Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "VII. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\007 (1723-1725), S. 191-198, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2041 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
VII. Dialogue.
Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► De deux Voisins. ◀Metatextualität
Il me semble, Chryses, que je ne vois plus chez vous Agatocle, qui paroissoit tant de vos amis ?
Non, je ne sçai ce qu’il est devenu ?
Lui ? il est toujours en cette Ville, il n’y a que deux jours que je l’ai rencontré.
Qu’il soit où il voudra, il ne vient plus chez-moi. [192]
Quoi, donc, êtes vous brouillez ?
Je ne croi pas ; du moins je sçai que je ne suis pas brouillé avec lui, c’est lui apparemment qui est brouillé avec moi ; car pour moi je ne me brouille jamais avec personne.
Mais encore ; quelle raison croyez-vous qu’il ait eu de se brouiller avec vous ?
Aucune, que je sçache ; mais il est formaliste, & il veut, imaginez-vous, que je lui rende visite ; ou du moins que j’envoïe quelque fois chez lui ? il se plait qu’après trois ou quatre mois d’absence, je ne lui ai pas donné avis de mon retour.
Etiez-vous parti sans lui dire ?
La belle demande : pourquoi lui-dire ! l’a [193] t-il pû ignorer, & n’a-t-il pas dû le deviner ?
Apparamment il a dû deviner aussi votre retour.
Ho ! pour celui-là, il n’a eu que faire de deviner ; j’ai envoïé dire mon retour à toutes mes connoissances, & ce n’est que chez lui que je n’ai pas envoïé.
Hé ! pourquoi n’avez-vous pas en même-tems envoïé chez lui ?
Bon, est-ce qu’on en use ainsi avec ses amis ? n’étoit-ce pas à lui à me venir voir, s’il en avoit envie ?
Peut-être a-t-il cru qu’il y avoit de l’affectation de votre part, & que vous n’aviez manqué de l’avertir de votre retour, que parce que vous ne vous souciez pas de le voir. [194]
C’est ce qu’il s’est imaginé, & ce qui apparemment l’a empêché de venir ; mais pour moi je ne lui ai donné aucun sujet de croire que je ne me souciois pas de le voir.
Mais qu’a-t-il pû penser de ce qu’envoïant ailleurs, vous ne vous êtes pas souvenu d’envoïer aussi chez lui ?
A-t-il dû s’y attendre ? ne fait-il pas que je suis sans façon ? Et d’ailleurs qu’ai-je à faire de lui ? croit-il qu’on ne peut vivre sans le voir, lui qui n’est bon à rien ? Il est honnête homme, je le croi ; il a de l’esprit, j’en conviens, mais il n’a ni rang distingué, ni richesses ; & pour du credit, je croi ma foi, qu’il en a fort peu. Sont-ce là des amis qu’on se soucie de voir aujourd’hui ?
Mais il paroît avoir beaucoup d’amitié pour vous, & il êtoit peut-être persuadé que vous en aviez un peu pour lui. [195]
Il a eu raison de le croire ; car je ne le hais point du tout ; il est assez bon homme : je m’en accommode assez quand je le voi ; mais pour penser à lui, j’ai bien d’autres choses dans la tête.
Et dans le cœur, mon cher Voisin, vous avez aussi bien d’autres choses que de l’amitié & de l’attention pour vos amis ?
Bon, dans le cœur, nous sommes bien dans un tems où l’on consulte son cœur ; j’ai le cœur aussi bon qu’un autre, & c’est là sur quoi tout le monde me rend justice. Mais en verité, mon Voisin, croyez-vous que je sois un innocent, & que je ne sçache pas que ce n’est plus la mode d’avoir le cœur assez simple & assez bête pour aimer des amis qui n’ont pour nous que de l’amitié ? Je veux croire qu’Agatocle, puis qu’Agatocle y a, est de mes amis : mais dites-moi en conscience : A quoi me pourroit servir son amitié ? il a de l’esprit, il est bon homme, mais tout cela est une pauvre marchandise ; je croi que j’ai autant d’esprit que lui, mais je me rends justice, & je sçai bien que si je n’avois que [196] de l’esprit, je n’aurois chez moi, ni belle compagnie, ni gens fort empressez à me voir ; il faut autre chose que de l’esprit : il faut qu’on ait affaire de nous, ou qu’on trouve chez nous une table bien servie, un joli jeu, une maison bien étoffée, un air d’abondance & de richesses ; quand on n’a rien de tout cela, il faut se le tenir pour dit, & ne pas attendre que nos amis pensent à nous.
C’est-à-dire que si le pauvre Agatocle avoit une bonne table, de grands équipages, une dignité, une fortune brillante, vous n’auriez pas manqué d’envoïer chez lui.
Non, assurément j’y serois allé moi-même, car je sçai vivre, Dieu merci, & je connois assez le monde pour ne manquer à aucun des devoirs que le monde nous apprend qu’il faut rendre à ses amis.
Sur ce pied-là, Monsieur, car je n’ose presque plus vous appeler mon ami, je n’ai pas lieu d’attendre de vous beaucoup de marques d’amitié, & je conclus que si je n’étois pas votre Voisin. . . . [197]
Ah ! pour vous, c’est autre chose, vous n’êtes point formaliste, & n’attendez pas d’autre traitement de moi que la bonne chere & le bon visage ; c’est en quoi je vous trouve homme d’esprit plus cent fois que votre Agatocle : entre nous, c’est un franc sot, avec tout son esprit, & un chetif savant, tout savant qu’on le crois, d’ignorer ce qu’aujourd’hui personne n’ignore ? car dites-moi, mon Voisin, y a-t-il quelqu’un qui ne sçache que c’est une vanité ridicule, une presomption insupportable, de vouloir quand on n’a ni rang ni richesses, avoir des amis qui vous rendent des devoirs.
Je vous avoüe que j’avois eu jusqu’ici un petit grain de cette vanité folle, mais je n’ai jamais aimé à passer pour glorieux, & j’aurai desormais assez l’humilité pour n’attendre aucune amitié de vous.
Oh, venez chez moi, à l’ordinaire, je vous donnerai les marques d’amitié qu’il convient que je vous donne, je vous recevrai quand je n’aurai rien de meilleur à faire & même [198] à ma table, quand il y aura place ; venez donc sans façon & je vous promets que quand vous aurez autant de bien & une aussi bonne table que moi, j’irai aussi sans façon & par bonne amitié manger avec vous. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1