Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XXV. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\025 (1723-1725), S. 318-322, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2059 [aufgerufen am: ].
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XXV. Dialogue.
Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► D’un faux Directeur, & d’une fausse Devote. ◀Metatextualität
La Devote.
Ah ! mon cher Monsieur, que j’ai la conscience troublée, que j’ai besoin de vos cheritables conseils. Imaginez-vous que mon mari veut vendre deux de nos chevaux de carosse ; il dit, que c’est assez de quatre.
Le Directeur.
Hé bien ma fille, il ne faut pas s’affliger avant le tems, vos chevaux ne sont pas encore vendus ; on pourra peut-être détourner ce malheur : ne vous troublez point, & prenez courage.
La Devote.
Que je prenne courage ! Ah ! mon cher Monsieur, si nous n’avons plus que quatre chevaux, j’aurai de la peine à vous en fournir, toutes les fois que vous en aurez besoin. [319]
Le Directeur.
J’avoue que ce seroit-là ce qu’on pourroit appeler un grand malheur, mais Dieu ne le permettra pas, il veut votre perfection & la mienne, ce seroit nous reduire à un état bien imparfait que de nous faire retrancher tout d’un coup les bonnes œuvres dont on ne peut s’acquitter qu’en carosse. Mais, dites-moi, comment vous trouvez-vous de la fille de Chambre que je vous ai donnée ?
La Devote.
Je m’en trouve si bien, que je croi que Dieu veut que je chasse tous mes autres domestiques, pour n’en avoir plus que de votre main.
Le Directeur.
Si cela se pouvoit, se seroit le moyen d’être bien servie, & de vous faire pratiquer une plus grande abnegation. Il faut, ma fille, renoncer à sa volonté propre dans les petites choses, comme dans les grandes ; vos domestiques, jusqu’à celle que je vous ai donnée, ont été l’effet de votre choix, cela est bien imparfait. Et Messieurs vos enfans ont-ils toujours leur Precepteur ; j’en aurois un qui est un tresor. Pour Mademoiselle votre fille, il faut absolument la changer de Couvent, [320] ce Couvent ne me plaît pas, & j’en ai un où je suis le maître, c’est-là où il la faut mettre.
La Devote.
Je voudrois aussi que vous eussiez la charité de nous chercher un autre homme d’affaires, celui que nous avons ne me donne pas un sou que mon mari ne le sçache, cela me réduit à ne pouvoir faire autant d’aumônes que je voudrois ; & en verité il est bien dur de ne pouvoir faire tout le bien qu’on voudroit.
Le Directeur.
Pour un homme d’affaires, c’est celui de tous vos domestiques qu’il seroit plus important que vous eussiez de ma main ; j’en connois un, qui est un homme incomparable.
La Devote.
Je ne sçai si mon mari donnera les mains à tous ces changemens ; car il est dans d’étranges maximes : il croit qu’un Directeur ne doit se mêler que des affaires de la conscience, voïez quel étrange principe !
Le Directeur.
Monsieur votre mari peut avoir raison, car si on se mêle des autres affaires, ce n’est que [321] par rapport à celle-là, c’est ce que vous devez lui faire entendre une bonne fois.
La Devote.
Ah, mon mari encore une fois, est un étrange homme, il ne peut vous souffrir, & il m’a proposé un autre Directeur, & je vous dirai, puis que je ne dois avoir rien de caché pour vous, qu’il a obtenu de ma complaisance que je visse ce Directeur nouveau.
Le Directeur.
Quoi ! vous l’avez vû. . . .
La Devote.
Ouï, mais, ne vous fâchez pas ; j’ai bien promis de ne le plus voir, je ne pourrois m’en accommoder ; c’est le plus extraordinaire homme du monde, il dit qu’une femme doit obéïr à son mari, aimer ses enfans, garder sa maison, & prendre soin de son ménage. Je croi même que c’est par son conseil que mon mari veut vendre nos chevaux.
Le Directeur.
Hé-bien, qu’il les vende : allez, ma mie, puis que vous avez eu la lâcheté d’écouter un autre Directeur, je ne suis plus votre affaire, je ne m’accommode pas de ces infidelitez. Adieu. [322]
La Devote.
Helas, mon cher Monsieur, où me reduisez-vous ; si vous me quittez, on me donnera un Directeur qui me laissera choisir mes domestiques & qui m’obligera à n’avoir plus que deux chevaux de carosse, & peut-être à n’en avoir point du tout, & aller à pié jusqu’à l’Eglise qui est presque à ma porte. Il faudra que je me contente, moi qui étois si Devote, de n’être plus qu’une bonne Chrétienne ; comment faire autrement, oserai-je me piquer de devotion, quand j’aurai un mari qui sera plus Maître dans sa maison que le Directeur de sa femme. Je n’aurai qu’une devotion telle qu’on prétend que toutes les femmes doivent l’avoir ; ce n’est pas là le moïen de me distinguer dans le monde. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1