donc
jamais qu'une bonne fortune est toujours une
mauvaise aventure, pour un homme de votre âge qui
n'est pas heureux, qui a besoin de se faire une
réputation, d'inspirer l'estime ; & qui depuis
trois ans est l'objet de l'attachement d'une femme
qu'il n’a jamais cessé de rendre publiquement
malheureuse ! Quelque probité que vouliez conserver
vis-à-vis de votre inconnue, il n'est guere possible
qu'il ne vous en coûte quelque mensonge ou quelque
injustice ; sans doute vous lui avez ouvert le
chemin de l'espérance ! Quelle cruauté
d'entretenir l’erreur d'une malheureuse, qui avant
de vous connoître, ne connoissoit peut-être point
l'amour ! la démarche qu'elle a faite de vous
prévenir, m'intéresse encore plus à son sort, que
son esprit qu'on dit qui est infini : victime des
agrémens trompeurs du vôtre, elle a espéré que vous
l'aimeriez : hélas ! elle ne sera donc devenue
sensible que pour apprendre à détester l'amour !
Vous ignorez tout ce qu'une honnête femme souffre,
quand elle a fait une démarche qu'elle a crût
justifiée par la confiance. Pauvre infortunée ! que
je la plains ! Pourquoi abuser d'un sentiment
involontaire dont vous ne retirerez qu'un misérable
plaisir de vanité, que l'habitude vous a peut-être
rendu indifférent ! Que cherchez-vous dans cette
aventure ? Est-ce l'amour ? Je ne vous crois pas
assez malhonnête homme pour songer à me quitter par
une infidélité qui nous éloigneroit à jamais l'un de
l'autre: est-ce le charme de la
nouveauté ? Vous l'avez épuisé par le nombre
innombrable de femmes que vous avez séduites,
écoutées ou trompées ; est-ce le plaisir ?
Pourriez-vous en goûter long-tems dans les bras
d'une infortunée qui s'enflammeroit par des saveurs
qui vous réfroidiroient, & qui, devenue bientôt
aussi pénétrante que vous l'auriez rendu sensible,
n'auroit plus que des pleurs à verser, & des
reproches à se faire. Au nom de Dieu, soyez sensible
à ma juste terreur ; je vous demande la grâce de ma
rivale, comme je vous demanderois la vie : ses
sentimens sont les miens. Je ne suis pas capable de
supporter la pensée que vous allez la rendre à
jamais malheureuse : on m'a prévenue en sa faveur ;
je m'intéresse entierement à son sort ; je vous
pardonnerois plûtôt de me quitter pour elle, que de
la tromper pour moi. Peut-être, hélas ! ces
sentimens qu'elle m'inspire ont-ils leur source dans
un pressentiment secret des tourmens
que vous me préparez ? Peut-être votre cœur nous
a-t'il condamnées l’une & l'autre à pleurer
ensemble le malheur ; de n'avoir fait de vous: qu'un
ingrat inflexible ? Eh ! comment pourrois-je vous
avoir inspiré un véritable attachement, quand un
penchant invincible vous porte à l'inconstance !
Pensant comme vous faites, pourriez-vous, quand même
vous le souhaiteriez, prendre jamais de l'amour !
L'amour ne se laisse point surprendre par les
rangemens concernés de la probité ; il n’est
sensible que par ses propres idées, & jamais on
n'aime quand on n’est pas pour aimer. Je sais ce que
je peux pour me tromper ; je vous aide moi-même à
m'abuser ; vains efforts ; vous ne m'offrez que
l'image de ce que je mérite, & vous me laissez
toujours regretter ce que je voudrois vous avoir
inspiré. Je ne suis pas la seule à m’appercevoir que
vous ne m'aimez point : malgré les
soins que vous me tendez, votre indifférence est
devenue une espece d'indiscrétion ; je n'ai encore
vu personne qui n'en fût instruit comme moi : hier
encore on m'assuroit que vous aviez trois
différentes occupations, sans compter le foible
amusement qui vous attache à moi. On m'offrit de me
nommer vos trois Déesses ; je ne le voulus point ;
on me nomma pourtant malgré moi Madame de * * * : on
m'assura que vous l'aviez eue avant la mort de son
mari ; que vous l'aviez quittée pour une Actrice
de * * * & que depuis son veuvage vous aviez eu
la générosité de la reprendre ; on ajouta qu'elle
vous aimoit beaucoup ; qu'elle n'ignoroit pas que
vous viviez avec moi, mais que née estimable, elle
vous le pardonnoit, parce qu'elle m'estimoit. Jugez
si je puis me refuser à des lumieres si certaines.
L'eau qui tombe goutte à goutte, perce le plus dur
rocher ; le cœur d'une amante n'en est
pas un, & tant de cruelles injustices doivent
enfin percer le mien des plus sensibles traits.
Adieu. Vous me rendez bien malheureuse ! Mais je
vous pardonne tout, si vous épargnez l'inconnu.
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Lettre XVII. Je
suis convaincu de votre perfidie. Madame de R * * *
veut vous épouser ; vous y consentez ; c’est elle
qui doit donner les deux mille écus que vous voulez
me faire prêter, pour m’aider à remplir les
engagemens que ma foiblesse pour une famille
malheureuse m’a fait contracter ; vous sentez que je
suis trop généreuse pour me servir d’un bien qui
vous coûteroit autant d’intérêt : je suis comblée,
puisque je reste seule malheureuse. Je n’ai rien à
me reprocher ; suivez votre destinée ; la mienne ne
me coûtera pas long-tems des regrets.
Je ne fus point bien la dupe de vos caresses ; elles
étoient les restes des sentimens que vous veniez de
prendre auprès de ma rivale ; restes affreux, &
que je vous pardonne moins que votre perfidie. Je
souhaite que Madame de * * * vous dédommage de ce
que vous lui sacrifiez : vous ne devez donc plus
compter sur ma foiblesse, vous me laissez
malheureuse & je vous laisse peut-être plus à
plaindre que moi. Adieu.
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Lettre XVIII EH
bien ; oui, je ne vous accuse plus de rien ; je
crois, je suis persuadée que l’on a abusé de ma
défiance ; je me jette à vos pieds ; je vous en fais
de plus sinceres excuses ; que voulez-vous de plus !
Faut-il me faire un crime d’un mouvement qui vous
prouve si bien l’excès de ma passion ? je ne disconviens pas que je ne sois trop prompte
à vous condamner ; mais quand il seroit vrai que la
jalousie fut un défaut, ne doit-on pas payer d'un
peu d'indulgence le bonheur d'être aimé ! Vous-même
qui me jugez avec tant de sévérité, n'avez-vous pas
été jaloux ! Ne m'avez-vous pas fait renoncer à des
amis respectables ! Me suis-je plainte de vôtre
défiance ! Ne vous ai-je même pas rassuré sur les
reproches que vous vouliez vous en faire ! Contente,
& trop satisfaite du plaisir de vivre pour vous,
je vous pressois de me dire si vous croïez que
j'eusse encore quelque preuve à vous donner de ma
tendresse ; & depuis, si vous ne m’avez plus
montré d’inquiétude, c’est qu’il étoit impossible
que vous en conservassiez. Au reste, je ne me
justifie ici que parce que je dois employer tous les
moyens à vous consoler quand vous avez des peines ;
car dans le fond de mon cœur je m'accuse & me
condamne rigoureusement. Je me
plains de mon cœur, je me plains de mes expressions,
je ne suis contente que de mon désespoir.
Pardonnez-moi le chagrin que vous avez eu en lisant
ma lettre, pardonnez-moi la coupable satisfaction
que j'ai voulu me procurer en l'écrivant ; je
n'étois plus à moi, je ne sçavois ce que je faisois,
& ce ne sera jamais que quand je serai folle,
que je pourrai former des desseins contre vous. Mais
ma folie est l'ouvrage de mon amour, de cet amour
donc vous avez juré d'adorer les excès. J'ai votre
parole, & c'est avec cette excuse que je me
présente à vos yeux pour obtenir ma grâce. Adieu. Je
compte toujours diner chez la B * * *, & je
serois désespérée que vous n'y vinssiez pas. Je
serai à votre porte avant deux heures.
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Lettre XIX.
VOUS n'avez jamais voulu convenir que vous aviez eu
la B * * *, mais je n'en serai pas moins persuadée,
toute ma vie de la vérité de mes conjectures. Plus
j'examine la conduite qu'elle a avec moi, moins je
puis me refuser au jugement que j'en porte. Elle ne
m'aime point, & tous les jours elle m'accable de
nouvelles amitiés ; elle ne me voit jamais sans me
parler de vous, & c'est toujours pour m'engager
à vous quitter quelle m'en parle. J'ai cru pendant
long-tems que ses conseils avoient leur source dans
son caractère naturellement porté à l'infidélité, ou
dans le ressentiment des mauvais tours que vous lui
avez joués : mais aujourd'hui que vos grandes
expériences m'ont donné plus de connoissance des
femmes, je prends de nouvelles idées d'elle, & je tire de nouvelles conclusions de
ce que je vois. J'ai vu souvent qu'après une heure
de conversation sur votre compte, vous arriviez ;
elle vous railloit agréablement, vous reprochoit
vivement votre légèreté, vous peignoit avec art les
avantages d'un engagement durable, exaltoit vos
talent, votre esprit, votre figure, vous laissoit
baiser sa main autant que vous le vouliez, vous la
donnoit même, cherchoit & vouloit absolument
jouer avec vous la femme à sentimens, & belles
partions, vous paroître respectable & pourtant
sensible. Tous ces conseils, tous ces reproches,
toutes ces douceurs ; tout ce contraste enfin dans
une femme à qui vous avez tant manqué, ne sçauroient
être que l'ouvrage de l'amour & d'un dépit
amoureux. Oui, l’amour seul qu'elle conserve pour
vous, est le motif de tout ce qu'elle fait pour ou
contre vous; la coquetterie n'y a aucune part : la
femme la plus coquette cesse de
l'être avec un homme qui l'a aussi bien démasquée
que vous avez fait. Vous lui avez appartenu ; je ne
me départirai jamais de cette idée. Vous m’avez dit
vous-même que vous aviez souhaité de sçavoir quelle
pouvoit-être sa juste valeur dans un engagement
& que vous l'aviez pressée en vain pour cela.
Pressée en vain ! ah, ce n'est pas à vous que des
femmes résistent. Je me souviens d'ailleurs des
conseils que vous donnâtes un jour, en ma présence,
au Chevalier de * * *, qui vous disoit qu'il
mourroit de douleur, si vous ne l'aidiez à triompher
de sa fierté. Vous paroissiez trop instruit, vous
appuïez avec trop de plaisir sur certaines idées,
pour que le Chevalier & moi pussions n'en faire
honneur qu'à votre imagination. Le connoissances
qu'on acquiert du caractere des femmes dans leur
commerce, n'apprenent pas de certains détails, de
certaines particularités :
l'expérience donne de la raison, de la finesse, de
l'habileté de la hardiesse, & un certain esprit
de ressources ; mais une notion particuliere peut
seule fournir des moyens positifs, tels que ceux que
vous suggériez au Chevalier : & ce malheureux
soupé où parce qu'elle ne trouva pas bon que vous
fussiez persuadé qu’elle avoit plus de disposition à
la tendresse qu’elle ne disoit, & que si vous
l’entrepreniez, vous vous feriez aimer avant huit
jours, vous lui répondîtes durement que vous n’aviez
jamais vû qu’une prude répondre aussi mal à une
plaisanterie, & que toute la grace que vous
pouviez lui faire, c’étoit de croire qu’elle perdoit
l’esprit. De dix personnes que nous étions à la
table, il n’arriva à aucune de prendre le change sur
votre vivacité : il est vrai que ce qu’elle vous
avoit dit ne devoit pas vous plaire ; mais vous avez
toujours traité les femmes avec tant de politesse,
que vous l’auriez excusée, si vous
n'aviez été emporté par une petite indignation
qu'elle devoit en effet vous causer en ce moment.
Quoi qu'il en soit, je ne vous en parlerai jamais
davantage ; Dieu m'est témoin que ce n'est pas pour
vous en faire des reproches que je vous en ai
parlé ; j'ai voulu seulement vous apprendre que je
vous l’ai pardonnée. Eh ! plût au Ciel que vous
n'eussiez jamais appartenu qu'à des femmes d'un
aussi bon caractère. Adieu.
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Lettre XX. Il
faut que je vous divertisse par une conversation que
j’ai eue hier. Le Marquis vint me voir à onze
heures ; j'étois dans mon lit : vous sçavez que mes
deshabillés sont élégans ! Il fut frappé de mes
grâces, & il voulut bien les admirer. Après les
fadeurs d'usage, je m'apperçus qu'il se perdoit dans
une sombre rêverie ; je l’arrêtai en
chemin, parce que je prévis que sa mélancolie seroit
épidemique & qu’à notre réveil nous n'aurions
fait, lui & moi, qu'un triste songe. Monsieur,
lui dis-je, vous êtes triste ? Oui, Madame.
Avez-vous toujours ce vilain procès ? Oui, Madame.
Avez-vous vû Madame de * * * ? Oui, Madame.
Avoit-elle de l’esprit aujourd'hui ? Oui, Madame. Et
vous, Monsieur ? Oui, Madame. . . . . Ces trop
ridicules réponse ne m'amusoient point, comme vous
jugez bien. Monsieur, repris-je plus haut, êtes-vous
à ce que vous me dites ? Madame, oui. Vous ne me
donnerez pas la migraine, si vous continuez sur ce
ton taciturne, mais des vapeurs, ah ! il se pourroit
bien que vous m’en donnassiez. Eh ! Madame, dit-il
enfin, qui pourroit conserver quelque présence
d'esprit en voyant tant de charmes. Je ne me pique
avec vous que de sentiment. Mais ma passion. . . . Votre passion, repartis-je, j’ignorois
cette nouvelle faveur, & je ne sçais si ma
reconnoissance, toute vive qu’elle est, égale mon
étonnement. Vous m’aimez donc beaucoup ! On ne peut
pas davantage, reprit-il ; mais, hélas ! je sçais
trop que ce n’est pas à moi que le bonheur de vous
plaire est réservé. Vous sçavez ! Monsieur ; qui
vous a donc si bien instruit ! Eh ! Madame, qui
pourroit ignorer que vous êtes sensible ! Tout en
vous prouve que vous aimez ; vos distractions, vos
railleries, votre douceur, vos conversations
toujours favorables à l’amour, votre gaieté &
votre sagesse, toujours fatal à vos admirateurs :
vous protégez l’amour, vous l’embellissez, &
l’amour embelli est toujours indiscret. J’ai
d’ailleurs des lumieres certaines, des
lumieres. . . . Eh ! Pour un inconstant qui se plaît
à faire couler vos larmes, qu’on n’a jamais touché, qui a eu plus d'aventures que de
caprices, & plus de femmes que de desirs. Pour,
un ingrat. . . . . Je l'arrêtai, & je vous
peignis si bien, que je le forçai de reconnoître une
justice, une raison dans mon amour & ma
conduite, capables de lui faire perdre à jamais un
téméraire espoir. Il se souviendra de ce portrait,
& il n'aura plus l'audace de barbouiller à son
gré les traits que j'adore. Adieu. Vivez content,
& méprisez des rivaux dont votre supériorité
vous venge.
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Lettre XXI JE
ne veux pas faire mal-à-propos la fine. C’est moi
que vous vîtes hier au soir dans un carrosse devant
votre porte ; j'avois soupé dans votre quartier,
& ne pus résister au plaisir de vous rendre un
hommage public, qui cependant, comme a dit un homme
d'esprit, ne seroit connu que de moi. Mais,
dites-vous, comment rester une heure en carrosse
pendant la nuit devant la porte d'un homme que l’on
croit qui dort ? Mes amusemens y furent pourtant
bien considérables. Je m'y entretenois de mes
sentimens ; j'en contemplois toute la pureté, toute
l'étendue, toute la vivacité ; j'y payois à mon cœur
le tribut si doux de le laisser s'examiner
lui-même ; ses mouvemens le transportoient dans les
secrets de l'avenir ; il s'y trouvoit toujours
fidele, & pourtant toujours plus heureux. Voilà
ce que m'a valu, ma prétendue équipée.
Votre porte, devenue sacrée pour moi, m’embrasoit
seule de plus d'amour que je n’en sçaurois exprimer.
C'est-là, me disois-je, qu'habite ce que j’aime ;
c'est-là le temple du tendre amour ; c'est-là que
l’on devient heureux, quand on sçait bien aimer. Mon
amant y repose dans le bras de l’amour ; peut-être
un tendre souvenir, peut-être quelque erreur plus
tendre. . . . . Ah ! je serois trop
heureuse. . . . . Voilà, Monsieur le dormeur, ce que
l’on gagne à veiller. Vous me gronderiez cent fois
davantage que je n’en veillerois pas moins. J’aime à
me gouverner. Le plaisir inspire l’indépendance,
& j’ai de plus en plus un penchant si singulier
à vous prouver que je vous aime, qu’il me seroit
absolument impossible. . . . Je suis interrompue par
mon * *. Bon jour. Je vous attends pour aller
à * * *.
Nível 3
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Lettre XXII.
VOUS vous faites une trop haute idée de ma vertu,
& vous lui rendez un hommage qu'elle n'a jamais
mérité. Votre prévention m'engage à vous parler de
bonne foi : ma sincérité ne peut jamais me coûter,
quoique vous en disiez, qu'autant que vous vous
croirez trop obligé à m'en tenir compte. . . . . .
Vous me croyez vertueuse par principes ? Vous vous
trompez. Ma vertu est toute née de ma passion.
Imaginez-vous que je n'ai commencé à penser qu'en
commençant à vous connoître : ce n'est pas qu'avant
ce jour j'eusse fait des sottises, non je fus
toujours sage ; mais c'est une obligation que j'ai
uniquement à l'insolence des hommes. Ma vanité
toutes seule & sans que je m’en mêlasse, les
éloignoit de moi à mesure qu'ils cherchoient à s'en
approcher. Je les trouvois si gauches,
si impertinens, si pressés, qu'il me sembloit que
pourvu qu'on eue une ame tant soit peu honnête, on
étoit trop forte contr'eux. Peut-être serois-je
devenue un peu plus méprisable qu'eux-mêmes, s'ils
avoient été un peu plus habiles ; mais comment
devenir méprisable avec des gens qui ne vous
inspirent pas même le desir de le devenir ! Il n'y
avoit pas jusqu'à leurs louanges qui ne me
rebutassent ; j'ai crû vingt fois qu'ils alloient me
dégoûter d'être jolie ; & cette seule pensée me
les faisoit trouver si désagréables ; je les
haïssois de si bon cœur : ah ! cela ne se peut
comprendre ; & puis, quand ils m'avoient dit une
grosse sottise, une impertinence bien plate, ils
s'applaudissoient tant, se caréssoient de si bonne
foi. . . . . . Oh ! encore un coup, cela passe
l'imagination. Peut-être, & je ne crains pas de
le répéter, aurois-je été moins difficile, si
j'avois eu affaire à des gens moins vicieux &
moins bêtes. Vous, par exemple, si je
vous vois trouvé sur mon chemin, j'aurois eu peine à
m’en détourner ; ce n’est pas que j'eusse été la
dupe de votre cœur : quand on est née pour aimer, on
devine les cœurs inconstans ; mais je l'aurois été
de votre esprit, de votre art, de vos louanges. Nous
naissons avec un germe de séduction, qui n'a besoin
que d'un prétexte agréable pour se développer : nous
naissons encore pour être flattées, & le moindre
plaisir de vanité nous transporte, pour ainsi dire,
dans notre premiere sphere, d'où l'éducation nous
avoit tirées ; ainsi jugez de ce que je serois
devenue si j'avois été tour-à-tour attaquée par
vingt fripons comme vous. Cet aveu,
quelqu'impression qu'il fasse sur vous, n’est pas
encore aussi singulier que le plaisir que je trouve
à m'en faire un mérite ; je m'imagine que je ne vous
ai pas encore donné une aussi grande marque de ma
tendresse, puisque c'est vous en faire
juge vous-même. Dès que j'ai dit qu'il n'y avoit
jamais eu que quelqu'un qui vous value qui pût me
toucher, vous êtes aussi sûr que moi, que je n’ai
jamais aimé que vous. Adieu.
Metatextualidade
Ces lettres finissent ici. On
sera peut-être bien aise de connoître le stile de
l'homme à qui elles ont été écrites ; celle qui suit
suffira pour satisfaire la curiosité du Lecteur.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Lettre XXIII.
NE cesserez-vous donc de me faire d'injustes
reproches ? Je vous aime sans doute avec toute
l'ardeur de la passion ; mais je commence à ne
pouvoir plus supporter l'indigne traitement que vous
me faites éprouver. Qu'avez-vous fait de cette
douceur inestimable, dont malgré votre modestie,
vous étiez forcée de vous applaudir ? Que sont
devenues ces vertus qui faisoient mon bonheur ! Je
ne trouve plus en vous qu'une femme livrée aux
emportemens de la fureur ; vous me faites redouter
l'amour ; j'ai toujours à craindre pour votre vie :
je ne respire plus auprès de vous que la douleur, la
pitié & la crainte ; le tendre amour semble me
fuir, & je ne distingue plus les sentimens qui
m'attachent à vous. Pauvre infortunée ! Est-ce là ce prix si desirable que vous destiniez
à vos sentimens ? La jalousie, ce monstre horrible,
cet éternel tyran du cœur, s'est emparé du flambeau
de l'amour : elle n'éclaire plus que des sentimens
homicides ; elle corrompt ; elle empoisonne tout par
son venin affreux. Croyez-moi, revenez de votre
erreur ; vous le pouvez encore ; mon innocence vous
attend pour vous rassurer. Reprenez cette confiance
qui vous rendoit si aimable, & me rendoit si
heureux ; ne vous tourmentez pas par goût ; il est
encore tems de vous guérir de cette fatale
frénésie ; mais si vous tardiez davantage, vous
n'auriez plus peut-être, ni les moyens qui vous
restent, ni ceux que je peux vous fournir. On
s'accoutume aux injustes fureurs d'une maîtresse
aveuglée, & insensiblement une pitié inutile est
tout le fruit qu'elles produisent. Je sçais qu'il
est mal-aisé d'étouffer des sentimens
nourris par la prévention, & qui attachent
d'autant plus qu'ils remplissent le vuide qu'une ame
amoureuse trouve toujours dans un amour tranquille ;
mais n'est-il pas plus naturel de le borner à un
état heureux qui laisse souhaiter quelque chose, que
de multiplier à l'infini les desirs & ses
besoins par la passion effrénée de sentir toujours
quelque chose de nouveau. . . . . . Vous jugez assez
à quoi ces réflexions vont nous conduire ; je ne
peux vous sacrifier Madame de * * *. J'ai fait ce
que j'ai pû pour vous persuader de l'innocence des
sentimens qui m'attachent à elle : je vous ai prouvé
que mon honneur étoit interessé à la fidélité de mes
sermens : vous ne voudriez pas que je me
deshonorasse ! Je serois l'opprobre de l'Univers si
je l'abandonnois : je ne disconviens pas que je
n'aye beaucoup à souffrir de son humeur jalouse ;
mais je men <sic> console en
pensant qu'elle seroit plus douce si j'eusse été
moins injuste. Je suis même charmé de pouvoir par la
douceur de mon caractere, la payer de l'altération
que le sien souffre tous les jours pour moi. Elle
étoit née, ainsi que vous, pour faire mon bonheur :
elle le fit & j'ai changé : je dois respecter
les fureurs, puisque je n'ai pas assez respecté mes
sermens. Le courage dont j’ai besoin pour vous faire
un pareil aveu, doit vous répondre de la pureté de
mes motifs ; si Madame de * * * exigeoit de moi ces
soins, que l’amour rend presque indispensables,
j'aurois également la force de vous l'apprendre,
parce que je ne veux jamais avoir celle de vous
tromper. Elle n'est que mon amie ; la lettre que
vous m'avez surprise hier, quoique pleine des
expressions de la plusvive tendresse, n’est qu’une
nouvelle preuve de la noblesse de mes principes : elle m'écrit tendrement, parce
quelle s'est engagée à ne me parler plus de même ;
& je ne suis pas assez barbare, pour la priver
d'un plaisir qui suffit à mon cœur, & qui me
dégage d'une dépendance qu'elle seroit en droit
d'exiger. Il est vrai qu'elle est jalouse des
sentimens dont elle me croit occupé ailleurs, &
qu'elle m'avoit promis que cela ne seroit jamais.
Mais est-il donc si facile de régler le mouvemens de
son cœur sur d’odieuses promesses, & ne
serois-je pas un homme bien méprisable, si je la
punissois des suites de mes propres crimes ?. . .
Voilà mes sentimens, mes devoirs, mes résolutions :
si vous m'aimez, vous employerez à ma justification
le sentiment de vos propres intérêts, & l'estime
que l'on doit à un vertueux courage. Je vous parle
comme un honnête homme qui ne veut se rendre heureux
aux dépens de personne, & qui fait
surtout consister le bonheur, dans l’estime de
soi-même. Adieu. Quel sera le sort de cette lettre ?
Narração geral
Nível 3
Lettre premiere.
Carta/Carta ao editor
Monsieur, A combien de
remords ne vous exposez-vous pas, si vous me trompez
jamais ! vous avez commencé par me rendre injuste,
ne finissez pas par me rendre malheureuse. Il y va
de votre gloire à affermir la bonne opinion que j'ai
prise de vous ; songez que je vous ai plus aimé pour
vous que pour moi-même, & qu'il vous seroit
difficile de trouver dans un autre engagement les
ressources que vous trouverez toujours dans mon
cœur. . . . Que ne dois-je pas craindre de votre
légéreté ! vous vivez dans le grand monde ! hélas,
cette idée me fait trembler. . . . Vous
avez dû sentir combien il est humiliant de n'être
connu que par ses perfidies ! vous pouvez l'être par
vos vertus, & je veux que cette gloire vous
tente. Je me croirai aimée à proportion que je
verrai en vous l'homme vertueux se développer &
se produire. Accoutumez votre esprit à n'avoir point
de détours ; laissez jouir votre cœur du plaisir
d'aimer, pour lequel il est fait ; la vanité de
faire des conquêtes produit bien moins que la gloire
d'y renoncer par raison. Vous avez plus que personne
le don de plaire ; & l’inconstance vous seroit
permise, si elle n'étoit pas un vice quand on est
bien aimé mais il s'éleve une barriere ! vos
inconstans desirs, & cet obstacle, sur la foi
duquel je me suis engagée, doit vous retenir pour
jamais. . . . . Je vous ai aimé sans vous bien
connoître ; mais je n'ai consenti à vous aimer que
pour vous rendre véritablement aimable. Ne croyez même pas que ce soit bien
précisément la passion qui m'attache aujourd'hui à
vous : un plus noble intérêt m'anime ; c'est le
desir & l'espoir de vous empêcher de retomber
dans des égaremens qui entraineroient la ruine
entiere de votre cœur : je cesserois de vous aimer,
si vous cessiez de respecter mes motifs. . . . . .
Que vous m'avez coûté de larmes, cette nuit ! vous
n'auriez pu les essuyer sans en répandre. Mille
craintes m'ont agitée ; le passé m'a effrayée,
l'avenir m'a épouvantée. Je crains autant pour vous
que pour moi-même de vous perdre, & je sens que
je vous perdrai, si je ne sais des miracles :
rassurez-moi ; je ne suis point une femme
méprisable, je dois vous être chere. Ayez de la
confiance en moi ; vous verrez que je ne suis pas
plus votre maîtresse que votre amie. Je vous aimerai
uniquement pour vous-même : malgré ce qu'il pourra
m'en coûter, je sçaurai me détacher de
la satisfaction si douce de vous posséder sans
partage. Mais jamais de détours ; ils deviennent les
plus sensibles blessures que puisse recevoir un cœur
qui se sent incapable de tromper. Ne craignez rien
de ma passion ; elle ne peut jamais être qu'à votre
avantage ; mes vœux, tous mes délits ne tendent qu'à
vous rendre digne de moi & de vous-même : votre
gloire m'est plus chere que ma vie : je vous ai
sacrifié la mienne pour vous rendre la vôtre, que
l'inconstance alloit vous ravir ; & vous ne
pouvez vous défier de moi, dans quelque occasion que
ce puisse être, sans devenir ingrat. Je sens bien
que vous ne m'aimez pas autant que je vous aime mais
je veux du moins vous forcer à m'aimer un peu ; je
veux vous attacher par un sentiment que le tems ne
puisse détruire. Je n'ai rien perdu de ce que vous
me dites hier au soir ; je voudrois l'avoir ignoré
toute ma vie : je croyois vous devoir
au tendre amour, & je ne vous ai dû, hélas !
qu'à l'habitude de changer ! Combien d'art & de
détours pour séduire mon cœur ! Quelle en sera la
fin ? Vous avez dissipé l'erreur qui vous cachoit à
mes yeux ; il m'est permis de vous montrer mes
craintes. Que serez-vous pour me convaincre que je
vous suis devenu plus chere ? Je ne puis plus en
croire vos discours ; vos actions seules peuvent me
persuader ; mais aurai-je la force d'attendre leur
tardive impression ? Que n'avez vous pas fait pour
me séduire ! eh bien, il faut encore que vous me
séduisiez Bon jour. Je suis uniquement à vous, &
j'ai plus de chagrin de ne pouvoir vous le prouver
tous les jours de ma vie, que d'être obligée de
penser que vous n'en êtes peut-être pas digne.
Nível 3
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Billet. Votre procédé
m'étonne & me désespere. Aurois-je dû m'attendre
à tant d'indifférence ! Est-ce ainsi
que l'on prouve qu'on aime ? Suis-je donc devenue
pour votre cœur un objet si peu intéressant que vous
ne craigniez pas même de me le faire connoître ! Bon
dieu, que vous me faites souffrir ! A quoi dois je
m'attendre ! Ne m'auriez-vous inspiré une si vive
passion, que pour en faire l'objet de vos caprices !
Si du moins vous croyez l'augmenter par mes
tourmens ! cette idée, qui prouveroit que vous vous
occupez de moi, auroit des charmes, &
redoubleroit peut-être mon attachement : mais non,
vous êtes cruel sans dessein, & je ne peux vous
accuser que d'insensibilité. Votre silence me tue :
faites-le cesser : je veux que vous vous expliquiez,
n'eussiez-vous que des malheurs à m'apprendre ; je
vous ai dit cent fois que j'abhorrois les mysteres.
Faudra-t'il toujours vous apprendre à vous conduire
avec moi ! Adieu.
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Lettre II.
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Lettre III.
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Lettre IV.
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Lettre V.
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Lettre VI.
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LETTRE VII.
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Lettre VIII.
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Lettre IX.
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Lettre X.
Citação/Lema
Eh !
comment ne pas m’enflammer Pour l'aimable objet
qui m'enchante !
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Lettre XI.
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Lettre XII.
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Lettre XIII.
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Lettre XIV.
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Lettre XV.
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Lettre XVI.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Lettre XVII.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Lettre XVIII
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Lettre XIX.
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Carta/Carta ao editor
Lettre XX.
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Lettre XXI
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Lettre XXII.
Metatextualidade
Ces lettres finissent ici. On
sera peut-être bien aise de connoître le stile de
l'homme à qui elles ont été écrites ; celle qui suit
suffira pour satisfaire la curiosité du Lecteur.
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