Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XIV.
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Discours XIV.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, Vous vous rappellez
peut-être, d’avoir lu dans Plutarque & dans Ciceron,
que les enfans de Sophocle, s’ennuyant d’une dépendance
trop longue à leur gré, s’aviserent vers la
fin de ses jours de la déférer en justice, comme
incapable de gouverner ses biens & sa famille, &
que Sophocle les confondit par un trait auquel on ne
s’attendoit pas. Pour tout plaidoyé, il pria les Juges
de lui permettre de lire la derniere Tragédie qu’il
avoit composée (c’étoit Œdipe à Colone). Ils en furent
si charmés, qu’ils le renvoyerent comblé d’éloges, &
ses enfans chargés de confusion. Voici un fait récent à
peu près semblable.
Allgemeine Erzählung
Les
héritiers de M.P * * s’impatientant, sans doute, de
ce qu’une trop longue vie, fondée sur un excellent
tempérament, les empêchoit de jouir d’une grande
succession qu’il doit laisser, ont voulu s’en
emparer d’avance en le faisant interdire, sous
prétexte qu’il n’étoit plus en état de gérer ses
biens. Le Juge a fait ses interrogatoires, &
pour unique réponse M.P * * lui a produit un
Codicille qu’il avoit dressé lui-même
depuis quelques mois, & par la simplicité &
la clarté duquel il avoit sçu prévenir mille
embarras & mille démêlés que ses héritiers
auroient pu avoir pour partager ses biens, situés
dans différentes Coutumes. Un acte si bien dressé
& si sage, a tellement surpris le Magistrat,
qu’il n’a rien voulu sçavoir davantage pour décider
que M.P * * étoit plein de bon sens ; & ce
dernier, pour prouver à ses indignes héritiers qu’il
avoit encore l’esprit sain & vigoureux, a fait
un nouveau testament qui les punit de leur avide
cupidité.
Metatextualität
Il y a tant de parens de
la trempe de ceux dont je viens, Monsieur, de vous
annoncer la mauvaise réussite, que j’ai cru
très-utile pour la société que vous transmissiez ce
fait dans vos feuilles, persuadé que vous
l’accompagnerez de réflexions si solides, qu’elles
pourront faire rentrer en eux-mêmes, non seulement
les héritiers injustes, & trop
pressés de jouir, mais encore les vieilles gens, qui
souvent par leur dureté envers leurs parens peu
aisés, fournissent une espece d’excuse aux souhaits
ou aux démarches dénaturées qu’ils font. C’est
encore ici un de ces sujets sur lesquels mes
réflexions ne doivent pas être bien étendues. Il n’y
a pas un seul être animé qui, en lisant le fait
qu’on vient de rapporter, ne s’écria, cela est
horrible. Lorsqu’un cri est universel, on est
dispensé de raisonner beaucoup sur la cause qui le
produit. Mon correspondant souhaiteroit que
j’embrassasse tout à la fois, dans mes réflexions,
l’infame avidité des héritiers présomptifs qui
souhaitent la mort de leurs parens, &
l’inhumaine dureté des vieillards qui aimeroient
mieux précipiter leur dernier instant, que de
distribuer sagement leur trésor avant cet instant
fatal. L’un & l’autre de ces objets
sont au dessous de ma critique. Je crois pourtant
les vieillards avares moins inexcusables que les
héritiers homicides. On a vu trop souvent des parens
généreux être réduits à détester le sentiment qui
les porta à se dépouiller pour des parens ingrats
& barbares : & ces exemples font des
impressions si tristes, qu’un homme juste n’ose
condamner qu’à demi, les peres accusés de dureté
pour la sorte d’avarice dont je parle. Qu’on se
rappelle la lettre qu’on lit dans le premier volume
du Spectateur François. Je l’ai sous les yeux ;
& il suffit peut-être de la lire pour se
convaincre de ce que je viens d’avancer. Ecoutons
celui qui écrit.
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Brief/Leserbrief
« Je suis infirme,
accablé d’années, relegué à la campagne, où l’on a
livré ma vieillesse à la discrétion de de
<sic> deux ou trois domestiques sans charité
pour mon âge, ni pour mes infirmités, qui
m’oublieroient toujours, si je
n’étois importun ; & dont il faut que
j’impatiente la brutalités, pour en arracher
quelqu’attention à mes besoins ; enfin auprès de
quoi on ne m’a laissé d’autre appui que la pitié
que je devrois leur faire, & que je leur fais
si peu qu’ils abusent de l’oubli cruel où m’a
laissé leur maître. Hélas ! ce qui m’afflige le
plus, ce qui fait toute l’amertume de mes peines,
c’est que ce maître, dont je parle, vous le
dirai-je, Monsieur, c’est qu’il est mon fils. Je
suis sûr que mon état vous touche ; mais quelque
bon cœur que vous soyez, vous n’en sçauriez
comprendre toute la misere : il faut être à ma
place, il faut être pere, pour en sentir toute
l’étendue. . . . . »
Metatextualität
J’ose avancer qu’une
pareille lettre suffit presque pour justifier le
parent le plus avare.