Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "IX. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\009 (1723-1725), S. 208-216, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2043 [aufgerufen am: ].


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IX. Dialogue.

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Oronte.

Puis-je vous demander, & pouvez-vous me confier, comme au meilleur & au plus ancien de vos amis, pourquoi vous marquez devant le monde si peu d‘égards pour Madame votre femme ?

Pancrace.

Ma femme se plaint-elle de moi !

Oronte.

Non, assurément, bien loin de se plaindre, elle vous excuse toujours auprès de ceux qui ne peuvent lui dissimuler qu’ils sont étonnez de la maniére dont vous sembles affecter d’en user avec elle. Quand elle vous demande comment vous vous portez ; à peine lui répondez-vous ; ou si vous lui répondez, c’est pour lui dire d’un ton sec, hé Madame, [209] qu’aurois-je à me porter mal. J’ai vû quelquefois que quand elle vouloit parler, vous la faisiez taire d’une maniere fort impolie, & sembliez ne la regarder, ni l’écouter. Tout cela fait croire que vous ne l’aimez ni l’estimez.

Pancrace.

On a grand tort. Je l’estime & je l’aime peut-être plus qu’aucun mari n’aime & n’estime sa femme. Mais voulez-vous que je la cajole devant le monde, & que je l’appelle publiquement mon cœur, ma mie, ma chere femme, mon cher amour. . . .

Oronte.

Non, Monsieur, ce n’est pas-là ce qu’on vous demande.

Pancrace.

Hé quoi donc ? que je lui parle de mes affaires auxquelles elle n’entend rien ? ne voudriez-vous point que je la consultasse sur tout, & que je donnasse lieu de croire qu’elle me gouverne absolument. Enfin que je n’osasse foüetter un chat sans lui dire.

Oronte.

Ce n’est pas-là non plus deqouoi il s’agit, [210] quoique peut-être vous n’aïez pas tout-à-fait raison de ne lui pas faire part de vos affaires, elle a beaucoup d’esprit & un sens naturel excellent.

Pancrace.

J’en suis persuadé, mais elle n’a point étudié, & n’entend pas même les termes du Palais.

Oronte.

Est-ce l’intelligence de ces termes qui donne de la raison & du bon sens ? vous-même ne m’avez-vous pas dit cent fois que vous ne trouviez point de gens qui jugeassent plus mal que ceux qui se piquent le plus de l’intelligence de ces termes barbares, & qui ne peuvent s’expliquer autrement ? Vous n’avez point d’affaires si embroüillées que vous ne puissiez fort bien faire entendre à Madame votre femme, si vous vouliez vous donner la peine de les lui expliquer : mais de la manière dont vous lui reprochez son ignorance, vous la déconcertez au point que quand elle auroit encore plus d’esprit qu’elle n’en a, vous la rendriez une bête. Pour moi, Monsieur, je l’admire de n’être pas devenuë aussi bête qu’il semble que vous vouliez la rendre par votre peu d’égards pour elle. [211]

Pancrace.

Où avez-vous pris que je veux la rendre bête ? D’ailleurs, peut-on rendre bêtes ceux qui ne le sont pas ? Leur ôte-t-on leur esprit ?

Oronte.

Non, mais on leur ôte la confiance ; on devient sot, Monsieur, à force d’être traité de sot. Voïez les enfans de Severe Braillard, ils ne manquent pas d’esprit, ils sont devenus tels que vous les voïez, parce que dès leur enfance, leur impitoïable pere ne les a jamais appellez que stupides & bêtes brutes : dès les moindres fautes, ce n’étoit que menaces & châtimens : enfin on a tant fait qu’ils n’ont rien appris. & qu’à peine encore maintenant ils osent parler, tant ils ont peur de dire des sotises. Qu’à-t-on gagné à les traiter ainsi ? qui de les rendre farouches dans toutes les compagnies, & à ne leur laisser de l’esprit qu’avec des canailles. Vous connoissez Orithie ma parente, elle a passée pour une bête, tant que son mari a vêcu ; elle n’osoit dire un mot que cet indigne mari daignât seulement écouter ; ses enfans même, à l’exemple de leur pere, n’avoient pour elle aucune consideration, & la pauvre Dame avoit été tellement intimidée, [212] que ceux qui ne la connoissoient pas d’ailleurs, ne pouvoient s’imaginer qu’elle eût de l’esprit : cependant elle a bien fait connoître qu’elle en avoit, quand, delivrée de ce fâcheux mari, elle a pris soin de ses affaires. . . .

Pancrace.

C’est-à-dire, Monsieur mon cher Oronte, qu’un mari doit toûjours être avec sa femme sur la ceremonie, & qu’il ne lui est pas libre d’en user sans façon ; c’est dommage que vous n’aïez pas été marié.

Oronte.

Si je l’avois été, je puis vous assurer que la femme que j’aurois épousée auroit été la personne que j’aurois le plus honorée, & que quelque peu de merite qu’elle eût eu, il ne me seroit jamais échapé de lui marquer & de lui dire rien de desobligeant, surtout devant le monde, & que je me serois particulierement étudié à la rendre respectable.

Pancrace.

Vous l’auriez menée au bal, à la promenade au Cours, à l’Opera, à la Comedie, & vous n’auriez point eu honte de faire vos visites ensemble, ni d’être tête-à-tête avec elle dans le même carrosse. Je vous aurois [213] conseillé, pour en user ainsi, de prendre une fraise, & de donner à votre femme un collet monté ; car, mon pauvre Monsieur Oronte, on vous auroit pris pour quelque mari du vieux tems. Mais parlons serieusement, & dites-moi, en conscience, s’il n’est pas aujourd’hui, aussi hors de mode d’avoir des égards pour sa femme, que de porter un collet monté ou une fraise.

Oronte.

Vous-même, dites-mois, en conscience, si vous croïez que la mode de traiter sa femme comme vous traitez la votre, est si generale, que tous les maris soient obligez d’en user de même ?

Pancrace.

Ouï, mon pauvre Oronte, puisqu’il faut vous le dire, & je m’étonne que vous en doutiez, vous qui voïez le monde. Le mariage aujourd’hui dispense hautement tout homme marié de se contraindre, & dès qu’il a tant fait que d’épouser sa femme, il ne doit plus se soucier de lui plaire ; le mariage débarasse de tous ces incommodes petits soins que demande la complaisance, & l’autorise à traiter sa femme comme il lui plaît. [214]

Oronte.

C’est-à-dire comme une esclave. En verité, Monsieur Pancrace, vous qui me renvoïez à la fraise & au collet monté, je m’étonne que vous ne prenez pas le Turban, ou plûtôt l’habit d’un Sauvage Iroquois, pour tenir de pareils discours & avancer de se étranges maximes.

Pancrace.

C’est vous qui devriez vous habiller en Sauvage Indien. Pour qui doit-on vous prendre, quand on vous entend dire que les maris d’aujourd’hui doivent des égards à leurs femmes ; il faut qu’on vous croïe fraîchement débarqué du Monomotapa, & que vous ne sçachiez non plus les usages à la mode, qui si vous n’aviez jamais sorti d’un trou.

Oronte.

Je connois le monde aussi bien que vous, & mieux que vous, si vous parlez serieusement : je voi dans toutes les conditions le mariage traité autrement ; j’y voi des femmes honorées de leurs maris, & en qui leurs maris ont beaucoup de confiance. [215]

Pancrace.

Peut-être voïez-vous cela parmi quelques Bourgeois ?

Oronte.

Non, parmis des gens de la premiere qualité.

Pancrace.

Je le pense bien ; on voit des benais dans toutes les conditions.

Oronte.

Cela pourroit être, mais de tous les benais de maris, pardonnez-moi ma sincerité, je n’en ai vû, dans aucune condition, d’aussi benais, que ceux, qui, comme vous, affectent de paroître mépriser leurs femmes ; non seulement ils manquent aux regles les plus indispensables de l’amitié, de l’honnêteté, & de la politesse, mais ils autorisent leurs femmes à les mépriser à leur tour : n’est-ce pas là être un vrai benais.

Pancrace.

Oh ! je ne crains point que ma femme me méprise, j’y mettrois bon ordre, mais c’est [216] la meilleure femme du monde, la plus sage, la plus modeste, exacte à tous les devoirs, & qui auroit été honnête femme quand elle auroit épousé un mari moins distingué que moi, sans vanité ; d’ailleurs elle m’aime tendrement. . . .

Oronte.

Se cela est, Monsieur, je ne vous dirai plus, que vous devriez prendre le Turban ou l’habit d’un Sauvage : ces habits ne vous siéroient qu’à demi. Vous êtes pire qu’un Barbare & qu’un Turc. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1