Sugestão de citação: Jean-François de Bastide (Ed.): "Discours VII.", em: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.4\007 (1759), S. 98-112, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2110 [consultado em: ].


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Discours VII.

Nível 2► Nível 3► Carta/Carta ao editor► Monsieur,

Vous avez invité plusieurs fois vos lecteurs à vous fournir des anecdotes instructives ou amusantes ? Je me crois en droit de vous prier d’insérer dans vos feuilles l’anecdote suivante. Vous n’avez pas encore traité l’importante matiere qu’elle renferme ; & je crois, Monsieur, qu’elle ne doit point être négligée dans un ouvrage dont le but est de rendre les hommes plus humains & plus justes. Je vous demanderois de l’indulgence pour mon style, si j’avois de la vanité. J’ai toujours heureusement ignoré l’empire de cette passion, & je vous soumets tout ce que vous allez lire, avec une indifférence & une résignation qui vous donnent toute sorte de droits. C’est pour [99] la première fois que j’écris, & je sçais que je dois mal écrire ; ainsi, Monsieur, vous corrigerez & retrancherez autant qu’il vous plaira, & je dois vous en prier pour l’avantage du public.

Narração geral► J’étois avant-hier chez un de mes amis, & je le voyois dans une tristesse extrême, hors d’état presque de faire attention à mes discours, & d’y répondre. C’est un homme que la fortune a maltraité cent fois, & qui vient d’éprouver un dernier trait de rigueur auquel il y a bien peu de courages qui n’eussent succombé. Nous sommes depuis long-temps liés de la plus tendre amitié, & s’il est malheureux, c’est que je le suis moi-même, & qu’il ne m’est en aucune façon permis de le soulager. Quoique la gaieté soit, pour jamais & avec tant de raison, bannie de son ame, il a cependant assez de fermeté pour ne se pas abandonner à sa douleur, & il ne souffre point qu’elle [100] paroisse sur son visage ; mais ce jour-là il y avoit fait des efforts inutiles, & je voyois qu’il devoit souffrir beaucoup. Je lui demandai ce qu’il avoit, & le priai de disposer de mes foibles moyens. Je viens d’éprouver quelque chose d’horrible, me dit-il, & j’en suis accablé ; mais il y a peut-être du remede, & le Dieu qui me fit naître avec plus d’ennemis que de vices, aura peut-être pitié de mon innocence malheureuse : je vous dirai ce que c’est dans un quart-d’heure.

Il avoit à peine prononcé ces tristes mots, que son domestique entra. Eh bien, lui dit-il avec beaucoup de vivacité, l’as-tu trouvé ? lui as-tu remis ma lettre ? Oui, Monsieur, répondit-il tristement ; mais il n’y a point d’argent. Point d’argent ? reprit mon ami, les hommes sont bien durs ; ô mon Dieu, à qui s’adresser dans le malheur, si les gens riches ne rougissent pas d’avoir si peu d’entrailles ! Il se leva alors, [101] & se promena pendant quelque temps dans la chambre. J’avois les yeux sur lui, & je voyois la couleur de son visage s’altérer prodigieusement ; je jugeois de son état, & je voulus le questionner ; mais il n’étoit plus à lui ; & n’écoutoit pas ce que je lui disois. Il se promenoit à pas lents, les yeux levés au Ciel, & faisant des mouvemens de bras qui exprimoient une affreuse douleur. Il se parloit quelquefois, & je jugeois par le peu que je pouvois entendre que le service qu’il venoit de demander vainement étoit pour une femme qui lui étoit chère, & que ce refus alloit mettre au désespoir. Que fera-t’elle ? Que deviendra-t’elle ! s’écrioit-il : ô ma chère Adélaïde ! ... Il s’interrompoit, & reprenoit ensuite. Ma chère Adélaïde, je vois tes maux, & je ne puis les adoucir ! Il faut que je te laisse expirer dans les larmes. O Dieux ! qu’ai-je fait pour être si malheureux? Il s’interrompit encore, & [102] reprit brusquement ; point d’argent ? point de pitié ? & ce coquin a peut-être mille louis dans sa cassette ? Ce sont ces gens-là qui sont durs ; les malheureux ont des sentimens……Après tout ce que je lui ai écrit, poursuivit-il.... De la façon dont je lui parlois.... Pour dix louis.... Cela est-il croyable?.... Voyons du moins ce qu’il me marque ; voyons s’il a l’audace de justifier son refus.... Le domestique étoit resté, & il s’approcha de lui pour prendre la réponse ; mais le monstre n’avoit pas seulement daigné répondre. Il n’a point écrit, dit le domestique, & je ne lui ai pas parlé ; il m’a seulement fait rendre votre billet. Quoi ! s’écria mon ami en fureur, il n’a pas répondu ? il ose avoir cette insolence ? Oh, c’en est trop, & je souffre trop des hommes ; il faut que je lui apprenne.... Donnez-moi des souliers ; apportez ma perruque ; nous allons voir.... Nous verrons si le [103] Ciel veut qu’on outrage impunément les malheureux. Je sautai sur lui, & l’empêchai de s’habiller. Qu’allez-vous faire, lut dis-je, ce transport honore trop un homme méprisable ; rappellez votre philosophie, & foulez aux pieds l’insecte qui vous pique... Vous raisonnez mieux que moi, me dit-il, en tombant dans un fauteuil ; mais vous n’avez pas mon désespoir & ma passion ; vous ne sçavez pas ce qu’Adélaïde souffre en ce moment, vous ne sçavez pas comment j’avois écrit à ce drôle-là.... Je parvins à le calmer un peu ; je voulus sçavoir le détail de son aventure, & enfin je parvins à le faire parler. Adélaïde a éprouvé comme moi les plus grands revers, me dit-il ; elle est aujourd’hui poursuivie par un créancier barbare qui l’a volée, & demain on vend impitoyablement ses meubles bornés au simple nécessaire, si elle ne paie son billet ce soir. J’ai sçu son embarras, & j’ai [104] voulu l’en tirer ; mais j’ai frappé inutilement à dix portes. Dans ma douleur j’ai songé à un homme riche, qui depuis un an a recherché mon amitié ; à qui j’ai rendu de petits services ; que j’ai prévenu en tout ; qui connoît mes mœurs, mon exactitude, & mes malheurs ; qui n’a jamais donné un dîner sans m’y inviter, qui m’envoyoit même son carrosse, ou me le prêtoit pour revenir chez moi, pour peu que je me sentisse incommodé ; ce qui m’arrive souvent, comme vous sçavez. J’ai cru, j’ai espéré que cet homme, qui est riche, qui d’ailleurs est l’image de la politesse, & paroissoit m’aimer tendrement, m’obligeroit avec plaisir dans une situation que je lui peignois très-pressante : je lui ai écrit avec toute l’énergie imaginable, & ma lettre trempée dans les larmes, étoit, pour ainsi dire, écrite avec du sang : j’y ai joint un billet d’honneur pour trois [105] mois : vous sçavez le reste. Il refuse de me prêter dix louis, & me renvoie mon billet sans répondre même à ma lettre. Peut-on rien de plus horrible ? Peut-on rien de plus noir?... J’ai écouté votre récit avec horreur, lui dis je en l’interrompant, & je n’y penserai jamais sans frémir ; mais songez qu’en vous vengeant de cet homme lâche, votre ressentiment se porteroit sur la partie de votre malheur la moins importante. Adélaïde a besoin de votre raison, & si vous vous livrez à la fureur, vous ne serez plus capable de raisonner. Laissez cet homme, & ne lui faites pas plus d’honneur qu’il ne mérite en vous vengeant de lui. Occupez-vous de votre situation, & de vos ressources ; & pensez que, si vous alliez chez cet homme, vous donneriez à une passion indigne de vous, un temps qui appartient tout entier à Adélaïde. Il m’écoutoit, & je crus qu’il se ren-[106]doit à mes conseils. Rassuré à cet égard, je sortis pour aller chercher, à quelque prix que ce fût, l’argent dont il avoit besoin. Je me gardai bien de lui communiquer mon dessein ; je sçavois que connoissant mon indigence, il ne m’auroit pas permis de l’exécuter. Je me servis donc de quelque prétexte plausible, & je le quittai sans m’être expliqué. Je fus assez heureux pour trouver cette somme dans la bourse d’un ami ; je les envoyai à Adelaïde (que je connoissois), & je revins chez mon ami, n’étant pas tout-à-fait tranquille sur les mouvemens que j’avois voulu calmer en lui. Je ne le trouvai pas ; je questionnai son domestique, qui ne m’apprit que des choses capables de m’allarmer vivement. Après mon départ, il s’étoit promené long-tems dans sa chambre, prononçant alternativement & dans des mouvemens bien differens, le nom d’Adelaïde & le nom du misérable qui venoit de l’outrager. [107] Après avoir passé une heure dans cet état violent, il s’étoit habillé, & venoit de sortir. A cette nouvelle, je demandai l’adresse de cet homme ; dès que j’eus entendu son nom, je courus à perte d’haleine, & je trouvai heureusement mon ami à vingt pas de sa porte. Il ne fut point surpris de me voir, ou, pour mieux dire, il ne me vit pas ; son esprit étoit enveloppé d’un nuage épais. Je l’arrêtai par le bras. Je vois votre dessein, lui dis-je, le ciel m’envoie à votre secours ; vous n’irez pas plus loin. Non j’y irai, me répondit-il séchement, j’irai.... je dois punir un monstre : vous le punirez demain, repris-je : mais aujourd’hui Adelaïde a besoin de vous ; songez qu’elle meurt de sa douleur, tandis que vous vous livrez à votre passion, & que vous ne devez pas préférer votre intérêt au sien. Ah ! Monsieur, dit-il, il n’est plus tems de me parler raison, je ne suis plus à moi ; je vous [108] écouterai quand j’aurai donné cent coups à ce coquin-là. Eh bien, repris-je, cette fureur est de trop à présent, Adelaïde ne souffre plus ; elle a reçu l’argent par une main qui n’est point faite pour l’avilir, & son billet est payé. Son billet est payé, s’écria-t’il ! Ah! je vous reconnois à ce trait généreux…..Il me serra étroitement dans ses bras, en prononçant ces mots, & sa voix expira sur ses lèvres, lorsqu’il voulut m’exprimer sa reconnoissance. Je le conduisis chez Adélaïde, & le laissai à sa porte, ne voulant pas qu’ils estimassent plus que moi un service qui n’étoit grand, que parce qu’il les rendois heureux. ◀Narração geral

Voilà, Monsieur, une aventure intéressante, & dont un Spectateur sensible & bien intentionné peut tirer d’excellentes leçons pour les hommes durs, dont le caractere se manifeste ici. Je ne doute pas, Monsieur, qu’en parlant à ces monstres féroces, vous [109] ne leur fassiez sentir que l’intérêt même de leur vie demande qu’ils laissent attendrir leur cœur par l’humanité gémissante. Vous avez vu mon ami dans un accès qui touche de près aux dernieres extrêmités. Un malheureux est capable de tout, quand il a tout à la fois l’outrage & la dureté à punir ; & si cela n’étoit pas, si l’on ne voyoit pas quelquefois des coups de désespoir, l’on serait en droit de conclure que la nature a été mal définie. Certainement si je n’avois pas rejoint mon ami assez tôt, il aurait poussé la vengeance jusqu’où elle peut aller, & les effets de sa rage n’auroient surpris personne. Il est donc nécessaire que vous tonniez contre des êtres barbares ; & les devoirs d’un Spectateur se trouveront tous réunis dans les réflexions que cette importante matiere pourra vous inspirer. Vous rendrez les hommes plus humains, & vous forcerez du moins, celui à qui la nature a re-[110]fusé le bonheur de s’attendrir, à faire des réflexions sur son inflexibilité, & à en redouter les suites funestes. Je vous conseille aussi, Monsieur, de regarder comme un objet nécessaire à traiter, cette impolitesse cruelle qu’on voit presque toujours unie à l’insensibilité. L’avare & l’homme dur peuvent croire qu’ils ont le droit de refuser leur bien à qui le leur demande, & en conséquence, (si nous remontons jusqu’au principe de leur raisonnement), ils peuvent refuser les plus petits secours aux gens les plus malheureux ; mais les égards sont d’une indispensabilité universellement sentie : ne fussent-ils pas ordonnés par une morale écrite & reconnue, la loi en est dans le cœur ; & personne ne peut désobéir à cette loi, sans manquer à plusieurs en même temps, & sans mériter d’être regardé comme un homme capable de les violer toutes. Ceci, Monsieur, peut s’étendre à tou-[111]tes les classes d’hommes distingués par un état qui leur donne quelque droit sur la liberté & le bonheur des hommes ; tels que le Ministre des autels, le Ministre des loix, le pere de famille, le Médecin, le Militaire, le Censeur de Livres, &c. Vous saisirez ce que je veux dire mieux que je ne le dis, & vous le rendrez plus profitable au public par cette éloquence persuasive qui part du cœur, & qui fait tant d’honneur au vôtre.

J’ai l’honneur d’être, &c. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

Mon Correspondant m’invite à une chose que je ferois très-volontiers & très-aisément ; mais c’est un plaisir que je dois me refuser ; le public m’impose tous les jours des loix plus séveres au sujet de la variété & de la briéveté ; & il me semble que ce morceau est déjà assez long : il ne faut pas d’ailleurs de grands discours pour prouver aux hommes, que l’humanité est, [112] de droit & de fait, le devoir le plus respectable, la vertu la plus utile, & le sentiment le plus doux. Tout durs qu’ils sont, la nature les instruit tous les jours, & les persuade ; & s’ils ne se rendent pas à ses invitations & à ses murmures secrets, c’est qu’ils sont si durs, qu’aucun cri dans le monde ne peut les toucher, malgré la persuasion où ils sont de la nécessité de leur devoir, & la honte même qu’ils éprouvent quelquefois à y manquer. ◀Nível 2 ◀Nível 1