Le Nouveau Spectateur français: X. Dialogue
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.3407
Nível 1
X. Dialogue.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Artenice, Belise.
Belise.
Je viens, Madame, de voir
par ma fenêtre, Madame l’Elpenice, qui étoit venuë pour
vous voir, & que votre Suisse a brusquement
renvoïée, disant qu’on ne pouvoit vous parler ; je suis
descenduë pour la faire entrer, mais elle étoit déjà
partie. Le Suisse m’a dit que c’étoit la trois ou
quatriéme fois qu’il étoit ordonné qu’on lui dît que
vous n’y étiez pas, chaque fois qu’elle viendroit. Artenice.
La Suisse a bien fait de
la renvoïer, & vous fort mal fait de la vouloir
faire entrer ? dequoi vous mêlez-vous ?
Belise.
N’étoit-elle pas votre
meilleure amie avant que vous fussiez mariée ? Artenice.
Ouï, mais je ne sçavois
pas encore qui j’épouserois, & que je dûsse devenir
une Dame de la premiere qualité ; je l’aimois, je me
plaisois fort avec elle, je l’aimerois encore si elle
avoit épousé un homme de la condition de mon mari. Belise.
Hé, Madame ! le mari qu’elle
a épousé est bon Gentilhomme, & d’ailleurs fort
riche. Artenice.
Qu’est-ce qu’un
Gentilhomme qui n’est pas titré ? convient-il à une Dame
de mon rang de voir ces canailles-là ? Je ne puis, en
honneur, avoir pour amies que des Duchesses ou des
Princesses. Belise.
Je crains bien,
si vous prenez sur ce ton-là, que vous ayez peu d’amies.
Artenice.
Peu d’amies, qui moi !
n’ai-je pas été nommée pour une des Dames de la fête où
il n’y a eu que des Duchesses, & que celles qui sont
du bois dont on les fait. Belise.
Ces Duchesses-là ne méprisent point les personnes qui ne
sont pas de leur rang, & moins encore celles qui ont
été de leurs amies ; elles les voïent avec le même
plaisir, & jusqu’à des femmes de Robe. Artenice.
Ah, des femmes de Robe !
voilà de belles connoissances pour des Duchesses ! Belise.
Hé pourquoi non ? est-ce que
les femmes de Robe n’ont pas aussi leur rang ? Artenice.
Le plaisant rang ! que la
femme d’un Avocat.
Belise.
Appellez-vous Madame la
Presidente de . . . . la femme d’un Avocat ? Artenice.
Je sçai que son mari est
Président, mais qu’est-ce qu’un President ? un Acvocat
renforcé. Belise.
En verité,
Madame, vous n’y pensez pas, il y a des Presidens
d’aussi bonne maison, que les gens d’Epée les plus
considérables. Artenice.
Il est
bien question de maison, quand on est dans cette
crasseuse de Robe. Belise.
Permettez-moi de vous dire, que si on vous entendoit, on
vous croiroit devenuë folle. Artenice.
C’est vous qui parlez comme une
folle. Qui a jamais dit qu’un homme, qui n’est pas
d’Epée, fût de bonne maison ?
Belise.
D’Epée, ou de Robe,
qu’importe, en est-on moins Gentil-homme de bonne roche
pour être de Robe : Ne voit-on pas dans la même famille
des gens de Robe & d’Epée ? Tels qui n’étoient que
Conseillers, ont eu des Freres ou des Cousins Maréchaux
de France, je vous nommerois des gens de Robe dont les
Ancêtres ont été très-distinguez dans l’Epée. Artenice.
Cela se peut ; car dans
toutes les meilleures maisons il y en a qui dégenerent
& qui ne soutiennent pas leur noblesse. Belise.
Quoi ! ce n’est pas soutenir
sa noblesse que d’être de Robe ? Artenice.
Non, ma mie, c’est vous qu’on
traiteroit de folle, si dans les maisons de qualité que
je frequente, où j’ai cru qu’il me convenoit d’avoir des
amies, l’on vous entendoit parler, comme vous faites. Je
m’étonne que depuis que vous êtes ici vous n’aïez pas
appris à parler. On croiroit que vous
n’avez jamais connu que des Bourgeoises. Belise.
Madame la Duchesse D . . . Madame la
Princesse D . . . vingt autres que je pourrois nommer,
sont-elles des Bourgeoises ? J’ai eu l’honneur de les
connoître, & même elles m’ont honorée de leurs
bontez ; j’ai vû chez elles hommes & femmes de Robe
traitées avec beaucoup de distinction. Artenice.
Je ne m’en étonne pas : celles que
vous m’avez nommées avoient des procès ; moi, Dieu
merci, je n’en ai point, & rien ne m’oblige de
considerer cette crasseuse de Robe : & je sçai mieux
soutenir mon rang. Belise.
Mais
n’avez-vous pas un assez proche parent dans la Robe ?
Artenice.
Vous êtes bien
insolente de m’en parler. Personne ne sçait qu’il est
mon parent, & n’a l’impudence de me le dire.
Belise.
Mais, Madame, il porte
votre nom, & je croi que c’étoit aussi le nom de feu
Monsieur votre Pere ? Artenice.
Il
s’agit bien du nom de mon Pere, ne l’ai-je pas quitté ?
me connoît-on sous un autre nom, que sous celui de mon
mari ? Belise.
J’ai ouï dire que
Monsieur votre Pere étoit un fort honnête homme, &
que Monsieur votre Parent qui porte son nom, est aussi
un homme de merite. Artenice.
Le
plus grand malheur qui soit arrivé dans ma maison, c’est
que mon Pere y soit entré, & avec lui tous ses
crasseux de parens. Belise.
En
verité, Madame, vous perdez l’esprit. Artenice.
C’est vous qui me le faites perdre,
& si vous continuez à me tenir de
pareils discours ; je croi, Dieu me pardonne, que je
deviendrai tout-à-fait folle. Belise.
Vous n’aurez pas grand chemin à
faire. Mais, puisqu’il vous plaît de mépriser jusqu’à
Monsieur votre Pere, parce qu’il vous a donné des parens
de Robe, qui valent bien vos autres parens, sauf votre
respect, pour la condition & le merite ; devez-vous
mépriser vos amis, & croïez-vous n’avoir jamais
besoin de Madame d’Elpenice votre ancienne amie ; son
mari n’est point homme de Robe. Artenice.
En vaut-il mieux pour moi, n’étant
que simple Gentilhomme ? Belise.
Il
est fort riche, Madame, il est fort riche, je vous l’ai
déja dit, & le besoin d’argent où je vous vois tous
les jours . . . Artenice.
Croïez-vous qu’il voulût m’en prêter ?
Belise.
Ouï, Madame, il est fort
genereux, & si vous ménagiez Madame sa femme, qui a
beaucoup de pouvoir sur lui . . . Artenice.
Ah, ah ! vous me faites faire une
reflexion que je n’avois pas faite. Allez la voir, ma
chere Belise, & faites lui bien des excuses. Belise.
Vous seriez mieux d’y aller
vous-même. Artenice.
Vous avez
raison, je veux y aller tout à l’heure : qu’on mette mes
chevaux au Carosse, & qu’on m’habille . . . Venez
avec moi, vous verrez combien je lui ferai de caresses ;
je sens bien que j’ai toujours de l’amitié pour elle.
Ouï, ma pauvre Belise, je l’aime de tout mon cœur. Belise.
Et plus encore son
argent . . .
Nível 2
Sátira
Diálogo
Artenice, Belise.