Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "V. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\005 (1723-1725), S. 169-177, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2039 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
V. Dialogue.
Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► D’une Dame âgée qui aime le jeu, & d’un honnête homme du monde. ◀Metatextualität
Vous venez bien mal à propos, c’est aujourd’hui mon jour. J’attends compagnie, elle devroit être venuë, on m’avoit dit que nous comencerions le jeu à trois heures, il en est près de quatre: il y a deux grosses heures que je m’ennuïe à la mort; voilà les tables & les cartes prêtes, & ma fille qui baille & va s’endormir, tout cela l’ennuie autant que moi.
Quand voulez-vous donc, Madame, que j’aie l’honneur de vous voir. J’ai envoyé ici quatre jours de suite, j’y suis venu moi-mê-[170]me, on m’a toûjours dit que vous êtiez allé jouër en Ville, ou que vous êtiez ici embarquée au jeu.
Mon Dieu, allez vous faire encore le pedant, & ne vous accommoderez-vous jamais aux manieres de vos amis ?
C’est vous, Madame, qui m’avez dit que vous ne jouïez que par complaisance, & faute de conversation avec des gens raisonnables.
Où les trouver aujourd’hui ces gens raisonnables, avec lesquels on puisse avoir quelque conversation ?
Hé, me voila, Madame : il me semble qu’autrefois vous aimiez à me parler & à m’entendre, je ne suis pas devenu plus ignorant, que quand vous sembliez prendre plaisir à vous entretenir avec moi de vos lectures d’histoire, de morale & de nouvelles mêmes. [171]
En ce tems-là je n’avois que de petits enfans ; ma fille est devenuë grande, & il faut bien que j’aïe la complaisance de la faire jouër.
Je ne vous dirai point que vous pourriez l’occuper à quelque chose de mieux.
Ah ! Monsieur, il faut jouër, vous dis-je, on ne peut plus s’en passer.
Je ne vous blâme point de faire jouër Mademoiselle votre fille : je crois, au contraire, que vous devez la faire jouër autant qu’il faut pour apprendre le jeu.
Puisqu’il faut qu’elle sçache jouër, je ne puis la faire jouër trop souvent ; ce n’est qu’à force d’exercice qu’on devient savant, car je n’ai pas oublié tout mon latin, fabricando fabri fimus. [172]
C’est bien dommage, qu’ayant, comme vous l’avez, l’esprit si cultivé, & si capable de citer le latin à propos, vous perdiez tant de tems au jeu.
Encore si je ne perdois que mon tems, mais j’y perds mon argent, & je suis d’un guignon effroyable, je perdis encore hier . . . dites ma fille combien ai je perdu hier ?
Ce n’est donc pas Mademoiselle votre fille qui joüoit ?
Ma fille est trop bien née, & la moindre chose qu’elle me doit c’est de me ceder sa place au jeu ; cela seroit beau, qu’elle allât à mon nez se planter à cette place, sans m’en faire honnêteté, & que je restasse là comme une béte.
Ha ! Madame, puisque ce n’est que pour l’amuser, on lui apprendre le jeu que vous joüez, [173] & que, comme vous le dites si savamment, ce n’est que par l’exercice qu’on s’instruit, que ne la laissez vous joüer à votre place ?
Hé quoi ! ne dois-je pas donner exemple à ma fille, & faut-il que je vous cite encore du latin pour vous prouver que l’exemple a plus de force que tous les préceptes du monde !
Mais, ne craignez vous point que les gens avec qui vous joüez, ne sçachent pas autant de Latin que vous, & ne s’imaginent que vous en usez ainsi, parce que vous aimez le jeu.
Non, ils sçavent bien que je ne l’aime point du tout, je le leur dis continuellement, & ils doivent me croire, ce ne sont pas des gens défiants, comme vous.
Je croi qu’ils sont assez honnêtes gens, & qu’ils ont l’esprit assez bien fait, pour ne pas croire que vous aimez le jeu quand vous voulez toûjours jouër : mais Mademoiselle votre fille n’aura t’elle point une autre pen-[174]sée ? sa complaisance ne vient-elle point de l’imagination qu’elle a que vous aimez le jeu, ou du moins que vous vous ennuïez quand vous ne joüez pas ?
Oh ! ma fille me connoît bien, c’est une bonne enfant, qui croit tout ce que je dis comme mot d’Evangile, & qui me remercie à toute heure de la complaisance que j’ai de jouër tout les jours, pour lui apprendre le jeu, croyez moi, je sçai bien élever mes enfans.
On ne vous accusera pas, du moins, de ne les pas prêcher d’exemple, & s’il en est de tout le reste, comme du jeu, il faut convenir que vous êtes la mere du monde la plus exemplaire & qui sçait mieux se contraindre, pour ne donner à ses enfans que de bons exemples.
Vous avez bien raison de dire que je sçai me contraindre, car mon pauvre Monsieur, je ne fais rien de ce que je voudrois faire. Vous dites que je jouë tous les jours ; ouï assuremment, mais il faut bien le faire ; à quoi [175] voulez-vous que je m’occupe ? voulez-vous qu’on croïe que moi & ma fille nous ne sçavons pas vivre ?
C’est de quoi, quand vous ne joueriez pas pas <sic>, on ne vous accusera jamais.
Oh ! vous ne sçavez pas comme le monde est méchant. Il faut joüer, vous dis-je, il faut joüer, si l’on ne veut pas se donner du ridicule dans le monde.
Mais il a été un tems, où tout le monde vous estimoit, & qu’on ne venoit point chez vous uniquement pour jouër, comme on y vient aujourd’hui.
Oh ! le monde, en ce tems-là n’étoit pas si méchant ; je n’avois point d’enfans à qui je dûsse donner exemple ; j’aimois la lecture, & j’avois les yeux meilleurs ; je ne sçai ce qui m’est arrivé, mais j’ai toutes les peines du monde à lire. [176]
Hé ! Madame, prenez des lunettes
Des lunettes ! Est-ce donc que je suis si décrepite, ou ai-je un nez propre à porter des lunettes ?
Mais n’avez-vous pas besoin de voir pour jouër, & ne vous faudra-t-il pas bien-tôt prendre des lunettes pour distinguer les cartes ?
On voit bien que vous êtes un homme de l’autre monde. A-t-on jamais joüé avec des lunettes ? Oh ! je joürai, je vous en répons, & ne je prendrai jamais de lunettes ; les Joueurs soufrent fort bien qu’on jouë sans distinguer si exactement les cartes.
Je le sçai, Madame, & ce que je sçai encore mieux, c’est que personne n’est plus [177] au gré des Joueurs, qu’une Dame qui ne voit goute, & qui a la fureur du jeu. Tout le monde veut jouër avec elle ; on la comble de loüanges & de caresses, sauf à les entendre dire après le jeu, nous avons étrillé la vieille : Dieu nous la devoit. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1