Le Nouveau Spectateur français: XIX. Dialogue
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Nível 1
XIX. Dialogue.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
D’un Bourgeois, &
d’un Homme de Lettres.
Le Bourgeois.
Monsieur, comme vous
êtes bel esprit, vous connoissez toute l’Université
& tous les Colleges ? O ça, il faut que vous me
rendiez un service. L’homme de Lettres. Souffrez que je
vous interrompe pour vous dire que si le service que
vous demandez, a besoin d’un homme qui connoisse les
Colleges & l’université, vous ne pouvez vous
adresser plus mal. Le Bourgeois. Comment ! n’êtes-vous
pas bel esprit ; n’est-ce pas vous qui avez fait ces
jolis ouvrages, là. . . qui se vendent à . . . On [279(
m’avoit dit aussi que vous étiez un bon Latin. J’ai cru
qu’il falloit avoir beaucoup d’habitude dans les
Colleges pour passer pour bel esprit. L’homme de
Lettres. Vous parleriez plus juste, si vous disiez que
c’est dans les Colleges qu’il est bon d’avoir étudié,
parce qu’on y trouve de fort habiles gens. . . Le Bourgeois.
Je voulois vous prier
de me chercher un Précepteur pour mon fils ; on m’a dit
que c’étoit la mode que les enfans des Bourgeois eussent
des Précepteurs au logis : mon cousin. . . . en a un,
& je ne suis pas moins que lui. L’homme de lettres.
Ah ! Monsieur, vous ne
sçauriez mieux faire, que de donner une bonne éducation
à vos enfans ; il ne faut point regarder si c’est la
mode : un Pere ne doit rien épargner pour cela, & je
me charge volontiers. . . . L’homme de Lettres. Je
voudrois un bon garçon, qui fût à deux [280( mains, qui,
après avoir donné la leçon à mon fils, pût venir causer
avec moi, & m’apprendre les nouvelles. Je voudrois
aussi qu’il sçut faire des vers sur le champ, afin que
quand je suis en débauche, je pusse lui dire, ça, mon
Poëte, faites-moi une chanson. A propos de débauche,
j’ai toujours chez moi de bon vin ; je voudrois que le
Précepteur que je vous demande, fut assez fidele pour
lui pouvoir confier la clef de la cave, & que ce fût
lui qui allât tirer le vin quand j’ai compagnie. Il me
fâche de me lever de table à chaque bouteille qu’il faut
tirer ; je n’ai eu personne jusqu’à present à qui j’aïe
pû me fier, & cela m’embarasse : c’est sur tout pour
cela que je voudrois un Précepteur. L’Homme de Lettres.
Quoi ! c’est-là le Précepteur dont vous avez besoin ?
Le Bourgeois.
Ouï : celui qui
est chez mon cousin. . . fait tout cela, excepté qu’il
ne sçait pas faire de Vers ; le cousin est un gros
brutal qui n’a aucun goût pour les belles choses. Il me
faut à moi un Précepteur d’un autre caractere ; car sans
vanité j’ai un peu de talent pour la rime ; j’ai lû
Theophile : ma foi c’étoit un bel esprit, qui disoit les
choses bien naturellement. [281( L’homme de Lettres. Hé
quels gages voulez-vous donner au Précepteur que vous
cherchez ? Le Bourgeois. Quels gages ! je ne lui
donnerai point de gages, il aura ma table, & je lui
donnerai ses étrennes. On m’a dit que c’étoit ainsi
qu’on en usoit chez les gens comme nous, & qu’il y
avoit cent bons garçons qui n’aïant pas de quoi faire
leurs études, étoient ravis de trouver la table d’un
honnête homme. C’est ainsi que mon cousin . . . en use,
encore ne donne-t-il pas d’étrennes, & oblige-t’il
son Précepteur à avoir soin du linge, & à faire le
memoire de la Blanchisseuse, car ce Précepteur écrit
bien. J’oubliois de vous avertir que j’en veux aussi un
qui sçache écrire : il faut même qu’il ait la main
bonne, afin qu’il me puisse tourner joliment la fin de
mes Lettres ; c’est la seule chose qui m’embarrasse dans
une Lettre, du reste, j’écris, comme Voiture ; mais, au
Diable, j’ai beau rêver, je ne puis trouver de pointe
pour finir. L’homme de Lettres. Voilà bien des emplois
auxquels vous destinez un Précepteur, ce n’est pas tant
pour vos enfans que pour vous. [282( Le
Bourgeois.
Pardonnez-moi ; je veux qu’il
s’applique principalement à faire la leçon à mon fils,
le reste il le fera en se joüant, & quand mon fils
sera en classe. L’homme de Lettres. Quoi ! vous
l’enverrez au College ? Le Bourgeois. Ouï, & il faut
que son Précepteur l’y conduise, & lui porte ses
livres. Cela aura bon air, & fera honneur à mon fils
& à moi, quand on verra qu’il a un Précepteur, &
que je n’épargne rien pour son éducation. L’homme de
Lettres. Il est vrai qu’on ne peut pas moins épargner
que vous voulez faire, & il est juste de vous rendre
un peu plus ménager. Croïez-moi ne prenez point de
Précepteur, prenez un bon Valet. Le Bourgeois. Un
Valet ! ne lui faudroit-il pas des gages ? &
d’ailleurs quel ai cela auroit-il, que mon fils n’eût
pas de Précepteur ? Le nom de [283( Précepteur sonne
tout autrement que celui de Valet. Croïez-vous que je
n’aïe pas un grand plaisir de pouvoir dire quand je
voudrai : Monsieur le Précepteur, venez m’entretenir.
L’homme de Lettres. Adieu, Monsieur, car ne ne gagnerai
rien à vous parler plus long-tems. Je ne connois plus
les Colleges ; je vous l’ai dit, je me ferois un grand
scrupule de vous donner un Précepteur tel que vous le
voulez. Le Bourgeois. Non, non : vous ne sortirez pas !
& vous me direz pourquoi vous feriez scrupule . . .
L’homme de Lettres. C’est, Monsieur, que quiconque veut
avoir un Précepteur, doit choisir un habile homme, &
qui soit de bonnes mœurs, le bien païer, le rendre
respectable, ne lui donnant aucun emploi vil dans la
maison, le borner à l’éducation & à l’instruction de
ses enfans ; & puisque vous voulez que je m’explique
jusqu’au bout, il faut vous dire que ces bons garçons,
qui sous le nom de Précepteur font l’office de
Factotons, ne sont bons [284( qu’à flater la vanité d’un
petit Bourgeois, & à faire perdre le tems à ses
enfans. Le bourgeois. Ah ! mon cousin. . . . que
n’êtes-vous ici pour répondre ?
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Diálogo
Metatextualidade
D’un Bourgeois, &
d’un Homme de Lettres.