Le Nouveau Spectateur (Bastide): XVII. Discours
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Discours XVII.
Zitat/Motto
Fervidus tecum puer,
& solutis
Gratiae zonis properentque Nimphae,
Et parum comis, sine te, juventas,
Mercuriusque.
Gratiae zonis properentque Nimphae,
Et parum comis, sine te, juventas,
Mercuriusque.
Hor. L. 1, Od. XXX, 5, &c.
Que le solâtre Amour soit à côté de vous, que les Graces y paroissent dans leur air négligé ; que les Nymphes & Mercure s’empressent à grossir ce brillant cortége ; enfin que la jeunesse vous y accompagne avec cet agrément & cette politesse que vous seule pouvez lui inspirer.
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Metatextualität
C’est le vœu qu’il faut former
pour l’homme aimable & généreux qui donne lieu au récit
qu’on va lire.
Allgemeine Erzählung
M. le Comte de S * *,
simple garde de L’Etendard à Marseille, joua, il y a près de
vingt ans, au jeu qu’on appelle le quinze, avec un de ses
amis, jeune homme comme lui & du même âge. Ils avoient
tous deux quinze ans, & tous deux un demi-louis dans la
poche. Le Comte fut malheureux, & perdit d’abord son
comptant. Il joua sur sa parole. Son malheur continua, &
il perdit jusqu’à vingt-cinq louis. Son ami, qui ne comptoit
pas être jamais payé de cette somme, & qui même alors,
par une délicatesse d’ami, n’eût pas voulu l’être, lui
offrit de jouer le tout en une partie de piquet : le Comte
refusa, & dit qu’il falloit discontinuer le jeu. En
disant cela, il tira sa montre, & détacha ses boucles,
qui étoient de pierres montées. Il me seroit impossible de
te donner vingt-cinq louis en argent, dit-il à son ami ; il
faut que tu te contentes de ce que j’ai. La
montre a coûté douze louis, & les boucles cinq ; il n’y
a que huit jours que ma belle-sœur m’en a fait présent,
comme tu sçais, en attendant le reste de la somme. L’ami
regardoit ces bijoux, & il m’a avoué que leur éclat le
séduisit un moment, mais considérant bientôt que c’étoit son
ami qui se dépouilloit : Te moques-tu de moi, lui
répondit-il ? est-ce que tu me prends pour un brelandier ?
. . . Non, je ne prétends point te fâcher, répondit le
Comte ; je dois, je paye, & si tu es mon ami, tu ne dois
pas t’y opposer. Nous n’avons pas joué comme des enfans,
& si j’avois gagné, j’aurois pris tes effets. . . . Le
débat fut un peu long, & finit par être vif. Le Comte
voyant que son ami ne se rendoit pas, voulut jetter la
montre & les boucles par la fenêtre : il fut impossible
de lui faire entendre raison, & il fallut
en fin de céder à son obstination. Quelques temps après les
deux amis furent séparés ; l’un partit pour Malte, sur les
Galeres, l’autre fut envoyé à Paris par ses parens ; &
il ne se sont jamais revus. Près de vingt années se sont
écoulées depuis cette aventure, & trente encore auroient
suivi, sans que mon ami se fût jamais rappellé qu’il restoit
une partie de la dette à payer. Il reçut il y a quelque
temps une lettre de Provence, écrite en ces termes. Mon ami
resta pétrifié après avoir lu cette lettre. Il m’a dit que
s’il n’avoit été qu’à vingt lieues du Comte, il seroit parti
en poste pour s’aller mettre à ses genoux. En effet, celui
qui fait une pareille action est adorable. C’est la premiere
fois, sans doute, qu’on se soit avisé de regarder une dette
de jeu, contractée dans l’enfance, comme un engagement
sacré, surtout après s’être dépouillé pour en remplir une
partie. Il sentit qu’un combat de générosité seroit une
sorte de dureté & d’ingratitude. Il ne craignit pas non plus que ses sincérité fût mal expliquée ; il
étoit sûr de mériter l’estime, en comblant celle qu’on
venoit de lui inspirer. L’argent qui lui étoit encore dû se
montroit à sept louis. Ce fut au Comte, lui-même, qu’il
écrivit, & voici en quels termes sa lettre étoit
conçue ; mon ami en a gardé la minute ; & m’a permis
d’en prendre copie. « Je fus généreux, quand vous voulûtes
vous acquitter ; il m’en coûta le sacrifice de mes
principes, & de mon attachement pour vous. Quoique
j’eusse obéi, ma complaisance se changea en remords, je fus
tourmenté pendant long-temps, & je ne pus retrouver
quelque tranquillité, que lorsque j’eus vendu vos effets
pour en soulager la misere d’un malheureux. Vous exigez une
nouvelle violence ? Elle aura la même fin ; le jour que je
recevrai l’argent que votre impatience
m’annonce, il sera distribué à de nouveaux affligés. Après
ce préambule, que votre persécution m’arrache, j’ose
convenir que vous m’êtes encore débiteur de sept louis. Vous
pouvez les envoyer, je les recevrai, &c. Quinze jours
après il reçut une lettre de Change, & l’argent fut
distribué comme il l’avoit résolu. . . . . Quel procédé de
part & d’autre ! Quel trait dans la vie de deux amis !
Brief/Leserbrief
« Vous souvenez-vous d’avoir
joué au quinze contre M. le Comte de S * *, il y a une
vingtaine d’années ? Et si vous vous en souvenez, vous
rappelleriez-vous aussi aisément de quelle somme il vous
resta débiteur. Lorsque vous eûtes réglé vos comptes
ensemble ? Il sçait que vous êtes à Paris, & me
tourmente depuis plusieurs jours pour avoir
votre adresse. Il veut absolument s’acquitter, & est
sur cela d’une importunité qui passe l’enfantillage.
Faites quelque effort pour le tranquilliser. Je vous
invite moi-même, par égard pour ses sentimens
extraordinaires, à ne pas désavouer la dette, si en
effet vous vous la rappellez. Adieu. »
Avis de l’Auteur.
Il a été trouvé avant-hier au soir dans la vouer de l’Hôtel de * *, un porte-feuille dans lequel il y a plusieurs lettres écrites à un homme de qualité par une femme qui, suivant ce que j’en ai pu deviner, a une charge après d’une grande princesse. Ces lettres sont numérotées. La premier commence ainsi.Ebene 2
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Brief/Leserbrief
J’apprends avec plaisir,
Monsieur, que vous avez quitté les climats froids. Votre
constance à mépriser la santé pour la gloire me faisoit
fremir tous les jours. Il est un terme où l’ambition
& la valeur doivent s’arrêter. Vous serez très-bien,
& je vous conseille en mon particulier de garder le
coin de votre feu aussi long-temps que les Médecins
paroîtront le souhaiter ; l’hiver, qui fait tout périr,
ne respecte pas les héros blessés. J’ai appris vos
succès, & m’y suis intéressée ; je me les faisois
raconter, & je sentois, en m’entretenant de vous,
que le parti que j’ai pris, ne m’a pas rendue barbare,
&c.