Sugestão de citação: Justus Van Effen (Ed.): "XIX. Dialogue", em: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\019 (1723-1725), etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2053 [consultado em: ].


Nível 1►

XIX. Dialogue.

Nível 2► Satire► Diálogo► Metatextualidade► D’un Bourgeois, & d’un Homme de Lettres. ◀Metatextualidade

Le Bourgeois.

Monsieur, comme vous êtes bel esprit, vous connoissez toute l’Université & tous les Colleges ? O ça, il faut que vous me rendiez un service.

L’homme de Lettres.

Souffrez que je vous interrompe pour vous dire que si le service que vous demandez, a besoin d’un homme qui connoisse les Colleges & l’université, vous ne pouvez vous adresser plus mal.

Le Bourgeois.

Comment ! n’êtes-vous pas bel esprit ; n’est-ce pas vous qui avez fait ces jolis ouvrages, là. . . qui se vendent à . . . On [279( m’avoit dit aussi que vous étiez un bon Latin. J’ai cru qu’il falloit avoir beaucoup d’habitude dans les Colleges pour passer pour bel esprit.

L’homme de Lettres.

Vous parleriez plus juste, si vous disiez que c’est dans les Colleges qu’il est bon d’avoir étudié, parce qu’on y trouve de fort habiles gens. . .

Le Bourgeois.

Je voulois vous prier de me chercher un Précepteur pour mon fils ; on m’a dit que c’étoit la mode que les enfans des Bourgeois eussent des Précepteurs au logis : mon cousin. . . . en a un, & je ne suis pas moins que lui.

L’homme de lettres.

Ah ! Monsieur, vous ne sçauriez mieux faire, que de donner une bonne éducation à vos enfans ; il ne faut point regarder si c’est la mode : un Pere ne doit rien épargner pour cela, & je me charge volontiers. . . .

L’homme de Lettres.

Je voudrois un bon garçon, qui fût à deux [280( mains, qui, après avoir donné la leçon à mon fils, pût venir causer avec moi, & m’apprendre les nouvelles. Je voudrois aussi qu’il sçut faire des vers sur le champ, afin que quand je suis en débauche, je pusse lui dire, ça, mon Poëte, faites-moi une chanson. A propos de débauche, j’ai toujours chez moi de bon vin ; je voudrois que le Précepteur que je vous demande, fut assez fidele pour lui pouvoir confier la clef de la cave, & que ce fût lui qui allât tirer le vin quand j’ai compagnie. Il me fâche de me lever de table à chaque bouteille qu’il faut tirer ; je n’ai eu personne jusqu’à present à qui j’aïe pû me fier, & cela m’embarasse : c’est sur tout pour cela que je voudrois un Précepteur.

L’Homme de Lettres.

Quoi ! c’est-là le Précepteur dont vous avez besoin ?

Le Bourgeois.

Ouï : celui qui est chez mon cousin. . . fait tout cela, excepté qu’il ne sçait pas faire de Vers ; le cousin est un gros brutal qui n’a aucun goût pour les belles choses. Il me faut à moi un Précepteur d’un autre caractere ; car sans vanité j’ai un peu de talent pour la rime ; j’ai lû Theophile : ma foi c’étoit un bel esprit, qui disoit les choses bien naturellement. [281(

L’homme de Lettres.

Hé quels gages voulez-vous donner au Précepteur que vous cherchez ?

Le Bourgeois.

Quels gages ! je ne lui donnerai point de gages, il aura ma table, & je lui donnerai ses étrennes. On m’a dit que c’étoit ainsi qu’on en usoit chez les gens comme nous, & qu’il y avoit cent bons garçons qui n’aïant pas de quoi faire leurs études, étoient ravis de trouver la table d’un honnête homme. C’est ainsi que mon cousin . . . en use, encore ne donne-t-il pas d’étrennes, & oblige-t’il son Précepteur à avoir soin du linge, & à faire le memoire de la Blanchisseuse, car ce Précepteur écrit bien. J’oubliois de vous avertir que j’en veux aussi un qui sçache écrire : il faut même qu’il ait la main bonne, afin qu’il me puisse tourner joliment la fin de mes Lettres ; c’est la seule chose qui m’embarrasse dans une Lettre, du reste, j’écris, comme Voiture ; mais, au Diable, j’ai beau rêver, je ne puis trouver de pointe pour finir.

L’homme de Lettres.

Voilà bien des emplois auxquels vous destinez un Précepteur, ce n’est pas tant pour vos enfans que pour vous. [282(

Le Bourgeois.

Pardonnez-moi ; je veux qu’il s’applique principalement à faire la leçon à mon fils, le reste il le fera en se joüant, & quand mon fils sera en classe.

L’homme de Lettres.

Quoi ! vous l’enverrez au College ?

Le Bourgeois.

Ouï, & il faut que son Précepteur l’y conduise, & lui porte ses livres. Cela aura bon air, & fera honneur à mon fils & à moi, quand on verra qu’il a un Précepteur, & que je n’épargne rien pour son éducation.

L’homme de Lettres.

Il est vrai qu’on ne peut pas moins épargner que vous voulez faire, & il est juste de vous rendre un peu plus ménager. Croïez-moi ne prenez point de Précepteur, prenez un bon Valet.

Le Bourgeois.

Un Valet ! ne lui faudroit-il pas des gages ? & d’ailleurs quel ai cela auroit-il, que mon fils n’eût pas de Précepteur ? Le nom de [283( Précepteur sonne tout autrement que celui de Valet. Croïez-vous que je n’aïe pas un grand plaisir de pouvoir dire quand je voudrai : Monsieur le Précepteur, venez m’entretenir.

L’homme de Lettres.

Adieu, Monsieur, car ne ne gagnerai rien à vous parler plus long-tems. Je ne connois plus les Colleges ; je vous l’ai dit, je me ferois un grand scrupule de vous donner un Précepteur tel que vous le voulez.

Le Bourgeois.

Non, non : vous ne sortirez pas ! & vous me direz pourquoi vous feriez scrupule . . .

L’homme de Lettres.

C’est, Monsieur, que quiconque veut avoir un Précepteur, doit choisir un habile homme, & qui soit de bonnes mœurs, le bien païer, le rendre respectable, ne lui donnant aucun emploi vil dans la maison, le borner à l’éducation & à l’instruction de ses enfans ; & puisque vous voulez que je m’explique jusqu’au bout, il faut vous dire que ces bons garçons, qui sous le nom de Précepteur font l’office de Factotons, ne sont bons [284( qu’à flater la vanité d’un petit Bourgeois, & à faire perdre le tems à ses enfans.

Le bourgeois.

Ah ! mon cousin. . . . que n’êtes-vous ici pour répondre ? ◀Diálogo ◀Satire ◀Nível 2 ◀Nível 1