Le Nouveau Spectateur français: XXV. Dialogue
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Nível 1
XXV. Dialogue.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
D’un faux Directeur,
& d’une fausse Devote.
La Devote.
Ah ! mon cher Monsieur,
que j’ai la conscience troublée, que j’ai besoin de vos
cheritables conseils. Imaginez-vous que mon mari veut
vendre deux de nos chevaux de carosse ; il dit, que
c’est assez de quatre. Le Directeur. Hé bien ma fille,
il ne faut pas s’affliger avant le tems, vos chevaux ne
sont pas encore vendus ; on pourra peut-être détourner
ce malheur : ne vous troublez point, & prenez
courage. La Devote. Que je prenne courage ! Ah ! mon
cher Monsieur, si nous n’avons plus que quatre chevaux,
j’aurai de la peine à vous en fournir, toutes les fois
que vous en aurez besoin.
Le Directeur.
J’avoue que ce
seroit-là ce qu’on pourroit appeler un grand malheur,
mais Dieu ne le permettra pas, il veut votre perfection
& la mienne, ce seroit nous reduire à un état bien
imparfait que de nous faire retrancher tout d’un coup
les bonnes œuvres dont on ne peut s’acquitter qu’en
carosse. Mais, dites-moi, comment vous trouvez-vous de
la fille de Chambre que je vous ai donnée ? La Devote.
Je m’en trouve si bien, que je croi que Dieu veut que je
chasse tous mes autres domestiques, pour n’en avoir plus
que de votre main. Le Directeur. Si cela se pouvoit, se
seroit le moyen d’être bien servie, & de vous faire
pratiquer une plus grande abnegation. Il faut, ma fille,
renoncer à sa volonté propre dans les petites choses,
comme dans les grandes ; vos domestiques, jusqu’à celle
que je vous ai donnée, ont été l’effet de votre choix,
cela est bien imparfait. Et Messieurs vos enfans ont-ils
toujours leur Precepteur ; j’en aurois un qui est un
tresor. Pour Mademoiselle votre fille, il faut
absolument la changer de Couvent, ce
Couvent ne me plaît pas, & j’en ai un où je suis le
maître, c’est-là où il la faut mettre. La
Devote.
Je voudrois aussi que vous eussiez la
charité de nous chercher un autre homme d’affaires,
celui que nous avons ne me donne pas un sou que mon mari
ne le sçache, cela me réduit à ne pouvoir faire autant
d’aumônes que je voudrois ; & en verité il est bien
dur de ne pouvoir faire tout le bien qu’on voudroit. Le
Directeur. Pour un homme d’affaires, c’est celui de tous
vos domestiques qu’il seroit plus important que vous
eussiez de ma main ; j’en connois un, qui est un homme
incomparable. La Devote. Je ne sçai si mon mari donnera
les mains à tous ces changemens ; car il est dans
d’étranges maximes : il croit qu’un Directeur ne doit se
mêler que des affaires de la conscience, voïez quel
étrange principe ! Le Directeur. Monsieur votre mari
peut avoir raison, car si on se mêle des autres
affaires, ce n’est que par rapport à
celle-là, c’est ce que vous devez lui faire entendre une
bonne fois. La Devote. Ah, mon mari encore une fois, est
un étrange homme, il ne peut vous souffrir, & il m’a
proposé un autre Directeur, & je vous dirai, puis
que je ne dois avoir rien de caché pour vous, qu’il a
obtenu de ma complaisance que je visse ce Directeur
nouveau. Le Directeur. Quoi ! vous l’avez vû. . . . La
Devote. Ouï, mais, ne vous fâchez pas ; j’ai bien promis
de ne le plus voir, je ne pourrois m’en accommoder ;
c’est le plus extraordinaire homme du monde, il dit
qu’une femme doit obéïr à son mari, aimer ses enfans,
garder sa maison, & prendre soin de son ménage. Je
croi même que c’est par son conseil que mon mari veut
vendre nos chevaux. Le Directeur.
Hé-bien, qu’il les vende : allez, ma mie, puis que vous
avez eu la lâcheté d’écouter un autre Directeur, je ne
suis plus votre affaire, je ne m’accommode pas de ces
infidelitez. Adieu.
La Devote.
Helas, mon cher
Monsieur, où me reduisez-vous ; si vous me quittez, on
me donnera un Directeur qui me laissera choisir mes
domestiques & qui m’obligera à n’avoir plus que deux
chevaux de carosse, & peut-être à n’en avoir point
du tout, & aller à pié jusqu’à l’Eglise qui est
presque à ma porte. Il faudra que je me contente, moi
qui étois si Devote, de n’être plus qu’une bonne
Chrétienne ; comment faire autrement, oserai-je me
piquer de devotion, quand j’aurai un mari qui sera plus
Maître dans sa maison que le Directeur de sa femme. Je
n’aurai qu’une devotion telle qu’on prétend que toutes
les femmes doivent l’avoir ; ce n’est pas là le moïen de
me distinguer dans le monde.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
D’un faux Directeur,
& d’une fausse Devote.