Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "VI. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\006 (1723-1725), S. 178-190, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2040 [aufgerufen am: ].


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VI. Dialogue.

Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► De Dorimene qui se croit malade, & de Franquette sa Femme de Chambre. ◀Metatextualität

Dorimene, Franquette.
Dorimene.

Dy-moi donc, Franquette, comment me trouve-tu ce matin ?

Franquette.

Belle comme le jour, un tein de lys & de roses ; jamais vous ne vous êtes portée si bien.

Dorimene.

Cela est admirable ! je devrois avoir un visage à faire peur. [179]

Franquette.

Hé ! pourquoi donc, Madame ? La belle fantaisie.

Dorimene.

Ne te dis-je pas hier en me couchant, qu’il falloit que je fusse malade ?

Franquette.

Ouï, Madame, je m’en souviens ; mais Dieu merci. . . .

Dorimene.

Comment, Dieu merci ! Je n’ai pas fermé l’œil tout la nuit ; j’ai soufert comme une malheureuse, & je n’ai fait que me plaindre.

Franquette.

Vous, Madame ! Vous avez dormi comme une coche.

Dorimene.

Imprudente : Qui t’a dit que j’ai dormi ? [180]

Franquette.

Qui me l’a dit ? c’est moi, qui ait couché dans votre Chambre, & presque au pié de votre lit.

Dorimene.

Tu as couché dans ma Chambre ? je ne m’en suis pas aperçûe.

Franquette.

Je ne pense bien ; vous dormiez d’un si bon somme. . . .

Dorimene.

Quoi ! tu me soutiendras à mon nez que j’ai dormi ?

Franquette.

Hé ! pourquoi ne le dirois-je pas, puisqu’il est vrai !

Dorimene.

Pourquoi ! parce que je n’ai pas pû dormir. [181]

Franquette.

Vous n’avez pas pû dormir ! Hé, pourquoi donc ?

Dorimene.

Ne t’avois-je pas dit hier, qu’il falloit que je fusse malade ?

Franquette.

Ouï, Madame, & c’est ce qui m’a obligée de venir coucher dans votre Chambre ; j’ai crû bonnement que vous vous trouviez mal : si j’avois bien entendu, je serois restée dans mon lit.

Dorimene.

Tu aurois bien mieux fait, & tu ne me soutiendrois pas effrontement que j’ai dormi.

Franquette.

Je l’aurois crû tout de même. Qui m’auroit obligé de ne le pas croire ?

Dorimene.

Ce serois moi, qui t’ai dis que je devois être malade. [182]

Franquette.

Vous auriez eu beau me le dire, je ne l’aurois pas crû davantage, à moins que vous ne m’eussiez fait voir une promesse d’être malade, passée par-devant Notaire, ou quelque ordonnance de Medecin qui vous imposât cette obligation. Vous vous portiez si bien hier au soir, & vous avez eu la même santé depuis quinze jours, pour n’en pas dire davantage. . . .

Dorimene.

C’est justement ce qui t’auroit dû faire croire qu’il étoit tems que je fusse malade. Voudrois-tu que je ne passasse ni pour belle, ni pour jolie, ni pour femme de qualité ?

Franquette.

Quoi ! pour être estimée femme de qualité, & pour passer pour belle & pour jolie, il faut qu’un femme soit malade tous les quinze jours ? Cela est pire qu’un Arrêt du Parlement.

Dorimene.

Assurément, car on peut se pouvoir contre un Arrêt, mais quand on est femme de [183] qualité assez jolie & assez belle, il n’y a ni appel, ni moïen de requête civile ; il faut être malade tous les quinze jours, & plus souvent, si l’on peut, ou se résoudre à passer pour une Bourgeoise, & pour une beauté peu délicate.

Franquette.

Vraiment, Madame, vous m’apprenez-là une belle Jurisprudence. Hé ! qui a établi cette loi ? est-ce la Faculté de Medecine ?

Dorimene.

La Faculté n’en est point fâchée ; mais cette loi est bien plus indispensable que toutes les loix de la Faculté, & ce n’est qu’après le coup que les Médecins l’ont autorisée.

Franquette.

Les Médecins n’en sçavent donc gueres, de n’avoir pas imaginé une si belle loi ; il me semble que cela étoit aussi bon pour eux que tant d’autres loix qu’ils ont imaginées, & dont ils sçavent si bien profiter.

Dorimene.

Ils ne profitent pas moins de celle-ci ; mais ils n’ont pas la gloire de l’invention. [184]

Franquette.

Qui donc, l’a inventée, & à qui cette gloire est-elle dûë ? pour moi je crois que c’est à la vanité & à la folie.

Dorimene.

Quelle insolente ! Crois-tu que je suis une folle ?

Franquette.

Non, Madame : je vous croi malade & plus que vous ne pensez ; mais ne nous fâchons point. Pourquoi vous croirois-je folle ? ce n’est pas vous qui avez inventé une si belle loi.

Dorimene.

Hélas ! non ; je l’ai trouvée toute établie, & il a bien fallu m’y conformer comme les autres.

Franquette.

Mais encore, Madame, ne pourriez-vous pas un peu me dire comment, par qui, & depuis quand cette loi est établie ? [185]

Dorimene.

C’est m’en demander plus que je n’en sçai ; ce que je sçai certainement, c’est que c’est la mode, & qu’une jolie femme & de qualité qui passeroit quinze jours sans quelque maladie, paroîtroit dégénérer & passeroit pour une beauté païsanne.

Franquette.

Ma foi, Madame, j’aimerois encore mieux être une Bourgeoise & une Païsanne en beauté.

Dorimene.

Hé ! crois-tu qu’il n’y ait pas des Bourgeoises & de laides femmes qui se piquent d’observer cette loi ; tout le monde s’en mêle, jusqu’aux Cavaliers, jusqu’aux Magistrats, jusqu’aux Sçavans, & sur-iout <sic> jusqu’aux beaux-Esprits : pour se faire un peu valoir, il leur faut à tous quelque indisposition frequentes, des maux de tête, des maux de cœur, des foiblesses d’estomach. . . .

Franquette.

Et quelque Medecin gagé. [186]

Dorimene.

Cela va sans dire : si on n’en n’avoit pas, seroit-on malade aussi souvent qu’il faut l’être ?

Franquette.

C’est-à-dire qu’il n’y a gueres de condition qui n’ait besoin de quelque petit restaurant de maladie, vraie ou fausse.

Dorimene.

Ah ! pour fausse, cela pourroit être, & je ne doute pas que bien des gens ayent la vanité de faire semblant d’être malades ; mais helas, je ne suis pas de ce nombre là.

Franquette.

Vous, Madame ! Dites-moi, en conscience êtes vous malade ? Là, parlez de bonne foi, il y a deux ans que vous n’aviez pas cette fantaisie, & vous ne passiez pas moins pour femme de qualité & pour belle femme.

Dorimene.

Ho ! c’est que dans ce tems-là, j’avois des affaires, & bien autre chose à penser qu’à être malade. Ne parles-tu pas du tems que j’avois un procès ? [187]

Franquette.

Ouï, Madame, & c’est dans ce tems-là, ce me semble, que vous auriez pû avec bienséance, être malade : cependant vous ne la fûtes point.

Dorimene.

L’affaire étoit trop de consequence pour être malade ; mais puisque tu parles de bienséance : j’ai, dans ce tems-là même, été malade autant que la bienséance le demandoit.

Franquette.

Je ne vous ai jamais vû en ce tems-là, garder cette bienséance.

Dorimene.

C’est que tu ne m’as pas accompagnée chez mes Juges ; je n’en ai vû aucun auquel, en le sollicitant, je n’aïe dit que j’étoit à la mort.

Franquette.

Passe pour cela, la maladie étoit bien placée ; il est bon de faire compassion à ses Juges ; mais aujourd’hui que vous n’avez point de procès, qui vous oblige d’être malade ? [188]

Dorimene.

N’ai-je pas ma qualité à soûtenir ? Faut-il te le dire encore, bête que tu es ?

Franquette.

Hé ! Madame, est ce avec moi que vous devez soûtenir votre qualité ? Ne sçai-je pas bien qui vous êtes, sans qu’il soit besoin que vous soïez malade pour me persuader votre Noblesse ?

Dorimene.

Tu es une jaseuse, & si je te disois que je me porte bien, tu le dirois à tout le monde.

Franquette.

Moi, Madame !

Dorimene.

Ouï toi : Ne vois-je pas bien quand, aux nouvelles de ma maladie, mes amis me viennent témoigner leur affliction, que tu ris sous cape, & que peu s’en faut que tu ne me fasse l’affront de leur dire que je me porte bien ? [189]

Franquette.

Hé ! quand je leur dirois, me croiroient-ils ?

Dorimene.

Que sçait-on ? Le monde est si mechant. . . . 

Franquette.

Oh ! Madame, vos amis ont trop d’interêt à vous croire malade, pour s’imaginer que vous ne l’êtes pas quand vous dites que vous l’êtes.

Dorimene.

Quel interêt ont-ils à cela ? Sont-ils mes héritiers ?

Franquette.

Non, Madame, s’ils étoient vos héritiers, ils n’oubliroient rien pour vous rendre plus malade que vous ne voulez l’être. Le seul interêt qu’ils ont, c’est de venir vous témoigner combien ils s’interessent à votre santé, c’est en ces occasions que les amis ont de l’amitié. [190]

Dorimene.

Tu as raison, & c’est un motif pour être malade, auquel je ne pensois pas, tu m’en fais souvenir, & quand je n’aurois que ce seul motif, je serois malade. Il est bon d’éprouver ses amis. Ne t’avises donc pas, si, sur la nouvelle de la maladie, que je veux avoir aujourd’hui, mes amis ne viennent voir, de dire que j’ai dormi toute la nuit.

Franquette.

Ho ! Madame, je leur dirai que vous n’avez fait que gémir toute la nuit & soûpirer : je ne mentirai point ; je vous ai entendu ronfler. N’est-ce pas ainsi que les Femmes de qualité gemissent & soupirent quand elles sont malades comme vous l’êtes, & dorment toute la nuit ? ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1