Le Nouveau Spectateur français: XI. Dialogue
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Nível 1
XI. Dialogue.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
De Licidas qui bâtit,
& d’un Architecte.
Licidas, L’Architecte.
Licidas.
C’est donc là le plan de mes
appartemens ? cela me paroît assez bien ; mais il me
semble que je ne vois pas de chambre commode où je
puisse coucher, ni de cabinet pour me retirer quand je
voudrai travailler à mes affaires. L’architecte.
Hé si, Monsieur ! Voulez-vous
bâtir en Bourgeois ? Est-ce pour leur commodité que les
gens de bon goût se logent aujourd’hui ; Voyez la beauté
de cette enfilade. Pouvoit-on mieux ménager le terrain :
vous gâteriez tous si vous vouliez des chambres &
des cabinets de commodité : Cela seroit bon, si vous aviez assez d’etenduë pour bâtir en
retour, mais à peine en avez-vous assez pour cinq piéces
de plein-pied & une galerie : vous n’en sçauriez
avoir moins si vous voulez être bien logé. Licidas.
Mais si au lieu de cette
galerie, nous faisions un appartement commode ? L’architecte.
Cela se peut faire ;
mais vous gâterez votre maison, au lieu qu’en faisant
une galerie, vous aurez un appartement d’une longueur
raisonnable, & dont toutes les pieces se
découvriront d’un coup d’œil. Licidas.
Je comprends que cela sera beau à la
vûë. L’architecte.
Beau ? cela sera
magnifique : personne n’entrera chez vous qui ne
s’écrie, dès l’antichambre, que vous êtes superbement
logé, c’est tout ce que doit souhaiter un homme de bon
goût qui cherche une maison.
Licidas.
Il faudra donc disposer
une de ces cinq pieces de maniere que j’y puisse coucher
commodément ; il faudra trouver dans un autre de la
place pour un bureau & des armoires à papiers. L’architecte.
Ah ! Monsieur,
gardez-vous en bien, toutes ce vilenies-là gâteroient
votre appartement ; ce n’est-pas que vous ne puissiez
placer un lit dans la quatriéme de vos pieces, j’y
donnerai assez de profondeur pour cela, & vous
mettrez un bureau & des armoires, si vous voulez,
dans la cinquiéme ; mais pour y coucher & pour avoir
des papiers, cela ne se peut. Licidas.
Comment ! je ne pourrai ni coucher
ni travailler à mes affaires dans mon appartement ? L’architecte.
Non, Monsieur ; nul
homme de bon goût n’a aujourd’hui dans ces sortes
d’appartemens ni un lit pour coucher, ni un bureau pour
travailler.
Licidas.
Il faut donc n’y mettre ni
lit, ni bureau, ni armoires ? L’architecte.
Hé ! de quoi les
meubleriez-vous ? tout cela est necessaire pour meubles
un appartement, mais non pas pour s’en servir. Licidas.
Il n’est pas permis de se
servir de ses meubles ? L’architecte.
Non, quand on veut être bien
logé : les lits, les bureaux, les armoires ne servent
que de parade ; voïez Monsieur de . . . . qui est un
Financier de si bon goût ; il a un bureau de six pieds
de long, qui lui revient à quatre mille six cens livres,
& deux armoires à papiers d’un dessein exquis, qui
lui ont coûté près de dix mille francs ; le bureau est
placé à son jour, il a ses armoires sous sa main, mais
il se garde bien de s’en servir ; son bureau n’est bon
tout au plus que pour écrire une lettre, & il n’a
dans ses armoires à papiers que du vin de Canarie .
Licidas.
Mais, Monsieur
l’Architecte, où coucherai je donc, & où pourrai je
travailler ? L’architecte.
Laissez-moi faire, je vous dispose dans le comble trois
jolies petites pieces ; car vous ne voulez pas de second
étage ; il faut donner assez de hauteur à votre
appartement pour ne laisser au-dessus que des chambres
en galletas ; c’est-là que vous pourrez coucher &
travailler. Licidas.
Ah ! j’y
ferois trop incommodé, j’aime à coucher commodément ; je
crains le froid, le chaud, & toutes les incommoditez
d’un galletas. L’architecte.
Et
seriez vous moins incommodé dans votre grand
appartement ? il faut, vous le sçavez, qu’il soit percé
des deux côtez, & que les fenêtres soient ouvertes
jusqu’en bas : d’ailleurs les portes, selon les mesures
que j’ai prises, doivent avoir douze pieds de haut,
c’est-à-dire un pied moins que les fenêtres.
Croïez-vous, dans un appartement si ouvert, vous pouvoir
garentir du froid & du chaud ?
Licidas.
Mais si nous l’ouvrions
moins : si les fenêtres & les portes. . . . L’architecte.
Quoi ! vous voudriez
renoncer au plaisir & à la gloire de faire voir tout
d’un coup à ceux qui entreront chez vous, la beauté d’un
appartement ouvert de tous côtez ? C’est-là tout ce que
vous devez vous proposer en vous logeant. Licidas.
Moi, je voudrois qu’il me fût permis
de me loger pour être logé. L’architecte.
Cela étoit bon autrefois, où
l’on n’avoit point de goût ; croïez-moi, Monsieur, vous
vous consolerez bien-tôt l’incommodité d’un galletas,
par le plaisir d’entendre dire à tout le monde que votre
appartement est magnifique.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
De Licidas qui bâtit,
& d’un Architecte.