Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "IV. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\004 (1723-1725), S. 160-168, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2038 [aufgerufen am: ].
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IV. Dialogue.
Ebene 2► Metatextualität► Satire► Dialog► De deux vieux Amis. ◀Metatextualität
Meliton, Agaton.
Meliton.
Bon jour, notre ami, comment vous portez vous ?
Agaton.
Hélas ! mon cher ami, bien vieillement, comme vous voyez, & à peu près comme vous.
Meliton.
Bien vieillement, comme moi ; croyez-vous donc que je suis si vieux ? tout le monde me fait compliment sur ma jeunesse.
Agaton.
Et moi, c’est tout le contraire, quoique [161] moins vieux que vous de dix ans, tout le monde me fait apercevoir que je suis vieux.
Meliton.
Vous voyez donc de sottes gens : pour moi, Dieumerci, je sçai mieux choisir mon monde, je ne vois que des gens qui me trouvent jeune.
Agaton.
Vous ne voyez donc que des vieillards décrepits.
Meliton.
Des vieillards décrepits ! si, ce sont bien là les gens qu’un homme comme moi doit frequenter : je ne vois que de la jeunesse, & même de la plus brillante, de jeunes Officiers, des Seigneurs de la Cour, des Dames les plus jolies & les plus belles.
Agaton.
Et tous ces gens-là vous trouvent jeune ?
Meliton.
Ouï, aussi jeunes qu’eux : ils me le disent à moi-même, & sont étonnez de mon bon [162] visage ; ils me trouvent le tien, la taille, & l’air, tel que je l’avois à trente ans.
Agaton.
Et vous en avez près de quatre-vingts.
Meliton.
C’est bien-là de quoi il s’agit, & parmi les gens polis a-t-on jamais quatre-vingt ans ; je n’ai parmi mes amis, que l’âge qu’ils me donnent.
Agaton.
Je crois voir des gens aussi polis que les gens que vous voyez, ils ont la politesse de ne me point parler de mon âge, mais je ne suis pas aveugle, & je vois bien à leurs manieres qu’ils me trouvent encore plus vieux que je ne suis.
Meliton.
Pourquoi vous imaginer qu’ils vous trouvent vieux ? vous vous portez bien, vous avez encore le tien <sic> frais, & si vous vouliez un peu vous aider, ils vous trouveroient aussi jeune que moi. [163]
Agaton.
Ils sont mieux encore que vous ne pensez ; il n’y en a aucun de ceux qui vous connoissent & vous voient, qui ne vous trouve beaucoup plus vieux que moi ; il n’y a pas deux jours que d’Adraste votre ami, me disoit, qu’il vous croïoit pus de quatre-vingt-dix ans, tant vous lui paroissiez vieux.
Meliton.
Vous vous mocquez, il n’a pû vous parler ainsi, il dîne tous les jours chez moi, il faudroit qu’il fut un grand scélérat, s’il me croïoit quatre-vingts dix ans, & venoit manger chez moi aussi souvent qu’il y vient : vous lui en voulez assurément : mais moi qui le connois à fonds, je vous soutiens qu’il est honnête homme.
Agaton.
Qui vous dit qu’il n’est pas honnête homme ?
Meliton.
C’est vous qui me le dites. Y eut-il jamais une plus grande mal-honnêteté que celle dont vous l’accusez ? Peut-on être honnête homme & me croire vieux ? Je voudrois [164] qu’il fût ici, vous verriez qu’il me diroit que je n’ai tout au plus que 50. ans ; c’est ce qu’il me dit tous les jours : il y a plus de vingt ans qu’il a commencé à me le dire, & c’est ce qui m’oblige de le croire ; il n’est point menteur, & je l’ai toujours trouvé franc & sincere. Imaginez-vous jusqu’où va sa franchise, il soutient à qui veut l’entendre, que depuis vingt ans je n’ai pas vieilli d’un quart d’heure ; c’est-là ce qui s’appelle être honnête homme & bon ami ; aussi je sçai, comme j’ai dit, choisir mes gens, & je ne voi personne assez mal-honnête pour penser que je suis plus vieux que je l’étois dans ma jeunesse. Croyez-moi, notre ami, mettez-vous sur le pié où je suis, & vous verrez que vous n’aurez que l’âge que vous voudrez avoir.
Agaton.
Trouvez donc quelqu’un qui me donne une grande maison, une bonne table, & des carrosses au service de ceux qui n’en ont point, ou qui veulent ménager leurs équipages. Ce sont-là les seuls titres de jeunesse qu’Adraste, cet honnête homme, & ceux qui lui ressemblent, vous trouvent.
Meliton.
Vous raillez, mais après tout rien ne sert plus que tout cela pour être censé ne point vieillir. [165]
Agaton.
Et pour passer pour ridicule ; car enfin il faut vous le dire, ceux qui font semblant de vous trouver jeune, se mocquent de vous.
Meliton.
Et moi je me mocque de tous ceux qui me trouvent vieux ; Dieux merci le nombre n’en est pas grand, & je n’ai encore vû que vous qui aïez eu l’insolence de me trouver aussi vieux que je le suis, & de me le dire à mon nez ; car enfin puisque vous me poussez, je ne dois plus vous ménager : voyez un peu le vieux penard, parce qu’il vieillit comme un coquin, qu’il n’a ni grande maison, ni équipage, ni table, il croit que tous eux qui sont de son âge sont aussi vieux que lui : adieu vieux radoteur, vieillis tout ton sou, je ne m’en soucie gueres, & tu merites bien que personne n’ait honnêteté de te trouver jeune.
Agaton.
C’est une honnêteté que je ne demande à personne : aussi personne ne s’avise d’avoir pour moi cette honnêteté là. [166]
Meliton.
Je le pense bien, les gens ne sont pas sots, & ils sçavent bien distinguer entre des hommes de même âge, ceux qu’ils doivent trouver vieux, & ceux qu’ils doivent trouver jeunes.
Agaton.
Non, personne ne s’y méprend, je vous en assure, & je serois bien faché qu’on me trouvât aussi jeune que vous ; mais ne nous fachons point, croyez-vous en conscience être encore jeune ?
Meliton.
Ouï da, puisqu’on me le dit, l’autorité de ceux qui me trouvent jeune, rend ma jeunesse prisable ; c’en est assez : n’ai-je pas ouï dire qu’on peut suivre en conscience une opinion probable ?
Agaton.
Ho ! je ne vous croïois pas Casuiste : parlons donc & raisons savamment, dites-moi n’avez vous point de raisons intrinseques de vous croire vieux. [167]
Meliton.
Non, mais quand j’en aurois, quand je jugerois que je suis vieux, devrois-je pour cela ne me pas croire jeune ? il faut, mon pauvre ami, se défier de son propre jugement ; je ne suis pas entêté, & je crois ce qu’on me dit.
Agaton.
Mais ne croyez-vous pas aussi ce que vous voyez ? Vous me disiez il y a quelque tems qu’un Valet qui vous servoit depuis trente ans étoit mort de vieillesse cependant il étoit plus jeune que vous.
Meliton.
Voilà un bel exemple que vous m’apportez. Ne voudriez-vous point qu’un Maître se regalât sur ses Valets ? il faudroit donc aussi que je crusse qu’on m’a enterré, comme ce vieux Valet, dont vous me parlez ; mais je soûtiens mieux la qualité de Maître, & je sçai Dieu merci, en garder les bienséances.
Agaton.
Non, Monsieur, vous nêtes pas encore enterré, mais vous le serez peut-être dans trois jours. [168]
Meliton.
Dans trois jours ! j’ai bien d’autres choses à faire dans trois jours, je dois après demain donner à dîner à Monsieur l’Ambassadeur. . . le jour d’après, j’ai mon Carosse & je dois mener à l’Opera une Marquise & une Comtesse, la partie en est faite, & je n’ai garde me manquer de parole. Adieu vieux fou.
Agaton.
Adieu jeune sage. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1