Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XXIII. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\023 (1723-1725), S. 303-312, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2057 [aufgerufen am: ].
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XXIII. Dialogue.
Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► D’un Homme qui veut être de l’Academie, & d’un de ses amis. ◀Metatextualität
Quoi, vous ne me faites pas compliment ; ne sçavez-vous pas que je vas me rendre Academicien ?
Que voulez-vous dire, vous rendre Academicien !
Ouï, me rendre Academicien, comme on dit, se rendre Moine, se rendre Evêque, se rendre Gentilhomme. . . [304]
Et se rendre connu, disoit Benserade ; Est-ce de lui, comme Academicien que avez appris cette élegante façon de parler ?
Qu’importe comment je m’exprime : n’entendez-vous pas ce que je vous dis ? Je m’étonne que vous ne l’aïez pas sçu.
Vous, Monsieur, vous allez être de l’Academie ?
Hé que puis-je faire de mieux, depuis que j’ai quitté ma Charge ?
Vous auriez pû la garder, & n’en être pas moins de l’Academie. Il y en a qui avec des Charges plus importantes y sont reçus, & même peut-être n’y sont-ils reçus qu’à cause de leurs Charges.
Non, je n’y aurois jamais pensé, si j’avois [305] gardé ma Charge, mais depuis que je l’ai quittée, je commence à m’ennuîer, il me faut de l’occupation ; il ne convient pas à un homme de ma condition d’aller tous le jours au Caffé : on m’a dit qu’il étoit plus honnête de se faire de l’Academie.
Cela est sans difficulté, sur tout aïant, comme il y a apparence que vous l’avez, dequoi faire vos preuves.
De quelles preuves parlez-vous, s’il vous plaît ?
Hé, des preuves de bel esprit, d’homme de Lettres, d’homme sçavant, déjà connu par quelques ouvrages.
Passe pour bel esprit, mais pour ce qui s’appelle ouvrages de belles Lettres, je ne me suis jamais amusé à ces fadaises-là, & j’ai eu, Dieu merci, d’assez nobles occupation pour ne pas perdre mon tems à étudier. [306]
Vous voulez donc être de l’Academie sans avoir étudié, & sans connoître les belles Lettres ?
Qui vous dit que je ne les connois pas ? Voiture, Conrart, Patru, & cent autres de la même trempe étoient des amis de ma maison ; j’en ai ouï parler cent fois dans mon enfance, & je me souviens encore des contes qu’on nous faisoit de la naïveté du bon homme Patru, qui au nez de ses Confreres de l’Academie, disoit librement ce qu’il pensoit d’eux & de leurs ouvrages.
C’est apparemment ce qui vous a donné du goût ?
Du goût, ah ! du goût : C’est bien à moi qu’il en faut parler, personne ne m’en a donné que je sçache : Je l’ai tout de moi-même. Demandez aux beaux Esprits qui dînent tous les jours chez moi, s’ils ont trouvé du goût plus sûr que le mien, & combien je fais ap-[307]percevoir, dans les pieces les plus estimées, de ces petites fautes imperceptibles, qui choquent le bon sens. C’est moi qui, à la lecture de cette piece, c’étoit, je croi, une Tragedie Bourgeoise, où tout le monde se récrioit, devinai, du premier coup d’œil, qu’elle ne valoit rien. On nous avoit assemblez dans je ne sçai quelle maison, il se trouva que c’étoit chez un Traiteur : j’en eus honte ; mais enfin il fallut avaler & la piece & la chere de cabaret. Tout le monde, excepté moi, applaudit à l’un & à l’autre, & ce ne fut (admirez la catastrophe inesperée) qu’après qu’on eut fini la lecture & le festin, que tout le monde fut de mon avis. Un Valet effronté, vint faire païer, à chacun, son écot. Oh ! la piece détestable, c’est que l’Auteur Tragique s’entendoit avec le Traiteur.
Voilà de grands titres pour être de l’Academie, & un goût bien marqué.
Vous riez, mais parlons serieusement : Quels titres faut-il pour être reçû de l’Academie ? N’est-ce pas assez d’avoir du bien, de la qualité si vous voulez, & une bonne table ? Quel est le Grand Seigneur qui n’en soit pas, quand il voudra ? [308]
Hé-bien soit, parlons serieusement : Non, mon pauvre Monsieur, non, ce n’est pas-là ce qui fait recevoir à l’Academie ; ce Corps illustre, est composé de bons esprits, de Gens bien sensez, jaloux & très-jaloux de leur réputation, & qui se piquent sur tout de ne point dégénerer de leurs premiers Instituteurs, qui n’ont acception de personnes, & qui ne se sont associez que des sujets capables de contribuer à l’exactitude du langage, & à la perfection de l’éloquence ; ce seroit les traiter de prévaricateurs, que de les accuser de choisir des hommes uniquement distinguez par leur qualité, leur credit, & leurs Charges.
Ce seroit au contraire les regarder comme des hommes de bon sens, qui ont pourvû sagement à tout ce qui pouvoit contribuer à leur conservation. Dites-moi, je vous prie ; Que seroit devenuë l’Academie & qui voudroit en être, si elle n’étoit composée que de ce que vous appellez Gens de Lettres ?
Peut-être n’auroit-on pas moins d’empressement. . . . [309]
Non, Monsieur, ce qui fait la gloire d’un Academicien, c’est d’avoir pour Confreres de gens avec qui il n’oseroit ailleurs faire comparaison. Bien loin que cela tourne à la honte de l’Academie, on peut dire que si quelque chose lui est honteux, c’est que parmi tant de grands Seigneurs qui y auroient autant de droit que d’autres, il y en ait si peu qui y soient reçus, & qu’aucun ne s’y fait recevoir sans s’être fait tirer l’oreille. Mais n’en parlons plus, j’ai mes raisons, & chacun a les siennes. Mais vous qui êtes homme de bon sens, & qui me connoissez, avez-vous de la peine à deviner mes raisons ; ne sçavez-vous pas que la grand partie de mon bien m’est disputée, & que c’est-là peut-être, ce qui m’a obligé de me défaire de ma Charge.
Je sçai que vous avez des procès. . .
Hé-bien, en faut-il davantage pour vouloir être de l’Academie ? cela me donnera droit de Committimus au grand Sceau ; n’est-ce rien pour un homme qui a des procès ? [310]
Je n’y faisois pas reflexion, & cette raison ne m’étoit pas venuë dans l’esprit. Rien n’est mieux pensé ; rien n’est mieux imaginé que de se faire de l’Academie pour plaider à son aise, c’est-à-dire tant qu’on voudra, & par tout où l’on voudra.
Hé comptez vous pour rien les Solliciteurs importans que me donnera dans mes procès le titre d’Academicien.
Ouï, Monsieur, on verra tout le Parnasse solliciter pour vous & Pegase à la tête qui donnera de terribles ruades à vos Parties. Ce qui m’étonne, c’est que tous les Normands ne soient pas de l’Academie. . . .
Vous badiné toujours. Mais dans le fond, me croïez-vous assez sot pour ne chercher en me faisant de l’Academie, que la réputation de bel esprit ! Ma foi j’en serois bien la dupe, & tous ceux qui sont de l’Academie ne passent pas pour si beaux esprits qu’on diroit bien. [311]
Il y en a pourtant fort peu qui n’ayent marqué de l’esprit par quelque ouvrage.
Et moi je vous dis qu’il y en a encore un plus grand nombre à qui leurs ouvrages ont fait tort, ou du moins si vous ne voulez pas que je le dise des Academiciens en place, je puis le dire de plusieurs de ceux qui demandent à y être reçûs ; & vous n’avez pas oublié ce que répondit un Academicien, homme fort sage, à un de ces prétendants, qui se plaignoit qu’on lui eût preferé un Competiteur. . . . Celui qu’on vous a preferé, dit ce galant homme, a eu trop d’avantage sur vous. On n’a jamais vû de lui aucun ouvrage, & malheureusement on en a vû des vôtres.
Voilà un avantage qui vous est assuré, puisque, si je vous crois, vous n’avez jamais composé ni perdu votre tems à vous en rendre capable. Cependant c’est-là dequoi je ne vous conseille pas trop de vous vanter. Vous auriez beau avoir des procès, & chercher à vous occuper honnêtement trois fois la semaine, personne assurément ne vous donneroit sa voix. [312]
On l’a bien donné à tant d’autres qui n’avoient pas plus étudié que moi.
C’est-là ce qui est en question, ou plûtôt, c’est-là de quoi personne ne conviendra. Je puis vous assurer, au contraire, qu’jamais l’Academie n’a eu & n’aura intention de recevoir des ignorants & des sots. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1